Derrière l’expo, un impact environnemental négatif de l’exploitation pétrolière et les dommages subis par les populations par la compagnie pétrolière franco-britannique Perenco
Jusqu’au 2 octobre prochain, le musée parisien du quai Branly propose de découvrir les Mayas du Guatemala à travers plus de cent cinquante pièces exceptionnelles qui, pour la plupart, ne sont jamais sorties de leur pays. Mettant en avant les dernières grandes découvertes archéologiques sur plusieurs sites récemment étudiés – notamment El Mirador, qui figure en tête de la liste de cinq sites sélectionnés en vue d’une nomination au Patrimoine mondial de l’Unesco –, l’exposition propose également un portrait actuel de cette civilisation en présentant les coutumes, rituels et richesses de la culture maya contemporaine.
Cet intérêt pour le Guatemala « actuel » ne va toutefois pas jusqu’à évoquer la visite faite, en avril 2010, par les représentants de cinquante-trois communautés du département du Péten au Conseil départemental de développement (Codede). Ils venaient demander à cet organisme de ne pas donner un avis favorable à la reconduction du contrat de la compagnie pétrolière franco-britannique Perenco, dans la zone de la Laguna del Tigre. Il se trouve, il est vrai, que Perenco assure le mécénat de « Maya, de l’aube au crépuscule » du Musée du Quai Branly.
Disposant de bureaux à Paris, à Londres et aux Bahamas, Perenco appartient à M. François Perrodo (173e fortune française) et a comme directeur général M. Jean-Michel Jacoulot. A travers sa filiale Perenco Guatemala Limited (Perenco GL), la société opère dans la Laguna del Tigre depuis qu’elle a racheté le contrat de concession n° 2 – 85 à l’américaine Basic Resources Inc. (BRI), en 2001. Sa présence a été particulièrement contestée à l’occasion du renouvellement de ce contrat, pour une durée de quinze ans, en juillet 2010.
En plus d’être une « zone naturelle » légalement et strictement protégée par les lois guatémaltèques, le Parc national Laguna del Tigre (PNLT) est reconnu par la Convention sur les zones humides d’importance internationale dite « Convention Ramsar ». Néanmoins, et bien qu’aient été mis en avant l’impact environnemental négatif de l’exploitation pétrolière et les dommages subis par les populations, ce renouvellement a été signé par le ministre de l’énergie et des mines Carlos Meany, soutenu par le président de la République Álvaro Colom, malgré l’opposition des ministres de l’intérieur Carlos Menocal, de l’environnement Luis Ferraté et de la jeunesse et des sports Jerónimo Lancerio.
Ainsi que le mentionne le Collectif Guatemala dans un rapport très détaillé [1], ces derniers ont justifié leur position dans le Journal officiel guatémaltèque du 27 juillet 2010 : « Une telle décision met en péril la conservation, la protection et la restauration du patrimoine naturel du Guatemala, ainsi que l’environnement et l’équilibre écologique » (M. Menocal) ; « J’estime que la signature et l’approbation du contrat 2 – 85 mettent en danger la réglementation juridique (M. Ferraté) ; « On ne voit pas le bénéfice pour le développement des communautés puisque celles qui sont établies dans la zone protégée présentent un niveau de pauvreté élevé » (M. Lancerio). Non préalablement consulté, le Conseil national des zones protégées (Conap) émettra également une opinion défavorable a posteriori.
La militarisation de la zone par un « Bataillon vert » que finance la multinationale (0,30 dollars par baril) est également fortement critiquée. Dans un pays où le conflit armé interne des années 1980 – 1990 a donné lieu à un déferlement d’atrocités (200 000 morts), cette présence militaire ne fait qu’ajouter à l’angoisse de populations régulièrement menacées de déplacement forcé.
Dans un communiqué de presse daté du 17 juin, la multinationale assure au contraire être « un acteur de la préservation du Parc national Laguna Del Tigre » et précise : « En dix ans de production, aucun dommage environnemental (…) n’a été observé par le ministère de l’environnement » (qui, on l’a vu, a contesté la prolongation du contrat !), avant d’ajouter que « à six reprises, les actions menées en justice pour contester la légalité du contrat de Perenco devant la Cour constitutionnelle et la Cour suprême ont été rejetées et déclarées sans fondement. » De passage à Paris, le député indépendant et candidat à la vice-présidence guatémaltèque Aníbal García n’a pas démenti cette dernière affirmation, ajoutant même que, « sur cent cinquante-huit députés, seuls quatre [dont lui-même] ont voté contre le renouvellement ». Pour expliquer ce fait, il n’a pas hésité à employer les mots « trafic d’influence » et « corruption ».
Il n’y a pas qu’au Guatemala que Perenco peut s’appuyer sur des pouvoirs complaisants. En juin 2009, moins de deux semaines après un massacre ayant fait plus d’une trentaine de victimes parmi les manifestants indigènes qui s’y opposaient (et les forces de l’ordre), le gouvernement péruvien de M. Alan García a donné son feu vert à Perenco Perú Limited pour exploiter le pétrole dans une région reculée de l’Amazonie.
Lorsque, au contraire, les dirigeants d’un pays se montrent moins sensibles à ses seuls intérêts, l’altruisme tout en surface de la multinationale laisse place à une violente bouffée de colère. Le 22 juillet 2010, le gouvernement équatorien a déclaré caducs les contrats de Perenco Ecuador Ltd (et de son associée américaine Burlington) qui, contestant l’application de la loi 42 sur « les bénéfices extraordinaires dus à l’augmentation des prix du pétrole », refusait de payer un arriéré d’impôts de 327 millions de dollars. « Nous sommes disposés à aller jusqu’aux ultimes conséquences avec Perenco , avait déjà averti le président Rafael Correa, le 24 juillet 2009. Nous n’allons pas permettre que ces transnationales continuent à nous traiter comme des colonies. » De fait, les gisements concernés sont passés aux mains de la compagnie nationale Petróleos del Ecuador, mais, depuis 2008, Perenco a saisi le Centre international de règlement des différents (Cirdi), tribunal arbitral fonctionnant dans l’orbite de la Banque mondiale, et réclame 400 millions de dollars à l’Etat équatorien.
Dans l’hypothèse où elle parviendrait à ses fins, investira-t-elle une partie de cette somme colossale pour sponsoriser une exposition sur la « culture équatorienne » au Musée du Quai Branly ?
Notes
[1] Collectif Guatemala, « Perenco. Exploiter le pétrole coûte que coûte. Rapport sur les conséquences sociales et environnementales des activités de l’entreprise Perenco Guatemala Limited », avec le soutien de Terre des hommes France et de France Amérique latine, Paris, juin 2011 ; http://collectif-guatemala.chez-alice.fr/
Pour voir la version Tintin au féminin faisant un reportage à l’expo sur les Mayas :
Les trésors mayas au musée du Quai Branly par BFMTV