Le remboursement de la dette est l’argument principal pour justifier la mise en place de politiques d’ajustement structurel dans les pays européens.
Pourquoi le CADTM introduit avec ATTAC un recours en annulation de l’arrêté royal octroyant une garantie de 54 milliards d’euros (avec en sus les intérêts et accessoires) à Dexia SA et Dexia Crédit Local SA
22 décembre par CADTM Belgique
Dette du Nord et du Sud, même combat
Depuis plus de 20 ans, le CADTM milite pour l’abolition de la dette publique du Tiers-Monde et l’abandon des politiques d’ajustement structurel imposées au Sud. Depuis la crise de la dette de 1982, celles-ci ont provoqué l’explosion des inégalités, une pauvreté de masse, des injustices criantes et la destruction de l’environnement.
Aujourd’hui, c’est la dette des pays de l’Union Européenne qui est au centre de la crise globale qui a éclaté en 2007 – 2008. Des grandes banques sont au bord de la faillite, les Etats du Nord ont vu leur dette augmenter très fortement, et les risques de contagion à l’ensemble de l’Europe et du monde sont très élevés.
Bien qu’il existe plusieurs différences importantes entre dette publique des pays en développement (PED) et dette publique au Nord, il apparaît clairement que le remboursement de la dette est l’argument principal utilisé par les gouvernements et la troïka (l’Union Européenne (UE), la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI)) pour justifier la mise en place de politiques d’ajustement structurel dans les pays européens.
Depuis 2007, le CADTM a logiquement renforcé son travail sur la dette au Nord. D’une part, il a intensifié son travail en réseau via le CADTM Europe : des CADTM se sont créés en Grèce, en Espagne, en Pologne, … |1| D’autre part, il a développé une expertise importante sur le sujet, via la production d’analyses et d’études. Son dernier livre « La dette ou la Vie » |2| est principalement consacré à la dette dans les pays du Nord.
Dette publique ou dette bancaire privée ?
Plusieurs Etats européens, après avoir injecté des sommes considérables dans les banques afin de les sauver de la faillite, ont vu leur dette publique exploser. Ils sont maintenant mis sous pression pour imposer des plans d’austérité drastiques afin de trouver les ressources financières nécessaires au remboursement de cette dette publique.
Même si sa situation est moins dramatique que celle de la Grèce ou du Portugal, la Belgique ne fait pas exception : l’augmentation récente de la dette publique belge est directement liée à la crise financière de 2008 et aux sauvetages bancaires réalisés par l’Etat belge en 2008 et 2011. Ces sauvetages ont fortement aggravé la situation des finances publiques belges, et, contrairement à certains discours qui se veulent rassurants, la Belgique n’est à l’abri ni d’une grave récession économique ni d’une attaque spéculative sur sa dette.
L’Etat belge et les régions sont intervenus une première fois en octobre 2008 pour un montant de 20,6 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros pour le sauvetage de Dexia. Pour financer ce sauvetage bancaire, ces 20 milliards d’euros ont été empruntés aux marchés financiers et cela a donc augmenté la dette publique du même montant.
Après le sauvetage de 2008, sans contrôle sérieux vérifiant que l’argent public injecté dans la banque Dexia était dépensé dans l’intérêt général, cette dernière a continué ses opérations spéculatives et les mêmes paris risqués qui l’avaient pourtant conduite dans l’impasse |3|..
Le 10 octobre 2011, le groupe bancaire Dexia tombe en faillite et est démantelé en trois entités : Dexia Holding, Dexia banque Belgique et Dexia crédit local. Dexia Banque Belgique est nationalisée par l’Etat belge pour un montant de 4 milliards d’euros. Par ailleurs, la France, la Belgique et le Luxembourg se mettent d’accord sur une garantie de 90 milliards d’euros sur les actifs du groupe Dexia, dont 60,5% est assumé par la Belgique, ce qui représente un montant de 54 milliards d’euros, soit 15% de son Produit intérieur brut (PIB). Au maximum, l’engagement de la France s’élèvera à 6,65 milliards € soit moins de 1% de son PIB.
Portant essentiellement sur des actifs toxiques, il est plus que probable que ces garanties se transforment à moyen terme en de nouvelles dettes publiques, ce qui entraînerait à son tour la mise en place de nouvelles mesures d’austérité socialement très dures du type de celles menées en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie.
La facture totale pour l’Etat belge risque d’être plus que salée, 54 milliards, c’est 34 milliards de plus que le montant octroyé pour le triple sauvetage de Fortis, de Dexia, de KBC et d’Ethias en 2008. C’est aussi 26 fois l’économie budgétaire prévue au budget 2012 en matière de soins de santé et plus de 200 fois les économies prévues à la SNCB (253 millions d’euros) avec en particulier la suppression de 170 trains d’ici décembre 2012. Cela donne une idée de l’ampleur du risque que représentent ces garanties pour les finances publiques belges. D’autant plus qu’à ces 54 milliards, il faut ajouter les intérêts et accessoires qui ne sont pas compris. Malgré les déclarations politiques annonçant la réduction de moitié de cette garantie, rien n’est confirmé à l’heure actuelle, et, de toute façon, cette réduction ne résoudrait pas le problème.
Pour le CADTM, une grande partie de la dette publique belge est illégitime
Il apparaît donc très clairement que les sauvetages bancaires et leurs suites jouent un rôle clé dans l’augmentation de la dette publique belge. Or, pour le CADTM, cette dette est illégitime, dans le sens où la majorité de la population belge n’a rien à voir avec cette dette. Pourtant, les choix pris actuellement font que ce sont les contribuables belges qui payent la facture du sauvetage des banques. Quant aux responsables de la crise, les banques, elles continuent à s’enrichir de manière éhontée et à spéculer sur des titres risqués. Cette situation est inacceptable. C’est aux responsables de payer pour cette crise, et non à la majorité de la population.
Pour le CADTM, des alternatives existent. Récupérer le coût du sauvetage des banques en prélevant un impôt de crise sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs des institutions aidées est une mesure juste, que le CADTM prônait dès octobre 2008, au moment où le gouvernement faisait ses (mauvais) choix politiques. Ces recommandations restent d’actualité. L’Etat aurait dû, sans indemnisation des grands actionnaires, nationaliser Fortis Banque, Dexia et KBC pour garantir l’épargne des citoyens et se doter d’un instrument public afin de réaliser des investissements et créer des emplois socialement et écologiquement responsables.
Suite au scandaleux rachat de Dexia, nous avons une double démonstration : 1. Oui, il faut transférer les banques privées vers le domaine public, sinon les mêmes excès tragiques se répètent sans fin. Cette décision doit être durable afin que se constitue un puissant secteur public d’épargne, de crédit et d’investissement. 2. Il est inadmissible d’indemniser les grands actionnaires privés de Dexia. Au contraire, ils doivent rembourser les sommes octroyées en 2008 (au moins 3 milliards d’euros), de même que le coût de l’assainissement de ce qui va aller à la structure de défaisance (la “bad bank”). Les dirigeants de Dexia ainsi que les ministres responsables du sauvetage des banques en 2008 et en 2011 doivent rendre des comptes devant la justice pour les préjudices qu’ils ont causés.
Par ailleurs, l’arrêté royal octroyant ces garanties viole la Constitution puisque les droits du Parlement fédéral ont été manifestement bafoués. A aucun moment, nos élu-e‑s n’ont été consulté-e‑s sur l’octroi de ces garanties. En France, une loi a conditionné la délivrance de ces garanties, fixé une franchise de 500 millions d’euros et défini un plafond de 6,65 milliards €, contrairement à l’arrêté belge qui offre une garantie maximale aux créanciers sans réelle condition. Cet arrêté royal ne peut qu’inciter les banques et organismes financiers privés, se sachant protégés par l’État belge, à chercher à améliorer leur marge de profit sans changer leur comportement à haut risque, c’est ce qu’on appelle l’aléa moral. Dans ces conditions, d’autres sauvetages bancaires sont à prévoir…
Etant donné tous ces éléments, le CADTM décide, en collaboration avec Attac et un collectif de soutien, d’introduire un recours en annulation de ces garanties auprès du Conseil d’Etat.
Au delà de l’objectif premier qui est d’éviter une nouvelle augmentation de la dette publique belge, le CADTM affirme la nécessité d’organiser un vaste débat autour de la question de la légitimité de la dette. D’où vient la dette publique belge ? A‑t-elle réellement servi les intérêts de la population belge ? Est-ce vraiment une obligation de la rembourser ? Existe-t-il des arguments qui pourraient justifier une suspension de paiement de la dette, voire une répudiation d’une partie de celle-ci ? Que se passerait-il si la Belgique refusait de rembourser ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire et urgent de répondre car, au nom du remboursement de la dette, la vague d’austérité qui est en cours en Belgique et qui suscite à juste titre de vastes mobilisations populaires va toucher les conditions de vie de millions de citoyens et citoyennes belges.
Il s’agit d’avancer vers la mise en place d’un audit citoyen pour faire annuler les parties illégitimes de la dette, en commençant par celles destinées au sauvetage bancaire de 2008 et 2011, mais sans oublier celles qui depuis le début des années 1980 ont servi à combler le déficit budgétaire majoritairement imputable à une baisse de la fiscalité sur les catégories les plus favorisées et les grosses entreprises.
Notes
|1| Voir le réseau CADTM International : http://www.cadtm.org/Contacts#carte
|2| Voir ici : http://www.cadtm.org/La-Dette-ou-la-Vie
|3| Interrogé jeudi 15 décembre 2011 en commission du Parlement flamand sur la débâcle de Dexia, le professeur d’économie Koen Schoors de l’université de Gand a comparé le mode de financement du groupe Dexia à celui d’un fonds spéculatif et a qualifié d’’’incroyable” l’acquisition par le holding Dexia de plus de 200 milliards d’actifs sans aucun lien avec son activité d’origine, le financement des acteurs publics locaux. Ainsi, avant la crise de 2008, une des filiales de Dexia, Dexia Asset Management, se plaçait à la 13ème place du classement européen des Hedge funds, ces fonds hautement spéculatifs et risqués avec 6,1 milliards de dollars