Par Raúl Zibechi
Les derniers mois ont été l’occasion de mobilisations multiples au Brésil. Deux textes de ce numéro cherchent à présenter plus en détails deux facettes de ces luttes en cours. Le premier, ci-dessous, est un entretien réalisé par Raúl Zibechi avec l’un des acteurs des mobilisations revendiquant la baisse du prix des transports. Le second est une traduction de la lettre ouverte présentée par les représentants des peuples indiens reçus par la présidente Dilma Roussef le 10 juillet 2013. Entretien publié par le Programme des Amériques, le 8 juillet 2013.
Passées les mobilisations les plus massives au Brésil, il apparaît nécessaire de s’interroger sur les racines de la culture politique horizontale et autonome qui a surgi dans les rues mais qui a mûri au feu lent de la résistance quotidienne, sous l’impulsion d’une nouvelle génération d’activistes sociaux. Le meilleur moyen de comprendre, c’est de dialoguer avec eux.
Lorsque Lula entre au Palais du Planalto, en janvier 2003, Paíque Duques Lima a 17 ans et fait ses premiers pas dans le militantisme social. Il vit avec ses parents à Brasilia. Le reste de sa famille habite dans une des nombreuses favelas à mille lieues du modernisme urbanistique aseptisé conçu par Oscar Niemeyer, le plus grand architecte du Brésil et un des plus admirés du monde. Avec les années, Paíque deviendra anthropologue, peut-être pour affirmer sa fidélité à sa race et servir sa classe, et il se liera à divers mouvements sociaux, dont le Movimento Passe Livre (MPL), qui, dit-il, « signifie en portugais transport gratuit ».
Les grandes manifestations de juin semblent avoir eu pour précédent les petits mouvements locaux qui ont créé les conditions subjectives et structurelles appropriées, comme les Comités populaires de la Coupe du monde. As-tu la même vision des choses ?
Pendant toute la période du gouvernement Lula, mais déjà avant, il y a eu des mouvements alternatifs et des luttes plus ou moins importantes qui ont créé une nouvelle culture de la lutte, sans lien avec la droite ni avec les organisations traditionnelles de gauche. Avec les mobilisations contre la mondialisation, vers l’an 2000, est née une culture de l’action directe dans une grande partie de la jeunesse urbaine : les radios libres, le CMI (Centre des médias indépendants), les groupes de jeunes des partis politiques en lutte et rupture avec leurs propres partis politiques, et, en général, les jeunes qui rejettent les structures traditionnelles comme les syndicats et les bureaucraties estudiantines.
Tu accordes plus d’importance à cette nouvelle culture politique horizontale, assembléiste et autonome qu’au nombre de militants que compte chaque groupe ? Je veux dire : c’est plus une question de qualité que de quantité ?
C’est relatif. En 2003, à Salvador, 40 000 personnes sont descendues dans la rue contre l’augmentation du prix des transports, lors de ce qu’on a appelé la « Révolte du buzu » (autobus, en argot local). La jeunesse est descendue spontanément dans la rue, puis les organisations d’étudiants ont négocié avec le gouvernement en passant par-dessus le mouvement. Ce fut une trahison. Neuf revendications du mouvement ont été acceptées par la mairie, soit toutes sauf l’annulation de l’augmentation du prix des transports, qui constituait le point central. À partir de ce moment, on a vu qu’il était possible de lutter sans être dans un parti ou une structure traditionnelle. En 2004, à Florianópolis, se produit la « Révolte des tourniquets », avec à l’origine une petite organisation de quelques dizaines de personnes qui exige la gratuité des transports. Mais on a pu politiser la lutte, lancer des actions et discuter avec les autorités. Les membres du mouvement ne négociaient pas, ils ne faisaient que transmettre les préoccupations des gens. C’est ce qui a fait la force de la lutte, une organisation horizontale sans direction permanente.
En 2005 est créé le MPL national, qui revendique la gratuité des transports en se fondant sur une culture et une manière de lutter inspirées par les principes d’apartidisme (mais pas d’antipartidisme), d’autonomie, d’horizontalité, d’indépendance, de fédéralisme et des pratiques centrées sur l’action directe, avec un horizon anticapitaliste. Depuis, tous les ans, diverses villes ont été le théâtre de luttes menées contre l’augmentation du prix du titre de transport. En général, les luttes sont localisées parce que chaque ville possède sa propre administration des transports. Ces dix dernières années, dans près d’une soixantaine de villes, il y a eu des mobilisations de taille petite ou moyenne qui ont rassemblé jusqu’à cinq ou dix mille personnes. Certaines villes ont obtenu l’annulation de l’augmentation, et d’autres la gratuité pour les étudiants. Les Comités populaires de la Coupe du monde, nés en 2008, et d’autres organisations ont également construit une culture de lutte horizontale dans la rue.
On dit que ce sont des mouvements de classe moyenne, d’étudiants et de diplômés. Tu serais d’accord avec cette caractérisation ?
Non. C’est une mobilisation de la jeunesse prolétaire encore très divisée parce qu’au Brésil il existe une scission dans les villes, avec un centre où l’on trouve des travailleurs informels, des banlieues avec une classe laborieuse plus stable et une grande périphérie où vit une classe laborieuse précarisée. Parler de la classe moyenne, c’est occulter la place des travailleurs informels du centre qui participent aux mobilisations. Les villes sont scindées en classes, quartiers et races. On compte beaucoup d’activistes et de manifestants noirs.
Est-ce qu’il y a dans cette nouvelle culture militante quelque chose de la culture hip-hop qui forme un mouvement peu structuré, plus diffus, mais très puissant au Brésil et très présent dans la jeunesse ? Quelles étaient les activités quotidiennes des noyaux du MPL avant juin ?
Au sein du MPL et des Comités de la Coupe du monde, il y a des jeunes du centre et de la périphérie. Au début du mouvement, par exemple, nos réunions rassemblaient entre 40 et 80 personnes, mais beaucoup moins après 2007, quand on a eu une période sans augmentations des titres de transport : nous étions alors entre huit et 20 personnes lors des réunions hebdomadaires ou bimensuelles. Nos activités sont principalement de trois types : actions directes, études et information sur le transport collectif et la mobilité urbaine en prenant en compte classe, sexe et race, pressions et propositions auprès des pouvoirs publics pour la gratuité des transports, pour le prix zéro ; on se mobilise aussi quand le prix des transports augmente ou que des privatisations se produisent.
Aujourd’hui, tout le Brésil sait que la Coupe du monde, c’est un négoce, et que le transport est une catastrophe, ce qui montre l’utilité de ces années de travail. D’une certaine façon, cette nouvelle conscience critique nous enseigne toute l’importance des petits groupes militants à haut niveau d’engagement.
Les Comités populaires de la Coupe du monde sont des groupements où sont présents le Mouvement des gens sans toit, des communautés délogées et des militants universitaires. Tant les comités que le MPL ont toujours été en contact avec cette culture des périphéries, des favelas. La culture de la jeunesse noire, précarisée et de favela, a été très attaquée ces dix dernières années par la politique d’incitation au consumérisme des gouvernements Lula et Dilma [Rousseff]. Mais tout contrôle est à double tranchant et a ses points faibles. Les associations de quartier ont un lien historique avec le PT et ont fait leur travail au côté de l’État et avec les plans sociaux. Cela a créé un vide qui a été comblé par la nouvelle culture militante horizontale et la culture des jeunes de favela qui se sont rapprochées depuis cinq ans – les jeunes travailleurs de la périphérie et du centre ont beaucoup de contacts. J’habite dans le centre du District fédéral de Brasilia mais ma famille vit dans une favela. L’important, c’est que les deux cultures se sont rapprochées avec le développement des villes et de la spéculation immobilière qui a fait progresser la ségrégation urbaine vu que les deux secteurs ont des problèmes communs, comme celui des transports.
Depuis 2007 et 2008, le MPL multiplie les interventions dans les écoles secondaires et les quartiers des périphéries. Notre mouvement a commencé en organisant des ateliers sur le transport collectif, la ségrégation urbaine et le droit à la ville dans les écoles secondaires et les universités, mais aujourd’hui le travail se fait surtout dans les communautés périphériques. On nous sollicite souvent pour parler du problème des transports. Les Comités populaires de la Coupe du monde ont suivi la même voie, en se rapprochant des communautés délogées. Du fait de la violence policière, le discours des comités a trouvé un écho chez les gens. Avant, beaucoup d’habitants de la périphérie pensaient que la Coupe du monde serait leur salut parce qu’elle créerait de l’emploi, mais ils ont changé d’avis très vite et maintenant ils participent aux mobilisations. Les Comités populaires ont commencé à gagner en puissance avec l’engagement de quartiers entiers. D’autre part, quelques médias traditionnels se sont ouverts aux critiques visant la Coupe du monde, notamment Le Monde Diplomatique, Carta Capital, la revue Piauí et la chaîne de télévision payante ESPN Brasil, où l’on trouve de nombreux anciens militants de gauche qui font du journalisme sportif critique et ont été très durs avec la FIFA.
Mais la clé de tout, c’est que les gens ont commencé à s’organiser. Depuis le début de l’année, les mobilisations pour le transport gratuit sont de plus en plus nombreuses. Dans dix villes, elles ont réussi à faire baisser le prix du ticket de transport. Goiânia en mai, Porto Alegre en mars ; Natal, Terezinha et Belén se sont mobilisées avant São Paulo et Rio de Janeiro. Cela nous indique qu’au moment où se sont produits les événements de Rio et São Paulo cette culture de mobilisation horizontale incarnée par le MPL et les Comités de la Coupe du monde avait déjà pris de l’extension.
Tout indique que la répression à São Paulo a joué un rôle déterminant dans l’amplification du mouvement.
Je ne suis pas militant du mouvement de São Paulo (je suis du mouvement pour la gratuité des transports à Brasilia). Cependant, je peux me faire une idée avec ce que j’ai vu et entendu, parce que nous sommes une organisation nationale. Je crois que trois facteurs se sont conjugués. Le premier, le plus important, c’est que diverses organisations œuvraient depuis des années à créer cette culture de la lutte, non seulement le MPL et les comités mais le CM, les étudiants radicaux, les sans-abri, les radios libres, le hip-hop, le Mouvement des travailleurs au chômage, les « cartoneros »[[Qui collectent puis revendent les emballages en carton.]], autant de mouvements urbains qui ont donné naissance à cette culture.
Le deuxième, c’est que les actions menées au centre de São Paulo à l’appel du MPL ont subi une répression policière brutale alors que beaucoup pensaient que, le PT ayant remporté la mairie avec Fernando Haddad, il y aurait une phase de cooptation et de négociation – personne ne s’attendait à une répression aussi forte. On savait le gouvernement de l’État mené par le socio-démocrate Geraldo Alckmin (PSDB) très répressif mais on ne pensait pas que la mairie tenue par le PT appuierait les actes terroristes de la police. Cette répression brutale a contribué à nationaliser la solidarité et à faire augmenter le nombre de manifestants. Il faut également signaler que les premières mobilisations, antérieures à la répression, avaient déjà attiré beaucoup de monde – avec 20, 40 et 70 000 personnes.
Le troisième facteur a été l’extension du mouvement à tout le Brésil avec la tenue de la Coupe des Confédérations, qui a réuni la lutte pour la mobilité urbaine avec la lutte contre la réforme urbaine et pour le droit à la ville consécutive aux travaux réalisés pour le Mondial de 2014.
La droite a profité des mobilisations pour mener bataille contre le gouvernement.
La droite dispose déjà d’un bloc politique et d’un bloc médiatique, elle veut maintenant construire un bloc social. Beaucoup de gens sont descendus dans la rue et la droite s’est alors lancée dans la mêlée en essayant d’imposer son programme centré sur la critique de la corruption – mais uniquement de la corruption des gouvernements du PT et non de celle du PSDB ou même de l’État, révélant ainsi ses intentions électorales –, sur l’abaissement de l’âge de la majorité pénale, contre l’avortement et, d’une certaine façon, contre les droits des noirs et des gays. Elle a voulu interpréter le mouvement à sa façon. Les gens des partis de gauche ont été attaqués par l’extrême droite mais ont fait l’impasse sur les problèmes réels qui nous ont conduits dans la rue.
Quel regard portes-tu sur la journée du 11 juillet organisée par les syndicats et le MST, pendant laquelle aucune allusion n’a été faite à la répression policière ni au massacre du 24 juin dans le Complexo do Maré, la plus grande favela de Rio ?
Il y a quelques petits syndicats qui soutiennent le mouvement. Les centrales syndicales d’opposition au pouvoir, comme Conlutas et Intersindical, ont participé aux mobilisations et les autres ont critiqué le MPL en disant que nous avons été manipulés par la droite. Le mouvement syndical n’a pas réussi à donner une réponse de classe. Les actions du 11 juillet peuvent être interprétées en partie comme une forme de soutien au pouvoir justifiée par l’idée que la droite peut fomenter un coup d’État contre le gouvernement et que, pour l’éviter, il faut renforcer la gouvernabilité. Il y a aussi une volonté d’encadrer les gens qui descendent dans la rue. Mais le mouvement est également dû à l’initiative d’autres secteurs qui ne relèvent pas du gouvernement et qui ont plus de liens avec les luttes sociales.
Comment vois-tu l’avenir du mouvement à moyen terme, disons jusqu’à la Coupe du monde de 2014 et aux élections présidentielles de l’an prochain ?
Sur ce plan, on a trois problèmes. Le premier, c’est que le gouvernement et les médias vont essayer de contrôler les luttes par la répression mais aussi par la cooptation et ce qu’on pourrait appeler la « déroute psychologique » du mouvement à travers la construction de mécanismes de consensus.
Deuxième problème : nous, les militants jeunes, nous étions très isolés, mais les gens qui parlaient mal de nous ne disposent pas d’une culture de la contestation et, là, il y a un espace ouvert pour le débat et l’organisation. D’où la question de l’organisation.
Le MPL était un mouvement de quelques dizaines de personnes qui appelaient les gens à se mobiliser dans la rue. Aujourd’hui, la question est de savoir si nous sommes à même de devenir une organisation de masse, horizontale, autonome et anticapitaliste, capable de fédérer des milliers de personnes au nom de ces principes. Toutes les petites organisations se posent la même question.
Le troisième problème tient à une participation tardive des secteurs de la société qui sont cruciaux parce qu’ils pâtissent d’une oppression structurelle. Au Brésil, le racisme et l’exclusion sont structurels. Il ne se passe pas un jour au Brésil sans que l’on parle de ségrégation, de classe, de sexisme et de race. C’est essentiel. Ces derniers jours, il y a eu 30 ou 40 actions de contestation dans la périphérie de São Paulo, très radicales, qui ont mis le feu à des autobus. Dans la zone nord de Brasilia, la même chose se produit. Ces actions se sont produites en même temps que la manifestation organisée sur l’esplanade du Planalto (siège du gouvernement), et cela nous amène à nous demander comment impulser des luttes qui s’en prennent aux structures classistes, racistes et sexistes de notre société. Et là se pose la question clé : avons-nous la force d’enclencher ce processus ?
Surtout parce qu’il reste très peu de temps pour l’enclencher, à peine un an jusqu’au Mondial, alors que des lois antiterroristes vont nous tomber dessus, assorties d’une répression policière très forte. On est face à des enjeux organisationnels, idéologiques, militaires (c’est-à-dire comment va-t-on affronter la répression policière et le contrôle de masse ?) et économiques. Les chefs d’entreprise ne veulent pas renverser Dilma parce que ce modèle leur convient très bien, de sorte que s’il y a un consensus, c’est contre nous, un consensus du gouvernement et des chefs d’entreprise contre nous. C’est la raison pour laquelle je dis que nous sommes face à des défis majeurs.
Source de l’article : Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine.
Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
Lettre ouverte des peuples indiens à la présidente de la République Dilma Roussef
Brasilia, 10 juillet 2013.
Son Excellence,
Présidente estimée,
Nous leaders indiens de différents peuples et organisations indiennes des différentes régions du Brésil, sommes réunis en cette occasion historique avec votre excellence dans le Palais du gouvernement, en nombre réduit mais suffisamment informés et connaissant de manière approfondie, plus que quiconque, les problèmes, les souffrances, les besoins et les aspirations de nos peuples et communautés. Nous vous présentons sous cette forme, après une si longue attente, les considérations et revendications suivantes. Nous espérons qu’elles seront accueillies par votre gouvernement commençant ainsi à s’acquitter de la dette sociale de l’État brésilien a à notre égard, après des siècles d’une colonisation sans fin, marquée par des politiques et des pratiques de violence, de meurtre, de dépossession, de racisme, de préjugés et de discriminations.
Nous sommes ici, manifestation petite mais représentative de la diversité ethnique et culturelle du pays, composée de 305 peuples indiens différents parlant 274 langues distinctes avec une population d’environ 900 000 habitants d’après les données de l’IBGE[[L’IBGE est mis pour « Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística » (Institut brésilien de géographie et statistique) – note DIAL.]]. Au nom de ces personnes :
Nous réaffirmons notre rejet à l’accusation d’être des obstacles au développement du pays, dans un mépris total de notre contribution à la formation de l’État national brésilien, à la préservation d’un patrimoine naturel et socioculturel enviable, ce qui inclut les frontières actuelles du Brésil, dont nos ancêtres furent les gardiens-nés. Contrairement à ceux qui nous accusent de mettre en péril l’unité, l’intégrité territoriale et la souveraineté de notre pays.
Nous refusons toute la série d’instruments politiques et administratifs, judiciaires, juridiques et législatifs, qui cherchent à détruire et anéantir nos droits conquis avec force luttes et sacrifices, il y a 25 ans, par les caciques et les leaders qui nous ont précédés, au cours de la période de la Constituante.
Nous sommes totalement opposés à toute tentative de modification des modalités de la démarcation des terres indiennes qui sont actuellement parrainées par des secteurs de votre gouvernement, principalement par la Casa Civil[[La Casa Civil est un organe du pouvoir exécutif qui seconde la présidence, un peu comme le Premier ministre dans d’autres types d’organisation institutionnelle– note DIAL.]] et le Procureur général de l’Union[[ Advocacia Geral da União », AGU en portugais – note DIAL.]], en réponse aux pressions et intérêts des ennemis historiques de nos peuples, des envahisseurs de nos territoires, aujourd’hui spécialement représentés par l’agro-business, les grands propriétaires ruraux et leurs soutiens parlementaires, les compagnies minières et forestières, les entrepreneurs, entre autres.
Nous n’accepterons pas de reculs dans la protection de nos droits par le biais d’initiatives législatives qui peuvent condamner nos peuples à des situations de misère indésirable, d’ethnocide et de conflits imprévisibles comme c’est déjà le cas dans toutes les régions du pays, et principalement dans le Sud et dans l’État du Mato Grosso do Sul.
Nous rejetons la façon dont le gouvernement veut encourager un modèle de développement prioritaire, déployant quel qu’en soit le coût, sur nos territoires, des ouvrages d’infrastructure dans les secteurs des transports et de la production d’énergie, tels que les autoroutes, les voies ferrées, les voies navigables, ports, centrales électriques, lignes de transmission, sans respect de notre vision du monde, de notre forme particulière de relation avec la Mère Nature, de nos droits originaires et fondamentaux, garantis par la Constitution, la Convention 169 et la Déclaration des Nations unies.
Revendications
Dans ce manifeste, nous exprimons les revendications suivantes :
1.- L’action du gouvernement, en lien avec sa base, pour abandonner les Propositions d’amendement à la Constitution (PEC, en portugais) 038 et 215 qui prétendent transférer au Sénat et au Congrès national, respectivement, la capacité de délimiter les terres indiennes, usurpant une prérogative constitutionnelle de l’exécutif.
2.- Nous revendiquons la même action concernant la PEC 237/13 qui vise à légaliser la location de nos terres, le Projet de loi (PL) 1610 – 1696 sur l’exploitation minière en terres indiennes, le PL 227/12 qui modifie la démarcation des terres indiennes, parmi beaucoup d’autres initiatives visant à annihiler nos droits constitutionnels.
3.- Le gouvernement devrait renforcer et donner toutes les conditions nécessaires pour que la Fondation nationale des Indiens (FUNAI) remplisse comme il convient son rôle de démarcation, de protection et de surveillance de toutes les terres indiennes, dont la tâche est encore immense dans toutes les régions du pays, et même en Amazonie où le problème est soi-disant résolu. Nous n’admettons pas que la FUNAI soit mise à l’écart ni que l’EMBRAPA[[L’Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária (Entreprise brésilienne de recherche agronomique et d’élevage, en français) est une entreprise d’État spécialisée dans l’agronomie]], le ministère de l’agriculture et d’autres organismes, connaissant mal les questions indiennes, puissent évaluer et, soi-disant, contribuer aux études anthropologiques réalisées par la Fondation, dans le seul but de répondre aux intérêts politiques et économiques, comme l’a fait le dernier gouvernement militaire en instituant l’infâme « groupe » du MIRAD, pour « discipliner » la FUNAI et « évaluer » les revendications indiennes.
4.- Pour la démarcation des terres indiennes, nous proposons la création d’un groupe de travail, avec la participation des peuples et organisations indiennes dans le cadre du ministère de la Justice et de la FUNAI pour faire une cartographie, définir des priorités et des objectifs concrets de démarcation.
5.- Nous n’acceptons pas la proposition de création d’un Secrétariat réunissant la FUNAI avec le Service spécial de santé indienne (SESAI en portugais), portant préjudice au rôle spécifique de chaque organisme.
6.- Nous exigeons l’abrogation de toutes les ordonnances et décrets qui menacent nos droits originaires et l’intégrité de nos territoires, la vie et la culture de nos peuples et communautés :
6.1.- Ordonnance 303 du 17 juillet 2012, à l’initiative de l’exécutif, par le biais du Procureur général (AGU) qui étend à tort à une application à toutes les terres l’applicabilité des conditions établies par le Tribunal fédéral suprême (STF, en portugais) lors du verdict rendu pour l’affaire Raposa Serra do Sol (Pétition 3.388/RR), affaire qui n’a pas encore été jugée.
6.2.- Ordonnance 2498 du 31 octobre 2011, qui oblige les organismes fédéraux à participer aux procédures d’identification et de délimitation des terres indiennes, au vu que le Décret 1.775/96 établit déjà le droit inverse.
6.3.- Ordonnance 419 interministérielle du 28 octobre 2011, qui restreint le délai pour les agences et les organismes de l’administration publique accélère les procédures d’autorisation environnementale pour les projets d’infrastructures qui affectent les terres indiennes.
7.- Décret 7.957 du 13 mars 2013. Il créé le Bureau permanent de gestion intégrée pour la protection de l’environnement, réglemente les activités des forces armées en matière de protection de l’environnement et modifie le Décret 5.289, du 29 novembre 2004. Avec ce décret, « de caractère préventif ou répressif », a été créée la Compagnie d’opérations environnementales de la Force nationale de sécurité publique, dont l’une de ses fonctions est d’« aider à réaliser les enquêtes et les rapports techniques sur les impacts négatifs sur l’environnement ». En pratique, cela signifie qu’est créé un organisme étatique pour la répression militarisée de toute et n’importe quelle action de la part des peuples indiens, des communautés, des organisations et mouvements sociaux qui décident de s’opposer à des projets ayant un impact sur leur territoire.
7.- Nous demandons également au gouvernement brésilien des politiques publiques spécifiques, efficaces et de qualité, dignes de nos peuples qui depuis des temps immémoriaux exercent un rôle stratégique dans la protection de la Mère Nature, en contenant la déforestation, en préservant les forêts et la biodiversité, et bien d’autres richesses qu’abritent les territoires indiens.
En matière de santé : rendre effectifs le Secrétariat spécial de santé indienne et les Districts sanitaires indiens spéciaux, afin de surmonter les différents problèmes de gestion, le manque de personnels qualifiés, l’absence d’un concours spécifique pour les Indiens, d’un organigramme des fonctions et des salaires, le manque des soins de base dans les villages, entre autres.
Dans l’enseignement : la législation qui garantit une éducation spécifique et différenciée doit être respectée et mise en œuvre, avec des moyens suffisants à cette fin ; la Loi 11.645, qui rend obligatoire l’enseignement de la diversité dans les écoles, doit être immédiatement appliquée.
Dans le domaine du développement durable : mise sur pied du Comité de pilotage de la Politique nationale de gestion territoriale et environnementale des terres indiennes (PNGATI, en portugais) et d’autres programmes spécifiquement destinés à nos peuples, avec budget propre.
Pour la mise aux normes, la coordination, la supervision et la mise en œuvre d’autres politiques qui nous concernent : création immédiate du Conseil national de politique indianiste (CNPA), dont le projet de loi (3.571/08) n’a pas été jusqu’ici adopté par la Chambre des députés.
8.- Nous revendiquons toujours que le gouvernement respecte les accords et les engagements pris en lien avec la Commission nationale sur la politique indianiste (CNPA) concernant le lancement de la procédure d’examen et l’approbation du Statut des peuples indiens au Congrès national.
9.- Considérant que la présente réunion avec Votre Excellence se passe dans le contexte de nombreuses autres manifestations dans tout le pays, nous exprimons notre solidarité avec d’autres luttes et causes sociales et populaires qui, comme nous, aspirent à un pays différent, pluriel et véritablement juste et démocratique. Nous pensons aussi à la réglementation et à la protection des terres des quilombos, des territoires de pêche et d’autres communautés traditionnelles, et à l’absence d’urgence du projet de loi sur un nouveau cadre réglementaire pour l’exploitation minière, afin d’assurer la participation de la société civile dans le débat sur ce sujet si délicat et stratégique pour la nation brésilienne.
10.- Pour toutes ces raisons, nous réaffirmons notre détermination à renforcer nos luttes, à continuer à être vigilants et prêts à l’affrontement politique, même au risque de nos vies. Mais nous réitérons également que nous sommes disponibles pour un dialogue ouvert, franc et sincère, pour la défense de nos territoires, de la Mère Nature et le bien de nos générations actuelles et futures autour d’un plan gouvernemental pour les peuples indiens, avec des priorités et des objectifs concrets définis en accord avec nous.
11.- Nous appelons, enfin, nos parents, leaders, peuples et organisations, alliés de toutes parts, à s’unir avec nous pour éviter, ensemble, que l’extinction programmée de nos peuples survienne.