Burkina Faso : Blaise Compaoré vient de déclarer la guerre à son peuple

Bien qu’ayant exercé le pouvoir depuis 27ans, Blaise Compaoré veut faire un nouveau mandat de 5 ans, mais impose à l’avenir l’impossibilité pour un autre président de dépasser 3 mandats. Une modification constitutionnelle, taillée sur mesure pour sa propre personne !

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Bur­ki­na Faso : « Blaise Com­pao­ré vient de décla­rer la guerre à son peuple »

Tel est le titre de la réac­tion d’un inter­naute bur­ki­na­bé sur sa page face­book dès que la nou­velle est tom­bée : le conseil des ministres a adop­té un pro­jet de loi por­tant révi­sion de la Consti­tu­tion. Il a été trans­mis à l’assemblée natio­nale pour être sou­mis au vote des dépu­tés, le jeu­di 30 octobre pro­chain. C’est dire que le pou­voir est désor­mais pressé.

Deux modi­fi­ca­tions consti­tu­tion­nelles sont proposées :

« Au lieu de :

Art.37. Le Pré­sident du Faso est élu pour cinq ans au suf­frage uni­ver­sel direct, égal et secret. Il est rééli­gible une fois.

Désor­mais :

« Le Pré­sident du Faso est élu pour cinq ans au suf­frage uni­ver­sel direct, égal et secret. Il est rééli­gible DEUX fois. »

Pour le second article concer­né par la modi­fi­ca­tion, le pro­jet de loi propose :

Au lieu de :

Art. 165. Aucun pro­jet ou pro­po­si­tion de révi­sion de la Consti­tu­tion n’est rece­vable lorsqu’il remet en cause :

– la nature et la forme répu­bli­caine de l’Etat ;

– le sys­tème multipartiste ;

- l’intégrité du ter­ri­toire natio­nal. Aucune pro­cé­dure de révi­sion ne peut être enga­gée ni pour­sui­vie lorsqu’il est por­té atteinte à l’intégrité du territoire.

Désor­mais :

Art. 165. Après la pro­mul­ga­tion de la pré­sente loi, aucun pro­jet ou pro­po­si­tion de révi­sion de la Consti­tu­tion n’est rece­vable lorsqu’il remet en cause :

- la nature et la forme répu­bli­caine de l’Etat ;

– le sys­tème multipartiste ;

- la durée et/ou le nombre de renou­vel­le­ment du mandat

- l’intégrité du ter­ri­toire natio­nal. Aucune pro­cé­dure de révi­sion ne peut être enga­gée ni pour­sui­vie lorsqu’il est por­té atteinte à l’intégrité du territoire. »

Toutes les manœuvres ont échoué

Bien qu’ayant exer­cé le pou­voir depuis 27ans, cette modi­fi­ca­tion per­met­trait donc à Blaise Com­pao­ré de faire un nou­veau man­dat de 5 ans, mais impose à l’avenir l’impossibilité pour un autre pré­sident de dépas­ser 3 man­dats. Une modi­fi­ca­tion consti­tu­tion­nelle, taillée sur mesure pour sa propre personne !

Ain­si donc après 3 ans de manœuvres en tout genre, média­tions diverses, com­mis­sions de consul­ta­tion pour des réformes poli­tiques, ten­ta­tive de dia­logue vite avor­tée, le consen­sus n’a jamais pu être obte­nu sur cette modi­fi­ca­tion de l’article 37. Durant toute cette période, cette ques­tion avec celle de la mise en place du sénat ont paru être les seules pré­oc­cu­pa­tions du monde poli­tique. Mais elle cachait la vraie ques­tion qui pré­oc­cupe le pays, Blaise Com­pao­ré va-t-il accep­ter de lais­ser le pou­voir ? La réponse est aujourd’hui clai­re­ment non.

Un pou­voir qui s’effiloche

Cet entê­te­ment s’est inévi­ta­ble­ment retour­né contre lui. Car depuis, le monde poli­tique et le monde asso­cia­tif ont consi­dé­ra­ble­ment évo­lué. A tel point que l’assise du pou­voir s’est petit à petit rétré­cie. De très nom­breux anciens diri­geants du CDP, le Congrès pour la démo­cra­tie et le Pro­grès, le par­ti au pou­voir, sui­vis par de nom­breux mili­tants ont créé un nou­veau par­ti, le MPP, le Mou­ve­ment du peuple pour le pro­grès. Et non des moindres, puisque par­mi eux se trouvent Roch Marc Chris­tian Kabo­ré, ancien pré­sident de l’assemblée natio­nale, secré­taire exé­cu­tif du CDP, et ex pre­mier ministre, Simon Com­pao­ré, ancien maire de Oua­ga­dou­gou, et Salif Dial­lo, ancien ministre proche par­mi les proches de Blaise Com­pao­ré qua­li­fié « l’homme de toutes les mis­sions dis­crètes, sinon secrètes » par Jeune Afrique.

Certes un Front répu­bli­cain a été consti­tué par quelques par­tis pour sou­te­nir le réfé­ren­dum, mais leurs diri­geants ont eu jusqu’ici un iti­né­raire tel­le­ment sinueux qu’ils sont sou­vent déconsidérés.

De nou­velles asso­cia­tions de la socié­té civile se sont consti­tuées, en par­ti­cu­lier le Balai citoyen, « pour balayer le pays ». Ses membres sont des Cibals, “citoyens balayeurs”, et le cibal suprême n’est autre que Tho­mas San­ka­ra ! Créé par deux musi­ciens très popu­laires par­mi la jeu­nesse pour leur musique mais beau­coup aus­si pour leur enga­ge­ment, le balai citoyen, par sa com­mu­ni­ca­tion, ses formes d’action, son orga­ni­sa­tion en clubs locaux, l’indépendance par rap­port aux par­tis poli­tiques, a ren­con­tré le besoin d’organisation et de for­ma­tion d’une bonne par­tie de la jeu­nesse enga­gée. Le Balai citoyen vient gros­sir les rangs, avec du sang neuf, de nom­breuses asso­cia­tions de la socié­té civile qui ont tou­jours été actives dans le pays, tout en en renou­ve­lant les dis­cours et les formes d’action.

Le peuple réin­ves­tit le champ politique

Sur­tout, la popu­la­tion s’est remise à inves­tir la rue mas­si­ve­ment, répon­dant à l’appel du chef de file de l’opposition et des asso­cia­tions de la socié­té civile. Plu­sieurs mani­fes­ta­tions ras­sem­blant des foules jamais vues dans ce pays, dans le calme, ont été orga­ni­sées depuis plus d’un an, pour s’opposer à toute ten­ta­tive de modi­fi­ca­tion de l’article 37. Beau­coup découvrent ce qu’est la consti­tu­tion, des ins­ti­tu­tions, la vie poli­tique, le mou­ve­ment social, l’engagement et les débats stra­té­giques, la lutte pour la liber­té et le bien être social, pré­pa­rant ain­si la démo­cra­tie de demain, celle que l’on qua­li­fie de par­ti­ci­pa­tive, leur par­ti­ci­pa­tion active à la vie de la cité. Que de che­min par­cou­ru depuis les révoltes de 2011 où la jeu­nesse inor­ga­ni­sée, se répan­dait dans les rues détrui­sant sur son pas­sage, les gen­dar­me­ries, les com­mis­sa­riats de police, les mai­ries et les mai­sons des hommes poli­tiques liés au pouvoir !

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Un entê­te­ment suicidaire

On com­prend mieux cette réac­tion de ce jeune inter­naute. Car, de fait, le par­ti au pou­voir sem­blait dépas­sé par les évè­ne­ments, n’étant capable de ras­sem­bler des foules qu’à coup de billets de banque, de trans­ports et de repas gra­tuits. Le piège s’est refer­mé sur lui lors du der­nier mee­ting qu’il a orga­ni­sé. Une foule nom­breuse s’était ras­sem­blée dans le plus grand stade du pays, alors que de nom­breux artistes très connus, gras­se­ment payés, se pro­dui­saient en atten­dant le mee­ting. Mais la foule s’est vola­ti­li­sée, lorsque les diri­geants du par­ti ont com­men­cé à prendre la parole ! Un camou­flet qui les a ridi­cu­li­sés. En réa­li­té, la mobi­li­sa­tion mas­sive de la popu­la­tion montre un pou­voir qui a per­du l’initiative et parait être deve­nu mino­ri­taire. Depuis de nom­breux mois, l’opposition pré­vient, « nous n’accepterons pas le réfé­ren­dum ». Elle se pré­pare. Et devant le peu de réac­tion du côté du pou­voir, cha­cun se pre­nait à ima­gi­ner que Blaise Com­pao­ré allait devoir recon­naitre qu’il avait per­du. Il aurait faci­le­ment pu trou­ver refuge dans un autre pays qui l’aurait protégé.

La peur mau­vaise conseillère

Mais non. Nous l’avons écrit. Blaise Com­pao­ré a peur, peur de la jus­tice, peur de devoir affron­ter son bilan, peur de répondre des assas­si­nats com­mis sous son régime. Sa famille et ses proches,eux aus­si, ont peur des pour­suites pour pas­sa­tions de mar­ché frau­du­leuses, cor­rup­tion, peur de devoir s’expliquer, peur d’avoir à rendre des comptes, rem­bour­ser et devoir faire de la pri­son ! Blaise a peur aus­si que l’on revienne sur sa par­ti­ci­pa­tion aux désta­bi­li­sa­tions dans la région, de son impli­ca­tion aux guerres du Libé­ria, de Sier­ra Leone, son sou­tien aux rebelles de Côte d’Ivoire, et à ceux qui ont déclen­ché la guerre du Mali. Dif­fi­cile de trou­ver d’autres expli­ca­tions. Ne mérite-il pas tout autant que Charles Tay­lor de pas­ser devant la jus­tice internationale ?

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Le choix qu’il vient de faire va l’amener droit dans le mur. La popu­la­tion semble prête à l’affrontement et ne se lais­se­ra pas faire. L’opposition paraît sou­dée. L’en­tê­te­ment de Blaise Com­pao­ré va ame­ner très pro­ba­ble­ment de la vio­lence. Et s’il pense que l’opposition en sera ren­due res­pon­sable, il se trompe car le mou­ve­ment popu­laire a fait preuve jus­qu’i­ci d’une très grande res­pon­sa­bi­li­té, et c’est plu­tôt son entê­te­ment aveugle pour sau­ver sa propre per­sonne qui parai­tra irres­pon­sable. De nom­breux appels lui ont été faits, de façon indi­recte, pour qu’il sorte la tête haute en lais­sant le pou­voir. Rien n’y fait ! Son pou­voir est déjà mort. Son par­ti, mori­bond, car cha­cun sait qu’il n’existe que par les sommes d’argent dis­tri­buées aux uns et aux autres. Il ne lui reste que des réac­tions spo­ra­diques de défense, géné­ra­trices de vio­lence, qui ne feront que l’i­so­ler un peu plus. C’est désor­mais le juge­ment public et la pri­son qui l’attendent car il sera jugé res­pon­sable des troubles qui ne vont pas man­quer d’éclater ici ou là.

Une issue pos­sible pour­rait être un coup d’Etat mili­taire, diri­gé par le géné­ral Gil­bert Dien­dé­ré, son Chef d’Etat-major par­ti­cu­lier, celui qui l’a suc­cé­dé à la tête des com­man­dos de Po, qui com­man­dait les hommes du com­man­do qui a assas­si­né Tho­mas San­ka­ra et qui dirige tou­jours aujourd’hui le régi­ment de la sécu­ri­té pré­si­den­tielle. Mais nul doute que le répit serait de courte durée.

Les dépu­tés sous pression

L’opposition a d’ores et déjà appe­lé à des mani­fes­ta­tions de rue et des mee­tings le 28 octobre, et à la déso­béis­sance civile à par­tir de cette date, d’autant que des jeunes issus de groupes de la socié­té civile appellent à mani­fes­ter tout de suite en blo­quant les grandes ave­nues. Des mani­fes­ta­tions spo­ra­diques ont déjà secoué la capi­tale ces deux der­nières nuits. Et ce matin, lorsque nous écri­vons ces lignes elles semblent prendre un peu plus d’am­pleur ! Le CDP dis­pose d’une majo­ri­té abso­lue de 70 sièges sur 127 et peut comp­ter sur d’autres petits par­tis de la majo­ri­té pré­si­den­tielle. Par contre, le RDA, qui compte un peu moins de 20 dépu­tés, membre de la majo­ri­té, s’est décla­ré cepen­dant oppo­sé au réfé­ren­dum. La loi peut donc être adop­tée sur le papier. Mais le MPP a plu­sieurs fois annon­cé qu’il avait des par­ti­sans par­mi les dépu­tés du CDP, une tren­taine selon ce qu’a plu­sieurs fois affir­mé la presse, mais ils ne se sont jamais décla­rés publiquement.

Par ailleurs dans une décla­ra­tion lue à la presse le 22 octobre, l’opposition se dit « confiante que les dépu­tés vont majo­ri­tai­re­ment repous­ser ce pro­jet de loi qui ouvre des pers­pec­tives sombres pour notre pays » et invite « les dépu­tés du Groupe ADF/RDA, du groupe CFR, et du groupe CDP, à faire montre d’un sur­saut d’orgueil et de patrio­tisme en se joi­gnant à leurs cama­rades de l’Opposition, pour faire bar­rage au coup d’Etat consti­tu­tion­nel qui est en cours ». Et plus loin « Des infor­ma­tions qui nous par­viennent font état d’une cor­rup­tion à grande échelle est en pré­pa­ra­tion, pour sou­doyer cer­tains dépu­tés afin qu’ils votent en faveur du pro­jet de loi. Que ceux qui seraient ten­tés par ce jeu de lib-lib sachent, que tout se sait ou finit par se savoir sous nos cieux de savane et que le tout n’est pas d’empocher des mil­lions, encore faut-il pou­voir le dépen­ser dans la paix et la quié­tude. » Des menaces à peine voilées.

Les dépu­tés de la majo­ri­té se trouvent devant un choix dif­fi­cile : faire preuve de loyau­té envers Blaise Com­pao­ré, après avoir gras­se­ment pro­fi­té des lar­gesses du régime, mais en même temps, sur­tout accom­pa­gner Blaise Com­pao­ré dans sa chute et devoir avoir des comptes à rendre dans peu de temps, ou alors voter contre le réfé­ren­dum, ce qui imman­qua­ble­ment les expo­se­rait à des graves mesures de rétor­sion de la part de fidèles du régime n’ayant plus rien à perdre !

Et le jour de ce choix, la situa­tion sera par­ti­cu­liè­re­ment ten­due dans le pays, avec une large par­tie de la popu­la­tion qui répon­dra aux appels de l’opposition poli­tique et de la socié­té civile en inves­tis­sant les rues, et en déser­tant les lieux de tra­vail, sans comp­ter de pro­bables affron­te­ments dans les rues, aux­quels nom­breux sont ceux qui s’y préparent.

Blaise Com­pao­ré, « L’homme de paix » chou­chou­té par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale qui mène son propre pays au chaos

Telle est la situa­tion qui pré­vau­dra au moment où les dépu­tés devront choi­sir. Quant à Blaise Com­pao­ré, quelle que soit l’issue de l’affrontement, il va imman­qua­ble­ment devoir rendre ses comptes, un jour ou l’autre, et l’on peut d’ores et déjà annon­cer sa chute pro­chaine. La seule inter­ro­ga­tion est le prix que va devoir payer la popu­la­tion pour qu’il s’en aille ! Ain­si va le Bur­ki­na, de par la seule irres­pon­sa­bi­li­té de son pré­sident au pou­voir depuis 27 ans. Quand on pense que c’est le même homme qui était por­té aux nues par les diri­geants de la région, comme ceux de l’occident, pré­sen­té comme le média­teur pro­vi­den­tiel et “l’homme de paix”, il y a encore à peine un an, fai­sant mine d’oublier son impli­ca­tion dans les dif­fé­rentes guerres qui ont secoué la région, toutes aus­si effroyables les unes que les autres, Libé­ria, Sier­ra Leone, Côte d’I­voire, et même au Mali. Ces diri­geants occi­den­taux, portent une part de res­pon­sa­bi­li­té dans la dérive méga­lo­ma­niaque de Blaise Com­pao­ré qui fait mine de croire que le chaos s’installerait sans lui, alors qu’il est en train lui-même de le créer.

Seul son départ peut désor­mais rame­ner le calme ! Un calme dont le pays a besoin, pour éla­bo­rer des stra­té­gies de déve­lop­pe­ment effi­caces pour enfin lut­ter contre la pau­vre­té de sa population.

Bru­no Jaffré
 — Blog sur mediapart


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