Chili : Résistance et lutte territoriale en pays mapuche

Le 15 décembre, les Chiliens voteront au second tour du scrutin : entre Evelyne Mathei et Michèle Bachelet. Madame Bachelet a promis, si elle est élue, de ne plus appliquer la loi antiterroriste aux prisonniers politiques mapuches.

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Temu­cui­cui. Guilla­tun, céré­mo­nie reli­gieuse et citoyenne. Novembre 2013

La fin de l’année approche à grands pas, la fin du gou­ver­ne­ment de Sebas­tien Piñe­ra aus­si. Le 15 dé­cembre, les Chi­liens vote­ront au second tour du scru­tin : entre Eve­lyne Mathei et Michèle Bache­let, entre la peste et le cho­lé­ra. Au sud du fleuve Bio-Bio, les com­mu­nau­tés Mapuche ne se sentent pas concer­nées par les élec­tions des Chi­liens. « La ques­tion mapuche », selon Jorge Huen­chul­lan, de pas­sage à Bruxelles au mois d’octobre, « sym­bo­lise l’échec des gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs à inté­grer les plus exclus dans leur pro­gramme ». Aucune des deux can­di­dates aborde les reven­di­ca­tions des Mapuche :

• la libé­ra­tion immé­diate des pri­son­niers poli­tiques Mapuche condam­nés sur la base de preuves fabri­quées et de pro­cès tru­qués ; • la créa­tion d’une ins­tance de dia­logue entre l’État chi­lien et les repré­sen­tants lé­gi­times du peuple mapuche ;

• la dé­fi­ni­tion d’un agen­da com­mun qui puisse dé­bou­cher sur un accord qui tienne compte de l’autonomie gou­ver­ne­men­tale du peuple Mapuche ; • la ré­cu­pé­ra­tion, par les com­mu­nau­tés, des ter­ri­toires Mapuche « volés » depuis la pé­riode de la « Paci­fi­ca­tion » du pays par l’État chi­lien, entre 1881 – 1883. Des 11 mil­lions d’hectares appar­te­nant aux Mapuche, il ne leur en est res­té que 500 000 ;

• la fin de la mili­ta­ri­sa­tion du ter­ri­toire Mapuche.[[Paula Andrea Polan­co. Intal www.intal.be/fr/article/la-lutte-mapuche-et-la-violence‑d’etat-au-chili]]

Madame Bache­let a pro­mis, si elle est élue, de ne plus appli­quer la loi anti­ter­ro­riste aux pri­son­niers poli­tiques mapuches. Elle a notam­ment qua­li­fié d’“erreur” l’application de la loi anti­ter­ro­riste à leur encontre. Cette loi date de la dic­ta­ture d’Augusto Pino­chet (1973 – 1990) et pré­voit des peines beau­coup plus sé­vères que la lé­gis­la­tion ordi­naire tout en com­pli­quant l’exercice de la dé­fense des accusés.

En atten­dant, au Chi­li et seule­ment au Chi­li, on applique la loi anti­ter­ro­riste aux mineurs. Ain­si José Anto­nio Nir­ri­pil, Luis Mari­leo et Patri­cio Quei­pul se sont vus jugés sur la base de dé­cla­ra­tions de té­moins payés et « sans visage » sans qu’ait été né­ces­sai­re­ment uti­li­sée la loi anti­ter­ro­riste. Un nou­veau moyen judi­ciaire des­ti­né à ne pas s’at­ti­rer les foudres des obser­va­teurs des droits humains, tels que l’O­NU, l’U­ni­cef qui ont condam­né le Chi­li à plu­sieurs reprises. Luis Mari­leo, Gabriel Valen­zue­la et Leo­nar­do Qui­jón ont été dé­cla­rés cou­pables de l’assassinat d’un fer­mier lors d’un pro­cès où l’on a eu recours à des té­moins payés et non iden­ti­fiables par la dé­fense. Ils risquent de très lourdes peines.

En novembre der­nier, la droite et le gou­ver­ne­ment Piñe­ra, bien pres­sés de se mon­trer « gé­né­reux », ont dé­ci­dé de dic­ter « un rè­gle­ment de consul­ta­tion » en faveur des peuples indi­gènes et ceci sans consul­ter per­sonne et évi­dem­ment pas les « peuples indi­gènes ». Ces der­niers, après avoir digé­ré la sur­prise, ont reje­té le rè­gle­ment qui ne règle rien mais, au contraire, vou­drait faire pas­ser en dou­ceur « le Plan de la Arau­ca­nia » et la pro­po­si­tion des « com­merçants et pro­duc­teurs de l’A­rau­ca­nie » – tous fils de colons – de « don­ner des bons » et « une pen­sion de 500 000 pesos aux vieux Mapuche » en com­pen­sa­tion de la spo­lia­tion de leur terre. Des sous en échange de la terre usur­pée et on oublie tout !!

Ana Llao, conseillère natio­nale de la CONADI (sorte de minis­tère des peuples indi­gènes) a fait valoir que le gou­ver­ne­ment chi­lien devait recon­naître la dette his­to­rique envers le peuple mapuche s’agissant d’une ques­tion qui touche non seule­ment le peuple mapuche, mais toute la socié­té, car elle affecte l’en­vi­ron­ne­ment. Ain­si la pro­po­si­tion éma­nant des entre­pre­neurs orga­ni­sés en « Cor­pa­rau­ca­nia » vise à ce que le peuple mapuche renonce à son droit his­to­rique, qui est son droit ter­ri­to­rial. Ceci va ouvrir la voie aux mul­ti­na­tio­nales de l’énergie, aux entre­prises minières et fores­tières pour l’exploitation totale de la terre. Ana Llao insiste en affir­mant qu’il s’agit d’une affaire qui concerne aus­si la socié­té non- mapuche, c’est-à-dire tout l’en­vi­ron­ne­ment et la bio­di­ver­si­té du Chi­li sont en danger.[[Pour plus d’info voir : www.mapuexpress.org]]

Vivre en Arau­ca­nie, la ré­gion la plus pauvre du Chi­li, est fort com­pli­qué, d’autant plus si on est « indien » et « comu­ne­ro » : une étude réa­li­sée par la CEPAL nous apprend que les Chi­liens d’Er­cilla dis­posent de 130.000 pesos (200 euros) par mois, et un Mapuche « comu­ne­ro » ne dis­pose que de 43.000 pesos. Les Mapuche sont trois fois plus pauvres que les Chi­liens vivant dans la même com­mune. Il faut ajou­ter à cela qu’un Mapuche risque de mou­rir plus jeune qu’un Chi­lien, et, selon la même étude, la per­cep­tion que les Chi­liens ont des Mapuche est celle d’un « ter­ro­riste », alors que 80 % des pro­cès contre ces dits « ter­ro­ristes » n’aboutissent à rien. Cette cri­mi­na­li­sa­tion de leurs reven­di­ca­tions, le har­cè­le­ment poli­cier dont ils sont vic­times ont des consé­quences graves chez leurs enfants qui vivent dans un cli­mat de vio­lence, leurs foyers étant constam­ment atta­qués par la police. La ré­pres­sion des com­mu­nau­tés vise sur­tout les wer­ken « porte-parole » des com­mu­nau­tés. Les pri­son­niers poli­tiques sont actuel­le­ment au nombre de 21, par­mi eux deux machis « guides spi­ri­tuels », pro­fon­dé­ment res­pec­tés par les Mapuche. Les pri­son­niers sont accu­sés de divers dé­lits : incen­dies, vols, attaques à main armée, assas­si­nats, dé­sordres et non obéis­sance aux poli­ciers, tous à un moment ou à un autre sont accu­sés par des té­moins non iden­ti­fiables (tes­ti­gos escondidos).

Oui, les Mapuche ré­cu­pèrent des terres, ce qui implique l’occupation d’un ter­rain qui leur appar­te­nait (avec des docu­ments en main), des terres qui sont pas­sées aux mains des colons, une terre spo­liée par tous les moyens ima­gi­nables. Les Mapuche, comme l’a dé­cla­ré Jorge Huen­chul­lan, réa­lisent « l’occupation pro­duc­tive », en culti­vant, en éle­vant des mou­tons, des vaches, des che­vaux, de manière com­mu­nau­taire, à leur manière et selon leurs coutumes.

A Temu­cui­cui, une pre­mière pro­duc­tion de fro­mage de bre­bis vient de naître. Cette expé­rience repré­sente-t-elle le che­min vers l’autonomie et la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire ? Un rêve éveillé ? Tout est pos­sible à condi­tion, comme le signale Nan­cy Yañez, avo­cate, codi­rec­trice de l’ONG Obser­va­to­rio Ciu­da­da­no, « … de prendre en compte la demande his­to­rique des Mapuche qui est docu­men­tée : ré­gler les dif­fé­rends et expro­prier toutes les terres mapuche usur­pées. Expro­prier les terres et les payer le bon prix, ne pas ache­ter à des prix exor­bi­tants. Rendre la terre aux Mapuche. Dé­fi­nir (avec les Mapuche) ceque sera la stra­té­gie de dé­ve­lop­pe­ment de ces ter­ri­toires. Il s’a­git de réa­li­ser des modèles dif­fé­rents, des modèles alter­na­tifs, le peuple (mapuche) a beau­coup à dire à ce sujet et je ne pense pas qu’ils sont si dif­fé­rents de ce que demandent les gens (chi­liens) à Val­di­via (ville du sud du Chi­li), par exemple…».[[ Voir : http://www.observatorio.cl/node/10381]]
L’année 2014, nous sommes cer­tains, va com­men­cer, au pays mapuche, par la ré­sis­tance aux mul­ti­na­tio­nales, mais aus­si par la pra­tique même d’un pro­ces­sus alter­na­tif de pro­duc­tion res­pec­tueux des hommes, de la terre, et sur­tout en créant de liens com­mu­nau­taires afin de ré­soudre les besoins de tous et de chacun.

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Enfants de Temu­cui­cui. Ercilla Chile 2013

Comi­té de Soli­da­ri­té avec le peuple Mapuche, Bel­gique (Comabe) Asso­cia­tion Terre et Liber­té pour Arau­co, France

12 Dé­cembre 2013

comabe08@gmail.com

FB.COMAPUCHE.be