Benazir Bhutto : Un fantasme exotique absolu pour les intellectuels occidentaux

La vision des intellectuels occidentaux relève à proprement parler de la psychanalyse en ce que Benazir B. constitue pour eux un fantasme exotique absolu: La belle sultane dévoilée, l’anti burka, etc.

Blog de René Naba | 27.12.11 | Paris

Ver­sion réac­tua­li­sé à l’occasion du 4eme anni­ver­saire de son assas­si­nat (pre­mière mou­ture parue en 2007)

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Héri­tière d’une dynas­tie poli­tique dont le des­tin tra­gique est sans doute unique au monde [[La famille Bhut­to compte quatre per­son­na­li­tés assas­si­nées, le pre­mier ministre Zul­fi­car Ali Bhut­to, pen­du par les mili­taires, sa fille l’ancienne pre­mier ministre Bena­zir Bhut­to (2007) et ses deux frères Sha­na­waz, mort mys­té­rieu­se­ment à Cannes en 1985 (Sud de la France) et Mour­ta­za (1996). Bena­zir, mariée avec Assif Ali Sar­da­ri, qui devien­dra pré­sident du Pakis­tan à la suite de l’assassinat de son épouse, a eu trois enfants, dont l’aîné, un gar­çon Bila­wal (1988) lui a suc­cé­dé à la tête du PPP et deux filles Bakh­ta­war (1990) et Asse­fa (1993).
La famille Gand­hi déplore elle trois morts : le pre­mier ministre Indi­ra Gand­hi, la fille du Pan­dit Neh­ru, tuée en février 1984 par des gardes Sikhs, Rajiv, son fils aîné qui lui suc­cé­da à la tête du gou­ver­ne­ment indien, tué en décembre 1989, par des indé­pen­dan­tistes tamoul à la suite de son inter­ven­tion mili­taire dans le conflit du Sri Lan­ka, enfin San­jay, tué dans un acci­dent d’avion qu’il pilo­tait, le 23 juin 1980. A éga­li­té avec la famille du pré­sident ira­kien Sad­dam Hus­sein pen­du, et ses deux enfants Oud­daï et Kous­saï, tués lors d’un raid amé­ri­cain dans la fou­lée de l’invasion amé­ri­caine de l’Irak en avril 2003.

La famille Ken­ne­dy compte deux assas­si­nats poli­tiques : le Pré­sident John Fitz­ge­rald Ken­ne­dy (22 novembre 1963) à Dal­las, et, son frère, le séna­teur de New York Robert Fran­cis Ken­ne­dy, le 5 juin 1968. La famille Gemayel compte elle aus­si deux assas­si­nats poli­tiques : le pré­sident éphé­mère du Liban, Bachir Gemayel, chef des milices chré­tiennes liba­naises, tué dans un atten­tat à la bombe à la veille de sa prise de fonc­tion, le 15 sep­tembre 1982, et, son neveu Pierre Gemayel, dépu­té du Metn (Mont Liban), tué le dans un atten­tat à la bombe, le 21 novembre 2006.]], avec quatre per­son­na­li­tés assas­si­nées dont deux anciens pre­miers ministres, record mon­dial abso­lu de tous les temps, infi­ni­ment plus mor­bide que la dynas­tie de la nation rivale de Gand­hi (Inde), ou de la dynas­tie amé­ri­caine des Ken­ne­dy, ou encore de la dynas­tie liba­naise des Gemayel, de sur­croît unique femme à avoir diri­gé une Répu­blique Isla­mique, le Pakis­tan, qui plus est unique puis­sance nucléaire du Monde musul­man, Bena­zir Bhut­to avait voca­tion à faire office d’icône sur le plan planétaire.

Mais cette femme gla­mour d’une grande « moder­ni­té », plu­tôt que d’impulser une dyna­mique de chan­ge­ment démo­cra­tique de son pays, se don­nant en exemple pour la com­bat de libé­ra­tion de la femme dans le tiers monde ara­bo-musul­man, a ver­sé dans le confor­misme d’une ges­tion bureau­cra­tique emprun­tant aux socié­tés patriar­cales leurs méthodes les plus écu­lées, usant et abu­sant de son pou­voir au mépris des prin­cipes les plus élé­men­taires de la sagesse politique.

Fille de Zul­fi­car Ali Bhut­to, l’unique sur­vi­vante de l’une des plus puis­santes dynas­ties poli­tiques pakis­ta­naises dis­po­sait d’un pres­ti­gieux héri­tage : le natio­na­lisme fou­gueux de son père, auréo­lé de la légende de mar­tyr, sup­pli­cié par une junte mili­taire. Mais plu­tôt que d’assumer l’héritage de l’un des rares diri­geants civils d’un pays plus sou­vent gou­ver­né par une junte mili­taire, fon­da­teur de sur­croît du « Pakis­tan People Par­ty », le par­ti du peuple pakis­ta­nais, elle tour­ne­ra le dos à la base popu­laire du socle du pou­voir fami­lial, pre­nant le par­ti de l’oligarchie finan­cière, accen­tuant les tares d’une socié­té pakis­ta­naise lar­ge­ment inéga­li­taire. L’élève de Rad­cliff Col­lege, la filière de Har­vard, et de Lady Mar­ga­ret hall, la filiale d’Oxford, répu­die­ra au pou­voir les ensei­gne­ments de ces deux temples de la démo­cra­tie pour repro­duire les pra­tiques déplo­rables de ses pré­dé­ces­seurs mili­taires dont elle dénon­çait les abus.

Et plu­tôt que de pro­gres­ser sur la voie des réformes et de l’assainissement des moeurs poli­tiques, plu­tôt que d’engager son pays sur la voie de la moder­ni­té, elle favo­ri­se­ra le népo­tisme, la cor­rup­tion et la bureau­cra­tie, s’aliénant du coup les forces pro­gres­sistes et les milieux intel­lec­tuels, ses alliés natu­rels. Pra­ti­quant une fuite en avant, ce pur pro­duit de l’éducation anglo saxonne ‑au point de par­ler l’urdu, sa langue mater­nelle, avec difficulté‑, va favo­ri­ser para­doxa­le­ment la prise du pou­voir à Kaboul de la branche la plus extrême de l’Islam radi­cal, les Tali­bans, fai­sant miroi­ter par com­pen­sa­tion à la grande bour­geoi­sie pakis­ta­naise les miri­fiques mar­chés d’Asie cen­trale pro­mis par la conquête de l’Afghanistan, don­nant ain­si satis­fac­tion dans les années 1994 – 1995 aux par­tis reli­gieux, s’attirant au pas­sage les bonnes grâces de l’Arabie saou­dite et des Etats-Unis, les par­rains ori­gi­nels des Tali­bans, mûs par un anti­com­mu­nisme primaire.

Un cock­tail explosif

De par ses ori­gines fami­liales et ses ami­tiés inter­na­tio­nales cos­mo­po­lites –sul­fu­reuses ?-, Bena­zir consti­tuait un cock­tail explo­sif, dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec un envi­ron­ne­ment rugueux. Faute impar­don­nable dans une zone en proie à un violent sen­ti­ment amé­ri­cain, Bena­zir était proche de Peter Gal­braith, fils du célèbre éco­no­miste John Ken­neth Gal­braith, avec lequel elle s’était liée durant leurs études aux Etats-Unis, un homme notoi­re­ment proche de la CIA, dont il était son agent trai­tant auprès des ser­vices américains.

Maître d’œuvre de la stra­té­gie post isla­mique de la diplo­ma­tie amé­ri­caine, il ini­tie­ra la théo­rie de la dis­sen­sion sociale dans les pays à struc­ture plu­ri eth­nique, par­ti­cu­liè­re­ment en Afgha­nis­tan et en Irak. Ce spé­cia­liste des guerres civiles a été envoyé spé­cial en Irak, dans la « zone de non sur­vol », juste avant l’invasion de l’Irak, dans la zone sous­traite à la sou­ve­rai­ne­té ira­kienne, avec pour mis­sion de sus­ci­ter la guerre civile entre com­mu­nau­tés et de pré­pa­rer la par­ti­tion du pays en trois enti­tés dis­tinctes (kurde, sun­nite et chiite), pré­lude au « remo­de­lage du Grand Moyen-Orient ». Ancien ambas­sa­deur des États-Unis en Croa­tie (1993 – 98), il super­vi­sa l’expérimentation de la « théo­rie des com­bats de chiens », matrice des dis­sen­sions intes­tines, dans l’ex-Yougoslavie, ouvrant ain­si la voie à l’intervention de l’OTAN. Repré­sen­tant spé­cial de l’ONU pour l’Afghanistan au titre d’adjoint, il a été démis­sion­né de son poste pour son oppo­si­tion à Hamid Kar­zaï, le pré­sident afghan.

Pis, dans le laby­rinthe tri­bal pakis­ta­nais, au regard des gar­diens du dogme, la dynas­tie Bhut­to fai­sait tâche. Grands pro­prié­taires fon­ciers du Sind, la région por­tuaire de Kara­chi, pou­mon du Pakis­tan, les Bhut­to étaient des chiites dans un pays majo­ri­tai­re­ment sun­nite, dont l’épouse du chef du clan, Zul­fi­car Ali, cir­cons­tance aggra­vante au regard de l’orthodoxie sun­nite, la Bégum Nus­rat Aspa­ha­ni, était une ira­nienne d’origine kurde. Ceci pour­rait expli­quer sans doute les pré­fé­rences de l’Arabie saou­dite pour son rival Nawaz Sha­rif, un sun­nite, au point de se por­ter garant de son com­por­te­ment auprès des mili­taires pakis­ta­nais par un accord conclu sous l’égide l’ancien pre­mier ministre liba­nais assas­si­né Rafic Hari­ri, et les gages constants que la famille Bhut­to a dû don­ner à ses par­rains wahhabites.

De retour d’un exil de neuf ans à Londres et à Dou­baï, Bena­zir devait cau­tion­ner une mas­ca­rade poli­tique dans une opé­ra­tion par­rai­née par les Amé­ri­cains visant à ren­flouer le Pré­sident Per­vez Mou­char­raf, en perte de vitesse, et à res­tau­rer une appa­rence de démo­cra­tie dans un pays gan­gre­né par la cor­rup­tion et la mon­tée en puis­sance des Isla­mistes. Pour prix de sa par­ti­ci­pa­tion à ce simu­lacre élec­to­ral, ‑sa par­ti­ci­pa­tion aux élec­tions légis­la­tives de jan­vier 2008‑, elle se voyait offrir le poste de pre­mier ministre d’une junte mili­taire. Une déci­sion qui scel­le­ra son des­tin tra­gique, en contra­dic­tion avec le com­bat de son père. En l’espace de trois décen­nies, la famille emblé­ma­tique du Pakis­tan sera déci­mée (le chef du clan le pre­mier ministre Zul­fi­car, en 1979, ses deux fils, res­pec­ti­ve­ment Shah­na­waz, en 1985, et Mur­ta­za, en 1996, enfin le pre­mier ministre Bena­zir, en 2007), du jamais vu dans les annales de la mafio­cra­tie internationale.

Se super­po­sant au des­tin tra­gique de sa famille, son gla­mour fera long­temps illu­sion. Bena­zir réus­si­ra le tour de force de gom­mer les aspects sombres de sa ges­tion, notam­ment son sou­tien réso­lu aux Tali­bans jusqu’à leur pro­pul­sion au pou­voir à Kaboul, en 1994 – 1995, son impli­ca­tion dans de grandes affaires de cor­rup­tion et la per­son­na­li­sa­tion exces­sive du pou­voir au point de se faire élire pré­si­dente à vie de son par­ti, le Par­ti du peuple pakis­ta­nais. Coin­cée entre les mili­taires et les reli­gieux, sa marge de manoeuvre se révé­lait extrê­me­ment étroite, tri­bu­taire de la per­fu­sion américaine.

Dans un Pakis­tan tiraillé entre Tali­bans du Pakis­tan et Tali­bans d’Afghanistan, sou­mis à la pres­sion amé­ri­caine face à une puis­sante armée indienne, Benazir,femme de sur­croît chiite, aura fait office de fusible idéal, vic­time col­la­té­rale de l’instrumentalisation de l’Islam comme arme poli­tique dont les effets per­vers se pour­suivent encore de nos jours qua­rante ans après sa mise en oeuvre dans la fou­lée de l’incendie de la Mos­quée Al Aqsa de Jéru­sa­lem, en 1969 : Le Tou­deh, le par­ti com­mu­niste ira­nien, le par­ti com­mu­niste égyp­tien et Le par­ti com­mu­niste sou­da­nais seront déca­pi­tés, avec pour corol­laire l’élimination des prin­ci­paux ini­tia­teurs de cette poli­tique qui a pri­vé les diri­geants en place d’une oppo­si­tion capable de faire contre­poids à une pré­vi­sible flam­bée isla­miste. Le Roi Fay­çal d’Arabie saou­dite a été assas­si­né en 1976 par un de ses neveux, le Chah d’Iran, des­ti­tué en 1979, et le pré­sident égyp­tien Anouar Al Sadate mitraillé en 1981, tan­dis que le pré­sident sou­da­nais Gaa­far Al Nimei­ry par­tait en exil au Caire en 1985, quatre ans après l’assassinat de son com­père égyp­tien, dans la fou­lée de sa super­vi­sion du trans­fert des juifs éthio­piens vers Israël.

Tous ceux qui s’y sont essayés ont connu le sort de l’apprenti sor­cier. Tel un effet boo­me­rang, Bena­zir Bhut­to en est l’ultime vic­time en date. Un double atten­tat le 18 octobre à Kara­chi contre le cor­tège qui accom­pa­gnait la sur­vi­vante de la dynas­tie au mau­so­lée d’Ali Jin­nah, le fon­da­teur du Pakis­tan, ne lais­sait le moindre doute sur les inten­tions de ses adver­saires. Selon les chiffres offi­ciels, l’attentat avait fait 133 morts et 290 bles­sés et les 20 000 membres des forces de sécu­ri­té déployées pour l’accueil triom­phal de Bena­zir n’ont appa­rem­ment pas suf­fit à la tâche.

Son assas­si­nat trois mois plus tard à Rawal­pin­di consti­tue, à lui seul, tout un sym­bole. Rawal­pin­di est non seule­ment le siège de l’Etat-major pakis­ta­nais qui gou­verne le pays d’une manière qua­si-conti­nue depuis l’Indépendance du Pakis­tan en 1948. C’est aus­si le siège de l’ISI, le redou­table ser­vice des ren­sei­gne­ments, maître d’oeuvre, sous la hou­lette amé­ri­caine de la mon­tée en puis­sance des Tali­ban dans la guerre anti-sovié­tique en Afgha­nis­tan dans les années 1980, mais c’est aus­si et sur­tout, au regard de la propre his­toire de Bena­zir, l’ancienne capi­tale du Pakis­tan du temps ou son père Zul­fi­car Ali était pre­mier ministre.

Envi­sa­ger dans ce lourd contexte mémo­riel une col­la­bo­ra­tion avec les ordon­na­teurs de la pen­dai­son de son propre père néces­site à tout le moins une bonne dose d’ambition ou d’ingratitude. S’afficher de sur­croît avec un col­la­bo­ra­teur paten­té de la CIA relève sinon de la pro­vo­ca­tion à tout le moins de l’inconscience, à moins d’être assu­ré d’une pro­tec­tion à toute épreuve, ce qui dans le cas d’espèce n’aura pas été le cas. Si l’identité du com­man­di­taire n’est pas connu, le mes­sage ne souf­frait aucune ambi­guï­té : Bena­zir Bhut­to était indé­si­rable dans le jeu de quilles pakis­ta­nais, un per­son­nage encom­brant de sur­croît béné­fi­ciant d’un par­rai­nage amé­ri­cain dans un pays au natio­na­lisme cha­touilleux en proie à une vague anti-occi­den­tale. Mais en ciblant Bena­zir, à qui l’on prê­tait l’intention d’autoriser l’armée amé­ri­caine à com­battre les Tali­ban à par­tir du ter­ri­toire pakis­ta­nais, dans un pays au natio­na­lisme cha­touilleux, à la reli­gio­si­té exa­cer­bée, le com­man­di­taire visait à la fois et l’Amérique et la Femme libé­rée per­çue comme une femme de col­la­bo­ra­tion avec le prin­ci­pal sou­tien à l’ennemi indien.

Les révé­la­tions du site Wiki­leak, le 26 juillet 2010, sur le jeu trouble du Pakis­tan et des Etats-Unis dans le conflit afghan [[Cf. Le Monde en date du 26.07.2010 « Des docu­ments révèlent que les ser­vices secrets pakis­ta­nais aide­raient les tali­bans afghans ». Le jour­nal écrit à ce pro­pos. « Des docu­ments mili­taires amé­ri­cains confi­den­tiels, publiés par le site Wiki­leaks, révèlent que les ser­vices secrets pakis­ta­nais sou­tien­draient secrè­te­ment les tali­bans afghans, avec les­quels ils orga­ni­se­raient, selon le New York Times, « des réseaux de groupes d’insurgés qui com­battent les sol­dats amé­ri­cains en Afgha­nis­tan, et même montent des com­plots visant à assas­si­ner des diri­geants afghans ». Une révé­la­tion très embar­ras­sante pour les Etats-Unis, dont le Pakis­tan est cen­sé être l’allié dans cette guerre d’Afghanistan enga­gée au len­de­main des atten­tats du 11 sep­tembre 2001. Selon le New York Times, ces docu­ments explo­sifs « laissent entendre que le Pakis­tan, offi­ciel­le­ment un allié des Etats-Unis, per­met à des membres de son ser­vice de ren­sei­gne­ment de trai­ter direc­te­ment avec les tali­bans » lors de « ses­sions de stra­té­gie secrète ».]] donnent cré­dit à cette hypo­thèse. Le site élec­tro­nique amé­ri­cain, spé­cia­li­sé dans la divul­ga­tion des docu­ments secrets mili­taires, révèle la double dupli­ci­té du Pakis­tan et des Etats-Unis. L’armée pakis­ta­naise, offi­ciel­le­ment alliée de l’Amérique, sou­te­nant clan­des­ti­ne­ment les Tali­bans afghans, alors que l’armée amé­ri­caine, offi­ciel­le­ment enga­gée dans une mis­sion de paci­fi­ca­tion du pays, fai­sant peu de cas des pertes civiles afghanes dans des opé­ra­tions mus­clées de riposte sans discernement.

La liqui­da­tion d’Oussama ben Laden, chef d’Al Qai­da, le 2 Mai 2011, dans une opé­ra­tion conjointe amé­ri­ca­no-pakis­ta­naise, dans un péri­mètre sécu­ri­sé de l’Establishment Pakis­ta­nais, à Abbot­ta­bad, témoigne de la per­ma­nence du jeu trouble des ces deux puis­sances dans cette zone, qui font de l’assassinat de Bena­zir Bhut­to, comme de Ben Laden de « téné­breuses affaires » à tous égards. Le pré­sident pakis­ta­nais, Asif Ali Zar­da­ri, veuf de Bena­zir Bhut­to, a reven­di­qué une part du suc­cès de l’opération anti Ben Laden, esti­mant que le Pakis­tan « a pris sa part » de tra­vail, s’abstenant tou­te­fois d’expliquer com­ment Ben Laden a réus­si à vivre des années sans être repé­ré dans ce lieu de vil­lé­gia­ture à flanc de coteau, avec des géné­raux pakis­ta­nais en retraite.

Rafic Hari­ri (Liban) et Bena­zir Bhut­to (Pakis­tan) se situaient aux extré­mi­tés d’un axe poli­tique ayant voca­tion à ser­vir de levier de trans­for­ma­tion de l’Asie occi­den­tale en « Grand Moyen sur Orient ». Les deux anciens pre­miers ministres, le sun­nite liba­nais et la chiite pakis­ta­naise, tous deux assas­si­nés à deux ans d’intervalles, pré­sen­taient un cas de simi­li­tude abso­lu dans leurs fonc­tions, les deux d’ailleurs en connexion étroite avec l’Arabie saou­dite dans la mesure ou Rafic Hari­ri était le co-garant avec le Prince Ban­dar ben Sul­tan, le pré­sident du Conseil natio­nal de sécu­ri­té, de l’accord régis­sant le retour d’exil de l’ancien pre­mier ministre pakis­ta­nais Nawaz Cha­rif, rival de Bena­zir. Une garan­tie reprise à son compte par Saad Hari­ri, l’héritier poli­tique du clan Hari­ri au Liban.

Par­rain ori­gi­nel des Tali­bans d’Afghanistan, l’Arabie Saou­dite passe pour avoir été le prin­ci­pal bailleur de fonds du pro­gramme nucléaire pakis­ta­nais, en contre­par­tie de l’assistance four­nie par le Pakis­tan dans l’encadrement de l‘armée de l’air saou­dienne dont elle assu­re­ra pen­dant vingt ans la for­ma­tion de ses pilotes et la pro­tec­tion de son espace aérien. Une bonne entente maté­ria­li­sée sym­bo­li­que­ment par la déno­mi­na­tion de la troi­sième ville du Pakis­tan Lyall­pur de Fai­sa­la­bad, en hom­mage à la contri­bu­tion du Roi Fay­sal d’Arabie au règle­ment du conten­tieux entre le Pakis­tan, 2me plus impor­tant pays musul­man après l’Indonésie, et son ancienne pro­vince séces­sion­niste, le Ban­gla Desh [[Troi­sième ville du Pakis­tan, dans la pro­vince du Pend­jab, Lyall­pur a été fon­dée en 1895. Elle tire son nom de son fon­da­teur Sir Charles James Lyall, Lieu­te­nant gou­ver­neur du Pend­jab du temps de l’Empire bri­tan­nique des Indes. Long­temps dési­gnée comme « Le Man­ches­ter du Pakis­tan » en rai­son de sa pro­duc­tion coton­nière, Lyall­pur est célèbre pour son plan de centre ville qui reprend les cou­leurs du dra­peau du Royaume Uni (l’Union Jack). Elle a été débap­ti­sée en 1977 pour prendre le nom de Fai­sa­la­bad, en hom­mage à la contri­bu­tion du défunt Roi d’Arabie, Fay­sal ben Abdel Aziz, au règle­ment du conten­tieux entre le Pakis­tan et son ancienne pro­vince séces­sion­niste le Ben­gla Desh.]].

En dépit de ces fortes simi­li­tudes, par­ti­cu­liè­re­ment le double par­rai­nage du royaume saou­dien au le mil­liar­daire liba­no saou­dien et au Pakis­tan, et leur posi­tion­ne­ment simi­laire sur le plan de la géo­po­li­tique amé­ri­caine, Rafic Hari­ri aura droit à un Tri­bu­nal Spé­cial Inter­na­tio­nal pour juger ses pré­su­més assas­sins, mais non Bena­zir Bhut­to, dont pour­tant toute la dynas­tie a été déci­mée. La sélec­ti­vi­té dans ce choix porte pré­ju­dice au Tri­bu­nal en ce qu’elle consti­tue une néga­tion du prin­cipe d’universalité de la jus­tice inter­na­tio­nale et fait craindre une ins­tru­men­ta­li­sa­tion de cette juri­dic­tion à des fins poli­tiques au ser­vice des des­seins du camp occi­den­tal. Dans cette pers­pec­tive, le des­tin de Bena­zir Bhut­to res­semble étran­ge­ment à celui de l’ancien pre­mier ministre liba­nais Rafic Hari­ri et à celui de l’ancien pré­sident égyp­tien Anouar el Sadate, assas­si­né en 1981, des diri­geants plus utiles à la diplo­ma­tie israé­lo amé­ri­caine mort que vifs.

Patent est le déca­lage dans la per­cep­tion que se fait l’Occident de la réa­li­té pakis­ta­naise, par­ti­cu­liè­re­ment les intel­lec­tuels occi­den­taux dont leur vision de Bena­zir Bhut­to relève à pro­pre­ment par­ler de la psy­cha­na­lyse en ce qu’elle consti­tue pour eux un fan­tasme exo­tique abso­lu : La belle sul­tane dévoi­lée, l’anti bur­ka, le chef du Harem, poli­ti­que­ment par­lant, dont ils déve­lop­paient à son égard une sorte de « dis­cours sur la ser­vi­tude volon­taire », mus par une sorte de tro­pisme exo­tique à l’égard de l’Islam qui fait que chaque nota­bi­li­té intel­lec­tuelle dis­pose de sa mino­ri­té pro­té­gée : Le phi­lo­sophe André Glucks­mann, des Tchét­chènes, quand bien même son nou­vel ami le pré­sident Nico­las Sar­ko­zy, est deve­nu le meilleur ami occi­den­tal du pré­sident russe Vla­di­mir Pou­tine, Ber­nard Hen­ry Lévy, du com­man­dant Mas­soud dont il ima­gi­ne­ra le récit de sa propre ren­contre avec le chef mili­taire afghan, de même que le Dar­four, quand bien même son entre­prise fami­liale est men­tion­née dans la défo­res­ta­tion de la forêt afri­caine, enfin Ber­nard Kouch­ner, des Kurdes, les sup­plé­tifs des amé­ri­cains dans l’invasion amé­ri­caine d’Irak.

Vic­time sacri­fi­cielle des contra­dic­tions pakis­ta­naises sous ten­dues par l’exacerbation de la riva­li­té sun­nite chiite, Bena­zir Bhut­to aura été aus­si vic­time du fan­tasme occi­den­tal à son égard et du tro­pisme exo­tique des intel­lec­tuels occi­den­taux à l’égard de l’Islam. A force d’instrumentaliser l’Islam on finit par s’y four­voyer et à force de jouer avec le feu on finit par se brû­ler. Il en va du Pakis­tan, comme de l’Arabie Saou­dite, comme de l’Egypte, comme des Etats-Unis d’Amérique et même comme d’Israël avec le Hamas.