Le nom de Patrice Emery Lumumba fait trembler l’édifice sis à Bruxelles, au 84, avenue de la toison d’or. Bâtiment qui n’est autre que le siège du Mouvement Réformateur, le parti libéral belge francophone. Vous me direz que les gens qui y travaillent n’ont rien à craindre puisque le préposé à ce trouble est mort. À y regarder de plus près, ce mort est craint plus qu’on ne le croit au sein de cette maison bleue, car son fantôme n’a pas encore cessé de hanter le monde politique belge.
Ces derniers mois, le landerneau politique bruxellois a été secoué par un débat qui monte : faut-il une place à Ixelles portant le nom de l’ancien Premier ministre congolais ? Les socialistes flamands faisant partie de la majorité communale, les écologistes et les démocrates humanistes de l’opposition disent oui. Le Mouvement Réformateur par la voix de la Conseillère communale Assita Kanko oppose un NON catégorique à cette possibilité. Pour se justifier, elle invoque le risque de manifestations violentes que pourrait attirer cette place de par son caractère symbolique tout en affirmant du bout des lèvres son « respect » pour l’homme qu’était Lumumba. C’est en tout cas la version qu’elle nous a servi dans les médias. Disons-le d’emblée, Madame Kanko n’est qu’un petit pion temporaire avancé sur l’échiquier de la supercherie politique que nous joue le Mouvement Réformateur depuis plusieurs années maintenant concernant Patrice Lumumba. Cette mise en avant du pion qu’elle représente est tout simplement tactique et symbolique, mais nous y reviendrons.
La position du Mouvement Réformateur : une supercherie digne de celle sur la Fondation Patrice Lumumba promise par Louis Michel
En 1999, lors des travaux de la commission d’enquête parlementaire, Louis Michel, ancien président du Parti Libéral fut d’un activisme débordant aussi bien sur le plan politique que sur le plan d’une émotion feinte qui ne trompa que les naïfs. Il s’engagea tellement qu’il poussa le gouvernement belge de l’époque à promettre la mise en place d’une Fondation Patrice Lumumba à hauteur de 3 750 000 euros avec une subvention annuelle de 500 000 euros [[Philippe Raxhon, Le débat Lumumba. Histoire d’une expertise, Bruxelles, Labor, 2002]]. Cet activisme débordant et ces promesses lui furent reprochés au sein de sa formation politique par les caciques, descendants du capitalisme financier belge au Congo. Officiellement, le Mouvement Réformateur soutenait cette décision, mais en interne, et une fois les feux des projecteurs éteints, il avait été décidé que cette Fondation ne verrait pas le jour. Telle a été la première grosse supercherie du MR concernant la réconciliation de la Belgique avec Lumumba. Et la position de ce parti sur la question de la place Lumumba se situe dans la même continuité.
Avant d’aller plus loin, il faut tout de suite mettre fin à une fumisterie : les sorties médiatiques de la Conseillère communale qui n’hésite pas à crier sa belgitude aux quatre vents pour réussir politiquement, ont fait croire qu’il existait déjà une demande officielle pour l’érection d’une place Lumumba. Il n’en était encore rien jusqu’à ce qu’une interpellation citoyenne intervienne le 24 octobre dernier. Il existe des initiatives citoyennes visant à faire cette demande, mais elles n’ont pas encore totalement mûri. Alors, pourquoi entendait-on à longueur de journée des cris d’orfraie du côté libéral ? Tout simplement parce que Patrice Emery Lumumba est pour plusieurs caciques du MR persona non grata en Belgique, même après sa mort. Ce parti comprend en son sein et dans son entourage au sens propre comme au figuré, des héritiers des grands financiers belges du Congo dont Lumumba devint par son nationalisme politique et économique un ennemi mortel. Ces derniers n’ont pas du tout envie de voir le nom de Patrice Lumumba figurer publiquement nulle part en Belgique. Ainsi, lorsque Madame Kanko évoque pour expliquer son opposition au projet le caractère politiquement sensible de la commune et la possibilité d’ériger la place dans une autre commune, elle est parfaitement consciente qu’elle se drape dans un grand tissu de mensonges. Le Mouvement Réformateur s’opposera fortement à une telle initiative dans toutes les communes de Belgique.
Pour comprendre cette opposition, il faut remonter dans l’histoire. L’histoire nous montre que Patrice Emery Lumumba n’est pas étranger au Parti Libéral dont le Mouvement Réformateur est aujourd’hui le descendant. En effet, dans leur ouvrage Patrice Lumumba, acteur politique : De la prison aux portes du pouvoir, juillet 1956-février 1960[[Jean Omasombo Tshonda, Benoît Verhaegen, Patrice Lumumba, acteur politique : De la prison aux portes du pouvoir, juillet 1956-février 1960, Paris, L’Harmattan, 2005]], Jean Omasombo et Benoît Verhaegen expliquent qu’en 1955, le Premier ministre congolais adhère au Parti Libéral sous l’impulsion d’Auguste Buisseret, ministre des colonies. Il est coopté dans l’Amicale libérale de Stanleyville et est considéré par le parti comme un homme dynamique et plein de promesses sur lequel on peut miser politiquement. Comme dans beaucoup de colonies africaines à l’époque, les partis des métropoles cherchaient des hommes liges intelligents capables d’avoir une certaine influence sur les populations, mais aussi d’obéir au doigt et à l’œil aux maîtres européens une fois qu’on les aurait placés au pouvoir. Dans le cadre de l’africanisation des fonctions, Lumumba était donc vu comme un potentiel dirigeant congolais qui serait dévoué corps et âme à la Belgique et qui garantirait la sauvegarde des intérêts belges au Congo une fois l’indépendance survenue. Lors du premier procès Lumumba, le représentant du Ministère public Louis De Waersegger n’a‑t-il pas affirmé : « On fondait sur Lumumba de grands espoirs »[[Jean Omasombo Tshonda, « Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation », in Cahier d’Études Africaines, 2004, n° 173 – 174, pp. 221 – 257]] ? C’est dans cette perspective qu’il fut présenté au Roi Baudouin en des termes assez élogieux lors de sa visite dans la colonie en 1955. Lorsque Patrice Lumumba commença à prendre des positions nationalistes, panafricaines, anticolonialistes et plus proches des masses populaires, le Parti Libéral ne le lui pardonna pas et finit même par l’exclure en 1959. Les libéraux belges n’ont jamais pardonné à Lumumba ce qu’ils considéraient comme une véritable trahison. Leur admiration de l’homme se transforma en haine mortelle
La deuxième couche de la supercherie a trait à l’air du temps. Le temps est au populisme anti-étranger, au renforcement des positions anti immigrés. Dans l’esprit des libéraux belges, Lumumba est un corps étranger ne faisant pas partie de l’histoire de la Belgique. C’est dans cette catégorie que sont également placés tous ceux qui ont participé aux manifestations contre l’attitude de la Belgique lors des contestations contre la réélection de Joseph Kabila dans le quartier africain de Matongé. Des manifestations qui ont été requalifiés sous le terme d’ « émeutes ». Toutes ces personnes ont vu leur contestation populaire placée sous le sceau de la violence provoquée par des étrangers mettant en danger la quiétude des Belges. Et c’est justement cet angle qu’a choisi le MR par l’intermédiaire de sa Conseillère communale Assita Kanko en affirmant qu’une place Lumumba attirerait plus de manifestations violentes. Le lien est fait : Lumumba, corps étranger attire la violence. Et pour corser le tout, Madame Kanko l’oppose à un homme vivant, considéré par pur opportunisme par le MR comme homme de paix qui mériterait cette place : Denis Mukwege, l’homme qui répare médicalement les femmes violées à l’est du Congo.
Assita Kanko : la couleur de peau qui tombe à pic pour le MR !
La troisième supercherie du MR dans ce débat se nomme Assita Kanko.
En débarquant dans la politique belge francophone, il y a deux ans, Assita Kanko, jeune Conseillère communale originaire du Burkina-Faso, a voulu tout de suite faire son trou et se ménager une place au soleil. Et pour cela, cette dame a compris qu’il fallait absolument suivre le sens du vent médiatique et populiste qui règne actuellement en maître en Europe : un discours sans concessions envers les personnes dites d’origine étrangère et flatteur vis-à-vis de l’Européen dit de souche. De nombreuses personnes, y compris au sein du MR, se sont interrogées sur la place accordée par le parti à cette jeune dame arrivée récemment à qui visiblement on voulait accorder une visibilité médiatique certaine. D’autres personnes plus expérimentées, connaissant mieux l’histoire de la Belgique et moins enclines à faire étalage de leur ignorance sur ce sujet pouvaient être mises sur ce dossier. Mais on leur préféra Madame Kanko pour des raisons évidentes. Elle présentait le profil parfait : Noire, jeune et tenant un discours anti immigrés et anti étrangers éculé, macéré et resservi à la population à différentes occasions dans l’histoire. Dans tous ses propos tenus dans les médias, Madame Kanko cherche à faire oublier ses origines et à étaler sa belgitude. Cependant, son parti l’a ramenée à sa condition de Noire en lui faisant jouer le rôle du chef des esclaves qui a pour mission de fouetter les autres esclaves qui se rebellent.
Toutefois, une chose est intéressante à observer : le personnage de Madame Kanko est plein de contradictions. Hors caméras et devant des assistances composées majoritairement d’Africains Noirs, elle aime à se réclamer de l’un des plus grands leaders que l’Afrique ait jamais connus ; Thomas Sankara. En l’écoutant et en l’observant, on se demande ce qu’elle a vraiment de Sankara. Son discours empreint d’intolérance, de complexe vis-à-vis de ses origines, et son adhésion à une doctrine capitaliste, néocolonialiste et anti prolétariat doit faire retourner le Camarade capitaine dans sa tombe.
Le phénomène « Assita Kanko » ne doit pas trop inquiéter ceux qui croient en une société tolérante et ouverte. Elle fait partie de cette longue liste de personnes dont on se sert parce qu’elles présentent une image que l’on peut difficilement attaquer. Femme politique, jeune, noire, tenant des discours émouvants sur sa vie de mère célibataire, et tirant à boulets rouges sur l’islam, elle ne vous rappelle pas quelqu’un ? Si ! Ayaan Hirsi Ali, ancienne femme politique néerlandaise d’origine somalienne, membre du parti libéral et démocrate des Pays-Bas, avait été porté aux nues par le monde politico-médiatique néerlandais et avait acquis un statut d’icône avant qu’on ne découvre le pot aux roses : dans un documentaire diffusé le 11 mai 2006 à la télévision néerlandaise, Ayaan Hirsi a reconnu avoir menti pour obtenir le droit d’asile en 1992. Elle avait prétendu venir directement de Somalie, alors qu’elle vivait depuis dix ans au Kenya, et a falsifié son identité et son âge.
Parfois, les histoires ne sont pas aussi belles qu’on nous les raconte, et elles s’effondrent avant même qu’on ait eu le temps d’en douter.
Par Emery Biko MPOLO
Source de l’article : Sous l’Arbre à Palabre
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