Fespaco 2013 : le renouveau ou la mort

L'attraction du Fespaco tient en grande partie à sa dimension populaire. Le tapis rouge qui orne l'entrée du cinéma Burkina n'aurait un sens que si le public et les photographes se pressaient autour comme à Cannes…

Par Oli­vier Barlet

Afri­cul­tures

“Sau­vé par le gong !” Le pal­ma­rès est venu in-extre­mis sau­ver cette édi­tion asep­ti­sée que fut ce Fes­pa­co 2013 : un vrai pal­ma­rès de ciné­ma venant com­pen­ser la fai­blesse glo­bale de la sélec­tion, la réduc­tion de 15 à 7 du nombre de salles sur­tout peu­plées de têtes blanches, l’am­biance fes­tive réser­vée aux lieux mar­chands, l’ab­sence de centre de ren­contre du fes­ti­val et la déser­tion glo­bale du public bur­ki­na­bé. Regard cri­tique sur la com­pé­ti­tion longs métrages…

Ren­gaine : le Fes­pa­co menacé

En attri­buant l’é­ta­lon d’or à Aujourd’­hui (Tey) d’A­lain Gomis et l’argent à Yema de Dja­mi­la Sah­raoui, le jury longs métrages pré­si­dé par Euz­han Pal­cy a fait preuve de luci­di­té et de cou­rage : il s’a­gis­sait des pro­po­si­tions de ciné­ma les plus ori­gi­nales de la com­pé­ti­tion. Le beau film d’A­lain Gomis (cf. notre cri­tique) étonne et désta­bi­lise les spec­ta­teurs habi­tués à des récits plus conven­tion­nels pour les invi­ter à une réflexion sur l’au­jourd’­hui du monde, tan­dis que celui de Dja­mi­la Sah­raoui joue magni­fi­que­ment l’é­pure et la sim­pli­ci­té pour trai­ter de la dou­leur de l’His­toire algé­rienne et des condi­tions de la récon­ci­lia­tion (cri­tique à venir).

Pour­tant, ce pal­ma­rès était tron­qué : comme à chaque édi­tion, et mal­gré les pres­sions de toute la pro­fes­sion, une série de films de la com­pé­ti­tion n’ont pu être pris en compte par le jury en rai­son du règle­ment qui impose leur pro­jec­tion en 35 mm. C’est ain­si que One man’­show de New­ton Adua­ka (cf. notre cri­tique) fut éli­mi­né, alors qu’il obte­nait le prix Pau­lin Sou­ma­nou Viey­ra de la cri­tique afri­caine. [[Le jury a attri­bué une men­tion à Yema de Dja­mi­la Sah­raoui et à Les Enfants de Trou­ma­ron de Har­ri­kris­na & Shar­van Anen­den.]] L’i­na­ni­té d’une telle dis­po­si­tion, tan­dis que le numé­rique s’im­pose par­tout pour le tour­nage et la dif­fu­sion des films, a entraî­né nombre de pro­tes­ta­tions et une péti­tion des cinéastes. Sous le feu des cri­tiques, Michel Oue­drao­go, délé­gué géné­ral du Fes­pa­co, a annon­cé lors de la clô­ture la levée de cette dis­po­si­tion. Il nous décla­rait en 2011 qu’il atten­dait une déci­sion de la Fepa­ci (Fédé­ra­tion pan­afri­caine des cinéastes) en ce sens puisque c’é­tait la Fepa­ci qui avait his­to­ri­que­ment intro­duit cette règle — tout en recon­nais­sant l’in­di­gence actuelle de la Fepa­ci pour toute déci­sion (cf. notre entre­tien). En 2013, en dehors de La Pirogue de Mous­sa Tou­ré, qui reçoit le bronze, la plu­part des films qu’il avait fal­lu “gon­fler” en 35 mm pour le seul besoin du Fes­pa­co ont été kines­co­pés à moindre coût au Maroc, et per­daient ain­si une par­tie de leur lumi­no­si­té. L’é­quipe tech­nique du Fes­pa­co res­tant sans moyens, elle n’a­vait pas chan­gé les lampes des pro­jec­teurs avant le fes­ti­val, ce qui ne contri­buait pas non plus à cette lumi­no­si­té, si bien que la lumière et les cou­leurs de nombre de films étaient bien pâles à l’écran.

A moins que le numé­rique ne soit réser­vé à la seule nou­velle salle en construc­tion près du siège, l’an­nonce de Michel Oue­drao­go fait que l’é­qui­pe­ment numé­rique des salles de Oua­ga et la pres­ta­tion d’un opé­ra­teur com­pé­tent seraient à ins­crire au bud­get du pro­chain Fes­pa­co. Cela aurait l’a­van­tage de cor­ri­ger cer­tains manques pro­fes­sion­nels : que par exemple le tiers droit de l’é­cran du Neer­waya ne soit pas flou durant nombre de pro­jec­tions, ou que son pro­jec­tion­niste mette de côté les bandes amorces quand il assemble les bobines pour la pro­jec­tion d’un long métrage, les­quelles coupent le dérou­le­ment du film durant plu­sieurs secondes… Cela ne sup­pri­me­ra par contre peut-être pas la pré­sence au Neer­waya d’un ani­ma­teur style club de vacances qui lance des for­mules creuses au micro tan­dis que le pro­jec­teur empêche de lire le géné­rique du film, de toute façon sou­vent cou­pé par le pro­jec­tion­niste qui estime le film ter­mi­né. Ni sans doute le fait que les entrées de côté se font sans le res­pect du sas à deux portes, si bien que l’é­cran est illu­mi­né à chaque per­sonne qui entre ou sort. Ces “petits” détails et bien d’autres concourent à l’im­pres­sion géné­rale d’un fes­ti­val pour qui le ciné­ma n’est pas pre­mier. Le fait que les pro­grammes impri­més ou affi­chés n’in­diquent jamais les langues (ori­gi­nale et sous-titres) achève de décou­ra­ger un public qui se retrouve régu­liè­re­ment confron­té à des films qu’il ne peut com­prendre. L’ar­gu­ment du règle­ment (les films doivent arri­ver sous-titrés) ne change rien à la fatigue du public local qui sent peu à peu que ce fes­ti­val n’est plus pour lui.

Or, c’est bien cela qui pêche : l’at­trac­tion du Fes­pa­co tient en grande par­tie à sa dimen­sion popu­laire. Le tapis rouge qui orne l’en­trée du ciné­ma Bur­ki­na n’au­rait un sens que si le public et les pho­to­graphes se pres­saient autour comme à Cannes… Mais aujourd’­hui, le public oua­ga­lais ne se mobi­lise que pour les films bur­ki­na­bés. Les pro­jec­tions publiques gra­tuites en plein air ont dis­pa­ru et aller au Fes­pa­co consiste désor­mais à se prendre une bro­chette et une bière dans le brou­ha­ha des échoppes bor­dant la Mai­son du peuple ou le siège. Ou bien à aller en famille à la “rue mar­chande” qui regroupe les arti­sans et com­mer­çants de toute la sous-région, mais qui a cette année tour­né mal du fait du prix d’en­trée à 300 Fcfa qui en rebu­tait plus d’un alors que les autres lieux étaient gra­tuits, y com­pris les stands com­mer­çants du siège. La pro­tes­ta­tion mus­clée des mar­chands a conduit à la sup­pres­sion des contrôles deux jours avant la fin, mais le mal était fait : les chiffres d’af­faires étaient faibles.

Cannes est un bon exemple : le plus pres­ti­gieux des fes­ti­vals sait décli­ner à la fois l’exi­gence du ciné­ma de qua­li­té et l’at­trac­tion pour sa magie. C’est une affaire de com­mu­ni­ca­tion et les jour­na­listes y sont choyés, qui en ampli­fient l’au­ra dans le monde entier. Le Fes­pa­co pro­fite lui aus­si d’une belle noto­rié­té et, dès avant le fes­ti­val, de nom­breux médias s’y inté­ressent. Mais ce capi­tal est dila­pi­dé dans l’à peu près orga­ni­sa­tion­nel et une cer­taine méfiance envers le grand public, dont on craint les débor­de­ments. Celui-ci serait par exemple valo­ri­sé si les films en com­pé­ti­tion étaient éga­le­ment pro­je­tés gra­tui­te­ment en plein air sur la place de la Nation comme ce fut le cas autre­fois, et pré­sen­tés par les cinéastes eux-mêmes. Car ce public se détache peu à peu du ciné­ma et le Fes­pa­co n’est pas le seul en cause : la mul­ti­pli­ca­tion des écrans frag­mente comme par­tout au monde la vision col­lec­tive. Seul l’é­vé­ne­ment peut en res­tau­rer la culture, à condi­tion de ne pas s’en sen­tir exclu.

C’est ain­si que le Fes­pa­co scie peu à peu la branche sur laquelle il est assis : l’as­so­cia­tion d’un fes­ti­val fédé­ra­teur des ciné­mas d’A­frique avec une fête popu­laire mobi­li­sant toute la ville. La récur­rence des pro­blèmes d’or­ga­ni­sa­tion n’ar­range pas les choses, même s’ils furent moins pré­gnants cette année. La faible qua­li­té d’im­pres­sion du cata­logue et ses manques com­plètent le tableau pour les pro­fes­sion­nels. C’est un capi­tal de sym­pa­thie qui s’ef­frite d’é­di­tion en édi­tion, du fait du main­tien de choix radi­caux allant à l’en­contre de ce qui a fait la légende du Fes­pa­co : prix éle­vé des entrées (1000 Fcfa) ou du pass (25 000 Fcfa, soit 39 €), arrêt des pro­jec­tions dans les quar­tiers, natio­na­lisme au détri­ment du pan­afri­ca­nisme (le bul­le­tin Fes­pa­co News mul­ti­pliant les articles sur le ciné­ma bur­ki­na­bé tan­dis que le numé­ro 3 titrait en une : “Le Pre­mier ministre assiste à la pro­jec­tion du film inaugural”).

Alors même que le fes­ti­val par­ti­cipe gran­de­ment à la diplo­ma­tie cultu­relle du Bur­ki­na Faso en un tout qui ras­sure les innom­brables ONGs et pro­grammes de coopé­ra­tion, il est mena­cé de se voir prendre la natte sur laquelle il est assis par une autre capi­tale qui pri­vi­lé­gie­rait le ciné­ma : tout le public fes­ti­va­lier étran­ger se dépla­ce­rait sans remords. L’at­trac­ti­vi­té de Oua­ga n’est plus ce qu’elle était, mal­me­née par des agres­sions le soir à proxi­mi­té des salles : on rap­porte des cas de vol du sac à mains de femmes vio­lem­ment jetées au sol. Il ne fau­drait pas que l’ac­tuelle étude menée par un cabi­net d’au­dit inter­na­tio­nal conduise aux mêmes conclu­sions que ce cabi­net avait tirées pour le fes­ti­val de Mar­ra­kech : pré­co­ni­ser ce modèle serait se trom­per de cible et le mythe du Fes­pa­co ne résis­te­rait pas aux paillettes.

Certes, l’é­di­tion 2013 fut mar­quée par la peur liée à la guerre du Mali : il fut dit et répé­té que le public pré­fé­rait ne pas sor­tir, et que des étran­gers auraient renon­cé à leur voyage. La des­truc­tion (appa­rem­ment un peu rapide) du bagage sus­pect d’un voya­geur en par­tance à l’aé­ro­port de Oua­ga le 3 février a contri­bué à ren­for­cer la crainte. [[cf. http://www.lefaso.net/spip.php?article52618]] Les mesures de sécu­ri­té ont pu réduire l’am­pleur du Fes­pa­co 2013 mais, s’il faut en croire Fes­pa­co News, ce sont quand même 4000 badges qui ont été émis et attri­bués en début de fes­ti­val. Le chan­teur Greg, la nou­velle coque­luche des Bur­ki­na­bé, et les rythmes fié­vreux de la star nigé­riane Fla­vour n’ont pas rem­pli le stade du 4 août pour une inau­gu­ra­tion qui fut dra­ma­tique cer­taines années tant la foule s’y pres­sait, mais la cho­ré­gra­phie Wakatt (Le Temps) de Sey­dou Boro, les marion­nettes géantes de Boro­mo au Niger, et la scé­no­gra­phie de cen­taines d’en­fants furent néan­moins sui­vis par un public nom­breux, tra­di­tion­nel­le­ment atti­ré par le feu d’ar­ti­fice final.

A notre niveau, en dépit des demandes d’ac­cré­di­ta­tion trans­mises, la ving­taine de jour­na­listes venant de 14 pays dif­fé­rents, délé­gués par leur asso­cia­tion natio­nale pour par­ti­ci­per à la sixième édi­tion de l’a­te­lier de for­ma­tion à la cri­tique orga­ni­sé conjoin­te­ment par Afri­cul­tures et la Fédé­ra­tion afri­caine de la cri­tique ciné­ma­to­gra­phique (FACC), n’a­vait pas de badge émis au pre­mier jour de l’a­te­lier. Cha­cun de ces jour­na­listes repré­sen­tait pour­tant un média bien pré­cis. Pour leur don­ner accès aux salles, le Fes­pa­co concé­da une dizaine de badges et il fal­lut en ache­ter une autre dizaine alors que cet ate­lier est tra­di­tion­nel­le­ment orga­ni­sé en par­te­na­riat. Cela n’empêcha pas l’a­te­lier d’être un grand moment de tra­vail intense, chaque groupe de quatre jour­na­listes et un for­ma­teur ayant un pro­gramme de pro­jec­tions pré­cises, avec pour mis­sion d’a­na­ly­ser les films ensemble et de rédi­ger un papier cri­tique issu de cette syner­gie pour les trois bul­le­tins Afri­ci­né publiés durant le fes­ti­val et gra­tui­te­ment dif­fu­sés à 3000 exem­plaires aux fes­ti­va­liers. [[Voir les articles des trois bul­le­tins Afri­ci­né publiés sur www.africine.org]] Des confé­rences de rédac­tion et points théo­riques quo­ti­diens intro­dui­saient des jour­nées bien remplies.

Même couac au niveau du jury de la cri­tique afri­caine pré­si­dé par Baba Diop, pré­sident de la FACC : pour la pre­mière fois ins­ti­tu­tion­na­li­sé par le Fes­pa­co alors qu’il était habi­tuel­le­ment attri­bué par l’a­te­lier cri­tique, ses membres se sont retrou­vés logés comme les autres jurys à Oua­ga 2000, à 45 minutes du centre-ville, mais sans dis­po­ser d’un trans­port pour se rendre aux salles et sans prise en charge. N’é­tant pas pré­ve­nus à temps, ils ne purent pré­sen­ter leur prix à la confé­rence de presse des prix spé­ciaux. Par­rai­né par RFI selon un accord obs­cur déci­dé à la direc­tion du Fes­pa­co sans concer­ta­tion avec le bureau de la FACC, la remise du prix en fin de céré­mo­nie après celui de Nes­ca­fé et de la Lote­rie natio­nale bur­ki­na­bée s’est dérou­lée alors que tout le monde pliait bagage. La ten­ta­tive d’ins­tau­rer un prix Fipres­ci de la cri­tique inter­na­tio­nale avait avor­té en 2011, les membres du jury ayant dû consta­ter à l’aé­ro­port que leurs billets d’a­vion n’a­vaient pas été émis. Devant la réti­cence de la Fipres­ci de reten­ter l’ex­pé­rience mais sou­cieux de redo­rer le bla­son “ciné­ma” du fes­ti­val, le Fes­pa­co a ins­ti­tu­tion­na­li­sé ce prix de la cri­tique afri­caine, mais en tant que prix spé­cial doté par RFI (qui par­rai­nait aupa­ra­vant le prix du public, fort dif­fé­rent) alors que le prix Fipres­ci, non doté, devait être lié au palmarès.

Cet épi­sode n’est pas neutre : la cri­tique se retrouve ain­si rame­née à sa seule dimen­sion afri­caine et c’est bien là le des­tin d’un fes­ti­val qui n’est tou­jours pas consi­dé­ré par les pro­fes­sion­nels comme un grand fes­ti­val inter­na­tio­nal. [[Cf. http://www.fiapf.org/pdf/guidefiapfFinal.pdf — 51 fes­ti­vals sont label­li­sés par la FIAPF (Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale des asso­cia­tions de pro­duc­teurs de films) en fonc­tion de leur qua­li­té pour per­mettre aux pro­duc­teurs de se repé­rer dans la masse des fes­ti­vals et faire des choix pour sou­mettre leurs films.]] Pour contrer la mar­gi­na­li­sa­tion des ciné­mas d’A­frique dans le monde, il serait pour­tant impor­tant que le Fes­pa­co réponde aux cri­tères de qua­li­té néces­saires pour offrir une vitrine sans failles et atti­rer un réseau pro­fes­sion­nel inter­na­tio­nal qui dépasse la petite famille qui sou­tient les ciné­mas d’A­frique. Le MICA (mar­ché du film) devait se tenir dans le nou­veau bâti­ment proche du siège, mais un incen­die en cours de tra­vaux a repor­té sa mise en fonc­tion. Le règle­ment de la fac­ture de 2009 à l’hô­tel Aza­laï a per­mis de l’hé­ber­ger dans ses locaux (mais la prise de risque de l’hô­tel res­tant limi­tée, toutes les confé­rences de presse durent être dépla­cées en urgence au centre de presse Lip­ta­ko Gur­ma, de moindre capa­ci­té). Enjeu essen­tiel pour la com­mer­cia­li­sa­tion des films d’A­frique, notam­ment audio­vi­suels, le mar­ché du film ne peut avoir d’im­pact inter­na­tio­nal qu’en la pré­sence de pro­fes­sion­nels invi­tés : des choix dou­lou­reux sont peut-être à faire dans les invi­ta­tions pour pri­vi­lé­gier cette dimen­sion, avec un enca­dre­ment adapté.

Mais sans enca­dre­ment public, le ciné­ma ne se déve­lop­pe­ra pas comme indus­trie créa­trice d’emplois. Les pro­fes­sion­nels réunis lors du col­loque “Ciné­ma afri­cain et poli­tiques publiques en Afrique” l’ont affir­mé dans une décla­ra­tion solen­nelle. Ils appellent les Etats à sor­tir de l’i­ner­tie. Rien de bien nou­veau si ce n’est qu’on sent peu à peu un (petit) vent se lever lié à la recon­nais­sance de la Culture comme un pos­sible fac­teur de déve­lop­pe­ment. Le Bur­ki­na est à cet égard à l’a­vant-garde en l’ayant ins­crit en bonne place dans sa “Stra­té­gie de crois­sance accé­lé­rée et de déve­lop­pe­ment durable 2011 – 2015” (SCADD), en troi­sième posi­tion après l’a­gri­cul­ture et les mines. La décla­ra­tion solen­nelle de Oua­ga appelle notam­ment les Etats à sou­te­nir le Fonds pan­afri­cain du ciné­ma et de l’au­dio­vi­suel (FPCA) dont le Comi­té d’o­rien­ta­tion tran­si­toire (COT) s’est réuni plu­sieurs jour­nées à Oua­ga­dou­gou pour tra­vailler sur l’é­la­bo­ra­tion du cadre juri­dique néces­saire au pas­sage à l’é­tape cru­ciale de la recherche la plus large pos­sible des sources de finan­ce­ment, comme l’in­dique son com­mu­ni­qué de presse. Etant moi-même membre du COT, je peux témoi­gner de l’ar­deur avec laquelle ce comi­té tra­vaille pour que ce Fonds puisse voir le jour. Plus il sera offi­ciel­le­ment sou­te­nu, plus il aura des chances de lever des fonds inter­na­tio­naux, notam­ment privés.

La décla­ra­tion solen­nelle du col­loque réaf­firme le FESPACO “comme le lieu de ren­contre et de célé­bra­tion des ciné­ma­to­gra­phies afri­caines”. L’en­jeu reste donc bien de regon­fler l’at­trac­ti­vi­té du Fes­pa­co, alors que c’est à Johan­nes­burg du 25 au 27 mars 2013 que se réunit le Congrès refon­da­teur de la Fédé­ra­tion pan­afri­caine des cinéastes, qui autre­fois se réunis­sait durant le Fes­pa­co. L’ou­ver­ture de la com­pé­ti­tion à la dia­spo­ra, deuxième annonce choc de Michel Oue­drao­go dans son dis­cours de clô­ture, par­ti­cipe de cette volon­té, alors que ces films étaient jus­qu’à pré­sent ras­sem­blés dans une sec­tion de faible visi­bi­li­té. On peut ima­gi­ner qu’en dehors des pro­duc­tions indé­pen­dantes, quelques grosses machines amé­ri­caines fassent le dépla­ce­ment : Spike Lee à Oua­ga en 2015 ?

De même, la troi­sième annonce — le dou­ble­ment des prix de la com­pé­ti­tion — vise elle aus­si à redon­ner du poids à la sélec­tion oua­ga­laise, de nom­breux fes­ti­vals deman­dant la pre­mière mon­diale pour assu­rer leur noto­rié­té : la concur­rence est rude et l’argent est le nerf de la guerre. On voit ain­si les Jour­nées ciné­ma­to­gra­phiques de Car­thage subir la domi­na­tion des fes­ti­vals du Golfe qui alignent les pétro­dol­lars sans vergogne.

Une com­pé­ti­tion longs métrages problématique

Qui sélec­tionne les films au Fes­pa­co ? Quel direc­teur artis­tique à la com­pé­tence recon­nue, comme dans tout fes­ti­val d’en­ver­gure, explique ses choix, sa ligne édi­to­riale, défend ses audaces et argu­mente ses néces­saires com­pro­mis ? C’est sou­vent une per­sonne exté­rieure au pays, convo­quée pour sa com­pé­tence. Tout fes­ti­val d’o­bé­dience inter­na­tio­nale a des pro­gram­ma­teurs qui cherchent les meilleurs films et par­courent toute l’an­née la pla­nète pour déce­ler des pro­po­si­tions ori­gi­nales de ciné­ma, des perles à pré­sen­ter en exclu­si­vi­té à leur public. Même Cannes le fait car la concur­rence est rude. On croise certes le délé­gué artis­tique Ardiou­ma Soma dans cer­tains fes­ti­vals, mais le Fes­pa­co, peut-être faute des moyens néces­saires, semble davan­tage attendre que les films viennent à lui.

La com­pé­ti­tion longs métrages 2013 joue certes la diver­si­té de styles et d’o­ri­gines, mais opère des choix qui laissent son­geur. Pre­nons l’exemple du ciné­ma maro­cain, qui s’y taille la part du lion : trois films sur vingt. Michel Oue­drao­go indique qu’il y a là recon­nais­sance de l’ef­fort du Maroc pour le finan­ce­ment de son ciné­ma, qui débouche sur la pro­duc­tion d’une ving­taine de longs métrages par an. Force est de consta­ter que cette pro­duc­tion certes dyna­mique reste artis­ti­que­ment limi­tée. Se détachent cepen­dant récem­ment Sur la planche de Leï­la Kila­ni, Mort à vendre de Faou­zi Ben­saï­di, Chro­niques d’une cour de récré de Bra­him Fri­tah, The End de Hicham Las­ri, Mon frère de Kamal El Mahou­ti ou Zéro de Nou­red­dine Lakh­ma­ri (qui a dépas­sé les 250 000 entrées au Maroc) — sans oublier le docu­men­taire Femmes hors-la-loi de Moha­med El Abou­di. La plu­part de ces films ont le “défaut” d’être des copro­duc­tions inter­na­tio­nales et de ne pas être pas­sés par le sys­tème maro­cain d’a­vance sur recettes. Est-ce là la rai­son de leur absence au Fes­pa­co ? C’est pour­tant sou­vent dans les exi­gences des copro­duc­tions que se joue l’a­bou­tis­se­ment de l’é­cri­ture des scé­na­rios, grand manque des films d’A­frique en géné­ral. On voit d’ailleurs le prix du meilleur scé­na­rio attri­bué à Les Che­vaux de Dieu de Nabil Ayouch, copro­duc­tion bel­go-fran­co-maro­caine dont nous avons par ailleurs sou­li­gné les ambi­guï­tés dans notre compte-ren­du de Cannes. Comme cette autre copro­duc­tion for­te­ment euro­péenne qu’est La Pirogue de Mous­sa Tou­ré (cf notre cri­tique), qui empoche l’é­ta­lon de bronze, le film d’Ayouch est une machine à démon­trer et à répondre aux attentes du public.

Devoir com­po­ser avec des pro­duc­teurs atten­tifs à leur mar­ché est à la fois enri­chis­sant et ambi­gu : il arrive qu’on gomme dans les films tout ce qui gêne­rait un public inter­na­tio­nal, au détri­ment d’une cer­taine fra­gi­li­té qui fait sou­vent la valeur des œuvres, car elle retrans­crit les incer­ti­tudes et les doutes qui témoignent du réel de socié­tés bal­lo­tées par leur Histoire.

Pour­tant à l’a­bri des exi­gences et influences, les deux autres films maro­cains avaient en com­mun la recherche d’ef­fets et l’é­ta­le­ment des pon­cifs. Les Ailes de l’a­mour (Love in the Medi­na), troi­sième film d’Ab­del­hai Lara­ki, joue dans un micro­cosme à la fois fami­lial, sen­ti­men­tal et géo­gra­phique : tra­vaillé depuis tout jeune par la sen­sua­li­té et le désir mal­gré les pré­ceptes de son père doc­teur du Coran, le jeune bou­cher Tha­mi séduit entre autres femmes la belle Zineb, une femme mariée. Cet amour pas­sion à la décou­verte du plai­sir tient davan­tage de l’ob­ses­sion éro­tique que de la rela­tion, ce qui en retire toute per­ti­nence pour le spec­ta­teur. A l’i­mage des mosaïques de la Médi­na, il devient le décor d’un éta­lage de cli­chés écu­lés. Déjà, dans Mona Saber (2002), son pre­mier long métrage, Lara­ki fri­sait la cari­ca­ture sur fond de dépliant tou­ris­tique tout en abor­dant des sujets de fond.

Quant à Andro­man, de sang et de char­bon d’Az­la­rabe Alaoui, il aurait pu être plus sub­til avec son per­son­nage de fille que le père masque en gar­çon, mais les trom­pettes et les chants, la pas­sion des ralen­tis jus­qu’à oser faire un spec­tacle en un long plan abject de la mort de M’hoand qui s’é­tait épris d’elle, les répé­ti­tions et la pré­vi­si­bi­li­té du scé­na­rio, la pesan­teur géné­rale d’une mise en scène et d’un jeu d’ac­teurs démons­tra­tifs enferment le film dans la cara­pace de ses inten­tions. Cette esthé­tique for­cée rap­pelle le pesant Pégase du Maro­cain Moha­med Mouf­ta­kir, qui avait empor­té l’E­ta­lon d’or en 2011.

Bien que ne pou­vant se récla­mer d’une poli­tique cultu­relle cohé­rente en faveur du ciné­ma, l’Al­gé­rie avait éga­le­ment trois films en com­pé­ti­tion. Aus­si bien Le Repen­ti de Mer­zak Allouache (cri­tique et entre­tien avec le réa­li­sa­teur à venir) que Yema de Dja­mi­la Sah­raoui (cri­tique à venir) fai­saient hon­neur à cette sélection.

Yema

Repen­ti

Par contre, la fac­ture léchée et consen­suelle de Zaba­na ! de Saïd Ould-Khe­li­fa rame­nait à l’é­poque où le ciné­ma algé­rien poli­ti­que­ment cor­rect célé­brait obli­ga­toi­re­ment les mar­tyres de la lutte de libé­ra­tion. Le film sent la com­mande d’E­tat pour le 50ème anni­ver­saire de l’In­dé­pen­dance. On suit donc le par­cours exem­plaire du pre­mier mar­tyr guillo­ti­né par les Fran­çais, théâ­tra­li­sé à sou­hait. L’u­ti­li­sa­tion du clair-obs­cur dans la pri­son sanc­ti­fie le per­son­nage, la musique encou­rage l’é­di­fi­ca­tion, tan­dis que le rythme et la mise en scène ter­nissent une plate recons­ti­tu­tion qui ne dégage pas d’é­mo­tion. Les rap­ports entre MNA et FLN ne sont qu’ef­fleu­rés et tout ce qui serait hors norme lais­sé de côté.

Même au niveau bur­ki­na­bé, le choix de Moi Zaphi­ra d’A­pol­line Trao­ré, dont on cherche vai­ne­ment en quoi c’est un film de ciné­ma, plu­tôt que Bayi­ri de Pierre Yaméo­go, sidère. Même éton­ne­ment devant le prix d’in­ter­pré­ta­tion fémi­nine attri­bué à Mariam Oue­drao­go qui pour­tant oscille entre ânon­ne­ment et hys­té­rie : fal­lait-il abso­lu­ment que le Bur­ki­na soit pré­sent au pal­ma­rès ? Cette his­toire très bavarde d’une vil­la­geoise qui pousse sa fille Katia à deve­nir man­ne­quin jus­qu’à ce que celle-ci lui reproche de l’a­voir for­cée baigne dans un noir et blanc sans relief qui sous l’ef­fet du kiné­sco­page obli­gé de la vidéo en 35 mm sombre dans des jeux de gris ocrés gom­mant les arrières plans en apla­tis­sant l’i­mage. La seule trou­vaille qui réveille le public est un som­nam­bule à vélo qui obéit aux ordres et per­met à l’hé­roïne de se dépla­cer ! Quant au vil­lage, il est cari­ca­tu­ré avec mépris comme pré­fé­rant les dons au tra­vail des champs. Déjà en 2005, Apol­line Trao­ré avait concou­ru avec le dépri­mant Sous la Clar­té de la Lune…

Sans pous­ser la com­pa­rai­son car ces deux œuvres ont leur qua­li­té, le manque d’a­bou­tis­se­ment tant tech­nique que scé­na­ris­tique se retrouve dans deux films en huis-clos. Il faut de la maî­trise pour réus­sir à dépas­ser les contraintes d’une uni­té de lieu sans hori­zon comme la pri­son dans Toiles d’a­rai­gnées du Malien Ibra­hi­ma Tou­ré ou le camp de déten­tion dans Vir­gem Mar­ga­ri­da du Mozam­bi­cain Lici­nio Aze­ve­do. Dans les deux cas, c’est en pous­sant le jeu d’ac­teur que l’on tente de pal­lier la fai­blesse de la mise en scène. A l’o­ri­gine de Toiles d’a­rai­gnées, un beau roman d’I­bra­hi­ma Ly (brillant écri­vain, uni­ver­si­taire et mili­tant malien pré­ma­tu­ré­ment décé­dé en février 1989 et dont Les Noc­tuelles vivent de larmes reste inou­bliable) et cette phrase d’in­tro­duc­tion : “La feuille qui n’est pas libre est une feuille morte”. Maria­ma, qui aime Lamine, tente d’é­chap­per sans suc­cès au mariage for­cé et pas­se­ra de la pri­son fami­liale à la vie car­cé­rale pour avoir osé s’op­po­ser à son des­tin en invo­quant son droit, au même titre que des mili­tants lut­tant contre la dic­ta­ture. Il lui fau­dra échap­per à la toile qui lui colle à la peau.

Ce des­tin de femme forte emblé­ma­tique pour­rait émou­voir si le film le défen­dait mieux. C’est éga­le­ment le cas de Vir­gem Mar­ga­ri­da, pour­tant issu d’une copro­duc­tion de qua­li­té entre le Mozam­bique, l’An­go­la, la France et le Por­tu­gal : prise par erreur dans une raz­zia de pros­ti­tuées à l’é­poque où le nou­veau régime veut chas­ser les traces du colo­nia­lisme, la vierge Mar­ga­ri­da se retrouve inter­née dans un camp dis­ci­pli­naire enca­dré par des femmes mili­taires qui se prennent pour des hommes. On ima­gine la suite : les résis­tances quo­ti­diennes des femmes qui peu à peu adoptent et pro­tègent la jeune vierge à qui tout est repro­ché. Sou­vent empreint d’hu­mour, le film rap­pelle le contexte idéo­lo­gique révo­lu­tion­naire et ses slo­gans, et lui oppose une com­mu­nau­té soli­daire qui dépasse ses mépris et ses divi­sions. Fil­mé avec éner­gie, il ne manque pas d’i­mages fortes, mais sa limite reste celle de l’é­mo­tion : c’est dans la ges­tion de l’é­cart qu’un film nous atteint, lorsque l’é­pais­seur humaine sur­git sans qu’on cherche à la convo­quer en pous­sant la musique, le jeu d’ac­teur ou l’hys­té­rie des situa­tions. Cela ne passe pas for­cé­ment par l’é­pure mais par la dis­tance où le spec­ta­teur peut construire sa propre inter­pré­ta­tion et relier ain­si, non par sen­ti­men­ta­lisme mais par une rela­tion intime, son vécu au récit du film et à la réa­li­té évo­quée, fusse-t-elle très éloi­gnée de la sienne propre, dans la com­pré­hen­sion de cette singularité.

La volon­té de rendre compte de la pro­duc­tion luso­phone per­met­tait à deux films ango­lais d’être en com­pé­ti­tion. Pre­mier long métrage de Pocas Pas­coal et qui rem­porte le prix de l’U­nion euro­péenne, Ici tout va bien (Por aqui tudo bem) est un film atta­chant sur deux jeunes femmes qui ont pré­cé­dé leur mère en émi­grant à Lis­bonne pour échap­per à la guerre civile, et s’y retrouvent iso­lées et sans moyens. Leur condi­tion et la fra­gi­li­té de leur ancrage moral et cultu­rel sera le sujet d’un film sin­cère qui évite tout effet pour se concen­trer sur leur façon dif­fé­rente d’en­trer dans l’âge adulte, confron­tées aux gar­çons, à l’ex­ploi­ta­tion et au racisme alors qu’elles essayent de sur­vivre. La fami­lia­ri­té de la mise en scène, qui adopte alter­na­ti­ve­ment le point de vue des deux femmes, per­met de par­ta­ger leurs craintes, leurs décep­tions et leurs espoirs dans la com­plexi­té de leur rela­tion mais peine aus­si à éta­blir un lien plus fort, notam­ment sur le hors champ de la guerre civile, non sans atteindre une belle dimen­sion humaine.

Eton­nante approche de la fin de la colo­ni­sa­tion por­tu­gaise à Luan­da que celle choi­sie par Zézé Gam­boa, cinéaste confir­mé quant à lui (Un Héros, 2004), avec Le Grand kila­py (O grande kila­py). Avec quelle dis­tance l’é­vo­quer ? Par la farce répond Gam­boa. Et nous voi­là pris dans le bio­pic bur­lesque d’un rou­blard pro­fes­sion­nel, un “kila­py” dans la langue locale, dont la prin­ci­pale pré­oc­cu­pa­tion sera l’argent et les femmes (blanches). Le film nous indique que le per­son­nage a exis­té et qu’il s’a­git d’une libre adap­ta­tion de la vie de ce roi de l’ar­naque qui arri­vait à être un Noir qui réus­sit dans l’in­sou­ciante Ango­la des Blancs en fré­quen­tant du beau monde dans un contexte par­ti­cu­liè­re­ment hos­tile, à la barbe de la police secrète qui le har­cèle. Le clin d’œil est sym­pa­thique, Gam­boa pre­nant comme héros un per­son­nage aus­si fas­ci­nant qu’a­ga­çant, loin de toute figure cha­ris­ma­tique ou emblé­ma­tique d’une lutte anti­co­lo­niale à laquelle se livrait ses rela­tions mais dont il res­tait soi­gneu­se­ment à distance.

Le film cultive l’é­lé­gance sur le rythme cha­lou­pant des musiques ango­laises des années 70, et fait de l’hu­mour gouailleur de son kila­py une arme contre les conven­tions. Ses arnaques contre l’au­to­ri­té l’a­me­nant en pri­son, l’es­croc devient sub­ver­sif, un héros de la lutte de libé­ra­tion ! Gam­boa déve­loppe ain­si ludi­que­ment un regard aus­si gogue­nard qu’a­cerbe sur les figures de l’In­dé­pen­dance. On en suit avec plai­sir les rebon­dis­se­ments, tant la trans­gres­sion ain­si célé­brée montre à quel point les contra­dic­tions de la colo­nie com­por­taient déjà les germes de la déco­lo­ni­sa­tion, et plus lar­ge­ment com­bien tout sys­tème dic­ta­to­rial porte en lui ce qui le fera exploser.

On retrouve cette plon­gée très humaine dans l’i­ma­gi­naire qui carac­té­rise la lit­té­ra­ture luso­phone dans le nou­veau film très atten­du de Flo­ra Gomes (Gui­née Bis­sau), La Répu­blique des enfants. Dans un monde en guerre où la cruau­té est à son comble, des enfants errent sous la coupe d’en­fants sol­dats. Un groupe s’en détache où une bagarre per­met au pou­voir de chan­ger de mains, et qui se dirige vers la ville. A la recherche de ses lunettes tom­bées sous la table lorsque le palais est atta­qué, le conseiller du pré­sident (le tou­jours remar­quable Dany Glo­ver) se retrouve seul et se join­dra aux enfants pour fina­le­ment arri­ver dans une ville où ne vivent plus que des enfants qui ont recréé leur propre socié­té. Cha­cun cherche à y dépas­ser ses démons pour trou­ver peu à peu le che­min du pas­sage à l’âge adulte. Entre les lunettes qui per­mettent de voir le futur, les rédemp­tions et récon­ci­lia­tions néces­saires, c’est l’es­poir d’une socié­té meilleure que construi­raient les enfants qu’é­voque Flo­ra Gomes, à condi­tion que leur Répu­blique devienne mature. A noter qu’à tra­vers le per­son­nage de Dubem incar­né Glo­ver, Gomes insiste sur l’im­por­tance d’un guide éclai­ré, d’un adulte. La fable est lumi­neuse, cer­tains plans magni­fiques, le dérou­le­ment tou­jours éton­nant. Pour­tant, une dis­tance s’ins­talle du fait de l’an­glais comme langue de tour­nage et d’un manque d’ap­pro­fon­dis­se­ment scé­na­ris­tique qui res­tau­re­rait davan­tage de rythme et la flui­di­té que pou­vait par exemple atteindre Les Bêtes du Sud sau­vage de Benh Zeit­lin, un film jouant éga­le­ment sur le fan­tas­tique où l’i­ma­gi­naire de l’en­fance se confronte sans le renier au monde des adultes face aux menaces du siècle.

Les jeunes étu­diants ne sont pas beau­coup plus vieux dans Les Enfants de Trou­ma­ron, le beau film d’Har­ri­kris­na Anen­den et de son fils Shar­van (Ile Mau­rice) basé sur le roman Eve de ses décombres de sa célèbre épouse Anan­da Devi, comme l’é­tait déjà La Cathé­drale basé sur une nou­velle épo­nyme. Deuxième long métrage, il a reçu à tort le prix Ouma­rou Gan­da de la pre­mière œuvre… mais a bien méri­té un prix ! Comme en Ango­la, les jeunes sont à la dérive. Concen­tré sur le per­son­nage d’Eve, sur l’o­ri­gine donc, le film est l’his­toire sombre d’une auto­des­truc­tion. Nous y revien­drons dans une cri­tique détaillée, comme pour d’autres films vus au Fes­pa­co, pour ne pas char­ger cet article.

De Tuni­sie, le Fes­pa­co n’a pas choi­si les décou­vertes de Car­thage, Le Pro­fes­seur de Mah­moud Ben Mah­moud, ou Beau­tés cachées, le der­nier Nou­ri Bou­zid, mais Always Bran­do, de Rid­ha Behi, une ten­ta­tive de ren­contre, au-delà des cli­chés humi­liants qui plombent la rela­tion, entre le monde arabe et l’A­mé­rique, comme ont pu le faire Nabil Ayouch dans Wha­te­ver Lola wants ou Yous­sef Cha­hine dans son auto­bio­gra­phique Alexan­drie-New York. Fas­ci­né par le per­son­nage de Mar­lon Bran­do, tant l’ac­teur que le défen­seur des droits des mino­ri­tés, Behi fait le voyage de Bever­ly Hil­ls pour lui pro­po­ser de jouer dans son film. Bran­do accepte mais il est à l’aube de sa mort. Il met­tra donc des années à faire sans lui un film sur un tour­nage amé­ri­cain en Tuni­sie, où joue le sosie de Bran­do jeune qui au départ ne crois pas à son talent puis prend de l’as­su­rance et se met à rêver de l’A­mé­rique. Les com­pro­mis pour y arri­ver seront dou­lou­reux. La force du film est de prendre le spec­ta­teur comme témoin : ton per­son­nel avec voix off pour en expli­quer la genèse, regard docu­men­taire sur les métiers du ciné­ma, jeu de rac­cords entre les films de Bran­do et le film en train de se faire sur un film en cours de tour­nage… C’est beau­coup de dis­tance et l’on se perd un peu dans le fil nar­ra­tif de cette fugue inti­miste mais la sauce pour­rait prendre si, par contre, on n’é­tait pas révol­té par sa façon d’u­ti­li­ser le cli­ché pour dénon­cer le cli­ché : il fau­dra que le jeune acteur se pros­ti­tue avec un acteur homo­sexuel pour espé­rer être invi­té en Amé­rique, deve­nue son seul espace de rêve. La ren­contre ne devient pos­sible que par le renon­ce­ment de soi, mais au niveau du pire cli­ché, comme si l’ho­mo­sexua­li­té résu­mait la dérive immo­rale de l’Oc­ci­dent. D’un beau pro­jet de ren­contre, Rid­ha Behi fait un film homophobe.

La morale : une cri­tique ne consiste pas à pas­ser un film au crible de ses propres cri­tères mais à inter­ro­ger la por­tée des affir­ma­tions et pré­sup­po­sés du pro­pos. D’A­frique du Sud, plu­tôt que par exemple le remar­quable et déran­geant Beau­ty d’O­li­ver Her­ma­nus, le Fes­pa­co a choi­si pour sa com­pé­ti­tion, How to steal two mil­lion, pro­duit par la dyna­mique boite de pro­duc­tion DV8 de Jere­my Nathan et pre­mier film de Char­lie Vund­la, jeune cinéaste qui vou­drait mar­cher sur les pas de Quen­tin Taran­ti­no. Il suit Jack, un homme qui sort de pri­son et vou­drait se réin­sé­rer hon­nê­te­ment mais, alors qu’un poli­cier cor­rom­pu lui dérobe ses maigres avoirs et que son pas­sé le rat­trape, Jack doit replon­ger dans le crime par lequel le drame arrive, sans que le film remette vrai­ment cette obli­ga­tion en cause. Vund­la fait du thril­ler sans trans­gres­ser le genre, ce qui limite sa por­tée. Il table sur le sacri­fice tra­gique du héros pour don­ner une morale à cette his­toire où l’en­fant d’O­live, une voleuse que Jack entre­prend de coa­cher selon une rela­tion amou­reuse inavouée, sera fina­le­ment le per­son­nage prin­ci­pal, le seul à incar­ner un espoir de futur. Le film est lugubre, évo­luant dans un micro­cosme fer­mé. Il joue sur les oppo­si­tions d’ombres et de lumières dans des décors indé­cis et se concentre sur l’au­to­des­truc­tion d’un homme pris à son propre piège. Tout le monde se mani­pule et la confiance est inter­dite : Vund­la dresse un sombre tableau d’une socié­té vio­lente dont la péren­ni­té ne pour­rait venir que de la rédemp­tion personnelle.

Seul film de fac­ture télé­film de la com­pé­ti­tion 2013, Nishan de l’E­thio­pien Shu­met Yid­ne­ka­chew joue du vrai et du faux pour fice­ler une his­toire dyna­mique aux mes­sages mul­tiples. Un vieux revol­ver gagné au poker se révèle être le cadeau fait par l’empereur Haï­lé Sélas­sié à son com­man­dant en chef des armées pour s’être effi­ca­ce­ment oppo­sé aux Ita­liens : il est convoi­té par des ban­dits pour le mon­nayer, mais ils tombent tou­jours sur une copie. Nishan, femme de tête dont le père a gagné le revol­ver au jeu, et qui avant d’é­mi­grer doit rache­ter l’hy­po­thèque qui menace le loge­ment fami­lial, se trouve prise dans un embro­glio poli­ti­co-poli­cier qui tient habi­le­ment en haleine jus­qu’au hap­py end final. Lors­qu’elle ren­contre le vieux Com­man­dant en chef, celui-ci fait réfé­rence à la gran­deur pas­sée de l’E­thio­pie, la rat­ta­chant au sens de l’hon­neur. Entre l’é­mi­gra­tion qui n’est pas pro­blé­ma­ti­sée et ces réfé­rences conser­va­trices, ce film où la filia­tion joue un grand rôle n’est pas dénué d’ambiguïtés !

Offrant cette année une rétros­pec­tive du ciné­ma gabo­nais, le Fes­pa­co avait choi­si en com­pé­ti­tion le sym­pa­thique et fami­lial Col­lier du Mako­ko d’Hen­ri-Joseph Kum­ba Bidi­di (cf. notre cri­tique), lui aus­si effi­cace copro­duc­tion franco-gabonaise.

La sélec­tion 2013 don­nait ain­si à réflé­chir sur le sta­tut des films entre copro­duc­tions aux conte­nus adap­tés au mar­ché inter­na­tio­nal et pro­duc­tions locales sou­vent inabou­ties. On sent le Fes­pa­co hési­ter entre les deux termes, dans son sou­ci de n’ex­clure per­sonne et navi­guant entre les pro­duc­tions récentes qui n’au­raient pas trop été déflo­rées dans les autres fes­ti­vals et les incon­tour­nables des deux années écou­lées. Si l’am­bi­tion du fes­ti­val est de célé­brer les plus belles œuvres, point n’est besoin de mettre en com­pé­ti­tion les tout der­niers films pro­duits. Si leur qua­li­té est pro­blé­ma­tique, ils peuvent être mon­trés en pano­ra­ma. Il convient dès lors de s’af­fran­chir des pres­sions. La sup­pres­sion de la clause du 35 mm obli­ga­toire et l’in­té­gra­tion de la dia­spo­ra dans la com­pé­ti­tion ouvre la voie à une meilleure sélec­tion. C’est dans cette exi­gence que le Fes­pa­co pour­ra sur­vivre aux menaces qui le mettent en danger.

Oli­vier Barlet