Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué

une bien triste illustration, parmi beaucoup d’autres, de la fascisation de la France, et de la libération de la parole islamophobe.

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« Dehors, dehoooooooors ! » Fin­kiel­kraut à la Sor­bonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué

Lorsqu’une pres­ti­gieuse uni­ver­si­té (la Sor­bonne, à Paris) invite un maître-pen­seur média­tique deve­nu aca­dé­mi­cien, et qu’une doc­to­rante en phi­lo­so­phie de ladite pres­ti­gieuse Uni­ver­si­té s’autorise à l’interpeller sur ses man­que­ments à l’éthique intel­lec­tuelle, que pen­sez-vous qu’il advient ? Un indice : la doc­to­rante est par ailleurs musul­mane, et nous en sommes en France, en 2016.

Le Grand Amphi­théâtre de La Sor­bonne était rem­pli de têtes bien blanches pour le forum de la phi­lo­so­phie orga­ni­sé par France-culture. La foule s’était dépla­cée en grand nombre, mais nulle inquié­tude pour Alain Fin­kiel­kraut : son public, contrai­re­ment à l’équipe de France de foot­ball black-black-black qui lui fai­sait « honte », était à l’image de la France, la vraie. Au pro­gramme, un débat pro­met­teur intitulé :

« Qu’est-ce qu’être français ? ».

Voi­là que notre phi­lo­sophe média­tique pré­fé­ré com­mence à débal­ler son bla-bla habi­tuel. Ils applau­dissent. Ils applau­dissent encore. À cha­cune de ses inter­ven­tions, ils applau­dissent. Ils applau­dissent même lorsque, sur le ton de la confi­dence, notre invi­té vedette explique qu’il s’est sen­ti fran­çais pour la pre­mière fois en 1989, lors de la pre­mière affaire du voile à l’école. Notre culture valo­rise le fémi­nin, se dit-il face à cette alté­ri­té radi­cale. À ce moment je ne peux m’empêcher de pen­ser : quelle magni­fique illus­tra­tion du pro­pos d’Edward Said dans L’Orientalisme : Le Nous ne peut se défi­nir qu’en oppo­si­tion à l’Autre – le monde musul­man en l’occurrence, et la femme musul­mane en par­ti­cu­lier. La défi­ni­tion de l’altérité pré­cède celle de l’identité, elle en est la condi­tion néces­saire et suf­fi­sante. Être fran­çais, c’est ne pas être un « musul­man visible ». Être fran­çais, c’est être tout ce qu’une femme musul­mane n’est pas.

Arrive enfin le temps des ques­tions. Trois ou quatre seule­ment, parce que Mon­sieur Fin­kiel­kraut a déjà beau­coup par­lé, bien plus que ses deux inter­lo­cu­teurs. On me fait l’honneur de me lais­ser poser la der­nière ques­tion. Pour com­men­cer, je sou­ligne qu’il était assez inté­res­sant de consta­ter que notre aca­dé­mi­cien a défi­ni « l’être-français » par la néga­tive : être fran­çais, c’est ne pas être une femme musul­mane voi­lée. Je sou­ligne aus­si qu’il met en avant une concep­tion de la fémi­ni­té très nor­ma­tive, occi­den­tale et blanche. Enfin, je vais à l’essentiel :

« Je vou­drais saluer la sagesse des orga­ni­sa­teurs parce qu’il est effec­ti­ve­ment très judi­cieux, dans un cli­mat si nau­séa­bond que le cli­mat actuel, d’inviter pour nous par­ler de ce que signi­fie être fran­çais, une per­son­na­li­té média­tique isla­mo­phobe et raciste. »

L’applaudimètre m’avait déjà indi­qué que je ne ferais cer­tai­ne­ment pas l’unanimité, mais je ne m’attendais pas, pour autant, à un tel lyn­chage col­lec­tif. J’avais ouvert une boîte de Pan­dore, et sous les huées de la salle, les com­men­taires et insultes fusaient de tous côtés :

« C’est honteux ! »

« Dehors, Dehoooooooors ! »

« Vous devriez avoir honte ! »

« C’est dom­mage, vous aviez bien commencé. »

« C’est scandaleux ! ».

Un homme hys­té­rique m’interpelle à nouveau :

« Dehors, Dehoooooooors ! »

Je lui rap­pelle cal­me­ment que je suis doc­to­rante à La Sor­bonne et que je suis donc ici chez moi.

Des insultes, de la colère, de la haine et du mépris. Du racisme.

Alain Fin­kiel­kraut décide de « quand même » me répondre. Il sou­ligne la haine (ima­gi­née, fan­tas­mée) de mon pro­pos sans rien dire de la vio­lence des réac­tions que ledit pro­pos a sus­ci­tées. Puis, comme tout raciste qui se res­pecte, il montre patte blanche en jouant la carte de l’ami arabe : il ne peut tout bon­ne­ment pas être isla­mo­phobe puisque des musul­mans (des vrais !) comme Fethi Bens­la­ma ont des posi­tions simi­laires aux siennes. Il aurait tout autant pu dire qu’il ne pou­vait pas être raciste puisqu’il aimait le cous­cous, le thé à la menthe et les pâtis­se­ries orientales.

Au pas­sage, il règle ses dif­fé­rends avec la jeune pro­fes­seure d’anglais qui l’a brillam­ment inter­pel­lé lors d’une émis­sion télé­vi­sée. Ce n’est pas une isla­miste, pré­cise-t-il, mais elle a par­ti­ci­pé à une marche dans laquelle les mani­fes­tants criaient « ta race ! » chaque fois que son pré­nom était men­tion­né – et bien oui j’ai rigo­lé, le Fin­kiel­kraut peut être drôle. Il ajoute qu’il n’ose même pas ima­gi­ner ce que la pro­fes­seure a pu dire à ses élèves au len­de­main des atten­tats de jan­vier et de novembre… De la dénon­cia­tion de l’islamophobie de Fin­kie au sou­tien au ter­ro­risme, il n’y a visi­ble­ment qu’un pas.

Cette réponse marque la fin du débat, mais je ne suis pour­tant pas au bout de mes sur­prises. À deux mètres de moi, une sexa­gé­naire indi­gnée s’improvise star du moment et, entou­rée d’autres sexa­gé­naires, com­mence une sorte de confé­rence de presse. Entre deux pro­pos débiles, elle a ce mot magnifique :

« Oui, oui, c’est du terrorisme. »

La boucle est bouclée.

En bonne maso­chiste que je suis, je reste à ma place pour per­mettre aux gens de venir m’insulter :

« - C’est hon­teux, vous l’avez insulté !

- Non, dire d’Alain Fin­kiel­kraut qu’il est raciste et isla­mo­phobe, c’est… une description !

- Vous avez dit qu’il était nau­séa­bond ! »

Je sou­ris :

« Non Mon­sieur, j’ai dit que le cli­mat actuel était nau­séa­bond. »

Alors que je m’apprête à par­tir, une femme m’interpelle pour m’expliquer qu’Alain Fin­kiel­kraut n’est pas raciste. Mieux que le Jamel Come­dy club, les fans de Finkielkraut :

« Mais quand même, avec Daesh, il est légi­time de s’opposer au voile isla­mique. »

En par­tant, je lui dis qu’il est affli­geant de voir la rapi­di­té avec laquelle elle fait des amal­games, et que dans un forum de phi­lo­so­phie, éle­ver le niveau de la dis­cus­sion et du débat ne serait pas du luxe.

Cela pour­rait n’être qu’une his­toire drôle à se racon­ter entre amis : L’histoire de l’indigène qui avait été huée par les fan­kiel­krauts. Mais c’est un peu plus : une bien triste illus­tra­tion, par­mi beau­coup d’autres, de la fas­ci­sa­tion de la France, et de la libé­ra­tion de la parole isla­mo­phobe. Le plus regret­table, sans doute, c’est que nous n’étions pas dans un mee­ting du Front natio­nal : c’est l’Université Paris-Sor­bonne qui a don­né une pla­te­forme pri­vi­lé­giée au racisme et à l’islamophobie que pro­fesse Alain Fin­kiel­kraut, et c’est une doc­to­rante de cette même uni­ver­si­té qui en a fait les frais. Je don­ne­rai donc le mot de la fin à Wiam Berhouma :

« Tai­sez vous Mon­sieur Fin­kiel­kraut, pour le bien de la France, tai­sez-vous. »

Mais j’invite aus­si les ins­ti­tu­tions publiques et les grands médias à la res­pon­sa­bi­li­té. Ces­sez-donc de lui tendre des micros, aidez-nous à le faire taire.

par Souad Betka

31 jan­vier 2016

Publié : les­mots­son­tim­por­tants