Grèce : Syriza ou l’espoir retrouvé

Dos­sier consa­cré à la situa­tion poli­tique ouverte en Grèce par la per­cée de Syri­za lors des élec­tions du printemps.

Texte écrit par Sta­this Kou­ve­la­kis pour le numé­ro 14 de la revue Contre­temps.

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La per­cée de Syri­za lors de la der­nière séquence élec­to­rale en Grèce, qui l’a por­tée jusqu’au seuil du pou­voir gou­ver­ne­men­tal, consti­tue un tour­nant de la situa­tion euro­péenne. C’est en effet la pre­mière fois dans toute l’ère néo­li­bé­rale, et plus par­ti­cu­liè­re­ment depuis le début de l’actuelle crise capi­ta­liste, que les sec­teurs popu­laires aban­donnent mas­si­ve­ment les par­tis tra­di­tion­nels, et avant tout la social-démo­cra­tie, et se tournent majo­ri­tai­re­ment vers un par­ti de la gauche radi­cale. Plus lar­ge­ment, c’est la pre­mière fois dans l’Europe de l’après-guerre qu’un par­ti à gauche de la social-démo­cra­tie, pour l’essentiel issu de la matrice com­mu­niste, a pos­tu­lé en tant que tel au pou­voir, en dehors d’une logique d’alliance avec le cou­rant socia­liste ou d’un « com­pro­mis his­to­rique » avec le par­ti sys­té­mique majoritaire.

Le « labo­ra­toire grec » devient ain­si non seule­ment celui de la « thé­ra­pie de choc » néo­li­bé­rale, dou­blée d’un déni de démo­cra­tie, appli­quée à un pays d’Europe occi­den­tale, ou encore le lieu de mobi­li­sa­tions d’une ampleur et d’une durée incon­nues depuis les années 1970, mais aus­si le ter­rain où se déploie la pre­mière ten­ta­tive d’envergure d’une alter­na­tive poli­tique radi­cale au néo­li­bé­ra­lisme dans le Vieux conti­nent. Tout se passe en un sens comme si, avec un temps de retard, les réa­li­tés sociales mais aus­si poli­tiques de l’Amérique latine débar­quaient dans notre région, sans doute mâti­nées de la dyna­mique insur­rec­tion­nelle et natio­nale des prin­temps arabes. Athènes est d’ailleurs bien plus proche du Caire que de Berlin.

Les textes ras­sem­blés dans ce dos­sier tentent d’apporter des éclai­rages sur cette situa­tion nou­velle et sa signi­fi­ca­tion, qui va bien au-delà du cas de ce petit pays péri­phé­rique du sud-est euro­péen. Vue de Grèce, l’un des élé­ments les plus frap­pants depuis le début de l’actuelle crise est en effet le sen­ti­ment crois­sant d’être au centre de l’attention inter­na­tio­nale. Pen­dant la cam­pagne élec­to­rale, les diri­geants euro­péens, mais aus­si les ban­quiers et leur contin­gent d’experts, ne se sont du reste guère pri­vé de s’immiscer dans le débat poli­tique grec, usant de l’intimidation et du chan­tage afin de dis­sua­der les élec­teurs de voter pour Syri­za. En contre­point, Syri­za a ripos­té en invi­tant à ces mee­tings des repré­sen­tants d’autres par­tis de la gauche radi­cale, essen­tiel­le­ment euro­péenne. Ain­si, le der­nier mee­ting, qui s’est tenu à Thes­sa­lo­nique, a vu Alexis Tsi­pras et Gaby Zim­mer, de Die Linke, prendre la parole. Ce qui a tou­te­fois davan­tage frap­pé les esprits, c’est sur­tout le pas­sage à Athènes ces deux der­niers mois de plu­sieurs figures intel­lec­tuelles de pre­mier plan du mar­xisme et du radi­ca­lisme euro­péen et nord-amé­ri­cain. Tariq Ali, Leo Panitch, Sla­voj Zizek et David Har­vey ont atti­ré des foules consi­dé­rables, à une échelle sans doute bien plus impor­tante que celle de leur pays d’origine. Et ils ne se sont pas pri­vés de par­ler et d’intervenir direc­te­ment, eux aus­si, dans le débat grec, offrant un sou­tien déter­mi­né à Syri­za et leur ana­lyse plus large de la situa­tion du pays. Ce sont eux qui, plus que tout autre per­son­na­li­té direc­te­ment poli­tique, ont réus­si à faire pas­ser le mes­sage que la gauche radi­cale inter­na­tio­nale avait les yeux tour­nés vers la Grèce et se ran­geait de façon qua­si-una­nime der­rière celui qui en por­tait l’espoir, c’est-à-dire Syriza.

Le point d’orgue fût sans doute atteint le 3 juin lors de la réunion publique ani­mée par Sla­voj Zizek et Alexis Tsi­pras dans la cour inté­rieure d’une annexe du musée Bena­ki. Plu­sieurs mil­liers de per­sonnes s’y sont entas­sées, dans une atmo­sphère élec­trique, com­bi­nant fer­veur et ami­tié, pour écou­ter le dia­logue entre le phi­lo­sophe slo­vène, qui a déve­lop­pé avec son brio habi­tuel les idées pré­sen­tées dans le texte de la Lon­don Review of Books inclus dans ce dos­sier, et le diri­geant de la gauche radi­cale grecque, qui a fait preuve de son aisance et de sa capa­ci­té à se sai­sir des perches que lui ten­dait son inter­lo­cu­teur. Quant à David Har­vey, les confé­rences qu’il a don­nées dans le cadre de la semaine qui lui était consa­cré par l’université Haro­ko­pio d’Athènes se sont trans­for­mées en lieu de dis­cus­sion de la situa­tion poli­tique et de la façon dont le tra­vail du géo­graphe mar­xiste pou­vait ser­vir à en pen­ser les enjeux. L’entretien tra­duit dans ce dos­sier en retrace cer­tains aspects.

Il y là matière à réflexion à la fois sur le rôle poli­tique des intel­lec­tuels mais aus­si sur les dimen­sions intel­lec­tuelles inhé­rentes à toute conjonc­ture poli­tique haute. Pour le dire autre­ment, une situa­tion poli­tique d’exception consti­tue en elle-même un évé­ne­ment théo­rique, sus­cep­tible d’aimanter et de trans­for­mer les forces intel­lec­tuelles agis­santes du moment. Ce sont donc à quelques pre­miers aper­çus d’un tel pro­ces­sus qu’invitent en fin de compte les élé­ments de réflexion qui sont ici rassemblés.


A lire (ou à relire) :

 

Sau­vez-nous de nos sau­veurs. Plai­doyer pour Syriza

Article de Sla­voj Zizek, inti­tia­le­ment paru dans le n° 11, vol. 34, du 7 juin 2012 de la Lon­don Review of Books.

Ima­gi­nez une scène d’un film dys­to­pique qui décri­rait notre socié­té dans un futur proche. Des vigiles en uni­forme patrouillent dans des centre-ville à moi­tié déser­tés tra­quant des immi­grés, des délin­quants et des sans-abri. Ceux qui tombent entre leurs mains sont mal­trai­tés. Ce qui appa­raît comme une image fan­tai­siste tirée d’un film hol­ly­woo­dien est la réa­li­té de la Grèce d’aujourd’hui. A la tom­bée de la nuit, des ner­vis vêtus de noir du mou­ve­ment néo­fas­ciste et néga­tion­niste Aube Dorée – qui a obte­nu 7% des voix aux der­nières élec­tions et le vote, dit-on, de la moi­tié des poli­ciers athé­niens – patrouillent dans les rues et tabassent tous les immi­grés qu’ils trouvent sur leur che­min : Afghans, Pakis­ta­nais, Algé­riens. Voi­ci com­ment l’Europe est défen­due en ce prin­temps 2012.

Le pro­blème avec la défense de la civi­li­sa­tion euro­péenne contre la « menace immi­grée » est que la féro­ci­té de la défense menace davan­tage la « civi­li­sa­tion » que toute pré­sence de musul­mans. Avec des amis pré­po­sés à sa défense tels que ceux-là, l’Europe n’a pas besoin d’ennemis. Il y a un siècle, G. K. Ches­ter­ton a défi­ni en ces termes l’impasse à laquelle se trouve confron­tés ceux qui cri­tiquent la reli­gion : « les hommes qui com­mencent par com­battre l’Eglise pour le salut de la liber­té et de l’humanité finissent par lais­ser tom­ber la liber­té et l’humanité pour pou­voir com­battre l’Eglise… Les par­ti­sans de la sécu­la­ri­sa­tion n’ont pas détruit des choses divines ; ils ont tou­te­fois détruit des choses sécu­lières, si cela peut les conso­ler ». Nom­breux sont les libé­raux qui veulent com­battre le fon­da­men­ta­lisme anti-démo­cra­tique avec un achar­ne­ment tel qu’ils finissent par jeter par-des­sus bord la liber­té et la démo­cra­tie si cela leur per­met de com­battre le ter­ro­risme. Si les « ter­ro­ristes » sont prêts à détruire ce monde par amour d’un autre, nos com­bat­tants de la cause anti­ter­ro­riste sont prêts à détruire la démo­cra­tie du fait de leur haine de l’Autre musul­man. Cer­tains d’entre eux aiment tel­le­ment la digni­té humaine qu’ils sont prêts à léga­li­ser la tor­ture pour la défendre. Il y là une inver­sion du pro­ces­sus par lequel les défen­seurs fana­tiques de la reli­gion com­mencent par atta­quer la culture contem­po­raine sécu­la­ri­sée et finissent par sacri­fier leurs propres valeurs reli­gieuses dans leur volon­té d’éradiquer des aspects de cette sécu­la­ri­sa­tion qu’ils haïssent.

Mais les défen­seurs anti-immi­grés de la Grèce ne sont pas le prin­ci­pal dan­ger : ils sont juste le pro­duit déri­vé de la véri­table menace, la poli­tique d’austérité qui est la cause des dif­fi­cul­tés de la Grèce. Le pro­chain tour des élec­tions grecques aura lieu le 17 juin. L’establishment euro­péen nous aver­tit que ces élec­tions sont cru­ciales : c’est non seule­ment le sort de la Grèce mais peut-être aus­si celui de l’Europe tout entière qui est en jeu. Une issue, la bonne selon eux, serait de pour­suivre le dou­lou­reux mais néces­saire pro­ces­sus de réta­blis­se­ment au moyen de l’austérité. L’alternative, si le par­ti « de gauche extrême » Syri­za l’emporte, serait un vote pour le chaos, pour la fin du monde (Euro­péen) tel que nous le connaissons.

Les pro­phètes de mal­heur ont rai­son mais pas au sens où ils l’entendent. Les cri­tiques de nos ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques déplorent que les élec­tions n’offrent pas de vrai choix : à sa place, ce que nous avons c’est un choix entre un par­ti de centre-droit et un par­ti de centre-gauche dont les pro­grammes sont qua­si­ment inter­chan­geables. En Grèce, le 17 juin il y aura un vrai choix : l’establishment (PASOK et Nou­velle Démo­cra­tie) d’un côté, et Syri­za de l’autre. Et, comme c’est presque tou­jours le cas quand un vrai choix est pos­sible, l’establishment est empor­té par la panique : le chaos, la pau­vre­té et la vio­lence s’ensuivront, disent-ils, si le mau­vais choix l’emporte. La simple pos­si­bi­li­té d’une vic­toire de Syri­za est cen­sée avoir pro­vo­qué des sueurs froides sur les mar­chés mon­diaux. La pro­so­po­pée idéo­lo­gique est à son point culmi­nant : les mar­chés parlent comme s’il s’agissait de per­sonnes, et ils expriment leur « inquié­tude » pour ce qui risque de se pas­ser si les élec­tions n’aboutissent pas à la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment dis­po­sant d’un man­dat qui lui per­met de pour­suivre l’application du pro­gramme d’austérité et de réforme struc­tu­relle concoc­té par l’Union Euro­péenne et le FMI. Les citoyens grecs, eux, n’ont guère le temps de s’inquiéter de telles pers­pec­tives : ils sont suf­fi­sam­ment de rai­sons d’inquiétude au sujet de leur vie quo­ti­dienne, qui sombre dans une misère incon­nue en Europe depuis des décennies.

De telles pro­phé­ties s’avèrent auto­réa­li­sa­trices, elles engendrent la panique et, de ce fait, entrainent les consé­quences dont elles étaient cen­sées nous écar­ter. Si Syri­za gagne, l’establishment euro­péen espé­re­ra que nous tire­rons la dure leçon de ce qui arrive quand on essaie de bri­ser le cercle vicieux de la com­pli­ci­té mutuelle entre la tech­no­cra­tie bruxel­loise et le popu­lisme anti-immi­gré. C’est pour­quoi, dans l’un de ses récents entre­tiens, Alexis Tsi­pras, le diri­geant de Syri­za, a insis­té sur le fait que, si Syri­za gagne, sa pre­mière prio­ri­té sera de com­battre la panique : « le peuple sur­mon­te­ra la peur. Il ne plie­ra pas, il ne cède­ra pas au chantage ».

Syri­za est face à une tâche qua­si­ment impos­sible. Sa voix n’est pas celle de la « folie » de la gauche extrême mais celle de la rai­son contre la folie de l’idéologie du mar­ché. Dans sa volon­té de l’emporter, Syri­za a ban­ni la peur de la gauche de prendre le pou­voir ; il a le cou­rage de vou­loir en finir avec le chaos cau­sé par autrui. Il lui fau­dra pour cela pra­ti­quer une com­bi­nai­son extra-ordi­naire de fidé­li­té aux prin­cipes et de prag­ma­tisme, d’engagement démo­cra­tique et de capa­ci­té à agir de façon rapide et déter­mi­née quand cela sera néces­saire. Pour avoir une chance mini­male de suc­cès, il aura besoin d’une mani­fes­ta­tion pan-euro­péenne de soli­da­ri­té : non seule­ment d’un com­por­te­ment digne de la part de tout autre pays euro­péen mais aus­si d’idées plus ori­gi­nales, comme celle de la pro­mo­tion d’un tou­risme de soli­da­ri­té cet été.

Dans ses Notes vers une défi­ni­tion de la culture, T. S. Eliot a remar­qué qu’il y a des moments où le seul choix pos­sible est celui entre l’hérésie et la non-croyance. En d’autres termes, la seule façon de main­te­nir une reli­gion vivante dans une telle situa­tion est d’accomplir une scis­sion sec­taire. Telle est la posi­tion de l’Europe actuel­le­ment. Seule une nou­velle « héré­sie » — que Syri­za repré­sente en ce moment – est en mesure de sau­ver ce qui mérite d’être sau­vé de l’héritage euro­péen : la démo­cra­tie, la confiance dans le peuple, la soli­da­ri­té éga­li­taire etc. L’Europe que nous aurons si Syri­za est tenu en échec sera une « Europe aux valeurs asia­tiques », qui n’ont, bien enten­du, rien à voir avec l’Asie mais tout à voir avec la ten­dance du capi­ta­lisme contem­po­rain à sus­pendre la démocratie.

C’est ici que réside le para­doxe qui est au cœur des « élec­tions libres » de nos socié­tés démo­cra­tiques : on est libre de choi­sir à condi­tion de faire le bon choix. C’est pour­quoi quand le mau­vais choix l’emporte (comme quand l’Irlande a reje­té la consti­tu­tion euro­péenne), il est trai­té comme une erreur, et l’establishment exige immé­dia­te­ment la réité­ra­tion du pro­ces­sus « démo­cra­tique » pour cor­ri­ger l’erreur. Quand Georges Papan­dréou, alors pre­mier ministre, a pro­po­sé un réfé­ren­dum sur le mémo­ran­dum pro­po­sé par l’UE en novembre der­nier, le réfé­ren­dum en tant que tel a été reje­té en tant que mau­vais choix.

Il y a deux récits prin­ci­paux à pro­pos de la crise grecque dans les médias : le récit alle­mand-euro­péen – les Grecs sont irres­pon­sables, pares­seux, dépen­siers, frau­deurs etc., ils ont besoin d’être contrô­lés et d’apprendre la dis­ci­pline finan­cière – et le récit grec : notre sou­ve­rai­ne­té natio­nale est mena­cée par la tech­no­cra­tie néo­li­bé­rale impo­sée par Bruxelles. Quand il est deve­nu impos­sible d’ignorer le sort du peuple grec, un troi­sième récit est appa­ru : les Grecs sont main­te­nant pré­sen­tés comme des vic­times néces­si­tant de l’aide huma­ni­taire, comme si une guerre ou une catas­trophe natu­relle avaient dévas­té le pays. Même si tous ces récits sont faux, le troi­sième est le plus dégoû­tant. Les Grecs ne sont pas des vic­times pas­sives : ils sont en guerre contre l’establishment éco­no­mique euro­péen, et ce dont ils ont besoin c’est de soli­da­ri­té dans leur lutte, car cette lutte est éga­le­ment la nôtre.

La Grèce n’est pas une excep­tion. C’est l’un des prin­ci­paux ter­rains où est mis à l’épreuve un nou­veau modèle socio-éco­no­mique dont le champ d’application est poten­tiel­le­ment illi­mi­té : une tech­no­cra­tie dépo­li­ti­sée dans laquelle des ban­quiers et autres experts sont auto­ri­sés à détruire la démo­cra­tie. En sau­vant la Grèce de ces soi-disant sau­veurs, nous sau­vons éga­le­ment l’Europe elle-même.

Le 25 mai 2012

Tra­duit par Sta­this Kouvélakis


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Syri­za ou le miracle grec

de Sta­this Kouvelakis

Ce miracle s’est-il d’abord pro­duit ? Certes, Syri­za a raté, à 2,5 points der­rière la Nou­velle Démo­cra­tie (droite), la pre­mière place et la majo­ri­té rela­tive. Un gou­ver­ne­ment pro-Mémo­ran­dum s’est for­mé, qui asso­cie la droite, les débris du PASOK et, dans l’indispensable rôle de l’alibi de « gauche », la dite « Gauche Démo­cra­tique », à savoir l’ancienne aile droite de Syri­za qui a quit­té le par­ti il y a deux ans. Cette vic­toire s’explique avant tout par un cli­mat d’hystérie et de peur entre­te­nu par les médias grecs et les forces sys­té­miques tel que le pays n’en avait pas connu depuis la période qui a sui­vie la guerre civile. Les diri­geants euro­péens, Hol­lande et Mer­kel en tête, n’ont pas hési­té à prê­ter main forte aux par­tis pro-mémo­ran­dum et à inter­ve­nir ouver­te­ment dans la cam­pagne élec­to­rale grecque, bran­dis­sant le spectre de l’expulsion de la Grèce l’eurozone en cas de vic­toire de la gauche radicale.

Face à cette for­mi­dable conjonc­tion de forces hos­tiles, internes et externes, Syri­za a tenu seul, cru­cia­le­ment dépour­vu d’alliés, même cri­tiques, sur sa gauche. Sa pro­po­si­tion d’un gou­ver­ne­ment uni­taire des forces de gauche anti-aus­té­ri­té s’est heur­tée au refus caté­go­rique du PC grec (KKE), qui a axé sa cam­pagne sur la dénon­cia­tion de Syri­za et des « illu­sions » créées par son « oppor­tu­nisme ». Il n’en a pas été autre­ment de la coa­li­tion d’extrême-gauche Antar­sya, qui n’a eu de cesse de dénon­cer le radi­ca­lisme sup­po­sé insuf­fi­sant des pro­po­si­tions de Syri­za et de mettre en avant la sor­tie de l’eurozone et de l’UE comme objec­tifs immé­diats d’une issue « anti­ca­pi­ta­liste » à la crise. Ces deux for­ma­tions ont certes été humi­liées dans les urnes, per­dant res­pec­ti­ve­ment la moi­tié et les deux-tiers de leur électorat1, mais le mal était fait. Et la leçon est claire : même si la force la plus uni­taire se voit mas­si­ve­ment récom­pen­sée, et le sec­ta­risme lour­de­ment sanc­tion­né, la divi­sion des forces popu­laires ne peut que conduire à mul­ti­plier les occa­sions ratées.

Le scru­tin du 17 juin a pro­lon­gé et radi­ca­li­sé les ten­dances appa­rues lors de celui du 6 mai. Il laisse appa­raître un pays cou­pé en deux, la pola­ri­sa­tion poli­tique recou­pant lar­ge­ment le cli­vage de classe. Syri­za vient lar­ge­ment en tête sans les quar­tiers popu­laires des grandes villes ain­si que, dans une moindre mesure, dans les villes de pro­vince aux tra­di­tions anti-droite. Dans les zones ouvrières, Syri­za approche les 40% des voix, et accen­tue sa per­cée de mai, tout en confor­tant sa pre­mière place dans toutes les classes d’âge de moins de 55 ans et toutes les caté­go­ries de la popu­la­tion active (chô­meurs inclus) à l’exception des agri­cul­teurs et des indé­pen­dants-patrons de l’industrie et du com­merce. La droite, si elle obtient au niveau natio­nal le deuxième score le plus faible de son his­toire (le record néga­tif étant celui de mai der­nier), remonte de façon spec­ta­cu­laire dans les quar­tiers de classes moyennes et aisées, ain­si que dans les aires conser­va­trices des pro­vinces. Sa cam­pagne de peur anti-Syri­za, agré­men­tée d’une forte dose de dis­cours raciste et sécu­ri­taire, lui a per­mis de regrou­per l’électorat conser­va­teur qui s’était dis­per­sé lors du scru­tin de mai dans de mul­tiples petits par­tis néo­li­bé­raux ou d’extrême-droite, à l’exception des néo-nazis d’Aube Dorée, qui ont retrou­vé à l’identique leur score du mois dernier.

Cette vic­toire de la droite et de ses alliés pro-mémo­ran­dum risque pour­tant de s’avérer une vic­toire à la Pyr­rhus. Avec 27% des suf­frages, et une dyna­mique conqué­rante, Syri­za consti­tue désor­mais une force d’opposition qui est en mesure de rendre la vie dif­fi­cile à l’actuel gou­ver­ne­ment. Un gou­ver­ne­ment qui n’a pas d’autre choix que de pour­suivre dans la voie du désastre et de mettre en œuvre de nou­velles mesures d’austérité et de déman­tè­le­ment de ce qui reste d’Etat – pas seule­ment social mais d’Etat tout court. Les tâches qui attendent la for­ma­tion cen­trale de la gauche radi­cale n’en sont pas moins redou­tables : sur­mon­ter le hia­tus consi­dé­rable entre sa réa­li­té orga­ni­sa­tion­nelle –limi­tée et lar­ge­ment tour­née vers la jeu­nesse et le sala­riat diplô­mé – et son audience élec­to­rale, construire des liens durables avec les sec­teurs ouvriers et popu­laires qui ont pla­cé en elle ses espoirs, enga­ger un pro­ces­sus sur­mon­tant l’actuelle divi­sion entre com­po­santes au sein de la coa­li­tion, struc­tu­rer une oppo­si­tion dyna­mique dans les mobi­li­sa­tions et les réseaux de soli­da­ri­té et d’entraide qui essaiment dans une socié­té qui lutte quo­ti­dien­ne­ment pour la sur­vie. Enfin, dépas­ser ses limites actuelles en construi­sant un rap­port poli­tique pro­duc­tif avec les autres forces de la gauche radi­cale, ouvrant ain­si la voie à une sor­tie par le haut à la grave crise interne dans laquelle leur sec­ta­risme les a entraînés.

Quoi qu’il arrive par la suite, on peut d’ores et déjà affir­mé que Syri­za a rem­por­té une vic­toire de por­tée his­to­rique. Sa per­cée a mon­tré qu’ en un sens « tout était pos­sible » pour la gauche radi­cale, plus exac­te­ment qu’il était pos­sible pour une force qui regrou­pait jusqu’à récem­ment autour de 5% de l’électorat de deve­nir l’expression majo­ri­taire des couches ouvrières et popu­laires et de pos­tu­ler au pou­voir gou­ver­ne­men­tal. C’est en cela que consiste le vrai « miracle » de Syri­za, dans la démons­tra­tion que l’horizon de la radi­ca­li­té de gauche n’est pas celui de l’éternelle « résis­tance », du « contre-pou­voir » ou de la pré­pa­ra­tion d’un mythique « grand soir » mais celui d’une voie concrète vers la conquête du pou­voir et le chan­ge­ment social. Les expé­riences lati­no-amé­ri­caines, de l’Unité Popu­laire chi­lienne au MAS boli­vien, rat­trapent le Vieux Conti­nent, pla­çant la gauche de trans­for­ma­tion dans une nou­velle étape de son his­toire, celle où, pour les classes subal­ternes, la vic­toire est à nou­veau à l’ordre du jour. Pour elles, le XXIe siècle vient peut-être seule­ment, enfin, de commencer.


“Syri­za est un mou­ve­ment emblématique” 

entre­tien avec David Harvey

David Har­vey s’est trou­vé en Grèce du 20 au 27 juin dans le cadre de la semaine qui lui était consa­crée par les dépar­te­ments de géo­gra­phie et d’urbanisme de l’université Haro­ko­peion du Pirée. Il a accor­dé cet entre­tien, publié le 24 juin 2012, au quo­ti­dien grec de Syri­za Avghi.

Aux élec­tions du 17 juin, Syri­za est arri­vé en deuxième posi­tion à l’échelle natio­nale mais il était en tête dans le grand Athènes, le prin­ci­pal centre urbain, où vit un peu moins de la moi­tié des habi­tants du pays. Com­ment expli­quez-vous ce résul­tat compte tenu du fait que la droite était lar­ge­ment en tête dans les quar­tiers aisés, tan­dis que les par­tis cen­tristes, tout comme les couches inter­mé­diaires, se sont affais­sés ? Faut-il recou­rir davan­tage à la géo­gra­phie marxiste ?

Oui, il nous faut cer­tai­ne­ment davan­tage de géo­gra­phie mar­xiste. Je n’ai pas une vision d’ensemble des don­nées démo­gra­phiques mais, compte tenu de la dyna­mique de la situa­tion, le plus pro­bable est que les centres urbains soient davan­tage tou­chés par la crise que la pro­vince, où sans doute une forme d’autosuffisance ali­men­taire semble possible.

Dans la péri­phé­rie de la Grèce le chô­mage est cepen­dant très élevé.

Oui, mais les struc­tures sociales de ces régions, où les gens tra­vaillent sou­vent à leur compte, où le coût de la vie est moindre, font que la popu­la­tion est moins dépen­dante des ser­vices sociaux qui ferment actuel­le­ment. Peut-être même que ces élec­teurs ont craint, comme on me l’a rap­por­té, que Syri­za ne leur confisque leur mai­son… Je n’ai pas les don­nées en main pour faire une esti­ma­tion de la situa­tion, je rai­sonne donc sur la base de ce qui s’est pas­sé en Argen­tine au début des années 2000, où le chô­mage énorme affec­tait essen­tiel­le­ment les grandes villes. La pro­vince était moins tou­chée. Les consé­quences de la crise ont d’une façon géné­rale sur­tout affec­té les habi­tants des zones urbaines. Quand on regarde la carte des résul­tats élec­to­raux en Grèce, on remarque que Syri­za a obte­nu ses meilleurs résul­tats dans les grandes villes, à Thes­sa­lo­nique , au Pirée, dans les quar­tiers ouvriers d’Athènes. Cette inégale répar­ti­tion spa­tiale des effets de la crise n’a rien d’inhabituel, mais il nous faut davan­tage de don­nées pour don­ner des réponses plus précises.

La gauche radi­cale consi­dère que la crise est sys­té­mique. Est-ce éga­le­ment votre avis ? Y a‑t-il, et si oui dans quelle mesure, des spé­ci­fi­ci­tés de la crise grecque ? Pour les néo­li­bé­raux tout est dû à la taille et à la struc­ture du sec­teur public.

Il y a cer­tai­ne­ment des carac­té­ris­tiques qui sont propres à la Grèce, telles que le sys­tème fis­cal, le niveau des inéga­li­tés et la dis­si­mu­la­tion de la dette pra­ti­quée pen­dant plu­sieurs années. Tous ces fac­teurs ont aggra­vé la crise mais en aucun cas je ne dirai qu’ils l’ont pro­vo­quée. La crise est bien sys­té­mique, il n’y a aucun doute là des­sus. Une mul­ti­pli­ci­té de rai­sons, toutes liées au fonc­tion­ne­ment du sys­tème capi­ta­liste, explique pour­quoi le choc a été si violent et aus­si pour­quoi il s’est mani­fes­té de façon si inégale selon les pays.

Cer­taines régions du monde n’ont pas été sérieu­se­ment affec­tées par la crise. Ce cycle, car il s’agit d’un cycle par­mi d’autres de la crise, n’a pas tou­ché l’Amérique latine de la même façon que l’Europe. Eux ont été frap­pés par la crise des années 2001 – 2002 et ce qui s’est pas­sé c’est que, une fois la crise pas­sée, ils ont pris conscience du pro­blème. L’Argentine par exemple a réglé la ques­tion de sa dette, qui atteint actuel­le­ment à peine 7% de son PIB, alors que la dette alle­mande atteint 80%… A l’époque, plu­sieurs pays qui ne dis­po­saient pas de réserves de devises ont été davan­tage tou­chés, par exemple dans le sud-est asiatique.

A un niveau plus géné­ral, ce qui a débu­té comme crise de l’immobilier, liée aux sub­primes, est deve­nu crise ban­caire. Comme il a fal­lu sau­ver les banques, la crise est deve­nue une crise de la dette publique et les pays qui ne dis­po­saient pas d’excédents, et qui étaient par ailleurs confron­tés à d’autres pro­blèmes, se sont retrou­vés d’emblée dans une pos­ture dif­fi­cile. Mais, une fois de plus, chaque cas est particulier.

Celui de l’Espagne par exemple découle d’une crise de l’immobilier et non d’une crise de finan­ce­ment de la dette publique comme en Grèce. Rele­vons tou­te­fois qu’en Grèce, les dépenses publiques étaient éga­le­ment liées à l’immobilier, aux tra­vaux publics et à la spé­cu­la­tion fon­cière. La dette a gon­flé de façon signi­fi­ca­tive lors de la pré­pa­ra­tion des Jeux Olym­piques de 2004. Il y a une longue his­toire désor­mais de villes, et par­fois même de pays, qui se retrouvent rui­nés suite à l’organisation de JO. Nous pou­vons donc en conclure que la crise est sys­té­mique, mais que d’autres fac­teurs entrent en ligne de compte, qui façonnent et accen­tuent la forme que prend la crise sans en être la cause.

Le thème de l’une des confé­rences que vous avez don­née à Athènes est celui des « villes en tant que lieux de résis­tance et d’espoir ». L’un des prin­ci­paux mots d’ordre de la droite grecque lors des der­nières élec­tions était de « recon­qué­rir nos villes », d’en chas­ser les immi­grés, les mani­fes­tants, etc. A qui appar­tiennent les villes en fin de compte ?

Le droit de cha­cun, indi­vi­du ou groupe, à la ville est un enjeu du rap­port de forces. Divers groupes réclament leur droit : des spé­cu­la­teurs immo­bi­liers, des tra­ders de la bourse, des entre­pre­neurs… Et, bien enten­du, lorsqu’il s’agit de sécu­ri­té, diverses ten­ta­tives popu­listes essaient de tirer pro­fit de la situa­tion, en pro­met­tant le réta­blis­se­ment de l’ordre et la « recon­quête des villes ». Il y a diverses ver­sions de ces ten­ta­tives. Il y a les ver­sions de droite mais il y a aus­si celle des mou­ve­ments sociaux à l’échelle mon­diale, par exemple le mou­ve­ment fémi­niste ou celui qui réclame le droit de cir­cu­ler la nuit (reclai­ming the night). Eux aus­si mettent en avant la sécu­ri­té, mais d’une autre façon. Ce droit est donc tou­jours un enjeu de négo­cia­tions, de rap­ports de force.

La ques­tion est le droit de qui on décide de sou­te­nir. En ce qui me concerne, je suis en faveur du droit de la popu­la­tion à faible reve­nu qui fait mar­cher la ville. Cette popu­la­tion a le droit de déci­der à quoi doit res­sem­bler la ville qu’elle fait fonc­tion­ner et qu’elle rend vivable au prix de durs efforts.

L’éboueur, le com­mer­çant, le ser­veur qui va livrer au riche sa tasse de café, la femme qui garde les enfants de la bour­geoi­sie, tous ces groupes n’ont aucun droit de par­ti­ci­per aux déci­sions et pour­tant ils subissent tous les incon­vé­nients liés à la vie dans une ville dotée de moyens de trans­ports et de pos­si­bi­li­tés de loge­ment insuf­fi­sants. Je désire for­te­ment voir appa­raître un mou­ve­ment qui reven­dique la ville et qui repré­sen­te­ra ceux qui sont mar­gi­na­li­sés face à ceux qui dis­posent de tout le pou­voir éco­no­mique, mais non le droit, de décider.

Pen­sez-vous que l’Europe pour­ra un jour se déga­ger de l’emprise des poli­tiques néo­li­bé­rales ? Les peuples euro­péens sont ils prêts à exi­ger un autre sys­tème, qui s’écartera de la voie des pri­va­ti­sa­tions, de la finan­cia­ri­sa­tion et de la ges­tion de la crise que met actuel­le­ment en œuvre l’establishment euro­péen ? La zone euro et l’Union Euro­péenne sont-elles viables ?

Voi­là de nom­breuses et impor­tantes ques­tions ! En ce qui concerne le néo­li­bé­ra­lisme, la réponse dépend de la manière dont il est défi­ni. Pour moi le néo­li­bé­ra­lisme est un pro­jet de classe visant à concen­trer la richesse entre les mains d’une couche très mince grâce à la finan­cia­ri­sa­tion et aux autres moyens que vous avez men­tion­nés. Telle est en gros la défi­ni­tion du néo­li­bé­ra­lisme depuis la fin des années 1970 et il consti­tue une constante des pro­grammes d’ajustement struc­tu­rel mis en œuvre par le Fond Moné­taire Inter­na­tio­nal, qui visent tou­jours à sau­ver les ins­ti­tu­tions finan­cières au détri­ment des populations.

Dans le monde de Keynes, on par­lait de redis­tri­bu­tion en faveur des pauvres et non en faveur des riches, comme c’est le cas depuis 30 ans. Et ce pro­ces­sus n’est nul­le­ment affec­té par la crise. Durant ces cinq der­nières années de crise mon­diale les riches n’ont ces­sé de s’enrichir. Ce qui s’est pas­sé en 1982 au Mexique avec le pro­gramme d’ajustement struc­tu­rel se pro­duit actuel­le­ment en Grèce. Vous rétri­buez les déten­teurs de titres de la dette, qui eux n’ont rien à payer, tan­dis que la charge incombe à la population.

Ce n’est donc pas la fin du néo­li­bé­ra­lisme mais sa pour­suite avec des moyens bar­bares. Tant qu’il n’y aura pas de prise de conscience de la néces­si­té de ren­ver­ser ce modèle, je ne pense pas que sa dyna­mique sera alté­rée. Cette prise de conscience com­mence seule­ment à se faire à une échelle plus large. Au Chi­li, le mou­ve­ment étu­diant a com­pris que si Pino­chet est par­ti, le « pino­che­tisme » est tou­jours en place et c’est à cela qu’il faut s’attaquer. Les Bri­tan­niques se sont débar­ras­sés de That­cher mais pas du thatchérisme.

Je pense que Syri­za est en Grèce une force poli­tique qui com­prend qu’il ne s’agit pas de se débar­ras­ser des tra­vers les plus gênants du modèle néo­li­bé­ral mais du modèle lui-même. C’est la rai­son pour laquelle Syri­za est un mou­ve­ment emblé­ma­tique pour toute l’Europe. Nous avons vu en effet de nom­breuses mani­fes­ta­tions dans les rues d’Europe, les Indi­gnés en Espagne, le mou­ve­ment des places en Grèce, mais c’est la pre­mière fois que nous voyons émer­ger de cela une force poli­tique qui est mesure d’offrir une direc­tion. Il faut étendre cela par­tout en Europe.

Quelque chose de cet ordre s’est pro­duit, dans une cer­taine mesure, au Chi­li avec le mou­ve­ment étu­diant, un son­dage récent a indi­qué que 70% de la popu­la­tion sou­tient la mobi­li­sa­tion. Dans la mesure où un par­ti s’approche du pou­voir et gagne en expé­rience poli­tique, il est en mesure de for­mu­ler un dis­cours alter­na­tif au modèle néo­li­bé­ral. Ce qui me semble si encou­ra­geant dans la per­cée de Syri­za c’est que c’est la pre­mière fois que quelque chose de ce genre se pro­duit en Europe.

Nous avons vu des par­tis socia­listes ou sociaux-démo­crates tra­di­tion­nels, comme le PS en France, bou­ger mol­le­ment, nous voyons les tra­vaillistes bri­tan­niques évo­luer très timi­de­ment dans le sens d’une prise de dis­tance avec le modèle domi­nant. Tout cela est posi­tif mais per­sonne de ce côté là ne s’est jusqu’à pré­sent oppo­sé avec déter­mi­na­tion au néolibéralisme.

(Tra­duc­tion de Sta­this Kouvélakis)