Henrique Capriles, candidat de la droite décomplexée au Venezuela

De par ses origines politiques, Henrique Capriles semble aussi éloigné du centre-gauche que Marine Le Pen l’est du Front de gauche.

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“Jeune”, “doté d´une solide expé­rience poli­tique”, ”de centre-gauche”… Les qua­li­fi­ca­tifs sur ce registre abondent dans la presse fran­çaise pour décrire Hen­rique Capriles Radons­ki, le can­di­dat de l’opposition à l’élection pré­si­den­tielle du 7 octobre pro­chain au Vene­zue­la. Cette des­crip­tion res­semble for­te­ment à celle faite de Manuel Rosales, can­di­dat mal­heu­reux de la droite à l´élection pré­si­den­tielle de 2006 rem­por­tée haut la main par Hugo Cha­vez. Elle vise à don­ner une image édul­co­rée et ras­su­rante du can­di­dat hors des fron­tières du Venezuela.

Il faut savoir que Hen­rique Capriles Radons­ki est avant tout un “héri­tier”, fils de deux des plus puis­santes familles du pays. Sa famille pater­nelle dirige un empire média­tique, indus­triel et immo­bi­lier, tan­dis que sa famille mater­nelle est à la tête du prin­ci­pal groupe d’exploitation ciné­ma­to­gra­phique du pays.

Hen­rique Capriles com­mence sa car­rière poli­tique au sein de COPEI, par­ti tra­di­tion­nel de la droite véné­zué­lienne dans sa ver­sion démo­crate-chré­tienne, grâce auquel il est élu dépu­té en 1999. Il devient le plus jeune pré­sident du Congrès (ancienne Assem­blée natio­nale) de l´histoire du pays. En 2000, avec Julio Borges et Leo­pol­do Lopez, il fonde le par­ti poli­tique Pri­me­ro Jus­ti­cia grâce aux sub­ven­tions de l’entreprise pétro­lière natio­nale, PDVSA, dont la mère de Leo­pol­do Lopez était à l’époque direc­trice des res­sources humaines.

L´International Repu­bli­can Ins­ti­tute (IRI), branche inter­na­tio­nale du Par­ti répu­bli­cain des Etats-Unis, a lar­ge­ment contri­bué au finan­ce­ment et à la stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion de cette nou­velle for­ma­tion de la droite véné­zué­lienne. C’est ain­si que, en décembre 2001, l’ancien atta­ché de presse du Par­ti répu­bli­cain, Mike Col­lins, était dépê­ché à Cara­cas afin de mettre au point les orien­ta­tions stra­té­giques de Pri­me­ro Jus­ti­cia [[Eva Golin­ger, et Romain Migus, La Tela­raña impe­rial, éd. Monte Avi­la, Cara­cas, 2008.]].

De par ses ori­gines poli­tiques, Hen­rique Capriles semble aus­si éloi­gné du centre-gauche que Marine Le Pen l’est du Front de gauche. Nul n’ignore, au Vene­zue­la, qu´il a tou­jours été lié à la démo­cra­tie chré­tienne et à la droite amé­ri­caine. Mais, par les soins des entre­prises mon­diales de com­mu­ni­ca­tion, le voi­là méta­mor­pho­sé en lea­der social-démo­crate ! Un de ses slo­gans de cam­pagne, “Ni de droite ni de gauche, nous sommes tous Véné­zué­liens”, fleure bon le popu­lisme. Et pour­tant, lorsqu´il s´agit de choi­sir son camp, ce n´est pas vrai­ment celui du peuple vers lequel penche le can­di­dat. Quelques élé­ments de sa bio­gra­phie en portent témoignage.

Ain­si, lors du coup d’Etat d´avril 2002 contre le Pré­sident Cha­vez, Hen­rique Capriles, alors maire de Baru­ta arron­dis­se­ment hup­pé de Cara­cas, par­ti­cipe acti­ve­ment à la répres­sion contre le camp cha­viste : il envoie la police muni­ci­pale arrê­ter le ministre de l’intérieur de l’époque, Ramon Rodri­guez Cha­cin, qui échap­pe­ra de peu au lyn­chage par une foule d’opposants [[Voir la video http://www.youtube.com/watch?v=KdMM793V-Hk]].

Capriles ne s´arrête pas là. En com­pa­gnie d’exilés cubains d’extrême-droite, Sal­va­dor Roma­ni et Robert Alon­so [[Le 9 mai 2004, une cen­taine de para­mi­li­taires colom­biens furent arrê­tés dans une pro­prié­té de Robert Alon­so à Cara­cas. Leur mis­sion était de tuer Cha­vez, ain­si que des hauts fonc­tion­naires de l´Etat véné­zué­lien. Alon­so vit aujourd´hui à Mia­mi d´où il orga­nise l´opposition la plus radi­cale au gou­ver­ne­ment boli­va­rien.]], et du Véné­zué­lien Hen­ry Lopez Sis­co (ancien bras droit du ter­ro­riste Posa­da Car­riles), il par­ti­cipe au siège de l’ambassade de Cuba à Cara­cas. Au mépris des règles élé­men­taires du droit inter­na­tio­nal, il menace les diplo­mates et leur fait cou­per l’électricité et l’eau. Lors de l´enquête sur le coup d´Etat du 11 avril 2002, le pro­cu­reur Dani­lo Ander­son décide de pour­suivre Capriles qui pas­se­ra plu­sieurs semaines en déten­tion pré­ven­tive. Après l’assassinat du pro­cu­reur, il béné­fi­cie d’un acquit­te­ment en décembre 2006.

Après avoir pas­sé huit ans à la tête de la mai­rie de Baru­ta, Capriles se pré­sente aux élec­tions régio­nales dans le riche Etat du Miran­da, où la popu­la­tion se plai­gnait de l´immobilisme du gou­ver­neur cha­viste Dios­da­do Cabel­lo. Le 23 novembre 2008, il est élu gou­ver­neur. A peine trente-six heures plus tard, des mili­tants de son par­ti, Pri­me­ro Jus­ti­cia, s’en prennent avec vio­lence aux locaux des Mis­sions sociales, aux méde­cins cubains de la Mis­sion Bar­rio Aden­tro et au siège d’une uni­ver­si­té créée par le gou­ver­ne­ment. Leur but : inter­dire, dans les ins­tal­la­tions de la région qu’ils contrôlent, l’accès aux ini­tia­tives et aux pro­grammes sociaux impul­sés par le pou­voir boli­va­rien [[http://www.aporrea.org/oposicion/n124634.html]].

Qu’en est il du bilan poli­tique de Capriles ? L’Etat du Miran­da, qu´il dirige depuis quatre ans, est l’un des plus dan­ge­reux du pays, le taux d’homicides y ayant pro­gres­sé de 16% entre jan­vier 2011 et jan­vier 2012 [[http://www.radiomundial.com.ve/]]. Pour le pre­mier mois de cette année, on y a déplo­ré 231 assas­si­nats. Pour autant, le gou­ver­neur Capriles ne voit pas de contra­dic­tion à faire de l’insécurité le thème phare de sa cam­pagne contre Cha­vez alors qu’il n´a jamais deman­dé le moindre finan­ce­ment au gou­ver­ne­ment en vue d´améliorer les res­sources de sa police régio­nale [[http://www.lapatilla.com]]. Il a tou­jours refu­sé l´implantation de la nou­velle Police natio­nale boli­va­rienne [7] sur son ter­ri­toire, pré­fé­rant gar­der le contrôle de la police locale au détri­ment de l´harmonisation natio­nale des poli­tiques de sécurité.

Capriles et Pri­me­ro Jus­ti­cia ont lar­ge­ment contri­bué à l’élaboration du pro­gramme com­mun de la Table de l’unité démo­cra­tique — Mesa de Uni­dad Demo­cra­ti­ca (MUD) — qui regroupe tous les par­tis d’opposition. Le 12 jan­vier 2012, à l’exception de l’un d’entre eux, Die­go Arria, tous les can­di­dats à la pri­maire de l´opposition s´engageaient à appli­quer ce pro­gramme. On peut donc y trou­ver les pro­po­si­tions du can­di­dat Capriles à l’élection pré­si­den­tielle [Mau­rice Lemoine, « [Au Vene­zue­la, la Police natio­nale boli­va­rienne relève le défi », Le Monde diplo­ma­tique, août 2010.]].

En matière de poli­tique pétro­lière, ce pro­gramme est d´une grande clar­té : pri­va­ti­ser les entre­prises connexes de PDVSA ; remettre en cause les contrats pas­sés avec cer­taines entre­prises ou gou­ver­ne­ments ; sus­pendre les trans­ferts finan­ciers de PDVSA au Fonds de déve­lop­pe­ment natio­nal (qui sert notam­ment au finan­ce­ment de tra­vaux d’infrastructures ou des Mis­sions sociales) ; faire de PDVSA une entre­prise auto­nome à des fins stric­te­ment com­mer­ciales ; aug­men­ter la par­ti­ci­pa­tion des entre­prises pri­vées dans l´exploitation des hydro­car­bures, sans qu’il s’agisse for­cé­ment de joint ven­tures avec l´Etat ; réfor­mer la loi sur les hydro­car­bures de 2001 (dont une des consé­quences a été le coup d´Etat d´avril 2002) pour pro­mou­voir la par­ti­ci­pa­tion de l´industrie privée.

Le pro­gramme éco­no­mique de Capriles affiche la même logique : ouvrir l’économie à l´initiative pri­vée. Comme si le sec­teur pri­vé ne repré­sen­tait pas déjà 70,9% du pro­duit inté­rieur brut (PIB) [Pro­gramme dis­po­nible en espa­gnol]] … Il pro­pose aus­si d´attirer les capi­taux étran­gers. Or ceux-ci ne manquent pas, mais ils sont diver­si­fiés ( chi­nois, ira­niens, ou en pro­ve­nance de cer­tains pays d´Europe de l’Ouest), ce qui n’empêche pas la Chambre de com­merce des Etats-Unis à Cara­cas de faire état des excel­lents résul­tats de ses membres [[Voir [gra­phique]]…Image_3-125.png

La poli­tique de retour à l’orthodoxie néo­li­bé­rale qui pré­va­lait avant l´arrivée d’Hugo Cha­vez au pou­voir ne serait pas com­plète sans une poli­tique moné­taire adap­tée. Hen­rique Capriles pré­voit l’indépendance totale de la Banque cen­trale. Cette indé­pen­dance existe déjà for­mel­le­ment dans ses sta­tuts, mais, dans les faits, la Banque s’est pliée au déci­sions de l´exécutif pour contri­buer au déve­lop­pe­ment du Vene­zue­la. Capriles pré­voit aus­si de rompre avec le contrôle des changes, sys­tème sans aucun doute cri­ti­quable, mais qui a tout de même empê­ché une fuite inces­sante des capitaux.

Si l´on gratte un peu le ver­nis média­tique, Hen­rique Capriles Radons­ki appa­rait bien comme le pro­mo­teur du retour à un ordre poli­tique, éco­no­mique et social pro­fon­dé­ment inéga­li­taire qui a plon­gé le Vene­zue­la dans le gouffre dans les années 1980 et 1990. Il est encore moins cré­dible que Nico­las Sar­ko­zy pour se pré­sen­ter comme le can­di­dat du peuple…

Romain Migus

Source de l’ar­ticle :mede­lu