Yacine Canamas, un artiste et un ami s’en est allé…
Gribouiller des traits au crayon qui prennent forme et sens n’est pas donné à tous… Chez toi, Yacine, c’est une vocation qui s’est révélée depuis l’enfance et s’est transformée en défi : vivre de son art. Tous savons combien il est difficile aujourd’hui d’être un artiste et d’en vivre, en Belgique. Tu as donné ta vie à ton métier, avec passion. Comment cela pouvait-il être autrement ?
Yacine Canamas… Pour toi, dessiner ne signifie pas de rester confiné dans la solitude, au contraire, tu as mis ton art au service des causes que tu défendais. C’est ainsi que ton crayon à croisé nos caméras. Dans cette rencontre fertile, des films sont nés et c’est ainsi que nous sommes devenus amis. Aujourd’hui, c’est avec beaucoup de peine que nous avons appris ton décès. Nous sommes meurtris de ne pas pouvoir serrer entre nos bras tes proches, ta femme Judith, tes enfants Hannah, Simon et Solal, tes compagnons de route, pour leur dire combien tu étais précieux pour nous. Le cancer contre lequel tu te battais depuis plus d’un an fût ton dernier combat. Il ne nous reste plus que ton souvenir, tes traces, tes dessins…
Tes dessins apparaissent dans la presse, sous la signature de Yakana en France (Le Ravi, MarsActu, Silence, Les Amis de la terre) et en Belgique (l’Agenda interculturel, le site Culture de la RTBF où tu croques l’actualité culturelle, les arts, et les artistes) dans des émissions en direct, des débats, dans des festivals et puis et surtout aux côtés des mouvements sociaux auxquels tu t’es dédié sans relâche.
Yakana : Le dessin de presse est un art futile, fragile, compliqué, éphémère, périssable. A la charnière de l’idée et de l’image, du sens et de l’humour, jamais tout l’un ni tout l’autre…
A l’époque, en 2015, ZIN TV préparait depuis Bruxelles un groupe d’une dizaine de volontaires pour partir filmer à Paris les manifestations contre la tenue de la 21e Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la fameuse COP 21, qui se tenait au Bourget à partir du 30 novembre 2015.
Yakana — décembre 2015
Le Premier ministre français, Manuel Valls, venait de confirmer la prolongation de l’état d’urgence de deux mois. Un régime d’exception adopté en réponse aux attentats du 13 novembre dont le principe était de restreindre les libertés des citoyens, offrant au monde le visage inquiétant d’un pays triste et muselé, aux rues vides et à la contestation étouffée. Dans le but affiché de lutter contre le terrorisme et de garantir la sécurité aux citoyens, les mesures liberticides ont assigné à résidence des militants environnementaux et sociaux impliqués dans la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et dans l’organisation des manifestations prévues à l’occasion de la conférence internationale. Des policiers en civil étaient postés en permanence devant leur porte, et ils devaient pointer trois fois par jour au commissariat. Les opposants politiques étaient sous résidence surveillée, comme l’aurait fait n’importe quel régime autoritaire et comme cela ne s’était plus vu dans ce pays depuis longtemps. Ces pratiques se sont depuis banalisées.
Les obstacles mis en place par la France et que la Belgique ne tarderait pas à imiter, ne nous ont pas découragés, et nous cherchions à intégrer dans notre équipe des éléments qui puissent apporter un décalage dans les vidéos que nous pensions réaliser. Ce sont nos camarades de La Via Campesina qui nous ont parlé de toi… Ça allait être la pagaille et on imaginait déjà ce que seraient nos films, on réfléchissait comment y incorporer tes dessins, comment s’articuler ensemble pour faire vivre les actions, les luttes et les plaidoyers de la Via Campesina.
Yakana — décembre 2015
Pour la première fois aussi, nous avons pu nous coordonner avec d’autres médias amis, afin de couvrir les évènements qui nous intéressaient et nous partager le travail. Radio Panik et le journal Kairos se sont joints à la boucle… Mais il nous restait un élément logistique important : où loger une dizaine de militants belges à Paris pendant 10 jours ? Dépassant ton rôle de dessinateur et sans hésiter, tu nous a proposé l’appartement de ta belle-mère, Pascale Hassoun que tu adorais comme elle aussi t’adorait… Occuper cet espace pour des raisons militantes était un hommage que tu souhaitais rendre à ton beau père, Jacques Hassoun, psychanalyste et écrivain, un homme remarquable et engagé, parti trop vite, lui aussi… Un magnifique appartement, vaste et confortable, stratégiquement situé, transformé en nid d’abeilles, des matelas, des caméras et des ordinateurs partout, un ambiance folle, des discussions où se mêlent politique et propositions artistiques auxquelles tu t’associais volontiers, en toute humilité… Sur une table, dans un recoin, tu dessinais, et tes créations ont accompagné les 13 vidéos que nous avons réalisées. Cet épisode parisien restera un des meilleurs souvenirs du parcours de ZIN TV et a scellé définitivement notre amitié.
Yakana — décembre 2015
Nous n’allions pas en rester là camarade, un autre défi nous attendait. Fin 2016, avec le CADTM, nous préparions 4 vidéos qui devaient expliquer la dette grecque et les mesures d’austérité imposées par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international à la Grèce. Pas très sexy comme sujet, l’économie au cinéma relève du vrai défi. Comme d’habitude, on discutait beaucoup et on filmait peu, on doutait, on cherchait… et puis, d’un trait limpide, tes dessins sont venus apporter un univers ironique, une ligne claire exposant un monde malmené par l’obsession du profit… En quelque sorte tu venais d’inaugurer nos premières expériences dans le cinéma d’animation chez ZIN TV.
D’autres défis nous attendaient, d’autres films, d’autres aventures… Mais cette vie que tu as tant aimée, pour laquelle tu t’es tant battu, cette même vie est ingrate et si injuste sans toi… Ton souvenir éclaire désormais notre chemin à parcourir et nourrira nos futurs combats. C’est peut-être pour cette même raison qu’Ali Primera, un chanteur populaire au Venezuela paraphrasait dans une de ses chansons ceci : « Ceux qui meurent pour la vie ne peuvent pas s’appeler des morts ».
Merci Yacine, pour tout ce que tu as accompli et tout ce qu’on a partagé. Tu nous auras fait beaucoup rire, sourire et tu seras toujours vivant dans nos mémoires. Adieu camarade ! Jusqu’à la victoire finale !