Julian Assange : La vérité est morte, il ne reste que le rouge, le blanc, le bleu

Julian Assange écrit sur ce qu’il considère être un échec de l’Australie à faire respecter la vérité et la justice, dans le dessein de plaire aux Etats-Unis.

Julian Assange : La véri­té est morte, il ne reste que le rouge, le blanc, le bleu

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Cela fait main­te­nant plus de dix ans que les gou­ver­ne­ments, dans le monde entier, font tout ce qu’ils peuvent pour réduire les contrôles sur la façon dont ils exercent le pou­voir. Des pays comme la Chine et l’Iran sont cri­ti­qués à juste titre pour leurs ten­ta­tives de répri­mer les voix dis­si­dentes sur inter­net. Mais les Etats-Unis, cen­sés repré­sen­ter la terre de la liber­té, ont un pas­sé simi­laire assez mauvais.

Le Pré­sident Oba­ma a livré une guerre depuis le Bureau Ovale contre les dénon­cia­teurs, l’exemple le plus frap­pant étant le mau­vais trai­te­ment infli­gé à Brad­ley Man­ning. La cam­pagne élec­to­rale Obama/Biden se vante de pour­suivre en jus­tice deux fois plus de révé­la­tions sur la « sécu­ri­té natio­nale » que toutes les autres admi­nis­tra­tions additionnées.

Il y a eu éga­le­ment des attaques sou­te­nues contre mon orga­ni­sa­tion, Wiki­Leaks, au moyen d’un blo­cus finan­cier des dona­tions, impo­sé de force avec le sou­tien du gou­ver­ne­ment des Etats-Unis.

Le plus déran­geant est que Wiki­Leaks a été mis en garde par le Penta­gone de ne pas sol­li­ci­ter de membres du per­son­nel mili­taire pour qu’ils révèlent des infor­ma­tions clas­sées. Le per­son­nel mili­taire qui a pris contact avec Wiki­Leaks ou nos sup­por­ters pour­rait être accu­sé de « com­mu­ni­ca­tion avec l’ennemi », un crime pas­sible de la peine de mort. Le Penta­gone a éga­le­ment décla­ré ce mois-ci qu’il consi­dère la pour­suite de la publi­ca­tion par Wiki­Leaks d’informations clas­sées appar­te­nant au gou­ver­ne­ment des Etats-Unis comme une vio­la­tion conti­nue de la loi.

Cela éta­blit un pré­cé­dent : le contact avec tout organe de presse par des dénon­cia­teurs mili­taires pour­rait rapi­de­ment être trai­té avec une hos­ti­li­té similaire.

Mais ces attaques ne sont pas juste diri­gées contre les dénon­cia­teurs et ceux qui publient leurs infor­ma­tions afin que le public en prenne connais­sance. Les gou­ver­ne­ments, bri­tan­nique, éta­su­nien et aus­tra­lien, cherchent à étendre leurs pou­voirs de sur­veillance déjà extrêmes afin de col­lec­ter des ren­sei­gne­ments sur leurs citoyens.

En ver­tu des modi­fi­ca­tions pro­po­sées des lois sur la sécu­ri­té natio­nale, le gou­ver­ne­ment aus­tra­lien obli­ge­ra les four­nis­seurs de ser­vices inter­net à conser­ver les don­nées inter­net et télé­pho­niques de tous les Aus­tra­liens pen­dant deux ans. Cer­taines agences exigent même des pou­voirs encore plus extrêmes pour conser­ver indé­fi­ni­ment des don­nées com­plètes sur les acti­vi­tés des citoyens. Un tel extré­misme devien­dra effec­ti­ve­ment la réa­li­té : les lois pro­po­sées demandent la créa­tion d’une infra­struc­ture natio­nale qui soit capable d’intercepter toutes les communications.

Chaque cour­riel, chaque mes­sage sur Face­book, chaque tweet, chaque recherche sur Google pas­se­ront par cette base de don­nées et seront sto­ckés en par­tie afin de pou­voir être uti­li­sés à n’importe quel moment contre vous.

Une infra­struc­ture d’interception géné­ra­li­sée au niveau d’une nation est un désastre sécu­ri­taire qui n’attend que de se pro­duire. Bien sûr, les modi­fi­ca­tions de la loi, pro­mises lors de la der­nière élec­tion, pour pro­té­ger les dénon­cia­teurs sont sor­ties de l’agenda législatif.

Ce sont des exten­sions impor­tantes du pou­voir du gou­ver­ne­ment qui n’ont aucune jus­ti­fi­ca­tion et qui ne seront assor­ties d’aucun contrôle et d’aucun garde-fou pour garan­tir que les droits des per­sonnes ordi­naires sont res­pec­tés. Il n’y a aucun moyen de savoir com­ment ce gou­ver­ne­ment ou ceux qui lui suc­cè­de­ront uti­li­se­ront un tel pou­voir. Les Aus­tra­liens ont le droit de savoir ce qui est fait en leur nom.

La tech­no­lo­gie nous offre des occa­sions incroyables de par­ta­ger l’information, de pro­pa­ger les idées et de col­la­bo­rer au-delà des divi­sions géo­gra­phiques. Elle a le poten­tiel de faire appa­raître au grand jour les méfaits, de cor­ri­ger l’injustice et de don­ner du pou­voir à ceux qui n’ont pas la parole. La liber­té d’utiliser de telles plates-formes doit être bien défen­due, de peur qu’elles ne deviennent sim­ple­ment un lieu où le gou­ver­ne­ment pour­ra espion­ner sa population.

Après tout, le pou­voir de gou­ver­ner, don­né aux gou­ver­ne­ments, dérive du man­dat que leur a accor­dé le peuple. La tech­no­lo­gie devrait ser­vir à don­ner du pou­voir aux citoyens et à expri­mer ce qui se trouve au cœur de nos vies poli­tiques, publiques et pri­vées. Cette pers­pec­tive rend les puis­sances très inconfortables.

Lorsqu’une orga­ni­sa­tion comme Wiki­Leaks montre que le roi est nu, il est pré­vi­sible que tout sera fait pour nous sabo­ter. Le Pre­mier ministre [aus­tra­lien, Mme Julia Gil­lard,] ne s’est jamais rétrac­tée du com­men­taire qu’elle a fait sur Wiki­Leaks, basé sur un acte illé­gal. De l’aveu même de son gou­ver­ne­ment, une telle accu­sa­tion ne peut être sou­te­nue. Elle est fausse et doit être rétractée.

Le gou­ver­ne­ment aus­tra­lien a tour­né le dos à l’un de ses citoyens, afin d’éviter d’offenser les Etats-Unis, et a men­ti à plu­sieurs reprises à pro­pos du sou­tien qu’il m’accorderait. L’Equateur, après avoir lon­gue­ment et pru­dem­ment exa­mi­né les preuves, a conclu que j’avais une crainte légi­time d’être per­sé­cu­té et que je ne pou­vais pas me fier à mon propre gou­ver­ne­ment pour me protéger.

C’est une décep­tion cruelle que le pays que j’aime ait aban­don­né mon orga­ni­sa­tion. Wiki­Leaks est une orga­ni­sa­tion et une réus­site aus­tra­lienne, et pour­tant, le gou­ver­ne­ment aus­tra­lien n’a rien fait pour nous défendre. Au contraire ! Il nous a calom­niés en public à un moment où nous étions face à des risques importants.

Pour moi, per­son­nel­le­ment, il m’est dif­fi­cile et par­fois impos­sible de voir ma famille et mes amis. Je n’ai pu être avec eux lors d’ennuis fami­liaux récents.

Je ne veux rien d’autre que faire mon tra­vail en paix. J’ai com­men­cé ma car­rière comme quelqu’un qui com­pre­nait l’importance d’exposer la cor­rup­tion et les méfaits. Je suis à pré­sent un édi­teur qui se retrouve face à des pour­suites pour le fait d’avoir fait mon tra­vail. C’est le devoir des édi­teurs de publier sans crainte la véri­té et le devoir de tous les bons citoyens de défendre leur droit de le faire.

Il est temps pour l’Australie d’embrasser une voie dif­fé­rente : reje­ter les cam­pagnes de har­cè­le­ment et d’intimidation contre les édi­teurs, les jour­na­listes et les dénon­cia­teurs. Nous devons exi­ger que notre gou­ver­ne­ment aban­donne ses efforts pour impo­ser un Etat inqui­si­teur sur ses citoyens. Nous méri­tons un gou­ver­ne­ment qui pro­tège ses citoyens, peu importe ceux qu’ils ont offen­sés ou embar­ras­sés. Nous avons l’occasion de construire une démo­cra­tie qui accueille favo­ra­ble­ment la trans­pa­rence et un gou­ver­ne­ment le plus juste, le plus humain et le plus proche des gens possible.

Julian Assange

Source : ques­tions­cri­tiques

En VO : news