Kazım Kızıl, alias “Ka”, journaliste, video-activiste est en prison depuis le 17 avril 2017. Il a écrit une lettre d’entre les murs, publiée par Bianet et traduit par kedistan.
Pour l’instant il attend l’acte d’accusation et sa première audience (pas de date annoncée). Les gens sont mis en garde-à-vue, ensuite passent rapidement devant le procureur et le juge. Le juge décide s’ils doivent être libérés ou gardés en détention en attendant que le procureur établisse l’acte d’accusation. Une fois que l’acte est prêt, le procès démarre, les accusés se présentent en liberté sous contrôle judiciaire ou en détention. Cette période d’attente peut être longue. Ils le rallongent exprès d’ailleurs..
Si la personne est condamné à une peine de prison, la période qu’elle a passée en détention est compté dans sa peine. Si elle acquitte, le temps qu’elle a passé en prison, est pour sa pomme.…
Kazim a actuellement, droit à la visite de ses proches une fois par semaine et ils peut voir son avocat. Il a ainsi pu sortir une lettre, que nous publions ici.
Chers lectrices et lecteurs de Bianet
Je vous écris ces lignes depuis la cour des quartiers B‑7-gauche de la prison type T de Menemen à Izmir, “parsemée” de fer à la place de fleurs.
C’est assez tragi-comique d’écrire un article dont le sujet est “je”, et de le faire depuis une prison, pour Bianet, pour lequel j’ai écrit dans le passé, un article concernant les réfugiés, et donné des vidéos et photographies pour illustrer certains articles (l’ironie du sort, ces articles concernaient la liberté de presse) et qui travaille depuis des années, d’une façon insistante et permanente pour que la notion de “journalisme de Paix” trouve sa place dans nos médias.
J’ai débuté dans ce “travail” il y a dix ans, avec la photographie. Des 1er mai, des 21 mai, des 6 mai…
Quant à ma première vidéo, je l’avais filmée, le 1er mai avant Gezi 2013] à Okmeydanı. Avec la naissance de la [résistance Gezi, j’ai commencé à produire des vidéos, majoritairement d’actions, ensuite celles-ci ont laissé leur place à des video-reportages, puis aux documentaires. Bien que j’ai continué à travailler plutôt sur des documentaires, mon lien avec “la rue” n’a jamais été coupé.
A part le suivi des dates retenues préalablement, je me suis penché sur des sujets comme, l’Interruption volontaire de la grossesse, les actions menées sur Internet, la résistance des victimes du tremblement de terre à Van, et celles des villageois à Yırca, les catastrophes minières à Soma, d’inondation à Hopa, les destructions à Cizre et à Sur, les réfugiés à Izmir, Suruç et en Suisse, les résistances de Kazova [coopérative ouvrière], de Greif [usine de sacs], et d’İZBAN [Transport banlieu Izmir], les marches féministes et LGBTI à Istanbul et à Paris… Protestations, commémorations, résistances, mobilisations, grèves et hélas, funérailles, funérailles, funérailles…
Des centaines de vidéos, des milliers de photos, des dizaines de milliers de mots…
Même si les temps, les lieux, et les sujets étaient différents, tous les travaux que j’ai effectués ont un point en commun, ils sont focalisés sur le “droit”.
Bien que le mot me paraisse vidé de son sens et froid, la correspondance de mon travail dans la littérature, est le “video-activisme”. Mise à part ma présence physique sur les lieux [en tant que personne], le but principal de ma présence est “enregistrer et transmettre”. C’est à dire, être un “montreur”… Auparavant, les frontières entre ce qui est “montré”, celui/celle qui est “montreur” et celui/celle “qui voit” étaient définies, et actuellement ces frontières sont devenues relativement floues. Le passage entre ces notions arrive tellement rapidement et subitement, qu’unE journaliste, photographe, activiste ou unE citoyenNE qui fait du “journalisme populaire” [explication] qui court après l’information avec son crayon, sa caméra, son appareil photo à la main, peut se trouver instantanément comme le sujet même de cette information…
Ces frontières ont disparu pour moi encore une fois, le 17 avril à Bornova à Izmir. J’ai été mis en garde-à-vue, alors que je filmais les étudiantEs qui protestaient contre les tricheries au sujet du référendum. Malgré le fait que je portais autour de mon cou, les cartes professionnelles des TGS [carte de journaliste nationale turque] et FIJ [carte de journaliste internationale] et que je clamais “je suis de la presse”, je me suis retrouvé d’abord à la Direction de la sécurité, ensuite 5 jours après, au bureau du Procureur, puis, avec une demande d’arrestation, devant le Juge, après trois jours d’isolement, dans les quartiers B‑7 gauche de la prison type T de Menemen à Izmir. Je pense qu’il n’est pas utile de vous expliquer, combien cette période de 14 jours, que j’ai pu caser là, dans une seule phrase, avec une courte réflexion, est difficile pour quelqu’un qui la vit la première fois.
Le côté le plus tragique que je vis est peut être ceci :
Dans le bureau de la sécurité où j’ai été amené après la garde-à-vue, l’accusation qui a été portée à mon encontre était “opposition à la Loi de manifestations et de rassemblements n°2911”. Au palais de justice où j’ai été amené ensuite, le procureur qui n’a même pas trouvé utile de m’interroger, m’a envoyé devant le tribunal et a demandé mon arrestation, avec le chef d’accusation “Insulte au Président de République”. Or, pendant toute la durée de l’événement, la seule phrase que j’avais composée était “Je suis de la presse”.
Je suppose que dans la durée de quelques heures, écoulée entre ma sortie de la Direction de la sécurité et mon arrivée au tribunal, c’est ce “crime” (!) qui a été trouvé comme étant adapté pour moi. Le fait de penser que cette situation qui, dans des conditions normales, serait qualifiée par la littérature juridique, d’”erreur juridiciaire”, ne soit pas intentionnelle, serait d’un optimisme exagéré…
Et maintenant ?
Maintenant, nous sommes 20 à être dans un quartier dont la capacité était de 10 personnes, qui a été augmentée à 14 avec des lits superposés supplémentaires. La répression et la violence psychologiques qui ont commencé depuis la garde-à-vue, par des agressions, directives, avertissements, ont laissé sa place à des conditions physiques difficiles. Moi et les camarades étudiants qui ont été également arrêtés lors de la protestation, nous dormons par terre. Les conditions d’aération et d’hygiène minimales sont absentes. Les repas sont insuffisants pour une alimentation humaine. Manque d’eau chaude, impossibilité d’aller au service médical, même pour les urgences, et le fait que 20 personnes soient entassées dans un espace de 25 m² sur deux étages, sont les difficultés essentielles. Et les conditions physiques apportent les problèmes psychologiques, naturellement…
Même si les conditions psychologiques et physiques sont difficiles, les détenus avec lesquels nous partageons les quartiers, (commençant pas notre responsable de quartiers, grand frère Yılmaz) ne nous privent pas de leur soutien matériel et moral.
Ces jours-ci, en attendant la réponse aux requêtes d’appel que nous avons adressées au tribunal, j’essaye de m’habituer à la prison. Notre plus grande source de moral, sont les messages de celles et ceux qui sont “dehors”, qui nous montrent que nous ne sommes pas seuls… et je vous remercie toutes et tous pour cela.
En espérant retrouver le plus rapidement possible, ma caméra et les rues, j’envoie des salutations et amitiés, à pleines brassées.
Vive la liberté de s’informer du peuple ! Vive le vidéo-activisme !
Kazım Kızıl
* Si vous souhaitez envoyer des lettres (moi, je le voudrais tellement) voici mon adresse :
Kazım Kızıl
İzmir Menemen T Tipi Kapalı Cezaevi Sol B 7 Koğuşu
Le dernier documentaire de Kazım s’intitule “Neredesin Arkadaşım“ (Où est-tu mon amiE ?) et il raconte la vie des ouvrierEs du tabac, particulièrement celle des ouvriers enfants. Il parle de leurs difficultés, leur espoirs et désespoirs. Un point important, Kazım, fut lui même un ouvrier enfant du tabac. Le documentaire été projeté le 6 mai, lors du Festival du film ouvrier à Istanbul ainsi que lors de projections spéciales, dont une au Centre Culturel Français à Istanbul.
“Neredesin Arkadaşım” existe aussi en version sous-titrée en anglais. Pour toute information et demande de projection contacter le producteur du film, Yunus Erduran : yunuse@yetenekakademisi.com
Vous pouvez visionner le premier documentaire de Kazım, “Ölmez Ağaç : Yırca Direnişi” (L’arbre éternel : La résistance de Yırca) au “The tree of eternity”. Pour infos contacter Mervan Kızıl : mervankizil@hotmail.com
Pour aller plus loin : Erdogan insulte la liberté de presse. Libérez Kazim !
Regardez son film “The tree of eternity”