James PETRAS, ex-professeur de sociologie à Binghamton University, New York, militant de la lutte des classes depuis cinquante ans, conseiller pour les sans-terre et les sans-droits au Brésil et en Argentine, a coécrit “Globalization Unmasked (Zed Books).
Le bombardement de la Libye au printemps 2011 par les Etats-Unis pour soutenir les clients-rebelles fait partie d’une politique d’interventions militaires en Afrique ininterrompues depuis au moins le milieu des années 1950.
Selon un rapport rédigé par le service de la Recherche du Congrès US (US Congressional Research Service) publié en novembre 2010, Washington a déployé pratiquement tous les ans entre des centaines et plusieurs milliers de troupes, des dizaines d’avions de combat et de navires de guerre pour mettre en place des dictatures clientes ou pour renverser des régimes hostiles dans des dizaines de pays.
Ce rapport montre que les forces armées US sont intervenues 46 fois avant la guerre actuelle en Libye. Les pays qui ont subi une ou plusieurs interventions sont, entre autres : le Congo, le Zaïre, la Libye, le Tchad, la Sierra Leone, la Somalie, le Rwanda, le Liberia, la République Centre-Africaine, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Kenya, la Tanzanie, le Soudan, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, Djibouti et l’Erythrée.
La seule intervention progressiste a eu lieu en Egypte sous la présidence d’Eisenhower qui avait obligé les forces armées israéliennes- françaises et anglaises à se retirer du canal de Suez en 1956.
Entre le milieu des années 1950 jusqu’à la fin des années 1970, il n’y a eu que 4 opérations militaires officielles, même si les opérations militaires de grande envergure menées par procuration et clandestinement étaient pléthore.
Sous la présidence de Reagan-Bush Sr. (1980 – 1991) les interventions militaires officielles ont nettement augmenté, passant à 8, sans compter les guerres menées à grande échelle par les « forces spéciales » clandestines et les guerres par procuration dans le sud de l’Afrique.
C’est lors de la présidence de Clinton que l’impérialisme militarisé US a pris de l’ampleur en Afrique. Entre 1992 et 2000, il y a eu 17 agressions armées, parmi lesquelles une invasion d’envergure en Somalie et l’aide militaire au régime génocidaire du Rwanda. Clinton est intervenu au Liberia, au Gabon, au Congo et en Sierra Leone pour maintenir au pouvoir les régimes fantoches au pouvoir depuis des lustres.
Il a fait bombarder le Soudan et envoyé des militaires au Kenya et en Ethiopie pour aider les états-clients à attaquer la Somalie.
Avec Bush Jr., il y a eu 15 interventions militaires US, principalement en Afrique Centrale et en Afrique de l’est.
L’invasion et le bombardement de la Libye par le gouvernement Obama n’est que la continuation des méthodes impériales pérennes destinées à consolider le pouvoir des Etats-Unis grâce à l’instauration de régimes clients, l’établissement de bases militaires et la formation et l’endoctrinement d’armées de mercenaires appelés « partenaires de coopération ». Il est indéniable qu’il existe depuis plusieurs décennies une vague montante de militarisme impérial aux Etats-Unis.
La majorité de l’empire africain des Etats-Unis est construite disproportionnellement sur les rapports militaires avec les chefs militaires de leurs clients. Le Pentagone a des liens militaires avec 53 pays africains (y compris en Libye avant l’agression actuelle).
Les efforts de Washington pour militariser l’Afrique et transformer leur armée en une armée de mercenaires qui servent à étouffer les révoltes et les régimes anti-empire sont multipliés après le 11 sept.
L’Administration Bush avait annoncé en 2002 que l’Afrique était une « priorité stratégique de la lutte contre le terrorisme”.
Et de là, les stratèges impériaux, soutenus par les élus du congrès, progressistes et néoconservateurs, ont commencé à centraliser et à coordonner une politique militaire sur tout le continent africain en créant le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (l’AFRICOM). Ce dernier est chargé de l’organisation des armées, appelée par euphémisme, “partenariats de coopération” pour mener les guerres néo-coloniales fondées sur des accords bilatéraux (en Ouganda, au Burundi, etc.) et créer également des liens « multilatéraux » avec l’Organisation de l’Unité Africaine.
L’AFRICOM, malgré le rôle qu’on lui avait assigné de servir d’instrument pour propager l’influence impériale, a été plus efficace pour dévaster des pays qu’à s’emparer de ressources et asseoir son pouvoir. La guerre en Somalie, qui a déplacé et tué des millions de personnes et coûté des centaines de millions de dollars, entre dans sa vingtième année, et sans espoir d’issue victorieuse en vue.
A part la plus ancienne néo-colonie US, le Liberia, aucun autre pays n’a accepté qu’AFRICOM installe sa base sur son sol.
Ce qui est très significatif, c’est qu’AFRICOM n’était pas préparé au renversement des régimes de clients importants en Tunisie et en Egypte – des « partenaires » importants qui surveillaient le sud de la Méditerranée, les côtes des pays arabes et la mer Rouge. Malgré la collaboration de la Libye avec AFRICOM, surtout pour les opérations des services secrets “anti-terroristes”, Washington a cru à tort qu’une victoire facile de ses clients « rebelles » pourrait conduire à un régime plus docile, qui offrirait davantage en matière de base militaire, de QG et de source pétrolière bon marché. Aujourd’hui, les Etats-Unis dépendent autant du pétrole africain que leurs fournisseurs du Moyen-Orient.
La présence d’AFRICOM sur tout le continent africain se solde par son incapacité à transformer ces « partenariats » en installation effective de leaders fantoches.
Les mesures prises pour encourager des programmes « civils-militaires » n’ont pas permis d’assurer une base populaire à des régimes de collaborateurs corrompus, très appréciés pour leur disposition à fournir de la chair à canon à l’empire.
La révolte en Afrique du Nord a renversé les figures emblématiques des dictatures soutenues par l’empire. Alors que les révoltes populaires dans les pays arabes se propagent vers le Golfe et intensifient leurs revendications de changements socio-économiques ainsi que politiques, l’empire a contre-attaqué.
AFRICOM a soutenu l’agression en Libye, l’attaque contre le mouvement pour la démocratie menée par la junte militaire au pouvoir en Egypte et compte sur ses « partenaires » autocrates dans le Golfe et la Péninsule Arabique pour noyer dans un bain de sang les mouvements de la société civile.
La militarisation croissante de la politique de l’empire US en Afrique du Nord et dans le Golfe donne lieu à des affrontements historiques entre la révolution arabe pour la démocratie et les satrapes soutenus par l’empire ; entre les Libyens qui luttent pour leur indépendance et les forces navales et aériennes euro-américaines qui dévastent le pays pour le compte de leurs clients locaux incompétents.
James Petras
Traduction emcee, des bassines et du zèle
Source : Washington’s Long War Against Africa ; Dissident Voice, 17 avril 2011.
http://www.legrandsoir.info/La-longue-guerre-de-Washington-contre-l-Afrique-Dissident-Voice.html