La « pensée » d’Alain Soral : Révolution ou réaction ?

Que pense Soral du mouvement ouvrier ? Que pense-t-il du marxisme ? Soral refuse aux opprimés toute initiative propre, toute velléité de sortir de leur condition d’exploités, tout rôle dans l’histoire.

Par Maxence Staquet

his­to­rien. Il enseigne dans un col­lège d’un quar­tier popu­laire de Bruxelles. Col­la­bo­ra­teur de l’Inem, il est direc­teur de l’Université marxiste.

Au départ “La « pen­sée » d’Alain Soral : Révo­lu­tion ou réac­tion ?” a été publié en quatre par­ties sur le site Le Grand Soir, nous nous per­met­tons de vous en pro­po­ser l’intégrale.

soral.png

Alain Soral est un essayiste fran­çais proche du FN, sans en être membre. Il sou­tient la can­di­da­ture de Marine Le Pen pour la cam­pagne pré­si­den­tielle. Son der­nier livre s’est ven­du à 28 000 exem­plaires, ce qui consti­tue un suc­cès modé­ré. Ses lec­teurs sont des jeunes et beau­coup sont d’origine immi­grée. Il suf­fit pour s’en convaincre d’aller voir les com­men­taires sur ses sites [1].

Soral tente de ral­lier aux idées d’extrême droite un public qui ne lui est tra­di­tion­nel­le­ment pas atta­ché : de jeunes Fran­çais issus de l’immigration qui aspirent à bac + 3.

La crois­sance basée sur l’endettement des années 1990 et 2000 a fait place, depuis la crise de 2008, à une pré­ca­ri­té accrue tou­chant les plus dému­nis, mais aus­si, et c’est nou­veau, les classes moyennes. Et notam­ment une par­tie des jeunes sala­riés issus de milieux popu­laires qui ayant fait des études plus pous­sées que leurs parents, pou­vaient pré­tendre à des emplois mieux rému­né­rés et pro­té­gés. Soral s’adresse à ces jeunes qui, ayant ter­mi­né leurs études ou non, voient leur ave­nir en berne. L’ascenseur social est en panne et la colère gronde. Pour ceux dont les parents sont immi­grés, la situa­tion est pire encore, car ils doivent aus­si faire face à la dis­cri­mi­na­tion raciste.

Cette légi­time colère ne sera payante qu’en ciblant les vrais res­pon­sables de la crise : le grand capi­tal. Elle ne sera effi­cace que si elle se lie au mou­ve­ment ouvrier. Mais c’est là que le bât blesse… Les par­tis de gauche en France, comme le PS, ne remettent pas en ques­tion la domi­na­tion des finan­ciers. En poli­tique étran­gère, il y a una­ni­mi­té à gauche pour le sou­tien à l’impérialisme fran­çais en Libye et en Syrie. Le PS ne dénonce pas la poli­tique d’apartheid de l’État d’Israël contre les Pales­ti­niens. Et pour cou­ron­ner le tout, nom­breux sont ceux, à gauche, qui s’associent au dis­cours stig­ma­ti­sant l’islam au nom de la défense de la laï­ci­té républicaine.

L’objectif de Soral est de ral­lier un élec­to­rat jeune, déçu de la gauche et d’origine immi­grée. Pour l’heure, il tra­vaille sur le ter­rain idéo­lo­gique afin de for­mer de futurs cadres de la droite extrême, capables d’encadrer les quar­tiers des ban­lieues popu­laires. Il se pré­sente d’ailleurs lui-même comme un « pro­duc­teur de concept », un idéo­logue en somme.

Poli­ti­que­ment incorrect

Mais com­ment réus­sir le tour de force de rap­pro­cher du FN des petits enfants fran­çais des pre­miers immi­grés algé­riens qui ont connu le FLN et la déco­lo­ni­sa­tion ? Le FN est diri­gé par Marine Le Pen, soit la fille spi­ri­tuelle et bio­lo­gique du père, lieu­te­nant para­chu­tiste, enga­gé volon­taire en Algé­rie pen­dant la guerre d’indépendance pour main­te­nir l’empire colo­nial fran­çais ! Soral est d’ailleurs, quoiqu’il s’en défende, un nos­tal­gique de la gran­deur colo­niale de la France : « Plus je vois la merde noire (cor­rup­tion, inté­grisme, géné­raux…) dans laquelle l’Algérie s’enfonce un peu plus chaque jour, plus je découvre en images que les seules choses qui tiennent encore debout là-bas (infra­struc­tures, urba­nisme…) sont celles que la France colo­niale y a construites, plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne [2]. » Ce n’est certes pas un tel dis­cours qui peut convaincre…

Mais il est beau­coup plus sédui­sant chez Ardis­son lorsqu’il dénonce le dis­cours des médias sur les « isla­mo-vio­leurs des ban­lieues » à pro­pos des tour­nantes au bas des immeubles. Il y affirme que « les musul­mans vio­leurs ça n’existe pas, soit on est un vio­leur et on est un délin­quant, un sous-pro­lé­taire amé­ri­cain d’imitation […] soit on est un mec qui est dans la reli­gion et on ne viole pas ».

Soral est un adepte du dis­cours sur la perte des valeurs dans la socié­té : « les films por­nos qui ne leur donnent pas une image très res­pec­table de la femme occi­den­tale […] la misère sexuelle, elle est pour les gar­çons de ban­lieue […] il y a tou­jours la pos­si­bi­li­té pour la jolie beu­rette de se sor­tir de la ban­lieue en allant pro­po­ser ses fesses dans les boîtes de nuit [3]. »

Il appa­raît comme un défen­seur de l’islam lorsqu’il répond à une inter­view du plus impor­tant site Inter­net musul­man d’expression fran­çaise Oumma.com : « Oui, le piège du rap, ten­du par les médias du pou­voir pour pous­ser le Fran­co-Magh­ré­bin à s’identifier au noir amé­ri­cain du ghet­to […] la culture musul­mane pro­duit des hommes éle­vés dans des valeurs [4]. »

Il se pré­sente comme un rebelle « anti­sys­tème », dénon­çant un com­plot des élites, tou­jours en des termes vagues d’ailleurs. Mor­ceau choi­si : « Tout le pou­voir, c’est les réseaux […] c’est l’oligarchie ban­caire qui coopte des gens en leur fai­sant com­prendre qu’ils auront leur part du gâteau s’ils par­ti­cipent au pro­jet de domi­na­tion […] on voit bien qu’au Siècle il y a tout ce monde-là, c’est les gens qui par­ti­cipent au pou­voir, c’est-à-dire les élites […] on est dans le monde de l’hyperclasse mon­dia­liste [5]. »

Il veut dénon­cer la domi­na­tion des banques et de la finance inter­na­tio­nale tout en sau­ve­gar­dant le capi­ta­lisme. Il n’attaque jamais la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste, mais bien le mon­dia­lisme : « Le mon­dia­lisme n’est pas la mon­dia­li­sa­tion. […] Le mon­dia­lisme est un pro­jet idéo­lo­gique […] qui tra­vaille à la mise en place d’un gou­ver­ne­ment mon­dial et à la dis­so­lu­tion de toutes les nations du globe en une seule huma­ni­té. […] la mon­dia­li­sa­tion — pro­ces­sus d’échanges dus au pro­grès tech­nique — pour­rait tout aus­si bien se satis­faire d’un monde mul­ti­po­laire fait de nations pra­ti­quant un pro­tec­tion­nisme réci­proque et rai­son­né [6]. »

Soral s’en prend tou­jours à l’impérialisme amé­ri­cain et à son allié sio­niste, ce qui plaît : « on cherche à obte­nir des gens dans les médias un sou­tien incon­di­tion­nel à Israël […] si t’es anti­sio­niste ou judéo­cri­tique, tu dégages [7]. » Pour­tant, il ne parle jamais de l’impérialisme fran­çais. Il veut d’ailleurs occul­ter tout bilan, toute réflexion sur le pas­sé colo­nial fran­çais : « la culpa­bi­li­sa­tion du peuple de France qui n’a rien à voir avec la Col­la­bo­ra­tion […] l’antisémitisme », ni avec l’esclavage et la colo­ni­sa­tion. Il ne faut plus en par­ler, car ça entre­tient la « haine de la France [8] ».

Lorsqu’il condamne l’hypocrisie du PS et de l’UMP qui tiennent un dis­cours de défense des droits de l’homme tout en sou­te­nant Israël et les inter­ven­tions en Libye et en Syrie, il fait mouche : « Le droit-de‑l’hommisme est, aujourd’hui, le bras armé idéo­lo­gique du mon­dia­lisme [9]. »

Il pré­sente l’élite au pou­voir en France comme étant au ser­vice du sio­nisme : « Ber­nard-Hen­ri Lévy, qui défend les inté­rêts israé­liens, a don­né l’ordre à l’armée fran­çaise, au-des­sus de Jup­pé, qui n’était pas très chaud pour y aller, de décla­rer la guerre à la Libye sans recou­rir à un vote du par­le­ment. » Selon lui, il fal­lait pour Israël avoir une « pré­sence mili­taire impé­riale proche des fron­tières de l’Égypte […], car si les frères musul­mans et l’armée égyp­tienne s’entendent, le blo­cus de Gaza c’est fini [10] ». En atten­dant, les entre­prises fran­çaises, sur­tout Total, ont de beaux jours devant elles en Libye [11], les frères musul­mans ont gagné les élec­tions, quant à Gaza…

Il faut lire l’allocution de Soral pro­non­cée à Vil­le­preux le 2 novembre 2008 sur « Le poli­ti­que­ment incor­rect comme idéo­lo­gie de résis­tance au mon­dia­lisme [12] » pour bien com­prendre com­ment il s’intègre dans ce vaste cou­rant de la cri­tique d’extrême droite qui sub­sti­tue au dis­cours anti­ca­pi­ta­liste et anti-impé­ria­liste, un dis­cours sur les valeurs : « Le poli­ti­que­ment incor­rect n’est en rien un inutile jeu de pro­vo­ca­tions. C’est, même […] la doc­trine de résis­tance au mon­dia­lisme. […] nous pou­vons, nous natio­naux, en tant que seuls cri­tiques effi­cients […] deve­nir les maîtres à pen­ser de demain et incar­ner, nous et nous seuls, le renou­veau du Génie fran­çais ! ». Cette nou­velle élite, nour­rie au bibe­ron de la pen­sée Nou­velle droite pour diri­ger la France de demain en occu­pant le ter­rain déser­té par la gauche.

Tout comme Marine Le Pen, Soral aime entre­te­nir la confu­sion poli­tique en par­lant alter­na­ti­ve­ment du sys­tème UMPS et de la résis­tance au mon­dia­lisme. « J’aime cer­tains gars de ban­lieues pour ça, j’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore des hommes […] toutes ces merdes du sys­tème UMPS […] J’aimerais bien voir le jour où ça va péter dans la rue, com­ment ils vont se com­por­ter […] moi je suis prêt déjà à ça, pas eux [13]. » Cette saillie pro­vo­ca­trice, mêlée de fana­tisme et de culte du sur­homme pour­rait prê­ter à sou­rire. Elle est néan­moins typique du per­son­nage et du fond de ses idées poli­tiques. Lorsque ça va « péter » comme il dit, on peut se deman­der si lui et ses copains du FN seront du bon côté, ou s’ils joue­ront, comme toute l’histoire l’a mon­tré, le rôle de gar­diens du capi­ta­lisme, de bour­reaux du mou­ve­ment ouvrier. En atten­dant, ce côté rebelle contes­ta­taire et prêt à en découdre plaît à des jeunes qui se trompent de colère.

Par­cours d’un rebelle autoproclamé

Alain Bon­net de Soral est né le 2 octobre 1958 à Aix-les-Bains. Il se pré­sente comme suit : « Je suis donc un aty­pique, fils de bour­geois déclas­sé, ayant pas­sé son enfance au milieu des com­mu­nistes dans une cité-dor­toir, mais allant au col­lège Sta­nis­las […] comme la plu­part des mar­gi­naux que je croise dans les squats et autres lieux alter­na­tifs qui me per­mettent de sur­vivre et d’échapper au sala­riat. […] J’ai tou­jours été un fervent patriote […]. Mon virage vers le com­mu­nisme et le PCF […] je m’essaierai, tou­jours pour sur­vivre, au jour­na­lisme et à la publi­ci­té. […] nous fai­sons cam­pagne pour le “non” à Maas­tricht… Une cam­pagne pour le non où PCF et FN se retrouvent dans le même camp… […] [14]. »

Nous sommes alors en 1993, après la chute du socia­lisme en URSS. Le PCF, comme nombre de par­tis com­mu­nistes euro­péens, est en pleine débâcle. Soral, esti­mant sans doute qu’il a misé sur le mau­vais che­val, entame un tour­nant qui l’amènera en 2005 à adhé­rer au Front natio­nal de Jean-Marie Le Pen. En novembre 2007, il devient un cadre du par­ti d’extrême droite en inté­grant le comi­té cen­tral du FN.

Au début des années 1990, il est donc au PCF, mais par­ti­cipe à l’appel de Jean-Paul Cruse pour créer un large front ni droite, ni gauche [15] ras­sem­blant « Pas­qua, Che­vè­ne­ment, les com­mu­nistes et les ultra­na­tio­na­listes […] la civi­li­sa­tion contre la mar­chan­dise — et la gran­deur des nations contre la bal­ka­ni­sa­tion du monde [… contre] Wall Street, le sio­nisme inter­na­tio­nal, la bourse de Franc­fort et les nains de Tokyo [16]. » Le PCF condam­na promp­te­ment ce pro­jet de rap­pro­che­ment « rouge-brun » qui tour­na court. Pour Alain Soral, ce fut une école. C’est à l’Idiot inter­na­tio­nal de Jean-Edern Hal­lier, un jour­nal pam­phlé­taire et anar­chiste de droite, que s’opère ce rap­pro­che­ment entre déçus de la gauche com­mu­niste et élec­trons libres de la droite extrême. L’initiative est sou­te­nue par Alain de Benoist, qui fut l’un des plus influents pen­seurs de la Nou­velle Droite. Il fonde le GRECE (Grou­pe­ment de recherche et d’études pour la civi­li­sa­tion euro­péenne) en 1969 pour lut­ter contre Mai 68 et la domi­na­tion des idées de gauche dans la socié­té moderne. Une bonne par­tie des jeunes cadres du FN et de l’UMP ont été for­te­ment influen­cés par ce cou­rant qui a joué un rôle de cata­ly­seur du rap­pro­che­ment actuel entre la droite dure et la droite extrême.

« Il me paraît clair que, depuis la rati­fi­ca­tion du trai­té de Maas­tricht, l’ennemi est le capi­ta­lisme finan­cier mon­dia­liste, dont l’Europe est le che­val de Troie. […] Il me paraît clair aus­si que le seul homme poli­tique qui peut com­battre ce sys­tème ne peut être qu’un natio­na­liste [17]. » Soral écrit ceci en 2007, en par­faite conti­nui­té avec ses débuts en poli­tique en 1993. Mais s’il y a conti­nui­té idéo­lo­gique, la fidé­li­té des enga­ge­ments n’est pas son fort. Il claque la porte du FN en 2009, déçu de ne pas avoir été choi­si comme tête de liste en Île-de-France. Il anime alors avec l’humoriste Dieu­don­né une liste anti­sio­niste aux élec­tions euro­péennes de 2009 qui connaît un échec cui­sant. Il fonde ensuite le col­lec­tif Éga­li­té et Récon­ci­lia­tion afin « de créer l’union sacrée de la gauche patriote et de la droite anti­fi­nan­cière, afin d’atteindre le pour­cen­tage élec­to­ral qui per­met­tra au peuple de France de reprendre le pou­voir par les urnes [18] ». Aujourd’hui, il se sert de cette asso­cia­tion comme trem­plin pour faire sa publi­ci­té et peut-être gagner son retour au FN en sou­te­nant Marine Le Pen lors de la cam­pagne pré­si­den­tielle de 2012, mais cette fois en res­tant à l’extérieur du FN.

Les grandes constantes de la « pen­sée Soral »

Essayons main­te­nant de déce­ler ce qui est constant dans ses écrits, ce sur quoi il insiste. Voyons ce qui se cache der­rière la rhé­to­rique droite des valeurs, gauche du travail.

Il n’y a pas de dan­ger fas­ciste aujourd’hui en France

Mais il doit pour cela pra­ti­quer un double dis­cours sur le dan­ger de la mon­tée du FN et dénon­cer tous ceux qui veulent main­te­nir le cor­don sani­taire. « En fait, pour qu’il y ait fas­cisme, il faut qu’il y ait démo­cra­tie — et pour pous­ser la pré­ci­sion plus loin, qu’il y ait démo­cra­tie en crise et risque de prise du pou­voir par les com­mu­nistes […]. Dès lors, par­ler de menace fas­ciste dans le monde uni­po­laire d’aujourd’hui a très peu de sens [19]. » « Les mêmes qui avaient spon­so­ri­sé le fas­cisme des années 30 ont mis en place, dans les années 60, un sys­tème infi­ni­ment moins coû­teux et bien plus effi­cace pour enle­ver au peuple toute volon­té sédi­tieuse… Et ce sys­tème s’appelle socié­té de consom­ma­tion [20]. » Nous sommes d’ailleurs en train d’en sor­tir avec le déman­tè­le­ment des conquêtes sociales depuis les années 90. Une véri­té pour deux gros mensonges :

- La bour­geoi­sie ne renonce jamais à la pos­si­bi­li­té de la répres­sion des masses par l’État à son ser­vice. Le fas­cisme n’est pas assi­mi­lable à une simple dic­ta­ture mili­taire, il allie le ter­ro­risme d’État à un mou­ve­ment de masse basé sur les élé­ments déclas­sés et sur les classes moyennes fra­gi­li­sées par la crise, il fait suite à un échec majeur du mou­ve­ment ouvrier.

- Le fas­cisme n’est pas un phé­no­mène qui émerge du jour au len­de­main, il a besoin de temps et d’un cli­mat pro­pice pour appa­raître. Aujourd’hui, les capi­ta­listes veulent faire por­ter aux tra­vailleurs le poids de la crise éco­no­mique qui a com­men­cé en 2008. En France, les luttes contre la réforme des retraites du ministre Woerth n’ont pas réus­si à la stop­per. D’autres luttes vien­dront. Face à la résis­tance crois­sante des masses popu­laires, une alliance FN-UMP bri­sant le cor­don sani­taire est pos­sible. Elle inau­gu­re­rait une période de res­tric­tion stricte des droits démo­cra­tiques donc des pos­si­bi­li­tés pour les forces de gauche, y com­pris les syn­di­cats, de résis­ter aux attaques du Capi­tal contre le Tra­vail. Cette alliance existe déjà en Fran­ça­frique où beau­coup de cadres du FN font leurs pre­mières armes [21]. Elle existe déjà dans les médias, où le dis­cours du FN est de plus en plus bana­li­sé grâce aux « intel­lec­tuels média­tiques » proches de Sar­ko­zy comme Éric Zem­mour ou Pas­cal Bruckner.

Son dis­cours soi-disant récon­ci­lia­teur masque d’ailleurs assez mal sa haine vis­cé­rale contre ceux qui ont effi­ca­ce­ment com­bat­tu la domi­na­tion fas­ciste : « Un anti­fas­cisme désor­mais sans fas­cistes » issu de l’alliance entre gaul­listes et PCF pour mas­quer la « domi­na­tion du Capi­tal dans sa forme la plus para­si­taire — anti-indus­trielle et finan­cière [22]. »

À la fin de son livre, Com­prendre l’Empire, Soral com­pare fas­cisme et com­mu­nisme pour mieux défendre les expé­riences fas­cistes : « Les oppo­sants sérieux à la démo­cra­tie moderne : du natio­na­lisme inté­gral de Charles Maur­ras à la Répu­blique isla­mique d’Iran, en pas­sant par l’Ordre noir de la SS cher à Hein­rich Himm­ler, cette même ten­ta­tive de jugu­ler le pou­voir de l’argent par le retour au pou­voir abso­lu d’un ordre à la fois mili­taire et reli­gieux. La seule puis­sance mili­taire, sans le secours du sacré face aux forces de l’argent, condui­sant iné­luc­ta­ble­ment à la défaite, comme en témoignent les expé­riences com­mu­nistes et fas­cistes euro­péennes, le pan­ara­bisme, le baa­sisme [23]. » Mais ce genre de cita­tion révé­la­trice est noyé dans un flot de dia­tribes contre le pou­voir des banques, contre Israël, contre l’impérialisme amé­ri­cain, jamais contre l’impérialisme fran­çais, cela s’entend.

La France !… Quelle France ?

« Pour ceux qui n’auraient pas com­pris le rai­son­ne­ment : il n’existe pas de lob­by juif en France, puisque c’est inter­dit ! » Pour ceux qui n’auraient pas encore com­pris Soral : le lob­by judéo-maçon­nique domine le monde puisque tous les pré­sen­ta­teurs télé juifs fran­çais veulent sa peau. Ce qui lui per­met d’affirmer qu’il suf­fi­rait de chan­ger d’élite diri­geante (en balayant les juifs pour com­men­cer) pour que tout rentre dans l’ordre, puisque le sys­tème ne fonc­tion­nait pas si mal du temps de l’âge d’or, à l’époque de De Gaulle. « Il faut que les élites légi­times, patriotes, fran­çaises reprennent le pou­voir sur ce pays […] refaire une Consti­tu­tion […] sor­tir de l’Europe […] arrê­ter avec l’euro […] repo­ser la ques­tion natio­nale et iden­ti­taire intel­li­gem­ment […] échap­per à la dic­ta­ture du mon­dia­lisme finan­cier [24] » en sou­te­nant l’impérialisme et les bons capi­ta­listes patriotes français…

« Je me sou­viens de la ban­lieue popu­laire des années 60 […] les tra­vailleurs y vivaient en bonne intel­li­gence, et dans le plein emploi […] Aucun racisme contre les anciens immi­grés […] les seuls qui posaient pro­blème, déjà, c’étaient les Algé­riens qui se tenaient à l’écart dans la soli­tude, la peur, l’islam [25]. » Il fait comme si cette cohé­sion, cette har­mo­nie sup­po­sée des quar­tiers popu­laires étaient orga­niques au « bon peuple fran­çais » : « Une com­mu­nau­té fran­çaise dans les faits, la moins raciste du monde puisque peu­plée majo­ri­tai­re­ment, et jusque-là sans trop de pro­blèmes, d’anciens étran­gers [26]. » Les peuples ont des carac­té­ris­tiques poli­tiques qui sont comme ins­crites dans leurs gènes : « Le Fran­çais a tou­jours ten­dance à prendre le par­ti du plus faible et de l’humilié [27]. » En bref, la France est la patrie des droits de l’Homme ins­crite dans les gènes des Fran­çais et non dans l’histoire des luttes de classes achar­nées pour les droits sociaux et démo­cra­tiques. Quid de la colo­ni­sa­tion fran­çaise, une des plus féroces pour­tant (Indo­chine, Algé­rie, etc.) ? Quid de la néo-colo­ni­sa­tion en Fran­ça­frique ? Quid du tra­vail du PCF dans les ban­lieues après 1945 ; peut-être est-ce là qu’il faut trou­ver quelque réa­li­té au mythe du « bon peuple fran­çais » ? Quid du mas­sacre du 17 octobre 1961 ? Quid des bidon­villes de Nanterre ?

Toute ana­lyse sérieuse d’un dis­cours poli­tique doit tenir compte de ses réfé­rences his­to­riques : la Com­mune de Paris ou le mou­ve­ment bou­lan­giste visant à ins­tau­rer une dic­ta­ture en France en 1888 ? Le Front popu­laire ou l’État fran­çais du maré­chal Pétain ? Le FN, quant à lui, pré­tend : « nous ne reje­tons rien de ce qui appar­tient à l’histoire de France [28] », dixit Le Pen sur France 2 en 1990, pour pou­voir réha­bi­li­ter ses vieux mythes racistes et éli­tistes, bat­tus en brèche lors de la défaite des nazis en 1945. Ce dis­cours ne pros­père que sur le men­songe et la mani­pu­la­tion des masses. Il se croit per­mis de tout revoir : la traite des noirs, la colo­ni­sa­tion, les chambres à gaz, la résis­tance et la col­la­bo­ra­tion, etc. Tout revoir, car il veut faire tour­ner à l’envers la roue de l’histoire.

Aujourd’hui, pré­tendre vou­loir res­tau­rer l’Ancien Régime le cou­vri­rait de ridi­cule, voi­là pour­quoi Soral met tel­le­ment en avant le modèle gaul­liste : un pou­voir pré­si­den­tiel fort et natio­na­liste (une France forte et impérialiste).

« On peut glo­ba­le­ment consi­dé­rer la période d’après-guerre 1945 – 1973 comme une période de pros­pé­ri­té et de consen­sus social […]. Un régime d’économie mixte, libé­ral et social, résul­tant du pro­gramme du Conseil natio­nal de la résis­tance. » Et pour­tant, il a quelques cri­tiques : « le mythe de la tra­hi­son pétai­niste et de la Résis­tance de gauche, pro­fi­table aux deux contrac­tants […] [De Gaulle] avait pac­ti­sé par deux fois avec l’Empire : en 1940, en rejoi­gnant le camp des alliés contre Pétain, puis en 1958, en ache­vant de liqui­der l’Empire fran­çais dans l’affaire algé­rienne [29]. » Soral reprend là deux griefs repro­chés à De Gaulle par qua­si toute l’extrême droite fran­çaise après la Deuxième Guerre. Selon lui, De Gaulle n’a pas été écar­té par le peuple suite aux actions de Mai 68 et du réfé­ren­dum de 1969, mais parce qu’il s’est oppo­sé à l’Empire qui a mani­pu­lé (encore un com­plot, dont il ne nous dira rien d’ailleurs) pour l’évincer, car il avait la « volon­té de retour­ner à l’étalon-or » et parce qu’il a condam­né très mol­le­ment l’invasion de la Cis­jor­da­nie par Israël en 1967. Rap­pe­lons tout de même que la 4e Répu­blique était le meilleur allié d’Israël et que De Gaulle a conti­nué la poli­tique de livrai­son mas­sive d’armes à ce pays, en dépit de son double jeu vis-à-vis du monde arabe.

Sar­ko­zy, l’homme des réseaux, traître à la France, car l’ayant réin­té­gré dans l’Otan sous domi­na­tion amé­ri­caine (c’est uni­que­ment cela qui dérange Soral). Traître, car ayant rati­fié le trai­té de Lis­bonne au mépris du pro­jet d’Europe des Nations de De Gaulle, « l’abandon de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale », contre l’Europe mul­ti­na­tio­nale de la Consti­tu­tion euro­péenne. Mais qu’elle soit sur­tout ultra­li­bé­rale, Soral n’en dit pas un mot. Traître à la France, car ayant fait entrer des gens que Soral consi­dère comme étant de gauche (Kouch­ner) et des juifs sio­nistes (Atta­li et Klars­feld) : « Soit en réa­li­té l’union sacrée libé­rale, atlan­tiste et sio­niste. » Traître, car il n’a pas assez pas­sé les ban­lieues au kar­cher : « Un régime sécu­ri­taire envers le peuple du tra­vail sans jamais tou­cher à la délin­quance des pré­da­teurs sous-pro­lé­taires et des pré­da­teurs de l’élite [30]. » Il faut bien lire l’Abécédaire de Soral, afin de se rendre compte que le modèle gaul­liste est une réfé­rence pour lui depuis dix ans [31].

Du bon impérialisme

« Notre inté­rêt, désor­mais soli­daire de celui de l’Allemagne, n’étant pas non plus de rem­bour­ser une deuxième fois — via l’ONU — 80 % du coût de la guerre du Golfe aux Amé­ri­cains, pour nous avoir fait perdre tous nos mar­chés dans la Pénin­sule ara­bique. D’autant plus que le but ultime de cette nou­velle guerre impé­ria­liste est de contrer la supré­ma­tie éco­no­mique euro­péenne, par la main­mise sur ses futures sources d’approvisionnement en éner­gies fos­siles [32]. » Soral repré­sente aux côtés des Le Pen, De Gaulle, De Benoist et autres réac­tion­naires une ten­dance de la grande bour­geoise fran­çaise qui veut bri­ser l’alliance avec les États-Unis.

Ils sont nom­breux aujourd’hui à droite à mini­mi­ser l’impérialisme fran­çais au moment même où il rede­vient agres­sif : les évé­ne­ments en Libye, en Côte d’Ivoire et plus récem­ment en Syrie en sont la preuve. Tan­dis qu’à gauche, on fait sem­blant de ne pas le voir, on dénonce Sar­ko­zy, qui serait au ser­vice de l’impérialisme américain.

Or, l’impérialisme fran­çais est loin d’être enter­ré, et le grand capi­tal fran­çais est tout sauf inféo­dé aux États-Unis, n’en déplaise à Soral : « En 1980, par­mi les 500 plus grands groupes indus­triels du monde, 217 pro­ve­naient des États-Unis, 66 du Japon et 168 d’Europe… [33] » En 2008, la liste du maga­zine For­tune est la sui­vante : 140 groupes indus­triels amé­ri­cains, 68 du Japon, 37 de Chine et 179 de 18 pays euro­péens. Quel est l’impérialisme qui se ren­force le plus ? De ces 179, 39 sont fran­çais et 37 sont alle­mands. For­tune vient de publier le clas­se­ment pour 2010 : États-Unis 139, Japon 71, Chine 46, France 39, Alle­magne 37, Grande-Bre­tagne 29, Suisse 15, Pays-Bas 13, Ita­lie 11, Cana­da 11, Corée du Sud 10, Espagne 10, etc. [34] Cette liste est essen­tielle pour voir les vrais rap­ports de force dans le monde ! L’impérialisme fran­çais est loin d’être mort et en Europe, allié bon an mal an à l’Allemagne, il se ren­force. En fait, à deux (mal­gré des désac­cords bien sûr, la riva­li­té ne s’interrompt jamais), ils se com­plètent pour domi­ner la poli­tique euro­péenne. L’axe Paris-Ber­lin vou­lu par Mit­ter­rand et Kohl, ini­tié par De Gaulle, est tou­jours vivace. Que l’on pense par exemple aux coups de force du couple Sar­ko­zy-Mer­kel pour impo­ser l’austérité à tous les pays européens.

« Grâce à Zem­mour, on a à nou­veau le droit d’aimer son pays […] je l’aime bien […] il y avait des juifs à l’Action fran­çaise qui mon­traient leur amour de la France en se conver­tis­sant au catho­li­cisme, pour mon­trer qu’il n’est pas dans la double allé­geance […] être juif, c’est pas seule­ment une reli­gion, c’est aus­si un peuple, une nation avec Israël […] si on aime la France comme il l’aime, on doit faire comme Mar­cel Das­sault, comme Michel Debré, on doit se conver­tir au catho­li­cisme […] qu’il aille jusqu’au bout de son assi­mi­la­tion, puisque lui aus­si est un métis, un immi­gré, faut pas oublier, il vient du Magh­reb, il est issu d’une double culture [35]. » Vous avez bien lu, l’important c’est de sou­te­nir l’impérialisme fran­çais. Le but de Soral c’est de rem­pla­cer les élites mon­dia­listes donc amo­rales et anti­fran­çaises par de vrais Fran­çais natio­na­listes et catho­liques. Pour rap­pel, Debré était ministre sous De Gaulle et Das­sault, un puis­sant capi­ta­liste du com­plexe mili­ta­ro-indus­triel fran­çais. Alain Soral deman­de­ra-t-il la même chose aux jeunes musul­mans qu’il fait sem­blant de ché­rir ? L’Islam ou la France, il faut choisir !

Soral essaie de mani­pu­ler les sym­pa­thies pro­pa­les­ti­niennes et anti-israé­liennes pour défendre un renou­veau de l’impérialisme fran­çais natio­na­liste et conqué­rant. Lorsque Soral s’en prend au sio­nisme, nom­breux sont ceux qui pensent qu’il attaque Israël, ce qui n’est pas tout à fait vrai : il en veut aux élites juives apa­trides et cos­mo­po­lites : « Fina­le­ment, les sio­nistes essaient d’exister : une nation comme les autres […] je pré­fère cent fois les sio­nistes à ce genre d’antisioniste juif [comme Chom­sky] ce qui les gène dans le sio­nisme [israé­lien] c’est que ça rabaisse le cos­mo­po­li­tisme juif d’élite qui est chez lui par­tout comme le dit bien Atta­li […] si on était res­té au pro­jet de Herzl où les juifs pour­raient vivre en tant que nation sans renouer avec le pro­jet biblique qui est un pro­jet de domi­na­tion mon­diale et mon­dia­liste, je serais le pre­mier des sio­nistes, car j’estime tout à fait sain qu’un juif veuille exis­ter en tant que nation [36]. »

On com­prend mieux pour qui roulent vrai­ment Alain Soral et Marine Le Pen. Le FN fait en quelque sorte une offre aux grands patrons : « Nous sommes forts, lâchez l’UMPS pour une France forte, alliée à l’Allemagne, pro­tec­tion­niste et impé­ria­liste, choi­sis­sez le FN, allié à la droite de l’UMP. » D’où les appels du pied en direc­tion de la droite de l’UMP et la droi­ti­sa­tion de l’opinion savam­ment orches­trée par les médias. Les grands patrons font leur mar­ché quand ils choi­sissent de sou­te­nir telle ou telle ten­dance poli­tique en fonc­tion de leurs besoins du moment. Et aujourd’hui, ils ont de plus en plus besoin de muse­ler les syn­di­cats pour faire pas­ser des réformes anti­so­ciales dont l’ampleur est inéga­lée. La social-démo­cra­tie et la droite clas­sique manquent d’efficacité pour répri­mer le mou­ve­ment ouvrier : la droite dure, décom­plexée n’aura pas peur de s’attaquer aux droits démocratiques.

Du bon capitalisme

Soral : « seul le retour aux vieilles valeurs morales : res­pect des anciens, de la hié­rar­chie et de la parole don­née, sens de l’honneur et du beau, goût du rituel… peuvent pro­duire une poli­tique sociale. […] Une alliance de l’honneur et du pro­duc­teur [37]. » Comme Sar­ko­zy, Soral ne veut pas en finir avec le capi­ta­lisme, il veut le mora­li­ser : il y aurait un « bon » et un « mau­vais » capi­ta­lisme, à savoir, les capi­ta­listes indus­triels patriotes contre les capi­ta­listes finan­ciers mon­dia­listes. Encore un mythe… Soral ne dénonce pas le capi­ta­lisme en tant que tel, mais le capi­ta­lisme usu­raire, le prêt à inté­rêts. Il suf­fi­rait donc de remettre les ban­quiers à leur place en réin­ves­tis­sant l’État de ses droits entre autres réga­liens comme le droit de battre mon­naie, ain­si que le sug­gère Marine Le Pen.

Selon Soral, « La Banque devient ain­si pro­prié­taire de tout, sans jamais rien pro­duire, et avec de la fausse mon­naie pour seule mise de fonds ! Nous tou­chons là à ce que nous pou­vons appe­ler à la fois le génie et le vrai secret ban­caire [38]. » Qui n’a été un secret que pour lui, il se révèle donc n’être qu’un vul­gaire key­né­sien (Hit­ler aus­si, tout comme Roo­se­velt, était key­né­sien). Cette ana­lyse n’a donc rien de neuf, ni de mar­xiste, encore moins de révo­lu­tion­naire. Ah ! Nos­tal­gie des temps glo­rieux où l’État pou­vait se prê­ter à lui-même à taux zéro (et donc faire grim­per l’inflation qui ruine le bon petit peuple et engraisse les banques… Soral lui-même recon­naît que le pou­voir poli­tique a plus d’une fois fait un usage abu­sif de la planche à billets). Pas une seule fois d’ailleurs, il ne pose la ques­tion essen­tielle du carac­tère de classe de l’État.

La Réserve Fédé­rale amé­ri­caine repré­sen­te­rait l’archétype de « l’oligarchie ban­caire mon­diale ». Le ver­tige des chiffres sans doute : « Or il faut savoir que les seuls inté­rêts per­çus par la FED s’élèvent, annuel­le­ment, à 2 500 mil­liards de dol­lars. Soit cin­quante fois la for­tune de Bill Gates. […] Une super for­tune que se par­tage le car­tel des douze ban­quiers inter­na­tio­naux cachés der­rière la FED [39]. » Voi­là qui donne le tour­nis ! Sauf que tout est faux. En 2010, la FED réa­lise un béné­fice de 80,9 mil­liards de dol­lars, dont 78,4 mil­liards rever­sés au bud­get fédé­ral, soit la qua­si-tota­li­té. On est loin des 2 500 mil­liards, qui sont le chiffre d’affaires de la FED non de ses béné­fices. Les béné­fices de la FED sont l’équivalent des béné­fices cumu­lés des quatre entre­prises mul­ti­na­tio­nales qui ont fait le plus de béné­fices en 2010 : Gaz­prom (Rus­sie), Exxon Mobil (États-Unis), Indus­trial & Com­mer­cial Bank of Chi­na (Chine) et Bri­tish Petro­leum (Royaume-Uni). Trois d’entre elles sont des com­pa­gnies pétro­lières, de vrais capi­ta­listes indus­triels. Les entre­prises russe et chi­noise sont pos­sé­dées par l’État.

Il parle encore de la mise en cir­cu­la­tion de nou­veaux billets pour 4 mil­liards de dol­lars basés sur un équi­valent argent (en fait, cela était pos­sible depuis une loi votée au congrès en 1934 ; Ken­ne­dy n’a fait qu’étendre ce prin­cipe ; on est loin d’une attaque fron­tale contre la FED…). Quatre mil­liards, ça pèse peu face aux 533 mil­liards de dol­lars que la guerre du Viet­nam a coû­tés au contri­buable amé­ri­cain et de la part qu’en ont tirée les géants de l’armement… [40]

Soral aime mettre en exergue le club du Siècle comme preuve du grand com­plot de la « Banque ». Mais un exa­men atten­tif de la liste des par­ti­ci­pants aux dîners du Siècle de jan­vier 2011 montre que sur les 131 hommes d’affaires pré­sents [41], il y a autant de repré­sen­tants des banques que d’entreprises indus­trielles ou de ser­vices. Il y a sur­tout ceux issus de grands groupes d’investissements finan­ciers dont les acti­vi­tés sont mul­ti­sec­to­rielles, tels Lagar­dère, Aforge, le groupe Arnault (la socié­té hol­ding de Ber­nard Arnault, le qua­trième homme le plus riche de la pla­nète) ou encore LBO France. Qui n’a pas enten­du par­ler du dîner du Fouquet’s du 7 mai 2007, le len­de­main de l’élection de Sar­ko­zy [42] ? On pou­vait y voir le gra­tin des capi­ta­listes fran­çais venus féli­ci­ter leur pou­lain qu’ils avaient réus­si à faire élire : les Arnault, Bol­lo­ré, Bouygues, Das­sault, Decaux, Frère et bien d’autres. Ce sont ces hommes qui dirigent la poli­tique fran­çaise dans l’ombre du gou­ver­ne­ment. Les por­te­feuilles d’actions de ces capi­ta­listes montrent plu­tôt une imbri­ca­tion com­plète entre capi­tal finan­cier et indus­triel et non la domi­na­tion de l’un sur l’autre.

Voi­là pour le sérieux de la « méthode » Soral. Après ça, il lui est aisé de nous faire prendre des ves­sies pour des lan­ternes… de dif­fé­ren­cier les « bons » capi­ta­listes des « mauvais ».

Les sala­riés : « des minables qui font un tra­vail de merde [43] »

Toute ten­ta­tive de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme serait-elle illu­soire ? « Cri­mi­nelle ! » répond Soral : « Des deux révo­lu­tions du 20e siècle, la sur­réa­liste et la com­mu­niste, que reste-t-il ? L’une a chan­gé les objets de déco­ra­tion sur les murs des bour­geois, l’autre notre arro­gance quant à la pos­si­bi­li­té de chan­ger le monde autre­ment que sur le plan esthé­tique. Révo­lu­tion futile selon l’ordre du désir, révo­lu­tion ratée selon l’ordre de la pro­duc­tion, deux échecs qui nous forcent à réflé­chir sur les pièges jon­chant le dur che­min qui mène à l’homme nou­veau [44]. »

Soral défend une dia­lec­tique des équi­libres entre domi­nants et domi­nés, ponc­tuel­le­ment rom­pus, mais tou­jours res­tau­rés par une néces­si­té his­sée au rang de loi de la nature. On est chez lui confron­té à une vision cyclique et fata­liste de l’histoire : il n’y a pas de pro­grès, c’est l’éternel retour de la domi­na­tion. Rien de nou­veau sous le soleil, il y a tou­jours eu des riches et des pauvres : « Les hommes ont des idées et ils sont obli­gés de vivre ensemble. Doués d’imagination par la fonc­tion sym­bo­lique, mais aus­si d’expression par le lan­gage, ils sont por­tés par leur nature à dis­cu­ter la Loi […] quelle que soit la puis­sance de la révé­la­tion, toute reli­gion […] est-elle contrainte de jus­ti­fier la Loi par la logique. Intro­dui­sant de fait, comme le ver dans le fruit, la rai­son dans la foi… C’est ce moment de bas­cu­le­ment [45] » qui de manière répé­tée ren­ver­se­rait les anciennes élites pour en ins­tau­rer de nou­velles, por­tées par une foi tout aus­si nou­velle, jusqu’à ce que le cycle recom­mence. Pas de pro­grès donc : éter­nelle domi­na­tion des élites sur les masses, éter­nelle, car naturelle.

Soral ne veut donc pas mettre fin à l’exploitation. Cette der­nière serait dans l’ordre natu­rel des choses. « La démo­cra­tie n’a jamais exis­té […] Seule dif­fé­rence avec l’ancienne ver­sion anti­dé­mo­cra­tique d’avant 1789 ? Le pri­vi­lège de pou­voir être exploi­té par un ancien pauvre [46]. » « Esclaves noirs, serfs blancs, pro­lé­taires… Le men­songe que les Afro-Amé­ri­cains ont subi en pas­sant du sud au nord après la guerre de Séces­sion est à peu près le même que celui que subirent les serfs en pas­sant du ser­vage au pro­lé­ta­riat, après la Révo­lu­tion. Men­songe démo­cra­tique recou­vrant l’éternelle exploi­ta­tion des humbles [47]. »

Il ne s’agit pas non plus de trans­for­mer la socié­té, puisque c’est impos­sible : « il est inté­res­sant de remar­quer que de tout temps, sous tous les régimes : Égypte pha­rao­nique, démo­cra­tie grecque, brah­ma­nisme hin­dou, monar­chie catho­lique… une oli­gar­chie d’à peine 1 % de la popu­la­tion a tou­jours com­man­dé à la masse des 99 % res­tants ; comme une meute de loups domi­nant un trou­peau de mou­tons [48]. »

Pour Soral, il n’y a que des élites qui se battent entre elles (par petit peuple inter­po­sé et qui prend les coups) pour s’emparer de la machine de l’État, des médias, de l’appareil indus­triel, etc. Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec Marx, car il n’y a pas de classes pour Soral, il n’y a que les élites et les masses ; l’occasionnelle réfé­rence à des luttes de classes n’est qu’un arti­fice de lan­gage pour défendre la théo­rie du grand com­plot, des intrigues entre les élites pour la conquête du pou­voir. Des pou­voirs pour être pré­cis : éco­no­mique, éta­tique, média­tique, etc. La prise du pou­voir n’est qu’un rem­pla­ce­ment par des élites plus jeunes, plus ver­tueuses et spar­tiates (c’est ce qu’il admire dans la com­ba­ti­vi­té des sio­nistes…) des plus anciennes, dégé­né­rées, empê­trées dans leurs contradictions.

Il n’a que mépris pour les ouvriers. À leur pro­pos, il tient le même dis­cours que le MEDEF : « Les 35 heures ne sont pas seule­ment un sym­bole de gauche, c’est-à-dire une mesure de gauche inef­fi­cace […] l’application des 35 heures péna­lise sys­té­ma­ti­que­ment les PME au pro­fit des mul­ti­na­tio­nales […]. Pour les minables qui font for­cé­ment un tra­vail de merde, les petits sala­riés pour qui aucune pers­pec­tive ni aucun épa­nouis­se­ment ne peut plus venir d’un tra­vail alié­né à l’extrême, moins de tra­vail et tou­jours aus­si peu d’argent ; soit l’espoir de res­ter de plus en plus long­temps à la mai­son devant la télé [49]. »

Ils sont les éter­nels per­dants. « Je les res­pecte parce qu’ils font tout le bou­lot », dit-il, mais il tient sur­tout qu’ils res­tent à leur place : bos­ser pour entre­te­nir les « pro­duc­teurs de concepts », les para­sites comme Alain Soral (comme il se défi­nit lui-même d’ailleurs) : « Ado­les­cent […] j’avais pour pro­jet de ne rien faire, juste échap­per le plus pos­sible à l’impératif de pro­duc­tion pour pas­ser ma vie au café, à dis­cu­ter et à regar­der les filles [50]. » « En contem­plant l’Histoire avec un peu de sérieux, on constate que le but per­ma­nent du genre humain fut tou­jours d’échapper au tra­vail [51]. »

Sa concep­tion du tra­vail est celle de toutes les classes d’exploiteurs avant la Révo­lu­tion indus­trielle : une concep­tion de para­sites, le tra­vail vu uni­que­ment et tou­jours comme avi­lis­sant, comme une déchéance. Concep­tion aris­to­cra­tique héri­tée de l’Antiquité grecque, selon laquelle l’homme libre est par défi­ni­tion un com­bat­tant ou un intel­lec­tuel, libé­ré de l’obligation de tra­vailler parce qu’il pos­sède des esclaves pour le faire à sa place. Pas éton­nant qu’il estime un pou­voir fort néces­saire, sinon com­ment faire bos­ser ces fai­néants de pro­lé­taires ? « Le goût du tra­vail bien fait, c’est la digni­té de l’Homme. Un sens de l’excellence et du devoir gan­gre­né par un détour­ne­ment de la lutte des classes deve­nue ali­bi de la paresse et du sabo­tage. Un cer­tain para­si­tisme syn­di­cal [52]. »

L’abolition de l’esclavage et du ser­vage grâce aux luttes des pay­sans contre leurs sei­gneurs ; la Décla­ra­tion des droits de l’Homme en 1789 ; les conquêtes du mou­ve­ment ouvrier comme la fin du tra­vail des enfants, le suf­frage uni­ver­sel, les contrats de tra­vail, la loi sur les huit heures, les liber­tés syn­di­cales, la sécu­ri­té sociale ; la révo­lu­tion d’Octobre, les États socia­listes ; les indé­pen­dances des pays colo­ni­sés : tout ça n’existe pas dans le dis­cours de Soral.

Le grand complot

Pour Soral, le rôle des masses devrait donc se limi­ter à sou­te­nir de nou­velles élites plus ver­tueuses et plus solides face à la « Banque, [contre] l’Empire. Leur triomphe [des grands hommes] pas­sant tou­jours et néces­sai­re­ment par l’appui, la consti­tu­tion de réseaux ». D’où les intrigues et les com­plots qui, à la mesure du ren­for­ce­ment de la cohé­sion et de l’influence de ceux-ci, donnent la vic­toire. Ils sont « la condi­tion sine qua non de toute prise de pou­voir… [53] » Ceux qui rêvent que Soral vou­drait faire un patient tra­vail d’organisation, de conscien­ti­sa­tion et de mobi­li­sa­tion des tra­vailleurs pour rendre cette socié­té plus juste en seront pour leurs frais. Non, lui et ses sem­blables veulent être califes à la place du calife : virer BHL et DSK car ce sont des juifs sans morale, parce que juifs. Tan­dis que lui et Le Pen seraient ver­tueux, parce que chré­tiens et fran­çais authentiques…

Soral remet au goût du jour les théo­ries orga­ni­cistes sur la socié­té de Maistre, Bonald et Burke [54], inven­tées au début du 19e pour s’opposer à l’universalisme répu­bli­cain, enfant de la Révo­lu­tion fran­çaise. La socié­té moderne serait absurde, elle rompt les équi­libres natu­rels. Elle est donc vouée à dis­pa­raître « par un châ­ti­ment du sens. C’est juste une ques­tion de temps… Car tout sys­tème de domi­na­tion [doit pos­sé­der] sa jus­ti­fi­ca­tion trans­cen­dante dans l’ordre sym­bo­lique […] aucun ordre absurde ne sau­rait être durable [55]. » Ou pour le dire autre­ment : toutes les socié­tés com­plexes ont besoin d’ordre, donc de hié­rar­chie. Et qui dit hié­rar­chie, dit inéga­li­té. Mais cette inéga­li­té doit être fon­dée sur un dis­cours qui semble légi­time et basé sur une rela­tion de réci­pro­ci­té. Soral aime prendre à ce pro­pos l’exemple de l’Ancien Régime basé sur trois ordres : ceux qui tra­vaillent, ceux qui prient et ceux qui com­battent et pro­tègent. Il ne dit rien évi­dem­ment des impôts et cor­vées exor­bi­tants exi­gés des pay­sans par l’Église et les sei­gneurs, ni que ces der­niers déci­daient seuls des lois et main­te­naient le peuple dans une igno­rance crasse. Ce n’est pas plus un « châ­ti­ment du sens » qui a mis fin à ce sys­tème, mais bien les sou­lè­ve­ments pay­sans et la Révo­lu­tion française.

Lorsque Soral fait sem­blant de dénon­cer le dis­cours stig­ma­ti­sant des médias à l’encontre des musul­mans, il ne prône pas l’unité des tra­vailleurs contre l’exploitation capi­ta­liste. Non, tout pro­gres­siste se réduit à ce qu’il appelle « Des anti­ra­cistes gau­chistes tou­jours immi­gra­tion­nistes, par haine des peuples enra­ci­nés. Mais, désor­mais anti-isla­mistes, au nom de la défense de la laï­ci­té. Tout cela vou­lu bien sûr par la toute-puis­sance de plus en plus visible du lob­by sio­niste […] une obs­cé­ni­té com­mu­nau­taire par­fai­te­ment illus­trée par la pros­ter­na­tion géné­rale du per­son­nel média­tique et des ins­tances répu­bli­caines, pré­sident de la Répu­blique en tête, à l’annuel dîner du CRIF [56]… [57] » L’enjeu n’est donc pas d’unir les tra­vailleurs, mais tous les vrais Fran­çais contre les dan­gers plus ou moins fan­tas­més du « mon­dia­lisme ». Bref, tout comme le FN, il vend aux capi­ta­listes un dis­cours et des méthodes de défense de l’ordre capi­ta­liste qui seraient plus effi­caces contre les mou­ve­ments sociaux que ceux de l’UMP et du PS.

Il veut nous res­ser­vir le vieux rêve fas­ciste d’un État fort et ultra­na­tio­na­liste afin d’abolir la lutte des classes sans mettre fin à la divi­sion de la socié­té en classes et à l’exploitation : « Un lut­tisme de classe ne pou­vant être contré, dans notre socié­té bour­geoise de l’immanence et du pro­fit, que par la soli­da­ri­té natio­nale en rem­pla­ce­ment de l’ordre divin [58]. »

Soral déve­loppe une théo­rie du grand com­plot comme moteur de l’histoire, l’action des réseaux de pou­voir en lieu et place de la lutte de classes : « La lutte du grand capi­tal mon­dia­liste, mani­pu­lant et finan­çant les révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels issus de la bour­geoi­sie cos­mo­po­lite […] pour empê­cher la jonc­tion popu­laire, elle authen­ti­que­ment révo­lu­tion­naire de la petite bour­geoi­sie et du pro­lé­ta­riat natio­nal […] étant l’histoire cachée du mou­ve­ment ouvrier [59]. » Sa preuve ? Le ral­lie­ment au libé­ra­lisme de toute la gauche à par­tir des années 1970, qui coïn­ci­de­rait avec la fin de la bour­geoi­sie nationale.

Résul­tat ? « La des­truc­tion finale de la classe moyenne — pro­duc­tive, lucide et enra­ci­née — cor­res­pon­dant au pro­jet impé­rial de liqui­da­tion de toute insou­mis­sion au Capi­tal, par essence apa­tride [60]. » Les com­pro­mis­sions répé­tées des sociaux-démo­crates avec l’ordre bour­geois, la déser­tion du com­bat anti­ca­pi­ta­liste par le PCF : tout cela ne serait que le pro­duit d’un grand com­plot de la « Banque », concoc­té il y a plus d’un siècle et dont les « maîtres du monde » auraient pré­vu toutes les étapes. La révo­lu­tion d’Octobre en Rus­sie et la chute du mur de Ber­lin ; tout aurait donc été gou­pillé à l’avance ? Tous les enchaî­ne­ments de l’histoire devraient donc abou­tir au « règne de la finance amé­ri­caine sur le reste du monde, à tra­vers la créa­tion de la Banque mon­diale et du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal. L’Empire [61]. » Il y avait donc un plan de domi­na­tion au départ…

Toute cette longue, pénible et déli­rante démons­tra­tion, pour en arri­ver fina­le­ment à prô­ner comme alter­na­tive : le ral­lie­ment du monde du tra­vail à l’impérialisme fran­çais contre le grand com­plot mon­dia­liste américano-atlanto-judéo-maçonnique.

Marx : l’ennemi à abattre

Tout le dis­cours de Soral sur la récon­ci­lia­tion de la droite des valeurs et de la gauche du tra­vail masque mal que son véri­table objec­tif est de réha­bi­li­ter le fas­cisme. Son rôle dans le jeu poli­tique fran­çais : ratis­ser large, ral­lier un élec­to­rat d’origine immi­grée, et ce, mal­gré la cam­pagne anti-islam de Marine Le Pen, ral­lier des jeunes déçus des incon­sé­quences d’une gauche qui se renie et est tou­jours plus libé­rale. L’objectif ? Un suc­cès élec­to­ral pour le FN en 2012, ce qui accé­lè­re­rait le rap­pro­che­ment UMP-FN. Le tout afin d’aboutir à une fas­ci­sa­tion de l’État fran­çais qui for­ti­fie­rait l’impérialisme fran­co-alle­mand, libé­ré de son alliance et de sa sujé­tion à l’impérialisme étasunien.

Le pro­lé­ta­riat se consti­tue de ceux qui sur­vivent en ven­dant leur force de tra­vail aux capi­ta­listes pos­ses­seurs des moyens de pro­duc­tion. Ils sont les pro­duc­teurs de toutes les richesses et n’ont pour­tant le droit de rien dire sur com­ment faire tour­ner la socié­té. Le mar­xisme donne jus­te­ment les clés pour sor­tir de cette sou­mis­sion, il offre une pers­pec­tive aux luttes éparpillées.

Que pense Soral du mou­ve­ment ouvrier ? « Classe poten­tiel­le­ment révo­lu­tion­naire de petits sala­riés incar­nant le pou­voir réel, mais dénués de toute sub­jec­ti­vi­té sub­ver­sive d’un côté ; classe tra­di­tion­nel­le­ment révol­tée, mais sor­tie de l’Histoire en même temps que de la pro­duc­tion concur­ren­tielle ou de la pro­duc­tion tout court, de l’autre… »

Que pense-t-il du mar­xisme ? « Le mar­xisme a ren­con­tré le pro­blème de toutes les sciences humaines, qui est de ne pas être tout à fait exactes. […] Quoi qu’il en soit, les 10 % qui sépa­raient au départ Dieu de Marx (le second après Dieu) se mesurent à l’arrivée par l’écart entre le “socia­lisme réel” et le para­dis ! » Assez tôt dans son livre Contre l’Empire, il doit quand même évo­quer l’expérience de la construc­tion du socia­lisme en URSS pour mieux pou­voir éva­cuer la seule ten­ta­tive réus­sie d’une alter­na­tive anti­ca­pi­ta­liste : « Le com­mu­nisme sovié­tique étant, en théo­rie, la ten­ta­tive de mettre hors d’état de nuire la domi­na­tion oli­gar­chique et pri­vée de l’argent, par la socia­li­sa­tion inté­grale des moyens de pro­duc­tion sous contrôle public de l’État ». Une épo­pée qu’il qua­li­fie de « juive en haut pour la volon­té de domi­na­tion, chré­tienne en bas pour l’espoir de par­tage [62] ». Il réha­bi­lite la vieille ren­gaine fas­ciste du com­plot judéo-bol­che­vique de domi­na­tion mon­diale. Encore une fois, le bon petit peuple (russe ortho­doxe) a été mani­pu­lé par des élites (juives).

Il s’agit bien d’une attaque en règle contre le mou­ve­ment ouvrier révo­lu­tion­naire et les expé­riences des pays socia­listes. Il lui faut déni­grer les expé­riences de construc­tion du socia­lisme, ten­ta­tives de réa­li­ser une socié­té sans classes, pour pou­voir mieux défendre son modèle fas­ciste d’une socié­té qui main­tien­drait l’exploitation, mais avec la maigre conso­la­tion d’être domi­née par une nou­velle élite auto­pro­cla­mée plus ver­tueuse que l’ancienne. Avec un tel dis­cours, il est donc tout à fait « poli­ti­que­ment cor­rect » ! Il hurle en chœur avec tous les anti­com­mu­nistes de la gauche sociale-démo­crate à la droite UMP qu’il n’y a rien à tirer de l’expérience des pays socialistes.

Contre Marx, Soral défend Prou­dhon, Bakou­nine et Sorel, « Une socié­té mutua­liste de petits pro­duc­teurs […] Une socié­té aux anti­podes aus­si bien du socia­lisme mar­xiste-léni­niste que du capi­ta­lisme bour­geois, tous deux fon­dés sur la fuite en avant tech­ni­cienne, l’extrême divi­sion du tra­vail et le sala­riat géné­ra­li­sé au ser­vice d’un État-patron (pour le socia­lisme) et d’un Patron-État (pour le capi­ta­lisme), ce qui revient au même… [63] » Soit le socia­lisme uto­pique contre le socia­lisme scien­ti­fique. Nous avons vu qu’il repousse l’utilisation de la méthode scien­ti­fique pour l’étude des socié­tés. C’est la volon­té contre la science, les mythes sont cen­sés rem­pla­cer les faits, car l’histoire ne serait qu’une construc­tion idéo­lo­gique de l’élite des vain­queurs, de ceux qui ont le pou­voir. Tous les fas­cistes sont anti­mo­dernes, Mus­so­li­ni aus­si citait Prou­dhon et Sorel. Les nazis aus­si ont flat­té la pay­san­ne­rie et le petit-bour­geois alle­mand avant de don­ner tout le pou­voir aux géants industriels.

Sur les fausses solu­tions fascistes

Le pro­lé­ta­riat est sans volon­té propre ; toute ten­ta­tive d’émancipation est illu­soire ; l’exploitation et la divi­sion en classes ont tou­jours exis­té ; les masses sont tou­jours mani­pu­lées ; il n’est pas pos­sible d’être objec­tif et scien­ti­fique en étu­diant l’histoire… Qui donc est ser­vi par un tel discours ?

Aujourd’hui, il n’y aurait plus de dan­ger fas­ciste ; il y a des élites per­verses et des élites ver­tueuses ; il y a des bons et des mau­vais capi­ta­listes ; ce qu’il nous faut c’est un État fort ; nous devons tous nous ras­sem­bler der­rière la ban­nière tri­co­lore… Quelle classe un tel pro­gramme défend-il ? Oui, c’est vrai, le fas­cisme s’est tou­jours posé en alter­na­tive au libé­ra­lisme. Mais il n’ambitionne nul­le­ment la fin de l’exploitation capitaliste.

L’impérialisme alle­mand et fran­çais est pro­vi­soi­re­ment allié à l’impérialisme amé­ri­cain pour faire face à la mon­tée en puis­sance de la Chine, per­çue comme une menace contre l’hégémonie éta­su­nienne. Cer­tains fas­cistes comme Soral estiment que l’Allemagne et la France doivent se déta­cher du lien atlan­tique et se consti­tuer en super­puis­sance : c’était le pro­jet de De Gaulle. Une telle option ne pour­ra se faire qu’au prix de lourds sacri­fices payés par les tra­vailleurs. Mais cela importe peu aux fas­cistes comme Soral, seule compte la gran­deur de la France des capitalistes.

Les fas­cistes ont tou­jours ven­du leurs ser­vices aux capi­ta­listes, pré­ten­dant qu’ils étaient plus effi­caces que les par­tis démo­cra­tiques pour mater le mou­ve­ment ouvrier : « J’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore des hommes […] toutes ces merdes du sys­tème UMPS […] J’aimerais bien voir le jour où ça va péter dans la rue, com­ment ils vont se com­por­ter […] moi je suis prêt déjà à ça, pas eux [64]. » Alors que de grandes luttes sociales s’annoncent pour contrer l’austérité vou­lue par l’Europe des patrons, Soral et ses sem­blables sentent que leur temps est venu.

La réponse de la vraie gauche à la crise géné­rale du capi­ta­lisme qui s’abat contre le monde du tra­vail doit com­battre le fata­lisme entre­te­nu par les médias bour­geois. Les soi-disant véri­tés sur les pays socia­listes, sur les révo­lu­tions et les luttes qui ne changent rien, sur les boucs émis­saires de la crise, tout cela est une construc­tion idéo­lo­gique emprun­tée par Soral au dis­cours domi­nant de la bour­geoi­sie. Il pros­père sur le fumier de La bar­ba­rie à visage humain de Ber­nard-Hen­ri Lévy, sur les pro­vo­ca­tions racistes d’Éric Zem­mour, sur le dis­cours au kar­cher de Sarkozy.

Soral refuse aux oppri­més toute ini­tia­tive propre, toute vel­léi­té de sor­tir de leur condi­tion d’exploités, tout rôle dans l’histoire. Or, Marx a démon­tré que c’est la lutte des classes qui est un des prin­ci­paux moteurs de l’histoire. Et les faits ont démon­tré que les ouvriers étaient capables de prendre leur sort en main : pour sor­tir les enfants des mines, pour aug­men­ter les salaires, pour ne plus tra­vailler comme des for­çats, pour se syn­di­quer et même prendre le pou­voir et ten­ter de construire le socia­lisme en URSS.

« Tout indique qu’un long pro­ces­sus ini­tié au 18e siècle par une oli­gar­chie ban­caire mue par l’hybris de la domi­na­tion approche de son épi­logue. Ce Nou­vel ordre mon­dial […] un gou­ver­ne­ment mon­dial sur les décombres des Nations. Cette oli­gar­chie spo­lia­trice […] nomade aux pro­cé­dés sata­niques menant le monde à cet “âge sombre” décrit par la Tra­di­tion. 2012 : soit la dic­ta­ture de l’Empire ou le début du sou­lè­ve­ment des peuples. La gou­ver­nance glo­bale ou la révolte des nations [65]. » 2012, échéance de l’élection pré­si­den­tielle en France, voi­là le moment où tout peut bas­cu­ler. Les capi­ta­listes n’ont qu’à bien se tenir, ils en tremblent déjà…

« Révolte des nations » contre l’ « Empire de la Banque » ? Ce qui se cache der­rière cette fumis­te­rie, c’est le pro­jet fas­ciste de res­tau­rer la « gran­deur » de la France, alliée à l’Allemagne pour défier les États-Unis et sou­mettre les pays du tiers monde. Ce pro­jet impé­ria­liste sert les inté­rêts du grand capi­tal fran­çais et leur pro­pose la consti­tu­tion d’un État fort et mili­ta­riste sur les ruines de la sécu­ri­té sociale. Les tra­vailleurs n’ont rien à gagner à suivre un tel pro­gramme. C’est ici qu’il faut être clair sur ce que l’on veut : sou­te­nir l’impérialisme euro­péen contre l’impérialisme amé­ri­cain ? Ou sou­te­nir les luttes des tra­vailleurs et des peuples oppri­més contre tous les impérialismes ?

Ne lais­sons pas des Soral fal­si­fier encore plus l’histoire que la bour­geoi­sie ne l’a déjà fait. La consti­tu­tion d’un large front anti­ca­pi­ta­liste et anti­fas­ciste néces­site pour être effi­cace que les orga­ni­sa­tions ouvrières en prennent la tête. Cela passe aus­si par la lutte idéo­lo­gique contre la pen­sée unique et contre cette fausse alter­na­tive qu’est le fas­cisme, car elle est le plan B de la bour­geoi­sie pour sou­mettre par la force le mou­ve­ment ouvrier. Si elle s’imagine qu’on va la lais­ser faire…

Maxence Sta­quet

Notes

[1] http://www.comprendrelempire.fr/ et http://www.egaliteetreconciliation.fr/

[2] Alain Soral, Abé­cé­daire de la bêtise ambiante, Édi­tions Blanche, Paris, 2008, p. 13.

[3] http://www.dailymotion.com/video/x8069t_alain-soral-parle-de…

[4] http://oumma.com/Interview-de-l-ecrivain-Alain->view-source:http://oumma.com/Interview-de-l-ecrivain-Alain

[5] http://www.youtube.com/watch?v=Q7LngtEE0Gk->view-source:http://www.youtube.com/watch?v=Q7LngtEE0Gk

[6] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Le-politiquement-incor…

[7] http://www.youtube.com/watch?v=ogxPrMc8AtU->view-source:http://www.youtube.com/watch?v=ogxPrMc8AtU

[8] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 180 – 182.

[9] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Le-politiquement-incor…

[10] http://www.youtube.com/watch?v=ffma4lH_6iY->view-source:http://www.youtube.com/watch?v=ffma4lH_6iY

[11] http://www.chambre-de-commerce-franco-libyenne.org/index.php…

[12] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Le-politiquement-incor…

[13] http://www.youtube.com/watch?v=W16vBf3oomU

[14] Alain Soral, « Du com­mu­nisme au natio­na­lisme », allo­cu­tion pro­non­cée à Vénis­sieux le ven­dre­di 2 mars 2007 http://www.egaliteetreconciliation.fr/Du-communisme-au-natio…

[15] Selon l’heureuse expres­sion de Zeev Stern­hell, Ni droite, ni gauche : L’idéologie fas­ciste en France, Édi­tions du Seuil, Paris, 1983.

[16] http://des-infos.20minutes-blogs.fr/archive/2007/06/13/artic…

[17] Alain Soral, « Du com­mu­nisme au natio­na­lisme », op. cit.

[18] Ibid.view-source:http://www.chambre-de-commerce-franco-libyenne.org/index.php…

[19] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 328 – 329.

[20] Ibid., p. 21.

[21] Fran­çois-Xavier Ver­schave, Au mépris des peuples : Le néo­co­lo­nia­lisme fran­co-afri­cain, La Fabrique édi­tions, Paris, 2004.

[22] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 225.

[23] Ibid., p. 162 – 163.

[24] http://www.youtube.com/watch?v=yNcwe9Bmak8

[25] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 33 – 34.

[26] Ibid., p. 192.

[27] Ibid., p. 449.

[28] http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/…

[29] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 176 – 179.

[30] Ibid., p. 195 – 199.

[31] Lire à ce pro­pos l’article « De Gaulle, Charles » dans Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 297 – 300.

[32] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 294

[33] Beate Lan­de­feld, « La bour­geoi­sie s’européanise-t-elle ? » Études mar­xistes no 90, 2010, p. 71.

[34] http://money.cnn.com/magazines/fortune/global500/2008/countr…

[35] http://www.dailymotion.com/video/xcvldn_alain-soral-sur-l-af…

[36] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Alain-Soral-entretien-…

[37] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 7.

[38] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 50.

[39] Ibid., p. 60.

[40] Ibid., p. 66 – 67.

[41] http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/03/66/15/plpl/Participan…

[42] Lire à ce pro­pos M. Pin­çon et M. Pin­çon-Char­lot, Le pré­sident des riches, Paris, La Décou­verte, 2010.

[43] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 28 – 29.

[44] Ibid., p. 435.

[45] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 80.

[46] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 88 – 89.

[47] Ibid., p. 328.

[48] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 102.

[49] Alain Soral, Abé­cé­daire…, op. cit., p. 28 – 29.

[50] Ibid., p. 11.

[51] Ibid., p. 103.

[52] Ibid., p. 466.

[53] Ibid.

[54] Voir Zeev Stern­hell, Les anti-Lumières : Une tra­di­tion du XVIIIe siècle à la guerre froide, Gal­li­mard, Paris, 2010.

[55] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 79 – 80.

[56] Conseil repré­sen­ta­tif des ins­ti­tu­tions juives de France

[57] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 190 – 195.

[58] Ibid., p. 119.

[59] Ibid., p. 133.

[60] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 133 – 143.

[61] Ibid., p. 57 – 58.

[62] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 67 – 69.

[63] Ibid., p. 120 – 131.

[64] http://www.youtube.com/watch?v=W16vBf3oomU

[65] Alain Soral, Com­prendre l’Empire, op. cit., p. 237 – 238.