Est-ce que Tripoli est poussé à la guerre civile pour justifier une intervention militaire des Etats-Unis et de l’OTAN dans la Libye qui regorge de pétrole ?
La peur arrive à Tripoli
Par Mahdi Darius Nazemroaya, Mondialisation.ca, Le 1 mars 2011
Est-ce que Tripoli est poussé à la guerre civile pour justifier une intervention militaire des Etats-Unis et de l’OTAN dans la Libye qui regorge de pétrole ?
Est-ce que les pourparlers relatifs aux sanctions sont le prélude à une intervention de type Irak ?
Il y a quelque chose de pourri dans la “Jamahiriya” de Libye
Il est certain que le Colonel Mouammar Kadhafi (Al-Gaddafi) est un dictateur. Il a été le dictateur et “caïd” de la Libye pendant à peu près 42 ans. Il apparaît aujourd’hui qu’on a fait monter les tensions et qu’on a attisé les flammes de la révolte sur place en Libye. Ceci inclut les déclarations du Secrétaire des Affaires Etrangères britannique William Hague comme quoi le Colonel Kadhafi avait quitté la Libye pour le Vénézuela. [1] Cette déclaration à servi à amplifier la révolte contre Kadhafi et son régime en Libye.
Bien qu’ils soient tous les trois dictateurs, le Libyen Kadhafi est assez différent du tunisien Ben Ali et de l’égyptien Moubarak. Le pouvoir en Libye n’est pas tellement subordonné aux Etats-Unis et à l’Union Européenne. Contrairement aux cas de la Tunisie et de l’Egypte, la relation qui existe entre Kadhafi et les ETats-Unis et l’Union européenne est un modus vivendi. En clair, Kadhafi est un dictateur arabe indépendant et non pas un “dictateur supervisé” comme Ben Ali et Moubarak.
En Tunisie et en Egypte, le statu quo prévaut, la machine militaire et le néo-libéralisme restent intacts, tout ceci roule dans le sens des intérêts des Etats-Unis et de l’Union Européenne. Par contre en Libye, les Etats-Unis et l’Union Européenne ont pour objectif de bouleverser l’ordre établi.
Les Etats-Unis et l’Union Européenne. veulent maintenant capitaliser sur la révolte contre Kadhafi et sa dictature en espérant se forger une position plus forte que jamais en Libye. Des armes entrent en Libye par ses frontières sud pour pousser la révolte. La déstabilisation de la Libye aurait aussi des conséquences significatives pour l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest et les réserves d’énergie globales.
Le Colonel Kadhafi en bref
L’accession au pouvoir de Kadhafi a commencé quand il était lieutenant libyen au sein d’un groupe d’officiers qui ont fomenté un coup d’Etat. Le coup d’Etat de 1969 était contre la jeune monarchie libyenne et son roi Idris Al-Sanusi. Sous cette monarchie, la Libye était passive vis-à-vis des intérêts des Etats-Unis et de l’Europe de l’ouest.
Bien qu’il n’aie aucun poste officiel ou gouvernemental, Kadhafi a alimenté et profondément enraciné une culture politique du favoritisme, de la corruption et des privilèges en Libye, dès le coup d’Etat de 1969. De plus, en toile de fond, il a aussi renforcé le culte de la personnalité en Libye.
Kadhafi a tout fait pour s’ériger en héros devant les masses, et en particulier les Arabes et les Africains. Ses aventures militaires au Tchad étaient aussi liées au fait de laisser sa marque dans l’histoire et de créer un état client en morcelant le Tchad. Le “cahier vert” de Kadhafi a été fortement décrit et vénéré en tant qu’exploit politique et philosophique. De nombreux intellectuels ont été obligés ou payés pour le soutenir.
Avec le temps, le Colonel Kadhafi a essayé de se forger une image romantique d’homme du peuple. Ceci implique notamment de vivre sous la tente. Il a tout fait pour se faire remarquer. Ses réprimandes à l’égard des autres dictateurs arabes, comme le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite pendant les sommets de la Ligue Arabe ont fait la une des journaux et ont été bien accueillis par beaucoup d’Arabes. Pendant ses visites d’état, il s’est ostensiblement entouré d’une garde rapprochée féminine pour attirer l’attention. De plus, il s’est aussi auto-proclamé imam ou leader des Musulmans, et homme de Dieu, discourant sur l’Islam en Libye et en dehors.
La Libye est gérée par un gouvernement sous la coupe de Kadhafi. La peur et le favoritisme ont été le nerf de la guerre pour maintenir l’ordre en Libye parmi les officiels aussi comme les citoyens. Des Libyens et aussi des étrangers ont été tués ou ont disparu pendant plus de dix décades. Le cas du Libanais Musa Al-Sadr, le fondateur du mouvement Amal, est l’un des plus fameux et a toujours été une entrave pour les relations Libano-Libyennes. Kadhafi a eu une influence très négative en créant et en conditionnant une hiérarchie entière d’officiels corrompus à Tripoli. Chacun poursuit son propre intérêt aux frais des Libyens.
Ruptures et Tensions dans la Hiérarchie du Régime de Kadhafi.
A cause de la nature du régime de Kadhafi à Tripoli, il y a beaucoup de tensions internes en Libye et dans la structure du régime elle-même. L’un de ces sujets de tension est entre Saif Al-Islam Kadhafi et le cercle des ministres plus âgés de son père. Les ministres libyens sont en général divisés entre ceux qui se regroupent autour de Saif Al-Islam et ceux qui font partie de la vieille garde.
Il y a même des tensions entre Kadhafi et ses fils. En 1999, Mutassim Al-Kadhafi essaya de renverser son père quand le Colonel Kadhafi était hors de Libye. Mutassim Kadhafi dispose d’un panel de sociétés libyennes en tant que conseiller en sécurité nationale. Il est fameux parmi les Libyens en tant que play-boy ayant passé la plupart de son temps en Europe et à l’étranger. Il y a aussi Khames Kadhafi qui a sa milice de nervis, qu’on appelle la milice Khames. Il a toujours été vu comme un candidat sérieux pour la succession par rapport à ses frères.
On a toujours eu en Libye des craintes au sujet de la succession en cas de disparition du Colonel Kadhafi. Au fil du temps, Kadhafi a purgé en profondeur la Libye de toute forme d’opposition organisée et a empêché quiconque, à part sa famille, d’acquérir suffisamment de pouvoir pour défier son autorité.
Le problème de la loyauté et de la défection en Libye.
Sans aucun doute, il n’y a pas une grande loyauté envers Kadhafi et sa famille. C’est par peur que les Libyens se sont tenus tranquilles. Au niveau du gouvernement libyen et des militaires libyens, bons ou corrompus, ils se sont tenus tranquilles par peur et par intérêt personnel. Cette chape de peur vient de sauter. Les affirmations et les déclarations de dénonciations contre le régime de Kadhafi arrivent des officiels, des villes et des casernes dans toute la Libye.
Aref Sharif, commandant de la Force Aérienne libyenne, a lâché Kadhafi. Le Ministre de l’ Intérieur Abdul Fatah Al-Yunis (Al-Younis), qui est de Bengazi et supervise une section des opérations spéciales en Libye a démissionné. On rapporte que Yunis est le numéro deux de Kadhafi, mais c’est inexact. Abdullah Sanusi, le chef des services secrets libyens et allié à Kadhafi par son mariage, serait plutôt numéro deux dans la structure du pouvoir à Tripoli.
On a rapporté que deux pilotes libyens se seraient réfugiés à Malte et que des vaisseaux de la marine libyenne auraient refusé d’attaquer Bengazi. Les défections continuent en cascade au sein de l’armée et du gouvernement. Maintenant, il faut une pause pour analyser la situation.
L’opposition libyenne
Il est temps de se demander qui est l’opposition en Libye. L’opposition n’est pas monolithique. Son commun dénominateur est l’opposition au système de Kadhafi et de sa famille. Il faut dire que les “actions d’opposition ou de résistance contre l’oppresseur” et un “mouvement d’opposition” sont deux choses différentes. Principalement, les gens ordinaires et les officiels libyens corrompus, qui génèrent une haine bien ancrée envers Kadhafi et sa famille, sont maintenant dans le même camp, mais il y a des différences.
Il y a une forme d’opposition authentique qui n’est pas organisée, et une forme d’opposition systématique, qui est soit externe, soit menée par des personnalités du régime libyen proprement dit. L’opposition interne des gens authentiques en Libye n’est pas organisée et les “actions de l’opposition” venant du peuple ont été spontanées. Pourtant, l’opposition et la révolte ont été encouragés et relatées depuis l’extérieur de la Libye à travers les réseaux sociaux, les chaînes de nouvelles internationales et les évènements à travers le reste du Monde Arabe. [2]
Le leadership de l’opposition interne qui émerge en Libye vient de l’intérieur du régime lui-même. Les officiels corrompus qui se sont rebellés contre Kadhafi ne sont pas choisis par le peuple. Ces figures de l’opposition ne sont pas opposées à la tyrannie ; elles sont surtout opposées à la férule du Colonel Kadhafi et de sa famille. Aref Sharif et Al-Yunis sont eux-mêmes des personnalités du régime libyen.
Il faut voir que quelques officiels libyens qui se sont retournés contre Kadhafi le font pour se sauver, alors que d’autres vont travailler à mollir ou durcir leurs positions. Abdel Moneim Al-Honi, le délégué libyen à la Ligue Arabe au Caire, peut être pris comme exemple. Al-Honi a dénoncé Kadhafi, mais il faut remarquer qu’il était l’un des membres du groupe des officiers libyens qui ont fait le coup d’Etat de 1969 avec Kadhafi et que plus tard en 1975, il a lui même essayé de prendre le pouvoir en un coup d’Etat manqué. Après ce coup manqué, il a fui la Libye et ne revint qu’en 1990 après que Kadhafi lui eût pardonné.
Al-Honi n’a pas été le seul diplomate libyen à démissionner. L’ambassadeur libyen en Inde en fit autant. Il y a une intention de la part de ces officiels à être partie-prenante du pouvoir en Libye après l’éviction de Kadhafi.
L’ambassadeur de Libye en Inde Ali al-Essawi a déclaré à la BBC qu’il démissionnait, opposé à l’attitude violente du gouvernement envers les manifestants.
M. Al-Essawi avait été Ministre à Tripoli et pourrait être une personnalité importante dans un gouvernement alternatif, au cas où le Président libyen Mouammar Kadhafi perde le pouvoir.
Le second diplomate libyen à démissionner fut le représentant permanent auprès de la Ligue Arabe Abdel Moneim al-Honi, qui déclara au Caire qu’il devait quitter son poste pour “rejoindre la révolution” dans son pays.
“J’ai remis ma démission en protestation contre les actes de répression et de violence contre les manifestants, et je rejoins les rangs de la révolution,” a déclaré M. Al-Honi. Le second Secrétaire Hussein Sadiq al Musrati, a annoncé sa démission depuis la Chine, dans un interview à Al-Jazeera, et a appelé l’armée à intervenir dans le soulèvement. [3]
A nouveau, ces officiels en révolte, comme Al-Yunis et Sharif, sont issus du régime. Ce ne sont pas des diplomates, mais d’anciens ministres. Il y a aussi la possibilité que ces “figures de l“opposition” pourraient avoir fait ou faire des arrangements avec des puissances étrangères.
Puissances étrangères en jeu en Libye
Les gouvernements des Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne et Italie savaient très bien que Kadhafi est un despote, mais cela ne les a nullement empêchés de faire des affaires lucratives avec Tripoli. Quand les media ont couvert la violence en Libye, on aurait pu aussi se demander, d’où viennent les armes qu’on a utilisées ? Les ventes d’armes que les Etats-Unis et l’Union Européenne ont faites à la Libye doivent être examinées. S’agit-il d’une partie de leur programme de promotion ?
Depuis le rapprochement entre les Etats-Unis et la Libye, les forces militaires des deux pays se sentent des points communs. La Libye et les E.U. ont des transactions militaires, et depuis le rapprochement, Tripoli s’est montré très intéressé à acheter du matériel lourd américain. [4] En 2009, une porte-parole du Pentagone, le Lieutenant-Colonel Hibner, a affirmé que cette relation était au mieux ; “[Les E.U.] considéreront les demandes libyennes pour des équipement de défense qui permettent [à la Libye] de se renforcer dans des zones qui servent nos intérêts mutuels [ou les intérêts synchronisés des Etats-Unis et de la Libye].” [5] Le critère est ici les intérêts des Etats-Unis, c’est-à-dire que le Pentagone n’armera la Libye que sur la base des intérêts étasuniens.
Il semble que ce qui est arrivé hier, c’est l’arrivée en Libye de tout un arsenal de matériel de défense des Etats-Unis. Des jets F‑16 made in USA, des hélicoptères Apache et des véhicules sont utilisés en Libye par Kadhafi. Si elle est confirmée, cette révélation est choquante. Il n’y a pas de confirmation officielle au sujet de ce matériel militaire en provenance des Etats-Unis dans l’arsenal libyen. Par rapport aux F‑16, les jets libyens sont traditionnellement des Mirages de fabrication française et des MIGs russes.
Silvio Berlusconi et le gouvernement italien ont également été d’ardents supporters du régime de Kadhafi. Il y a une information en provenance de Libye selon laquelle il y aurait des pilotes italiens au sein de l’Armée de l’Air libyenne. [7] Il y a également des mercenaires venant du Tchad, du Soudan, du Niger et du Nigeria. Ceci a été vérifié sur des vidéos en provenance de Libye. Le régime libyen envisage également de passer des contrats avec des sociétés de sécurité américaines ou européennes (mercenaires). [8]
Les Politiques d’Al Jazeera
Le gouvernement libyen a coupé Internet et les lignes téléphoniques, une guerre de l’information est en cours. Bien qu’étant l’un des réseaux d’information les plus professionnels du monde, il faut reconnaître qu’Al Jazeera n’est pas neutre. Il est subordonné à l’Emir du Quatar et au gouvernement Quatari, qui est aussi une autocratie. En sélectionnant et choisissant ce qu’il rapporte, la couverture de la Libye par Al Jazeera est biaisée. Ceci saute aux yeux quand on examine la couverture de Barheïn par Al Jazeera, qui a été tronquée en raison des liens politiques entre Barheïn et Quatar.
Les retours d’Al Jazeera sur les jets libyens faisant feu sur les manifestants à Tripoli et dans les villes principales ne sont pas confirmés et posent question. [9] D’où les relations selon lesquelles les jets libyens auraient attaqué les gens dans les rues n’ont pas été vérifiées. On n’a aucune preuve visuelle de l’attaque des jets, alors que les autres évènements de Libye ont été confirmés par des preuves visuelles.
Al Jazeera n’est pas le seul à avoir biaisé les informations venant de Libye. Les media d’Arabie Saoudite se délectent également des évènements en Libye. Asharq Al-Awsatest un journal appartenant à un Saoudien, et qui est strictement aligné sur les intérêts des Etats-Unis dans la région du Moyen-Orient Afrique de l’Est (MENA). Son rédacteur en chef fait actuellement des éditoriaux glorifiant la Ligue Arabe pour sa décision d’exclure la Libye, à cause de l’usage de la force par Tripoli envers les manifestants libyens — pourquoi de telles mesures n’ont-elles pas été prises pour l’Egypte, la Tunisie, le Barheïn ou le Yémen ? — A l’intérieur comme à l’extérieur du Monde Arabe, les media principaux créent actuellement les conditions pour une intervention en Libye.
Le Rôle des intérêts étrangers en Libye
Kadhafi et ses fils ont géré la Libye comme une propriété privée. Ils ont gaspillé ses forces et ses ressources naturelles. L’un des fils de Kadhafi est connu pour avoir payé la chanteuse américaine Beyonce Knowles au moins un million de dollars US pour un concert privé. [10] Les sociétés étrangères jouent également un rôle dans cette histoire.
Les positions et les actions des sociétés étrangères, des Etats-Unis et de l’Union Européenne face à la Libye ne devraient pas être ignorées.
Se poser des questions sur le rôle des gouvernements et des sociétés étrangères en Libye, voilà qui est très important. Les gouvernements italien et américain devraient être interrogés quant au rôle des pilotes de nationalité italienne, et de toutes les nouvelles armes mises en jeu en Libye.
Il est très clair que la démocratie est employée comme un prétexte pratique uniquement contre les dictateurs qui ne font pas allégeance aux intérêts américains et européens. Il suffit de regarder comment Mutassim Kadhafi fut accueilli les bras ouverts à Washington le 21 avril 2009 par Hillary Clinton et l’administration Obama. Après le meeting, la Secrétaire d’Etat Clinton a déclaré en public :
Je suis très heureuse d’accueillir le Ministre Kadhafi au Département d’Etat. Nous attachons beaucoup d’importance à la relation entre les Etats-Unis et la Libye. Nous avons beaucoup d’occasions pour approfondir et renforcer notre coopération, et je souhaite vivement investir dans cette relation. Alors, M. le Ministre, bienvenue ici. [11]
Ce que veulent les Etats-Unis et l’Union Européenne maintenant, c’est tirer un maximum de profit de la Libye. La guerre civile, c’est ce que Bruxelles et Washington ont derrière la tête.
La balkanisation de la Libye et la marche vers la guerre civile.
Le fils de Kadhafi Saif Al-Islam a fait des déclarations sur la télévision libyenne sur des organisations religieuse apparentées aux Talibans et qui prendraient le dessus en Libye ou essayeraient de le faire. Rien n’est moins vrai. Il a aussi mis en garde contre la ruine et la guerre civile. C’est un exemple des efforts de la famille Kadhafi pour garder le pouvoir en Libye, mais une avancée vers la guerre civile apparaît en Libye.
Parmi les personnalités en vue chez les militaires, Mahdi Al-Arab, le chef adjoint de l’Etat-Major libyen, aurait renié Kadhafi. [12] Al-Arab a cependant modifié sa position en disant qu’il ne veut pas voir la Libye s’enfoncer dans la guerre civile que déclencherait une intervention étrangère ou une mise sous tutelle. [13] C’est pourquoi Al-Arab a empêché les gens de sa ville, Zawarah, de se joindre à la révolte et d’aller à Tripoli, ville voisine. [14]
Le penchant vers la guerre civile en Libye est encouragé par deux facteurs. L’un est la nature du régime de Kadhafi. L’autre est un désir extérieur d’affaiblir et de diviser la Libye.
Kadhafi a toujours agi de façon à diviser les Libyens. Cela fait des années que l’on craignait que les fils de Kadhafi ne déclenchent entre eux une guerre civile, ou qu’un autre haut dignitaire n’intervienne pour prendre le pouvoir après la disparition de Kadhafi. Une guerre civile sur les bases des ethnies, du régionalisme ou du tribalisme, ce n’est pas une très grosse menace. On peut coopter ou s’allier avec des tribus ou des régions, mais ceux qui voudraient déclencher la guerre civile sont des puissants du régime. Les risques de guerre civile viennent des rivalités entre les officiels du régime eux-mêmes. Il faut bien comprendre que ces rivalités ont été soigneusement entretenues afin de diviser la Libye.
Les feux de la guerre sont ravivés en Libye. Dans de nombreux cercles stratégiques à Washington, Tel-Aviv, Londres et aux Quartiers Généraux de l’OTAN, on voit d’un bon oeil le chaos dans le Monde Arabe. Si la Libye est en proie à la guerre civile ou devient balkanisée, les bénéficiaires seront les Etats-Unis et l’Union Européenne, à long terme, et il y aura de sérieuses implications géopolitiques.
Tous les états voisins en Afrique du Nord seraient déstabilisés par les évènements en Libye. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale seraient également déstabilisées. Les frontières tribales de Libye et du Tchad s’étendent jusqu’au Niger, à l’Algérie et au Soudan. Le chaos en Libye aurait également un impact non négligeable en Europe et sur l’énergie au niveau global. Les évènements en Libye servent de test pour le contrôle du Cercle Arctique et de ses ressources énergétiques. [15]
Quelle sera la chute de Kadhafi ?
Il y a de fortes chances pour que Kadhafi n’aie pas une sortie du pouvoir aussi heureuse que Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. Kadhafi aura du mal à trouver un pays d’accueil. En général, Kadhafi est considéré comme une assurance par les autres gouvernements. L’Arabie Saoudite, que l’on peut dépeindre comme un refuge pour les dictateurs, n’accordera sans doute pas le refuge à Kadhafi. La Libye et l’Arabie Saoudite ne sont pas en bons termes. Il est également recherché pour témoignage au Liban. En général, la relation de Kadhafi avec les leaders des pouvoirs pétroliers arabes du Golfe Persique est tendue et négative. Personne ne l’accueillera dans le Golfe Persique.
En général, les gouvernements arabes auront peur de l’accueillir. Dans ses efforts pour passer pour un champion du peuple, il a insulté beaucoup de ses pairs dictateurs arabes. Cependant il faut dire que les déclarations de Kadhafi aux meetings de la Ligue Arabe ou au sujet de la Palestine ou de l’Irak sont beaucoup plus populaires et candides que ce qu’ont fait le reste des dictateurs.
Il est très improbable qu’un pays d’Amérique Latine, d’Europe ou ex-soviétique lui donne refuge. On le verrait mieux dans un pays d’Afrique sub-Saharienne.
Ses options sont limitées et il est déterminé à garder le pouvoir. La guerre civile semble surgir à l’horizon. Il y a fort peu de chances qu’il quitte la Libye pacifiquement, et les Etats-Unis et leurs alliés on sans aucun doute examiné ce scénario. Les 23 et 24 février 2010, il a rencontré les chefs des trois plus importantes tribus de Libye (Werfala, Tarhouna et Wershfana), pour s’assurer de leur soutien . [16] Sa propre tribu, Qaddafa, le soutient et il semble que les tribus Madarha et Awlad Slieman le soutiennent aussi. [17]
Les risques d’intervention de l’OTAN et les E.U. et l’U.E. Contrôler la Libye
La Libye est dans le collimateur du Pentagone depuis des années. Selon Wesley Clark, le général en retraite qui était le commandant en chef de l’OTAN, la Libye était sur la liste des pays à envahir après l’Afghanistan contrôlé par les Talibans. La liste incluait l’Irak, la Somalie, le Soudan, le Liban, la Syrie et enfin l’Iran. Les propos de Clark :
“Alors je suis rentré pour le voir [un officier de haut rang au Pentagone] quelques semaines après, nous étions alors en train de bombarder l’Afghanistan.” “- allons nous toujours faire la guerre avec l’Irak?” “- Oh, c’est pire que ça.” Il rejoint son bureau.. Il prit une feuille de papier “- Je la rapporte tout juste du 1er étage aujourd’hui.” — ce qui voulait dire du bureau du Secrétaire de la Défense — . Il ajouta : “C’est un mémo qui explique comment nous allons prendre sept pays en cinq ans, d’abord l’Irak puis la Syrie, le Liban, la Somalie, le Soudan et pour finir l’Iran.” [18]
D’une manière ou d’une autre, toutes les nations de la liste ont été attaquées de manière directe ou indirecte, et toutes, sauf la Syrie et l’Iran, ont succombé aux Etats-Unis et à ses alliés. Je répète, les seules exceptions sont l’Iran et son alliée la Syrie. Au Liban, les Etats-Unis ont partiellement gagné, mais il y a un recul avec le déclin de l’alliance du 14 mars conduite par Hariri.
La Libye a entamé des négociations secrètes avec Washington en 2001, qui se sont concrétisées par un rapprochement formel après la chute de Bagdad provoquée par les troupes britanniques et américaines en 2003. En fait, les Etats-Unis et leurs alliés ont toujours voulu étendre leur influence sur le secteur énergétique de la Libye et s’approprier les grandes richesses de la Libye. Une guerre civile offre la meilleure des couvertures en ce sens.
Les Libyens doivent être conscients du prétexte d’intervention pour aide humanitaire.
Les Libyens doivent absolument être sur leurs gardes. Il est clair que les Etats-Unis et l’Union Européenne soutiennent les deux camps. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ne sont pas les alliés des peuples du Monde Arabe. A ce propos, les Etats-Unis supportent Kadhafi au sol par du matériel militaire, alors qu’ils supportent également l’ ”opposition”. Si les soi-disant gouvernements des pays occidentaux étaient sérieux au sujet de la démocratie, ils auraient coupé les liens commerciaux avec la Libye, et spécialement le secteur énergétique, avant 2011.
Washington et le pouvoir de Bruxelles pourraient conjointement coopter les forces d’opposition. Ils ont soutenu Kadhafi, mais ils ne le contrôlent pas, ni lui ni son régime, de même qu’ils n’ont pas contrôlé Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. La Libye, c’est une toute autre histoire. Les objectifs de Washington et de Bruxelles seront de renforcer leur contrôle sur la Libye soit par un changement de régime, soit par une guerre civile.
Les “Actions de l’opposition à Kadhafi” sont puissantes, mais il n’y a pas de véritable “mouvement d’opposition”. Les deux choses sont différentes. La démocratie n’est pas garantie, à cause de la nature de la coalition opposée à Kadhafi, qui compte de nombreux officiels corrompus du régime.
On discute actuellement d’une “intervention humanitaire” en Libye, comme en Yougoslavie et en Irak. Une “interdiction de survol” au dessus de la Libye a été évoquée, ainsi qu’une possible intervention de l’OTAN. Les intentions derrière ces déclarations ne sont pas humanitaires, mais visent à justifier une ingérence étrangère qui pourrait potentiellement mener à une invasion. Si ceci se mettait en place, la Libye deviendrait un pays occupé. Ses ressources seraient pillées et ses richesses privatisées et contrôlées par des compagnies étrangères comme c’est le cas de l’Irak.
Aujourd’hui les fantômes d’Omar Mukhtar et de Saladin sont encore très vivants et actifs en Libye et dans le Monde Arabe. Se débarrasser de Kadhafi et de ses fils, ce n’est pas la solution. Tout le système corrompu de gouvernance en Libye, et la culture de la corruption politique doivent être démantelés. En même temps il faut pourtant ne pas laisser s’installer en Libye les ingérences étrangères. Si le peuple libyen est mobilisé et ferme, il peut combattre ces méthodes.
NOTES
[1] “UK Hague : some information that Qaddafi on way to Venezuela,” Reuters, 21 février 2011.
[2] On revient en arrière vers la prolifération de drapeaux libyens lors du coup de 1969. D’où viennent tous ces drapeaux ?
[3] “3 Libyan Diplomats resign,” The Hindu, 22 février 2011.
[4] James Wolf, “U.S. eyes arms sales to Libya,” Reuters, 6 mars 2009.
[5] Ibid.
[6] Informations venant de sources en Libye, non encore confirmées.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.; J’ai donné des explications sur ce point. La première explication, c’est que des agents du gouvernement de Libye ont répandu des contre-informations auprès d’Al-Jazeera. Ceci inclut les rapports faits à Al-Jazeera selon lesquels des jets avaient attaqué des civils dans les rues. Kadhafi a joué là-dessus pour discréditer Al-Jazeera sur le plan intérieur en Libye en affimant au peuple Libyen qu’il n’y avait pas eu d’attaques de jets, et qu’Al-Jazeera diffusait des contre-informations. La seconde explication est qu’Al-Jazeera diffuse tout simplement des contre-informations. En tout cas, les deux explications coïncident sur le fait qu’il n’y a pas eu jusqu’à présent d’attaque des manifestants par des jets libyens.
[10] Marine Hyde, “Beyonce and the $2m gig for Colonel Gaddafi’s son,” The Guardian (U.K.), 8 janvier 2010;le concert était pour Mutassim et non pas Hannibal Kadhafi (l’article a tort). L’article n’est pas fondamental et a été cité pour montrer que ce genre d’escapade est à peine connu des journaux grand public en Grande-Bretagne et en Europe de l’Ouest.
[11] U.S. State Department, “Remarks With Libyan National Security Adviser Dr. Mutassim Qadhafi Before Their Meeting,” 21 avril 2009 : <http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/04/121993.htm>.
[12] Informations venant de sources en Libye, non encore confirmées.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] David Ljunggren, “Libya turmoil puts focus on Arctic oil : Greenland,” ed. Robert Wilson, Reuters, 23 février 2011.
[16] Informations venant de sources en Libye, non encore confirmées. On m’a dit que Kadhafi promettait des réformes aux tribus et qu’il allait se retirer dans environ un an. Et également qu’il affirmait qu’aucun de ses fils ne serait au pouvoir en Libye
[17] Ibid.
[18] General (retired) Wesley Clark, “92 Street Y Exclusive Live Interview,” interview by Amy Goodman, Democracy Now, 2 mars 2007.
Mahdi Darius Nazemroaya specialisé dans le Moyen-Orient et l’Asie Centrale. Il est chercheur associé du Centre de recherche sur la Mondialisation.
Mahdi Darius Nazemroaya est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca. Articles de Mahdi Darius Nazemroaya publiés par Mondialisation.ca
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