Entretien avec Oscar López Rivera, leader pour l’indépendance de Porto Rico. Il a passé 35 ans de sa vie en prison aux États-Unis pour ses idéaux.
Entretien avec le leader pour l’indépendance de Porto Rico, Oscar López Rivera
Selon les lois des États-Unis, Porto Rico est défini comme un « territoire non incorporé des Etats-Unis », en mai 2017, l’État s’est déclarée en faillite à cause de sa dette publique. En septembre 2017, l’île des Caraïbes a subi l’énorme dévastation causée par l’ouragan Marie.
Oscar López Rivera, un leader populaire pour l’indépendance du Porto Rico, a retrouvé sa liberté durant la présidence d’Obama, quelques jours avant l’arrivée de Donald Trump. En prison depuis en 1981, il fut condamné pour « conspiration contre l’autorité des États-Unis », il passa 35 ans dans les prisons de l’Esturgeon (l’Illinois) et ADX Florence (Colorado) aux États-Unis, avec plus de 12 ans écoulés dans une assignation à résidence isolée.
Rivera est un ancien membre du FALN (Forces Armées de Libération Nationale), il est connu comme ‘le Nelson Mandela de l’Amérique. Le FALN était un groupe armé se battant pour l’indépendance de Porto Rico vis-à-vis des États-Unis pendant les années 70 et 80. López Rivera a toujours clamé n’avoir tué personne ni commis aucun acte de violence. Effectivement, aucun lien n’a jamais été établi entre lui et les violences commises par le FALM.
Oscar López Rivera affirme que les États-Unis violent les lois internationales et pratiquent le colonialisme. Nous avons rencontré M. Rivera lors du vingtième anniversaire 20 du Mouvement pour la Justice Jéricho, qui est une plate-forme pour des prisonniers politiques étasunien.
Ils ont tout privatisé
Quelles sont les conséquences économiques et sociales du fait que Porto Rico est un pays dépendant, colonise par les États-Unis ?
Bon, l’économie de Porto Rico est un désastre, depuis le moment où les États-Unis ont envahi et ont occupé Porto Rico en 1898. Nous n’avons jamais été capables de développer notre propre marché interne. Nous avons été totalement exploités. Chaque centime, chaque dollar qui est produit à Porto Rico entre dans une banque des États-Unis.
Annuellement, des milliards de dollars sortent de Porto Rico. Et en même temps nous avons ce processus de privatisation totale de toute propriété du peuple de Porto Rico, ils veulent privatiser tout ce qui est public. Nous avons perdu notre compagnie téléphonique, en 1998. Elle a été privatisée. L’immeuble où jadis travaillaient des gens 24h/24h est aujourd’hui un immeuble vide. Il ne reste plus que sa coquille.
Nous avons tous ces travailleurs qui ont été obligés à partir de Porto Rico pour aller aux États-Unis, le seul lieu dans lequel ils peuvent trouver du travail. La même chose est arrivé avec l’aéroport, avec les routes et les hôpitaux. Nous pouvons dire aujourd’hui que le système de santé de Porto Rico est une honte totale. Il n’existe pas. Car après le passage de l’ouragan les Portoricains se sont rendus compte de la mauvaise situation hospitalière de Porto Rico. C’est la vie des portoricains qui est menacée, puisque les conditions de santé sont dangereuses. Donc on voit rapidement que la situation du peuple portoricain est aujourd’hui celle d’une colonie des États-Unis. Maintenant, j’insiste sur ce point : le colonialisme est un crime contre l’humanité. Dès 1898, les États-Unis commettent ce crime contre les portoricains. Nous avons besoin que Porto Rico soit une nation indépendante et souveraine. C’est pour cela que nous voulons que Porto Rico soit décolonisé.
Les États-Unis ont réprimé tout mouvement pour la liberté
Pourquoi Porto Rico n’a pas encore obtenu son Indépendance ?
Parce que les États-Unis ont été capables de réprimer tout mouvement. Je suis l’une des personnes qui a passé 35 ans en prison parce que j’ai lutté pour l’indépendance de Porto Rico. Mais historiquement, dès 1898, les portoricains voulant que leur pays soit une nation indépendante et souveraine ont été envoyés en prison. Ainsi, nous avons été persécutés, criminalisé et emprisonné depuis 120 ans.
M. Rivera, la semaine passée vous avez visité des municipalités à Porto Rico. Qu’est-ce que vous avez vu ? Comment caractériser la situation récente, postérieure à l’ouragan ?
La situation de Porto Rico est probablement la pire que j’ai sentie, probablement, dans ces 70 dernières années. La dernière fois que nous avons connue ce genre de situation a été quand les États-Unis sont entré dans la Grande Dépression, postérieur à la Crise de 1929. Porto Rico a souffert de cette dépression six fois plus que les étasuniens. Et aujourd’hui, les 20 dernières années, on fait face à la même situation économique : une exploitation, une privatisation et depuis l’ouragan, nous n’avons pas été capables de remettre le pays dans une situation que nous pouvons considérer vivable. Il y a des villages à Porto Rico avec 72 % de sa population sans électricité, sans eau, sans abris. Ce sont les conditions auxquelles le Porto Rico fait face en ce moment.
Les écoles publiques fermées
Comment la lutte pour l’indépendance a‑t-elle été affectée par des évènements comme la crise économique, le pays a été déclaré en banqueroute, ou bien le référendum pour être un état à part entière des États-Unis ?
Avant toute chose, durant l’administration d’Obama, le Congrès des États-Unis a approuvé une loi : qu’ils possèdent ce qu’ils appellent l’Équipe de Contrôle Fiscal [ Fiscal Control Board ]. Sept personnes, dont aucune d’elles n’est élue par le peuple de Porto Rico, mais choisies par Washington. Ces sept personnes déterminent ce qui va se passer à Porto Rico. L’année passée, 157 écoles publiques ont été fermées. La menace est déjà-là, ils veulent fermer jusqu’à 300 écoles.
Ils parlent de virer autour de 7.000 professeurs. Si cela se convertit en loi, nous perdrons probablement ces professeurs ou plus. En ce moment, entre 7.000 et 10.000 professeurs sont menacés. Ce sont les enseignants dont nous avons besoin pour avoir un système d’éducation à Porto Rico.
Ils veulent créer une dette, une dette honteuse et criminelle de 74 milliards de dollars, crée par le gouvernement des États-Unis. Nous avons sollicité un audit pour que nous, le peuple de Porto Rico, connaissions exactement comment l’argent a été dépensé. Cela nous a été refusé, et chaque fois que nous sommes allés en justice, à chaque demande, ils nous ont dit qu’il ne va pas y avoir un audit à la dette. Maintenant : qui sont ceux qui ont l’argent ? Où sont les 74 milliards de dollars ? Nous ne le savons pas. Nous aimerions savoir.
Les États-Unis veulent dominer l’Amérique du Sud à nouveau
Y a‑t-il un réseau de solidarité dans les Caraïbes parmi les forces locales anti-impérialistes, anti-colonialistes et anti-capitalistes ?
Je pense qu’aux Caraïbes nous avons Cuba comme modèle. En Amérique du Sud, nous avons la Venezuela comme modèle. En Amérique centrale, nous avons le Nicaragua comme modèle. Nous avons la Bolivie comme modèle. Ce sont des pays qui fonctionnent. Ce sont des pays qui, malgré que les États-Unis essaient de rétablir leurs économies et occuper ses gouvernements, ils ont été capables de survivre. Et ainsi, je pense que nous avons un tas d’exemples dans lesquels des pays ont été capables de s’unir, de se gouverner soi-même, d’avoir de moins en moins d’interférence avec les États-Unis.
Mais les États-Unis ne cessent d’interférer. Les peuples de la Bolivie, d’Équateur, du Venezuela, de Cuba, ont empêché que les États-Unis soient capables de contrôler leurs pays. Ils veulent les contrôler, ils veulent le retour de l’oligarchie et de la domination. Mais ceux qui luttent pour leurs pays veulent un système différent, qui représente les intérêts des gens, et non les intérêts de certains privilégiés.
Ces pays bougent pour de vrai et j’espère qu’ils continueront de bouger, et que de plus en plus de pays transforment leur systèmes politiques et économiques et répondent aux besoins des gens, en Argentine, au Brésil, l’Uruguay, au Chil, en Colombie… N’importe quel pays est en Amérique du Sud, en Amérique centrale, aux Caraïbes, chaque pays possède un pouvoir, son gouvernement, et le gouvernement qui représente l’intérêt du peuple, et non pas comme à Puerto Rico où le gouvernement des États-Unis représente les intérêts des États-Unis, et non ceux du peuple portoricain.
Porto Rico peut se défaire du colonialisme
Un an après avoir obtenu votre liberté, vous continuez à lutter pour la liberté. Quelles sont vos projets ou suggestions pour l’indépendance de Puerto Rico ?
Notre objectif est maintenant celui de décoloniser Porto Rico. Et nous le disons de manière simple. Si nous aimons Porto Rico, si nous aimons notre culture, si nous aimons notre identité, si nous aimons notre mode de vie, alors il nous correspond de lutter pour Porto Rico et sa décolonisation. Une nation portoricaine est viable. Une nation portoricaine peut être créée et être une nation très forte. Nous avons à travailler avec tous pour faire ce que nous avons à faire.
Nous avons des ressources humaines, naturelles et le potentiel pour transformer Porto Rico dans la nation qu’elle souhaite être. Nous sommes capables de le faire. Définitivement, nous lutterons jusqu’à notre dernier souffle pour faire de Porto Rico la nation qu’elle doit être. Nous devons lutter et nous battre, cela par amour, nous allons décoloniser le pays.
Le reste du monde ignore parfois les États-Unis, ou parfois ils deviennent leur allié. Ainsi, en ce moment un particulier, cela devrait rester entre les mains de l’Assemblée Générale de l’ONU, le fait de prendre une position et d’arrêter la colonisation de Porto Rico, en forçant le gouvernement des États-Unis à respecter les lois internationales. Parce que les lois internationales disent que le colonialisme est un crime contre l’humanité. Et le monde entier devrait soutenir Porto Rico dans ce problème de la colonisation.
Ekim Kiliç
Source : Evrensel
Traduction : ZIN TV