Le printemps arabe, s’arrête-t’il aux portes du Maroc ?

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« Les médias domi­nants ne font pas leur tra­vail, c’est pour­quoi nous avons une com­mis­sion média­tique au sein du Mouvement… »

Le « Prin­temps arabe » qui a balayé des dic­ta­teurs que l’on pen­sait inamo­vibles en Tuni­sie et en Egypte et qui a atti­sé des feux de révolte depuis le début de l’an­née 2011 à tra­vers l’A­frique du Nord et le Proche-Orient se serait-il arrê­té aux fron­tières du Royaume chérifien ?

En effet, si on se fie à l’at­ten­tion média­tique qui lui est consa­crée depuis la Bel­gique, où vit depuis près de 45 ans une impor­tante mino­ri­té de belges d’o­ri­gine maro­caine, le Maroc semble rela­ti­ve­ment épar­gné par les mobi­li­sa­tions de masse et à l’a­bri de tout risque de déstabilisation.


Le Roi des pauvres ?

Il est vrai que Moha­med VI, pré­sen­té comme le « Roi des pauvres » et comme un des­pote éclai­ré à la tête d’une monar­chie accep­table et légi­time, sert fort bien les inté­rêts occi­den­taux. Le Maroc est très proche de Washing­ton (il col­la­bore avec entrain à sa croi­sade contre le ter­ro­risme) et entre­tient éga­le­ment une rela­tion pri­vi­lé­giée avec l’U­nion Euro­péenne qui lui a accor­dé le sta­tut de par­te­naire le plus avan­cé aux côtés d’Is­raël. S’y est déve­lop­pé une bour­geoi­sie com­pra­dore (1) qui a pros­pé­ré en ven­dant son pays et ses res­sources aux mul­ti­na­tio­nales occidentales.

Moha­med VI, jeune et pré­sen­tant une image d’en­tre­pre­neur moderne, a l’a­van­tage de suc­cé­der à son père (2) dont il fait tout pour se démar­quer dans les formes. Maître dans l’art du pro­to­cole, il a su orches­trer un sem­blant de démo­cra­tie (plu­ra­li­té poli­tique et dans la presse) pour soi­gner les appa­rences à des­ti­na­tion du reste du monde. En tant que « com­man­deur des croyants », sa popu­la­ri­té reste très impor­tante dans le pays.

Pour­tant, il exerce avec son clan une concen­tra­tion extrême des richesses alors que la majo­ri­té de la popu­la­tion vit dans la pau­vre­té et que beau­coup de jeunes choi­sissent l’exil pour survivre.

Image_4-28.png Il concentre éga­le­ment tous les pou­voirs (exé­cu­tif, légis­la­tif, judi­ciaire, éco­no­mique et reli­gieux). Le gou­ver­ne­ment, le par­le­ment ain­si que les par­tis poli­tiques (mis à part quelques excep­tions) sont sou­mis au bon vou­loir du palais royal. Et cer­tains thèmes sont abso­lu­ment tabous, comme la légi­ti­mi­té sacrée de la monar­chie alaouite, intou­chable jus­qu’à ses choix de gou­ver­nance, ou la sou­ve­rai­ne­té natio­nale sur le Saha­ra Occi­den­tal (3).

La clé de voûte du pou­voir est le tout-puis­sant appa­reil sécu­ri­taire du Makh­zen (4), dont la simple évo­ca­tion sus­cite la crainte au Maroc. La répres­sion y est dure (arres­ta­tions, cas de dis­pa­ri­tions for­cées, tor­tures) par­ti­cu­liè­re­ment contre les acti­vistes pro­gres­sistes, les étu­diants et syn­di­ca­listes contes­ta­taires, les isla­mistes et les sahraouis.

Bien que des espaces de liber­té et d’ex­pres­sion pour la contes­ta­tion existent (bali­sés et sous contrôle), il s’a­git d’un sys­tème mafieux et auto­ri­taire inca­pable d’ap­por­ter des solu­tions face aux urgences de la situa­tion socio-éco­no­mique du pays. Le Maroc connaît un chô­mage de masse, y com­pris chez les doc­to­rants. Beau­coup de pay­sans émigrent dans les villes et le sec­teur infor­mel repré­sente une part impor­tante de l’é­co­no­mie nationale.

La popu­la­tion maro­caine paye le prix de plans d’a­jus­te­ments struc­tu­rels impo­sés par les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales début des années 80, qui ont pri­va­ti­sé des pans entiers de la socié­té, ensei­gne­ment et san­té entre autre. La glo­ba­li­sa­tion néo-libé­rale qui a sui­vi un siècle de colo­nia­lisme et de néo-colo­nia­lisme a enfon­cé le Maroc dans le sous-déve­lop­pe­ment. A cela, s’a­joutent de plus en plus de pro­blèmes internes (cor­rup­tion, affai­risme, clien­té­lisme, scan­dales de détour­ne­ments de fonds publics) qui expliquent pour­quoi les maro­cains suivent d’un œil atten­tif les révoltes popu­laires dans le Monde Arabe, et les ont, contrai­re­ment à ce que l’on entend, relayées dans leur pays. Depuis le 20 février, il y a eu 3 jour­nées natio­nales de mobi­li­sa­tions his­to­riques au Maroc, et d’in­nom­brables actions, mani­fes­ta­tions ou sit-in dans plus d’une cen­taine de localités !

Le Mou­ve­ment du 20 février

A l’a­vant-garde se trouve cette fameuse géné­ra­tion Face­book, une « nou­velle race de maro­cains mutants » (5), très jeunes (de 15 à 25 ans), qui n’ont pas connu les années de plomb, et osent s’ex­pri­mer haut et fort . « On n’a plus peur désor­mais, c’est fini. Mam­fa­kinch ! (6) »

Taha­ni et Mon­tas­ser à Rabat, Nabil à Casa­blan­ca, Yous­sef à Oujda…

Ils sont par­mi des cen­taines de mil­liers d’autres, acteurs et porte-paroles du Mou­ve­ment du 20 Février. Leurs reven­di­ca­tions sont poli­tiques et sociales.

Ils veulent un chan­ge­ment de Consti­tu­tion diri­gé par le peuple et la mise en place d’une monar­chie par­le­men­taire où le Roi règne mais ne gou­verne pas.

La liber­té des pri­son­niers poli­tiques et la condam­na­tion des tor­tion­naires, ain­si que des res­pon­sables de la situa­tion éco­no­mique désastreuse.

Ils se battent pour un accès pour tous aux soins de san­té, à l’en­sei­gne­ment, à un emploi, à un loge­ment abor­dable. Et pour lut­ter contre la cher­té de la vie, ils reven­diquent la hausse du salaire mini­mum et la baisse des prix pour les den­rées alimentaires.

Tous parlent de la place de la femme, exploi­tée à tous les niveaux dans la socié­té maro­caine, et de la lutte pour la pari­té. Ils veulent la recon­nais­sance offi­cielle de la langue ber­bère, l’Amazigh.

Enfin, ils osent deman­der la sépa­ra­tion de l’É­tat et de la religion.Image_5-17.png

Leurs slo­gans parlent de pain, d’emploi et de loge­ment, de digni­té, d’é­ga­li­té et de liber­té, on a beau cher­cher on ne trouve aucun mot d’ordre reli­gieux. On est loin de la cari­ca­ture (impo­sée par la théo­rie du choc des civi­li­sa­tions) que l’on se fait en Occi­dent des peuples arabo-musulmans.

Anté­cé­dents et Prin­temps Arabe

Ils expliquent que le Mou­ve­ment du 20 Février n’est pas arri­vé comme par miracle, que bien des luttes exis­taient au niveau local dans de nom­breuses villes. Des mou­ve­ments spon­ta­nés, des luttes dis­per­sées mais bien réelles. Comme celle des chô­meurs diplô­més qui ont fon­dé l’as­so­cia­tion natio­nale des diplô­més chô­meurs (ANDCM), ou celle de Bouar­fa contre la vie chère.

Là-bas, cela fait plus de 3 ans que les habi­tants boy­cottent les com­pa­gnies de gaz et élec­tri­ci­té qui pra­tiquent des prix exor­bi­tants. Ils refusent tout sim­ple­ment de les payer. Les étu­diants ont joué un grand rôle, qui au sein de l’U­NEM (Union Natio­nale des Étu­diants Maro­cains) ont mené des mou­ve­ments de contes­ta­tions dans plu­sieurs uni­ver­si­tés du pays (Fès, Casa­blan­ca, Ouj­da, Rabat).

En l’ab­sence d’un véri­table par­ti de gauche cré­dible et légi­time (7), l’As­so­cia­tion maro­caine des Droits de l’Homme (AMDH) fait office de refuge et de garde-fou (8). Elle effec­tue un tra­vail de masse dans une cen­taine de loca­li­tés du pays, et regroupe près de 10 000 membres ! Elle a joué un rôle essen­tiel dans l’or­ga­ni­sa­tion du mouvement.

Comme en Tuni­sie ou en Egypte, la révolte est bien l’a­bou­tis­se­ment d’une lutte de classes intense.

Mais il fal­lait une étin­celle. Et elle porte le nom de Moha­med Bouazizi.

« Les révoltes arabes nous ont mon­tré que c’é­tait pos­sible dans des pays très oppri­més comme la Tuni­sie et l’É­gypte. Elles nous ont don­né un cadre glo­bal pour avan­cer nos reven­di­ca­tions. On était déjà en révolte mais là, on se dit c’est le moment ! » nous explique Tahani.

Nabil : « Les révoltes tuni­siennes et égyp­tiennes ont joué un grand rôle pour notre mou­ve­ment au Maroc. Boua­zi­zi a été le déto­na­teur ! Pour tous, il était temps de s’ex­pri­mer et de réagir, de sor­tir et de lever la voix pour dire non aux injus­tices, à la cor­rup­tion. On veut une nation nou­velle, un pays qui res­pecte tous ses citoyens. Comme ailleurs, nos slo­gans prin­ci­paux parlent de pain, de liber­té et de dignité ! »

His­to­rique du mouvement

Mon­tas­ser raconte com­ment les jeunes se sont orga­ni­sés en uti­li­sant les nou­velles tech­no­lo­gies et réseaux sociaux sur le net pour mobi­li­ser et coor­don­ner le mouvement :

Image_6-13.png« Nous avons crée un groupe sur Face­book fin jan­vier appe­lant à une pre­mière marche qui a fina­le­ment eu lieu le 20 février. Puis des réunions concrètes nous ont per­mis de nous connaître et de nous orga­ni­ser en sec­tions locales. Des assem­blées géné­rales ont lieu chaque semaine. La réac­tion du Makh­zen ne s’est pas fait attendre, notam­ment via Inter­net pour salir le mou­ve­ment et ses porte-paroles, et même ache­ter l’un d’eux. L’un des jeunes les plus en vue a retour­né sa veste, il est pas­sé le 19 février, la veille de la pre­mière mobi­li­sa­tion, à la télé­vi­sion et à la radio pour annon­cer que tout était annu­lé ! Et pour­tant nous avons mar­ché le len­de­main. Mal­gré le mau­vais temps et le blo­cage des moyens de trans­ports, trains et taxis col­lec­tifs. Au début de la manif, des flics en civils se sont mis devant et ont même été jus­qu’à lan­cer des slo­gans accep­tables par le Makh­zen, mais ils se sont vite fait sub­mer­ger. A la fin, des jeunes agi­ta­teurs et des cas­seurs ont com­mis des actes de van­da­lisme pour nous dis­cré­di­ter mais ça n’a pas pris non plus ».

Résul­tat : près de 400 000 per­sonnes dans une soixan­taine de villes du Maroc (9). Le mou­ve­ment est lan­cé, la géné­ra­tion Face­book fait trem­bler les puis­sants ! « Nous mêmes avons été sur­pris de la par­ti­ci­pa­tion mas­sive des citoyens, c’é­tait du jamais vu ! » ajoute Tahani.

Le 9 Mars, Moha­med VI réagit dans une allo­cu­tion télé­vi­sée étonnante.

Il pro­pose une réforme consti­tu­tion­nelle et plus lar­ge­ment un nou­veau pacte entre le Roi et son peuple. Mais la com­mis­sion nom­mée pour réécrire la Consti­tu­tion est illé­gi­time de par sa com­po­si­tion puisque ses membres sont nom­més par le Roi seul et sont des hommes de l’ap­pa­reil décrié par la popu­la­tion. Les quelques mesures annon­cées (aug­men­ta­tion du salaire mini­mum, du salaire des fonc­tion­naires, ain­si que des petites retraites) sont trop tar­dives et limi­tées et ne sont pas suf­fi­santes pour arrê­ter le mouvement.

Le fait que Moha­med VI ai du réagir montre le poids du mou­ve­ment social. Tou­te­fois il ne semble pas avoir pris l’am­pleur du mécon­ten­te­ment pro­fond expri­mé par sa population.

Les actions conti­nuent de plus belle (manifs, sit-in, flash-mobs) et pour la pre­mière fois à cette échelle, la répres­sion poli­cière s’a­bat sur les par­ti­ci­pants, le 13 Mars.

Et elle ne fait que décu­pler la volon­té des contes­ta­taires. Yous­sef s’en­thou­siasme : « A par­tir de là, le mou­ve­ment va s’a­dres­ser à tous les sec­teurs exploi­tés du pays et connaî­tra une pro­gres­sion constante tant qua­li­ta­tive que quan­ti­ta­tive en déve­lop­pant sa capa­ci­té d’or­ga­ni­sa­tion et sa facul­té de mobi­li­sa­tion. J’a­joute que le Mou­ve­ment du 20 Février a tou­jours été pacifique ».

Les jeunes se répar­tissent les tâches entre dif­fé­rents comi­tés (com­mu­ni­ca­tion, orga­ni­sa­tion des manifs, sécu­ri­té, coordination…)

Nabil : « Les médias domi­nants ne font pas leur tra­vail pour infor­mer la popu­la­tion de ce qui se passe. Ils ne dif­fusent pas l’in­for­ma­tion telle qu’elle est. C’est pour­quoi nous avons une com­mis­sion média­tique au sein du Mou­ve­ment qui livre une véri­table gué­rilla médiatique »

Les dimanche 20 Mars et 24 Avril, nou­velles mobi­li­sa­tions monstres. À chaque fois, près de 600 000 per­sonnes marchent dans une cen­taine de loca­li­tés. Alors que les contre-mani­fes­ta­tions orga­ni­sées par le pou­voir ne ras­semblent que quelques dizaines de mani­fes­tants monarchistes.

Entre temps, le 14 avril Moha­med VI avait libé­ré 190 déte­nus poli­tiques, sah­raouis et isla­mistes, la plu­part en fin de peine.

L’at­ten­tat de Marrakech

Le jeu­di 28 vers 12h, un atten­tat frappe le haut-lieu du tou­risme au Maroc, la place Jamaâ El Fna à Mar­ra­kech. Une bombe éclate à la ter­rasse du café-res­tau­rant Arga­na, fai­sant 17 morts, dont de nom­breux tou­ristes fran­çais. Le Maroc était épar­gné par le les attaques ter­ro­ristes depuis le san­glant pré­cé­dent des atten­tats simul­ta­nés à Casa­blan­ca le 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts. La lumière n’a jamais été vrai­ment faite sur ce qui s’é­tait pas­sé ce jour là. Mais tous les maro­cains se sou­viennent de ces consé­quences avec la mise en place de lois anti-ter­ro­ristes très contrai­gnantes pour l’en­semble de la popu­la­tion et pour les défen­seurs des libertés.

Après avoir poin­té du doigt Al-Qaï­da au Magh­reb Isla­mique (AQMI) les auto­ri­tés auraient mis la main sur le cou­pable : un malade men­tal qui aurait agi iso­lé. Depuis, 6 autres sus­pects ont été arrê­tés. Mais l’é­cra­sante majo­ri­té des maro­cains inter­ro­gés sont sûrs d’une chose : « c’est le Makh­zen der­rière ». Pour les jeunes « une chose est claire, cela vise le mou­ve­ment ! ». C’est le meilleur moyen pour bri­ser l’é­lan du 20 Février et pour jus­ti­fier un retour à l’ordre et au tout-sécuritaire.

La menace ter­ro­riste pour­rait ser­vir de jus­ti­fi­ca­tif pour annu­ler les réformes, res­treindre le champ des liber­tés et répri­mer les mobi­li­sa­tions de masse.

Le Makh­zen avait tout essayé pour stop­per l’é­lan popu­laire, même si la répres­sion directe reste encore très modé­rée, les auto­ri­tés redou­tant une explo­sion de colère com­pa­rable aux tsu­na­mis humains qui ont défer­lés dans les rues en Tuni­sie et en Egypte. « Nous avons ont été sys­té­ma­ti­que­ment har­ce­lés et dia­bo­li­sés dans les médias ‑accu­sa­tions d’a­théisme, de com­mu­nisme, d’ho­mo­sexua­li­té, d’ap­par­te­nance au Front Poli­sa­rio, d’in­fluence de l’étranger‑, mais, pour­suit Taha­ni, les gens ne sont pas dupes. Aujourd’­hui, on tente de récu­pé­rer le Mou­ve­ment par l’en­tre­mise de jeunes, membres de cer­taines for­ma­tions poli­tiques, on tente de fomen­ter des luttes internes entre les forces pro­gres­sistes et la contre-révo­lu­tion qui s’infiltre »

Une com­po­sante réac­tion­naire à l’in­té­rieur de la socié­té maro­caine, très liée aux inté­rêts occi­den­taux, qui se sen­ti­rait mena­cée par la révo­lu­tion démo­cra­tique qui a démar­ré, aurait-elle com­man­di­té l’at­ten­tat ? Est-ce une ten­ta­tive de divi­ser le Mou­ve­ment et de bri­ser l’u­ni­té entre la gauche et les isla­mistes ? Autant de ques­tions lais­sées pour le moment en suspens.

Depuis le 28 avril, les bar­rages poli­ciers se mul­ti­plient dans tout le pays. Quoi qu’il en soit les actions conti­nuent. Ni la répres­sion poli­cière, ni les bombes des ter­ro­ristes n’ont enta­mé la mobi­li­sa­tion popu­laire. Le 01 mai, jour­née inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, de nom­breux jeunes du Mou­ve­ment sont sor­tis dans la rue pour ren­for­cer les cor­tèges syn­di­caux. La pro­chaine grande mani­fes­ta­tion natio­nale est fixée pour le 22 mai.

Uni­té du Mouvement

Selon Yous­sef, « ce qu’il faut désor­mais, c’est uni­fier les luttes ». La géné­ra­tion Face­book n’est pas décon­nec­tée des luttes sur le ter­rain. Au contraire, les jeunes veulent se poli­ti­ser davan­tage et ren­for­cer leur lien avec le monde ouvrier. « Nous fai­sons un tra­vail dans les quar­tiers, sur les mar­chés, dans les usines… » explique Mon­tas­ser. Au Maroc, les syn­di­cats sont très divi­sés (10) et cor­rom­pus, mais la base est com­ba­tive. Avec le 20 Février, nous avons entre­pris à leurs côtés une impor­tante cam­pagne contre la mul­ti­na­tio­nale fran­çaise Véo­lia (eau-élec­tri­ci­té-assai­nis­se­ment), très impli­quée au Maroc.

Non seule­ment, le Mou­ve­ment du 20 Février a levé l’obs­tacle de la peur, mais a aus­si réus­si à uni­fier divers cou­rants idéo­lo­giques. En effet, il est frap­pant de consta­ter la diver­si­té des com­po­santes du Mou­ve­ment. Sym­pa­thi­sants de par­tis poli­tiques de gauche, les syn­di­cats, l’U­NEM, Attac-Maroc, des mili­tants de l’AMDH, du mou­ve­ment isla­miste répri­mé Al Adl Wal Ihsane (Jus­tice et Bien­fai­sance, du Cheick Yas­sine), ou du mou­ve­ment ber­bère. Sur­tout beau­coup de jeunes révol­tés « indé­pen­dants », qui forment le gros des troupes. L’action les a réunis dans un front com­mun contre le même ennemi.

Nabil expli­cite l’al­liance tacite entre pro­gres­sistes et isla­mistes : « Le Mou­ve­ment du 20 Février est un mou­ve­ment de citoyens et les isla­mistes éga­le­ment mani­festent en tant que citoyens. Tous doivent res­pec­ter les mots d’ordre. Jus­qu’à pré­sent, les isla­mistes sont très dis­ci­pli­nés et tra­vaillent dans l’u­ni­té. Nous autres, en tant que pro­gres­sistes, pre­nons en compte leur point de vue. Nous nous réunis­sons chaque semaine en assemblée ».

Mon­tas­ser juge que les isla­mistes sont « pré­sents dans la rue mais pas tel­le­ment dans les réunions durant les­quelles on met en avant, des slo­gans uni­taires et des reven­di­ca­tions légi­times pour tous ». Il insiste sur le « rôle impor­tant du noyau orga­ni­sé du 20 Février. On doit faire atten­tion aux récu­pé­ra­tions et au noyau­tage de l’or­ga­ni­sa­tion par des élé­ments du Makh­zen. Il faut s’or­ga­ni­ser le plus pos­sible et gagner les masses popu­laires, deve­nir encore plus large, mais quoi qu’il en soit le bond en avant de la conscience col­lec­tive est énorme. On récolte tou­jours les fruits de se que l’on sème pen­dant des années de mili­tan­tisme par­fois décou­ra­geants »!

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Soyons réa­listes, exi­geons l’impossible !

« Ce que j’ai­me­rais dire à la jeu­nesse euro­péenne, ter­mine Nabil, c’est que la jeu­nesse c’est l’a­ve­nir. L’a­ve­nir nous appar­tient ! Il faut lut­ter, mili­ter pour obte­nir nos droits en tant que citoyens, per­sonne ne va venir et nous les don­ner ».


« Et puis il faut unir les luttes, que ce soit en Grèce, au Bur­ki­na-Faso ou en Tuni­sie entre autre, car nous affron­tons le même sys­tème d’op­pres­sion et d’ex­ploi­ta­tion »
rajoute Tahani.

Yous­sef conclut : « Pour affron­ter son ave­nir, il faut cou­rage et opti­misme ! S’il y a volon­té du peuple, alors cette volon­té est de fer ! »


Quelles sont leurs pers­pec­tives ? Com­ment voient-ils l’avenir ?

« On a connu tel­le­ment de sur­prises ces der­nières semaines, que plus rien n’est impos­sible ! sou­rit Taha­ni. Le rap­port de force dans la rue a obli­gé le monde poli­tique a bou­ger. Il suf­fit de com­men­cer ! Comme disait le Che, ‘Soyons réa­listes, exi­geons l’im­pos­sible’ »!

Qui a dit qu’il ne se pas­sait rien au Royaume chérifien ?

Selon que les diri­geants des pays concer­nés soient nos amis ou nos enne­mis, la lec­ture que les médias domi­nants font des révoltes arabes est très dif­fé­rente. Mais au Maroc ça bouge aussi !

Relayant le Prin­temps Arabe, le Mou­ve­ment du 20 Février est deve­nu aujourd’hui un acteur incon­tour­nable de la réa­li­té maro­caine avec lequel la monar­chie devra comp­ter et ouvre de nou­veaux espaces d’expression, uti­li­sés en masse par les femmes et les jeunes, entres autres.

La rue conti­nue à mettre la pres­sion, et la contes­ta­tion s’é­tend dans les cam­pagnes et ban­lieues. Fini la peur et vive l’unité !

Sou­dain, les jeunes constatent qu’ils peuvent deve­nir acteurs de leurs vies, prendre leur des­tin en main. Des jeunes qui sont désor­mais tel­le­ment, qu’ils n’ont plus peur de se faire « makh­ze­ni­fier » ! Le Mou­ve­ment est com­po­sé en majo­ri­té de jeunes (55% de la popu­la­tion a moins de 25 ans) qui veulent un chan­ge­ment radi­cal main­te­nant et en ont marre des par­tis poli­tiques tra­di­tion­nels et de leurs men­songes. Et, le sen­ti­ment qui pré­do­mine chez les gens est qu’un retour en arrière n’est plus possible.

Petya Miche­roux & Farid

Notes

1 Du verbe por­tu­gais ‘com­prar’ (ache­ter). Désigne une par­tie de la bour­geoi­sie d’un pays en déve­lop­pe­ment qui s’est enri­chie en com­mer­çant avec l’étranger.

2 Has­san II a régné en dic­ta­teur de 1961 à 1999.

3 Depuis 1975, un conflit oppose le Royaume maro­cain au Front Poli­sa­rio sur ce ter­ri­toire déco­lo­ni­sé par l’Es­pagne cette même année.

4 Le mot arabe « makh­zen », désigne l’É­tat maro­cain et ses ins­ti­tu­tions réga­liennes et plus géné­ra­le­ment la struc­ture poli­ti­co-admi­nis­tra­tive sur laquelle repose le pouvoir.

5 cf. Tel Quel n°471, 30/4/2011, p.73.

6 « On va pas lâcher ! » cf. www.mamfakinch.com.

7 L’USFP (Union Socia­liste des Forces Popu­laires) « ben­bar­kiste » n’a plus rien de socia­liste et l’ex-Par­ti Com­mu­niste, le PPS (Par­ti du Pro­grès et du Socia­lisme) est monar­chiste ! Le PSU (Par­ti Socia­liste Uni­fié), impor­tant dans la gauche estu­dian­tine regroupe plu­sieurs ten­dances. Enfin la Voie Démo­cra­tique est très pré­sente dans les luttes, notam­ment syn­di­cales (mar­xiste-léni­niste, ex-Ila Al Amame).

8 Créé en 1979, elle a sur­vé­cu aux années de plomb. Les familles des déte­nus poli­tiques y ont joué un rôle pion­nier au début, puis peu à peu seront reven­di­qués les droits sociaux, éco­no­miques et cultu­rels. L’AMDH accom­pagne, sou­tien, conseille et conscien­tise les vic­times et leurs familles.

9 Il est très dif­fi­cile d’a­voir des chiffres pré­cis pour les mani­fes­ta­tions. Les esti­ma­tions variant très fort selon les sources. Par exemple pour la mobi­li­sa­tion du 24 avril, il y aurait eu 30 000 per­sonnes selon les auto­ri­tés, 300 000 selon un jour­nal socio-démo­crate et 800 000 selon les organisateurs.

10 Il existe plus d’une tren­taine de syn­di­cats, mais les plus légi­times et repré­sen­ta­tifs res­tent l’UMT (Union Maro­caine du Tra­vail) et la CDT (Confé­dé­ra­tion Démo­cra­tique du Travail).

Source : http://www.tactis.be/article_maroc/