Le Venezuela bolivarien en 2013 : « Accroche-toi, tu n’as encore rien vu ! »

A Caracas ce samedi 5 janvier 2013 la population s’est mobilisée autour de l’Assemblée Nationale qui votait pour renouveler ses autorités.

maduro-empre630at.jpgLe jeu­di 3 octobre, lors d’un direct avec les tra­vailleurs de « Café Fama de Amé­ri­ca » trans­mis par la télé­vi­sion publique, dans le bruit des machines, la cha­leur et l’odeur forte du café, le vice-pré­sident Nico­las Madu­ro et le pré­sident de l’Assemblée Natio­nale Dios­da­do Cabel­lo ont tra­cé les grandes lignes de la « zone éco­no­mique socia­liste » qui sera construite en 2013. « Fama de Amé­ri­ca » est tout un sym­bole. Long­temps fer­mée aux camé­ras comme le reste des entre­prises capi­ta­listes, elle fut natio­na­li­sée en 2009 par le gou­ver­ne­ment Cha­vez à la demande des tra­vailleurs en lutte alors que les patrons vou­laient la mettre en faillite. Les tra­vailleurs en contrôlent aujourd’hui la ges­tion avec l’État. Résul­tat : un café mieux payé aux petits pro­duc­teurs et moins cher pour le consom­ma­teur. Aug­men­ter la pro­duc­tion natio­nale en fonc­tion des besoins de la majo­ri­té, se libé­rer des inter­mé­diaires pri­vés qui exploitent les pro­duc­teurs et spé­culent sur les prix, relier direc­te­ment les pro­duc­teurs aux consom­ma­teurs : le suc­cès de ce nou­veau modèle pro­duc­tif dépend aus­si, pour Madu­ro, d’une par­ti­ci­pa­tion accrue des tra­vailleurs : « Nous devons avoir une classe ouvrière de plus en plus édu­quée, de plus en plus culti­vée, de plus en plus consciente, de plus en plus dis­ci­pli­née, de plus en plus orga­ni­sée, parce que dans le socia­lisme le tra­vailleur doit prendre conscience du plan de pro­duc­tion, savoir com­ment on admi­nistre l’entreprise, de quels inves­tis­se­ments elle a besoin, quelle tech­no­lo­gie il faut ajou­ter aux pro­ces­sus de pro­duc­tion, dis­cu­ter de manière col­lec­tive les plans et les approu­ver. Le tra­vailleur socia­liste doit pen­ser com­ment il peut contri­buer au déve­lop­pe­ment de la patrie, et du peuple qui est le coeur et la fina­li­té de tout ce que nous fai­sons. »http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/12/24/les-facteurs-sociaux-de-la-victoire-de-chavez-par-carles-muntaner-joan-benach-maria-paez-victor/

8.jpg Le Vene­zue­la boli­va­rien a ache­vé l’année 2012 sur une rafale de suc­cès éco­no­miques et sociaux : le chô­mage pour­suit sa baisse (6,4%), la crois­sance se ren­force grâce aux inves­tis­se­ments publics (5,5 % en 2012, 6% pré­vus en 2013). L’inflation pour­suit sa courbe des­cen­dante des der­niers mois, le cours du pétrole reste éle­vé (le baril a dépas­sé les 100 dol­lars en jan­vier 2013). On com­prend pour­quoi le Vene­zue­la est deve­nu le deuxième pays du conti­nent après l’Argentine en nombre de chô­meurs espa­gnols accueillis.

S’y ajoute une longue liste de suc­cès sociaux[“Les fac­teurs sociaux de la vic­toire de Cha­vez”]]. Qu’on pense aux 346.700 loge­ments popu­laires construits en 20 mois grâce à la natio­na­li­sa­tion de la sidé­rur­gie et du ciment (soit un loge­ment construit toutes les trois minutes !) et aux 380.000 qui seront construits en 2013. Enfin, 2012 a été mar­qué par une double vic­toire poli­tique : la réélec­tion de Hugo Cha­vez à la pré­si­dence le 6 octobre 2012 fut sui­vie, le 16 décembre, en l’absence de celui-ci, d’une avan­cée his­to­rique des can­di­dats boli­va­riens aux postes de gou­ver­neurs conqué­rant 20 états sur 23[[“[Quand s’éloigne le bruit de la pluie sur les toits de car­ton”]]. Les condi­tions sont réunies pour accé­lé­rer la révo­lu­tion bolivarienne.

Les médias occi­den­taux qui enterrent Cha­vez et avec lui la révo­lu­tion boli­va­rienne et la révo­lu­tion lati­no-amé­ri­caine, risquent de devoir attendre long­temps pour voir leur rêve se réa­li­ser. Ils ont beau vou­loir réduire l’Amérique Latine à une poi­gnée de chefs d’Etat tom­bés du ciel, iso­lés, auto­crates, avec les guerres de palais pour unique des­tin, leur science-fic­tion est inte­nable à long terme. On ne peut éter­nel­le­ment refu­ser de voir la réa­li­té, rayer de la carte les popu­la­tions, leur His­toire et leur par­ti­ci­pa­tion, effa­cer les gou­ver­ne­ments, leurs réa­li­sa­tions et leurs pro­grammes, nier les nom­breux scru­tins où les majo­ri­tés tracent les lignes d’avenir.

Exem­plaire de l’autisme de la plu­part des médias fran­çais, ce titre : « le Vene­zue­la veut la véri­té sur la san­té du pré­sident Cha­vez ». Ce qui nous est pré­sen­té comme une infor­ma­tion n’est que l’actuel slo­gan de la MUD (coor­di­na­tion de la droite véné­zué­lienne). La popu­la­tion connaît en détail la situa­tion du pré­sident Cha­vez. Pas moins de 27 com­mu­ni­qués offi­ciels ont été trans­mis à la radio et à la télé­vi­sion. Le der­nier, en date du jeu­di 3 jan­vier 2013, explique qu’actuellement le pré­sident lutte pour sur­mon­ter une forte infec­tion pul­mo­naire sur­ve­nue à la suite du choc opé­ra­toire. En décembre 2012 Cha­vez a rap­pe­lé au pays que s’il ne réus­sis­sait pas à vaincre le can­cer et devait fina­le­ment renon­cer à ses fonc­tions, il incom­be­rait au peuple, comme l’exige la Consti­tu­tion, de retour­ner aux urnes pour choi­sir entre le pro­gramme de la droite et celui des boli­va­riens. Dans cette hypo­thèse, le pré­sident Cha­vez a pro­po­sé aux siens de voter pour l’actuel vice-pré­sident Nico­las Madu­ro, un mili­tant boli­va­rien de la pre­mière heure venu du monde du travail.

Face à cette clar­té des boli­va­riens, une droite affai­blie mais armée de puis­sants médias pri­vés n’a d’autre recours que d’annoncer que Cha­vez est déjà mort, cher­chant à créer un cli­mat de vide de pou­voir comme pré­lude à une guerre fra­tri­cide entre les lea­ders de la révo­lu­tion, etc… tan­dis que les États-Unis parlent de « l’après-Chavez » et de « tran­si­tion ». C’est cette cam­pagne que recyclent, à leur habi­tude, la plu­part des médias fran­çais. Mais la majo­ri­té des véné­zué­liens, atta­chés à l’institutionnalité démo­cra­tique, rejettent le mépris des médias envers leur vote en faveur du socia­lisme boli­va­rien[Mau­rice Lemoine, “[Au Vene­zue­la les élec­teurs confisquent la démo­cra­tie”]].

L’Amérique Latine d’aujourd’hui n’est plus celle des années 80, qui voyaient les mêmes médias dépeindre la révo­lu­tion san­di­niste au Nica­ra­gua comme un « tota­li­ta­risme en marche » tan­dis qu’elle fai­sait face, iso­lée, aux « contras » armés par Ronald Rea­gan. En 2013, le génie de l’unité lati­no-amé­ri­caine est sor­ti de sa bou­teille. Il n’est pas près d’y ren­trer[“[L’Amérique Latine unie autour de Cha­vez”]]. Tout ne fait même que com­men­cer. Au Nica­ra­gua le Front San­di­niste réélu sur la base de son bilan social pour­suit le redres­se­ment d’un pays appau­vri par 16 ans de paren­thèse néo-libé­rale. La Colom­bie, cet Israël hyper-mili­ta­ri­sé de l’Amérique Latine, entre dans un dia­logue poli­tique inima­gi­nable il y a quelques mois encore, confir­mant le bien-fon­dé de la stra­té­gie de rap­pro­che­ment avec ce pays lan­cée par le pré­sident Cha­vez. En Boli­vie, en pleine crois­sance éco­no­mique, le gou­ver­ne­ment d’Evo Morales, tou­jours aus­si popu­laire, vient de natio­na­li­ser deux filiales espa­gnoles d’énergie élec­trique pour faire place aux besoins de la popu­la­tion. La pro­bable réélec­tion du pré­sident équa­to­rien Rafael Cor­rea en février pro­chain – plu­sieurs son­dages lui donnent 60 % des suf­frages – signi­fie­rait l’approfondissement d’une révo­lu­tion citoyenne qui a notam­ment fait recu­ler le chô­mage, éle­vé le salaire des tra­vailleurs ou éli­mi­né la sous-traitance.

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Rafael lance sa cam­pagne élec­to­rale dans un quar­tier popu­laire, Qui­to, 5 jan­vier 2013.

assamble_e.jpg A Cara­cas ce same­di 5 jan­vier 2013 la popu­la­tion s’est mobi­li­sée autour de l’Assemblée Natio­nale qui votait pour renou­ve­ler ses auto­ri­tés. Ce par­le­ment qui fonc­tion­nait avant la révo­lu­tion boli­va­rienne en vase clos, négo­ciant la répar­ti­tion des postes de l’État entre par­tis et loin du peuple, est aujourd’hui un espace ouvert, où une majo­ri­té de député(e)s de gauche exa­mine des pro­jets de lois, par­fois d’initiative citoyenne. En 2013 ceux-ci plan­che­ront sur de nou­velles lois en faveur de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive comme la créa­tion des conseils de tra­vailleurs des­ti­née à com­plé­ter la nou­velle loi du tra­vail pro­mul­guée en mai 2012[[“La nou­velle loi du tra­vail, un pas de plus vers la vraie vie”]], ou la loi de la com­mu­ni­ca­tion popu­laire, qui per­met­tra d’aller plus loin dans la démo­cra­ti­sa­tion du droit à l’information. Comme le dit un dic­ton popu­laire véné­zué­lien « Ponte alpar­ga­tas, lo que viene es joro­po » qu’on peut tra­duire par : « Accroche-toi, tu n’as encore rien vu ».

Thier­ry Deronne, Cara­cas, 6 jan­vier 20013.

Source de l’ar­ticle : blog de thier­ry deronne


Notes