Les crimes de guerre des États-Unis et de l’OTAN en Libye

par Bar­ry Grey

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WSWS

Un rap­port révèle l’emploi sys­té­ma­tique du meurtre, de la tor­ture… contre de pré­su­més loya­listes de Kadha­fi par les forces « rebelles » du CNT

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Si Washing­ton et Paris ont déli­bé­ré­ment refu­sé toute négo­cia­tion, s’ils ont « tra­vaillé » depuis un bon moment l’opposition libyenne et pré­pa­ré des scé­na­rios détaillés d’intervention, si les porte-avions se tenaient depuis long­temps prêts à inter­ve­nir (comme l’a confir­mé l’amiral Gary Rou­ghead, chef de l’US Navy : « Nos forces étaient déjà posi­tion­nées contre la Libye », Washing­ton, 23 mars), c’est for­cé­ment que cette guerre n’a pas été déci­dée au der­nier moment en réac­tion à des évé­ne­ments sou­dains, mais qu’elle avait été pla­ni­fiée. Parce qu’elle pour­suit des objec­tifs majeurs qui dépassent lar­ge­ment la per­sonne de Kadhafi.

Un rap­port publié la semaine der­nière par des groupes de défense des droits de l’homme au Moyen-Orient montre en détail les crimes de guerre com­mis par les États-Unis, l’O­TAN, et leurs forces inter­po­sées « rebelles », lors de la guerre en Libye l’an der­nier qui a ren­ver­sé le régime du colo­nel Mouam­mar Kadha­fi. Le rap­port, inti­tu­lé « Report of the Inde­pendent Civil Socie­ty Fact-Fin­ding Mis­sion to Libya », dévoile les résul­tats d’une enquête menée en novembre der­nier par l’Or­ga­ni­sa­tion arabe des droits de l’homme, le Centre pales­ti­nien pour les droits de l’homme ain­si que l’ Inter­na­tio­nal Legal Assis­tance Consortium.

Basé sur des inter­views avec des vic­times de crimes de guerre, des témoins et des repré­sen­tants de la Libye situés à Tri­po­li, Zawiya, Sibra­ta, Khoms, Zli­ten, Mis­ra­ta, Tawer­gha et Syrte, le rap­port appelle à une enquête sur les attaques de zones civiles par l’O­TAN, lors des­quelles de nom­breuses per­sonnes auraient été tuées ou bles­sées. Les bombes et les mis­siles de l’O­TAN ont entre autres été diri­gés contre des écoles, des bâti­ments gou­ver­ne­men­taux, au moins un entre­pôt ali­men­taire et des mai­sons privées.

Le rap­port révèle aus­si l’emploi sys­té­ma­tique du meurtre, de la tor­ture, de l’ex­pul­sion et de l’a­bus contre de pré­su­més loya­listes de Kadha­fi par les forces « rebelles » du Conseil natio­nal de tran­si­tion (CNT), allié de l’O­TAN. Il décrit l’ex­pul­sion par la force des habi­tants, majo­ri­tai­re­ment noirs, de Tawer­gha et la per­sé­cu­tion, qui conti­nue à ce jour, des tra­vailleurs migrants sub­sa­ha­riens par les forces alliées au CNT et à son gou­ver­ne­ment de transition.

Les enquê­teurs font état que des pri­son­niers, déte­nus sans avoir été accu­sés ou subi un pro­cès, ont été sau­va­ge­ment bat­tus à maintes reprises et que des com­bat­tants pro-Kadha­fi ont été som­mai­re­ment exé­cu­tés. Des témoins ont rap­por­té que « des meurtres incon­si­dé­rés et de ven­geance, y com­pris le “mas­sacre” d’an­ciens com­bat­tants (on leur aurait tran­ché la gorge) ».

Le rap­port révèle ain­si le carac­tère frau­du­leux des pré­textes de droits humains et de démo­cra­tie uti­li­sés par les États-Unis, la France, la Grande-Bre­tagne et leurs com­plices de l’O­TAN pour mener une guerre de conquête de type colo­nial. Il montre clai­re­ment que la réso­lu­tion 1973 du Conseil de sécu­ri­té des Nations unies de mars der­nier, qui a impo­sé à la Libye une zone d’ex­clu­sion aérienne et un embar­go sur les armes pour sup­po­sé­ment pro­té­ger les civils d’actes répres­sifs de Mouam­mar Kadha­fi, a été uti­li­sée en fait pour mener une guerre aérienne impi­toyable, coor­don­née avec les forces « rebelles » au sol.

Le rap­port indique que peu de temps après l’é­cla­te­ment de mani­fes­ta­tions anti-Kadha­fi à Ben­gha­zi et dans d’autres villes, les forces d’op­po­si­tion ont pu pro­fi­ter d’un entraî­ne­ment don­né par les forces armées occi­den­tales et d’armes four­nies par les puis­sances de l’O­TAN et ses alliés par­mi les États arabes. L’op­po­si­tion popu­laire qui a fait érup­tion en février der­nier, à la suite de la chute de Mou­ba­rak en Égypte, a rapi­de­ment été récu­pé­rée par les États-Unis, la France, la Grande-Bre­tagne et leurs agents en Libye afin de déclen­cher une guerre civile pro-impérialiste.

Comme le men­tionne le rap­port, « Selon des infor­ma­tions de pre­mière main recueillies par la Mis­sion, et des sources secon­daires, il semble que l’O­TAN aurait par­ti­ci­pé à ce que l’on pour­rait qua­li­fier d’ac­tions offen­sives entre­prises par les forces d’op­po­si­tion, y com­pris, par exemple, des attaques sur des villes et vil­lages contrô­lés par les forces de Kadha­fi. De même, le choix de cer­taines cibles, comme un entre­pôt ali­men­taire régio­nal, sou­lève de prime abord des doutes sur le rôle de telles attaques quant à la pro­tec­tion des civils. »

Le rap­port ne rend qu’une ver­sion dif­fuse d’une vio­lente attaque dont le but prin­ci­pal était de rame­ner le pays 43 ans en arrière, aux condi­tions qui pré­va­laient sous le régime du roi Idris, laquais des États-Unis et de la Grande-Bre­tagne, qui a don­né le contrôle des res­sources pétro­lières du pays aux conglo­mé­rats amé­ri­cains et bri­tan­niques et per­mis aux deux puis­sances de main­te­nir d’im­por­tantes bases mili­taires en ter­ri­toire libyen. La des­truc­tion et la tue­rie de masse, qui ont abou­ti à la démo­li­tion de Syrte et au lyn­chage de Kadha­fi, ont ren­du l’i­dée, défen­due par l’O­NU, d’une guerre pour « les droits de l’homme » et la « pro­tec­tion des civils » non seule­ment absurde, mais sur­tout obscène.

Le viol de la Libye a été la réac­tion de l’im­pé­ria­lisme amé­ri­cain et euro­péen aux sou­lè­ve­ments révo­lu­tion­naires qui ont ren­ver­sé de vieux régimes pro-Occi­dent en Tuni­sie et en Égypte, deux pays à la fron­tière de la Libye. Le but de cette guerre impé­ria­liste était d’a­voir le contrôle total des res­sources en pétrole du pays, de détour­ner et de répri­mer la crois­sance des luttes de la classe ouvrière à tra­vers l’A­frique du Nord et le Moyen-Orient, et de por­ter un coup à la Chine et à la Rus­sie, qui avaient éta­bli d’é­troites rela­tions éco­no­miques avec le régime de Kadhafi.

La guerre a dévas­té le pays. Le CNT, une coa­li­tion de diri­geants de l’an­cien régime de Kadha­fi, d’is­la­mistes, dont cer­tains qui entre­tiennent des liens avec Al-Qaï­da, et de gens à la solde des agences de ren­sei­gne­ment occi­den­tales, estime lui-même que la guerre aurait fait 50 000 morts et bles­sé 50 000 per­sonnes. La mon­tée de conflits entre dif­fé­rentes fac­tions au sein du CNT pour­rait bien mener à l’é­rup­tion d’une guerre civile entre milices rivales.

Le week-end der­nier, tan­dis que le pré­sident du CNT Mous­ta­fa Abdel Jalil met­tait en garde contre la pos­si­bi­li­té d’une guerre civile, un groupe exi­geant la démis­sion du gou­ver­ne­ment de tran­si­tion a d’as­saut les quar­tiers géné­raux du CNT à Ben­gha­zi. Abdel Hafiz Gho­ga, vice-pré­sident du CNT, a rapi­de­ment quit­té son poste.

Le rap­port sur les crimes de guerre des États-Unis et de l’O­TAN révèle encore une fois le rôle joué par les par­tis « de gauche », les intel­lec­tuels et les uni­ver­si­taires qui ont répé­té les pré­textes de Washing­ton et de l’O­TAN, don­nant ain­si un appui expli­cite ou impli­cite à la guerre en Libye. Il sou­ligne que ces forces, que ce soit les sociaux-démo­crates, les Verts et des ex-sta­li­niens comme le par­ti La Gauche en Alle­magne ou de faux radi­caux comme le Nou­veau Par­ti anti­ca­pi­ta­liste en France et l’In­ter­na­tio­nal Socia­list Orga­ni­za­tion aux États-Unis, se sont ran­gées dans le camp de l’impérialisme.

 

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Dans cette guerre contre la Libye, Washing­ton pour­suit plu­sieurs objec­tifs simul­ta­né­ment : 1. Contrô­ler le pétrole. 2. Sécu­ri­ser Israël. 3. Empê­cher la libé­ra­tion du monde arabe. 4. Empê­cher l’unité afri­caine. 5. Ins­tal­ler l’Otan comme gen­darme de l’Afrique.