Dans sa deuxième conférence en Argentine, le Prix Nobel a encore une fois salué le chemin choisi par l’Argentine pour sortir de la crise de sa dette, en opposition à la formule européenne.
« Restructurer la dette au lieu de la rigueur »
par Javier Lewkowicz
« L’Europe a beaucoup à apprendre de l’Argentine ».
« L’Argentine a démontré qu’il y a une vie après la mort. Cela veut dire que dès que la dette extérieure est restructurée, le pays croît et même peut choisir de revenir sur les marchés. L’Europe a beaucoup à apprendre de l’exemple de l’Argentine », a souligné le Prix Nobel Joseph Stiglitz. L’économiste a participé hier au séminaire « La vacuité dans l’architecture financière internationale : restructuration de la dette souveraine », organisé par le Ministère e l’Économie avec la Banque Mondiale. Stiglitz a aussi salué le fait qu’en 2005 l’Argentine a fait aux créanciers une offre de bons attachés au produit national brut (PIB). « Une innovation importante qui pose la nécessité de répartir le risque entre les parties », a‑t-il défini. A la suite d’une enquête, l’économiste a évoqué l’inflation en Argentine, bien que sans faire explicitement référence à la situation locale, mais en recourant à une explication plus orthodoxe. « L’inflation, a‑t-il dit, va de paire avec un excès de la demande qui générerait un goulot d’étranglement que le Gouvernement essaie de dépasser ».
La négociation réussie de la dette extérieure en cessation de paiement qu’a mené, en 2005, l’ex-président Néstor Kirchner est, dans le contexte de crise de la dette de l’Eurozone, une référence qui chaque fois prend plus d’importance. L’importance de l’expérience argentine répond à la similitude du point de départ avec, par exemple, de l’économie grecque, comme l’endettement excessif et l’échec des recettes de rigueur, et les résultats atteints par l’Argentine une fois la charge de la dette substantiellement réduite. Stiglitz est l’un des économistes qui avec la plus grande ferveur recommandent de diminuer le poids de la dette, de répartir ses coûts entre les débiteurs et les créanciers et d’éviter l’ajustement fiscal comme sortie de crise.
« La Grèce ne peut plus attendre. Ella devrait étudier ses options et avancer rapidement, parce que l’incendie devient plus grand et davantage de maisons brûlent. Mener une restructuration a son coût, mais ne pas le faire est encore plus grave », a indiqué le professeur de l’Université de Columbia. L’un des tabous au sujet des processus ambitieux de restructuration que Stiglitz a cherché à faire tomber est le « châtiment divin » qui tomberait sur les pays hérétiques. « Les marchés de créance voudraient que quand un pays restructure sa dette, il soit puni à jamais. Cependant, les marchés compétitifs n’imposent pas de façon collective un châtiment. Ils ne sont pas aussi efficients qu’ ils aimeraient l’être. La réalité est que, après avoir réduit la charge de la dette, les pays progressent et recommencent à avoir la possibilité d’accéder aux marchés. C’est une vérité dérangeante que l’on veut cacher aux grecs. En tout cas, les pays ne devraient pas demander des prêts à l’extérieur, parce que cela génère beaucoup de problèmes », a‑t-il indiqué.
« Supposons que la Grèce soit en cessation de paiements contre la Banque Centrale Européenne. Quelles conséquences réelles y aurait-il ? Est-ce que cela aurait des effets négatifs pour le reste d’Europe ? » se demande Stiglitz. « Les banques disent que si les gouvernements ne sauvent pas les créanciers et les actionnaires, le système économique s’effondre. Je crois que leurs richesses s’effondreraient oui, mais pas le système », a‑t-il affirmé.
Le Nobel a aussi glissé quelques critiques envers le FMI, bien que nuancées. « Le Fond a la mentalité des créanciers. En tout cas, Dominique Strauss-Kahn – l’ex-titulaire de l’organisme – a fait quelques changements. Maintenant le FMI reconnaît l’importance d’appliquer un contrôle sur les flux de capitaux. Il serait souhaitable d’avoir un cadre de refonte plus efficient, une organisation internationale qui fonctionne comme tribunal de faillites et qui ait une représentation de débiteurs et de créanciers. La Grèce et les autres pays en situation de risque ne peuvent pas attendre », a‑t-il dit. Il a pris comme exemple la situation de l’Italie, où la dette représente 120 % du PIB. « Ils vont dépenser 10 % par an de leur produit pour le paiement de la dette. Il n’y a pas de manière de faire cela sans affecter l’économie et les services publics. En revanche, si on restructurait la dette, peut-être n’y aurait pas d’entrée de capitaux mais on paierait moins. Ces fonds pourraient êtres injectés dans l’économie pour réduire le chômage », a‑t-il indiqué.
Dans l’Argentine des années 90 les traités bilatéraux d’investissement ont été très utilisés. Ces accords fixes d’étroites limites pour la politique économique quand il s’agit d’affecter les intérêts des multinationales. « L’Argentine sait qu’il faut faire très attention au sujet des contrats d’investissement, parce qu’ils finissent par lier les pays pieds et poings. Si les économies en développement peuvent sortir de ces schémas, qu’elles en sortent. De plus, les traités n’améliorent pas l’investissement », a critiqué Stiglitz.
L’économiste a aussi remarqué que la renégociation de la dette argentine incluait dans l’offre aux créanciers des bons attachés au rendement de l’économie. « C’était une innovation importante parce que cela permet de répartir le risque. Les marchés ont beaucoup résisté à cette nouveauté », s’est-il souvenu.
Página 12. Buenos Aires, le 8 décembre 2011.
Version espagnole de l’article
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.