L’impasse de la contestation anti-Poutine en Russie

Il faut donc cesser de se raconter des histoires et de se fier à nos télés, qui ont longtemps trompé l’opinion occidentale en lui faisant croire à un « rejet massif » de Vladimir Poutine

De Jean Marie Chauvier

Source : Glo­bal Research, sep­tembre 20, 2012

EN RESUME

poutine-3-russian-president-vladimir-putin-attends-the-comprehensive-school-of-sports-mastership-conducted-by_127.jpg Un échec et une impasse. Ils étaient loin, très loin des « mil­lions ». La contes­ta­tion anti-Pou­tine est dans l’impasse. Il se confirme qu’elle ne déborde guère une cer­taine couche aisée de la capi­tale, d’obédience libé­rale. Les mee­tings de pro­vince plus popu­laires n’ont réuni que peu de monde. Le par­ti com­mu­niste était peu visible à Mos­cou. Le par­ti libé­ral « Iablo­ko » a pris ses dis­tances. Les gauches russes se divisent, une par­tie d’entre elles ne veulent plus « mar­cher » avec la droite libé­rale et natio­na­liste et dénoncent « l’hégémonie bour­geoise » sur le mou­ve­ment. Elles veulent mobi­li­ser sur les ques­tions sociales. Ce qu’on a appe­lé la « révo­lu­tion blanche » ou « orange », déclen­chée contre Vla­di­mir Pou­tine pour cause de « fal­si­fi­ca­tion » des scru­tins légis­la­tifs du 4 décembre 2011 et pré­si­den­tiel du 4 mars 2012 semble en train de s’essouffler. Il n’y a tou­jours pas de « vague de fond » popu­laire. [[Sur les ori­gines du mou­ve­ment et ses diverses com­po­santes, voir JM Chau­vier : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011 – 12-22-Revolution-blanche-drapeaux-rouges]]

La police a par­lé de 22.000 mani­fes­tants à Mos­cou, l’un des porte-parole de l’opposition Ser­guei Oudalt­sov (Front de Gauche) de près de 50.000 mais les orga­ni­sa­teurs (repris dans les médias occi­den­taux) ont par­lé de 100.000 ( !) La réa­li­té était très loin en des­sous de ces der­niers chiffres. Images et témoins en font foi. En pro­vince, on n’a comp­té que quelques cen­taines de par­ti­ci­pants aux divers mee­tings. Même s’il y eut 50.000 au total, nous sommes dans un pays de 145 mil­lions d’habitants ! Et Mos­cou en compte entre 12 et 15 mil­lions… Or, il y avait eu, lors des ras­sem­ble­ments d’hiver et de prin­temps, rien qu’à Mos­cou, entre 50, 80, 100.000…selon les esti­ma­tions. Le mou­ve­ment, déjà limi­té, est donc en perte de vitesse.

Il faut donc ces­ser de se racon­ter des his­toires et de se fier à nos télés, qui ont long­temps trom­pé l’opinion occi­den­tale en lui fai­sant croire à un « rejet mas­sif » de Vla­di­mir Pou­tine, pré­sident réélu le 4 mars 2012 avec une indé­niable majo­ri­té ! Et ce, bien que sa popu­la­ri­té, très forte, soit en train de baisser.[[En août, selon le Centre Leva­da, 49% des Russes sou­hai­te­raient que l’actuel man­dat du pré­sident Pou­tine soit le der­nier. http://french.ruvr.ru/2012_08_23/Vladimir-Poutine-sondage/]] Nombre d’Occidentaux, et d’opposants russes prennent leurs dési­rs pour des réa­li­tés : il n’y a pas de sou­lè­ve­ment popu­laire en Rus­sie, rien de com­pa­rable à ce qui existe en Espagne, en Grèce ou dans le monde arabe. Début 2011, une véri­table hys­té­rie s’était répan­due dans les milieux oppo­si­tion­nels, annon­çant une « conta­gion arabe » et un « scé­na­rio égyp­tien » pour Vla­di­mir Pou­tine. Le pré­sident Dmi­tri Med­ve­dev s’était lui-même inquiété.[[Voir JM Chau­vier « Les « désordres arabes » : alerte en Rus­sie », Le Monde diplo­ma­tique, Valise diplo­ma­tique 8 mars 2011 http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011 – 03-08-Russie]]

Ce n’est pour­tant pas que la Rus­sie soit en par­faite san­té, loin de là ! Il y a des mécon­ten­te­ments dif­fus, dis­pa­rates, et certes une crise sociale et iden­ti­taire pro­fonde mais sur fond de crois­sance éco­no­mique, qui a per­mis ces der­nières années une forte élé­va­tion du niveau de vie, ce qui exclut « la catas­trophe » constam­ment annon­cée par les oppo­sants. Sous réserve d’une débâcle mon­diale qui aurait d’inévitables consé­quences en Russie !

Il vrai que la Rus­sie « n’a pas de pro­jet ».Elle navigue à vue, le Krem­lin est dans le brouillard, c’est éga­le­ment le cas de la « place des maré­cages » toute proche, où se ras­sem­blaient les contestataires.

Peut-être le mou­ve­ment rebon­di­ra-t-il lors du pro­chain ren­dez-vous du 20 octobre, à sup­po­ser que les orga­ni­sa­teurs par­viennent à se mettre d’accord sur la date ? C’est ce qu’espère son lea­der le plus popu­laire, Ser­guei Oudalt­sov, appré­cié pour son pro­fil de mili­tant hon­nête et sans com­pro­mis­sion, mais non pour ses options « révo­lu­tion­naires » et son sens du réel. C’est lui qui, de concert avec Boris Nemt­sov, ancien diri­geant elt­si­nien, ultra­li­bé­ral, a orga­ni­sé cette « marche des mil­lions » du 15 sep­tembre. Ils étaient entou­rés d’autres lea­ders libé­raux, tel l’ancien pre­mier ministre Mikhaïl Kas­sia­nov, du pré­cur­seur de la contes­ta­tion, l’ancien cham­pion d’échecs et lea­der de l’ « Autre Rus­sie » Gar­ry Kas­pa­rov, de la jeune éco­lo­giste Evgue­nia Tchi­ri­ko­va « l’étoile verte de la Rus­sie », du « blog­ger » proche des natio­na­listes Alexei Naval­nyi, de Poli­na Deri­pas­ka, patronne du puis­sant « For­ward Media Group » et épouse d’Oleg Deri­pas­ka « le roi de l’aluminium » et figure de proue de l’oligarchie indus­trielle. D’autres vedettes du grand busi­ness étaient atten­dues et ne sont pas venues.

Comme d’habitude on a vu le mélange hété­ro­clite de « bour­geois mos­co­vites » de ten­dance libé­rale (les blancs et les bleus) d’écologistes (verts) de natio­na­listes arbo­rant les cou­leurs monar­chistes tsa­ristes blanc-jaune-noir, de « gau­chistes » aux dra­peaux rouges, ras­sem­blés dans le « Front de Gauche », de com­mu­nistes de gauche du « Rot­front », d’anarchistes aux dra­peaux noir et rouge, de natio­naux-bol­ché­viques d’Edouard Limo­nov, désor­mais réunis dans le mou­ve­ment « Autre Rus­sie » et arbo­rant le même dra­peau monar­chiste que les autres natio­na­listes. Deux slo­gans fédèrent la contes­ta­tion : « La Rus­sie sans Pou­tine » et « Des élec­tions hon­nêtes ». Pour la pre­mière fois, des mots d’ordre « éco­no­miques et sociaux » ont été accep­tés, sous pres­sion de l’aile gauche du mou­ve­ment : le gel des tarifs des ser­vices publics, la res­tau­ra­tion du droit de grève, la hausse des dépenses pour l’enseignement et la san­té. Mais l’objectif de « refaire les élec­tions » ne peut être atteint pour la simple et bonne rai­son que, si fal­si­fi­ca­tions et mani­pu­la­tions il y eut, elles n’ont pas modi­fié fon­da­men­ta­le­ment les scru­tins, tous les son­dages s’accordant à recon­naître les majo­ri­tés acquises par le par­ti « Rus­sie Unie » et, sur­tout, par le pré­sident Vla­di­mir Poutine.

INCIDENTS ENTRE ANARCHISTES ET NEOFASCISTES

Une bagarre – évé­ne­ment pré­vu et déjà habi­tuel- a écla­té entre anar­chistes et natio­na­listes d’extrême-droite. Par­mi ceux-ci, il y avait le chef du « Mou­ve­ment contre l’immigration illé­gale », inter­dit à Mos­cou et vic­time de mesures répres­sives, le néo­na­zi Alexandre Belov. C’est l’un des meneurs des « Marches russes » du 4 novembre qui avaient com­men­cé en 2005 avec des croix gam­mées et des saluts fas­cistes, depuis lors inter­dits, de même que les groupes les plus vio­lents comme la milice para­mi­li­taire « Uni­té Russe » (RNE) et l’ « Union Slave » (SS) dont les mili­tants clan­des­tins et recy­clés dans de nou­velles orga­ni­sa­tions ont éga­le­ment été vus dans les mani­fes­ta­tions de ces der­niers mois. Remar­qué dans la manif du 15 sep­tembre : l’emblème de la roue solaire d’usage sous le nazisme et qu’ont adop­té des néo­na­zis russes. On remar­que­ra d’ailleurs que les mil­lions de tra­vailleurs immi­grés « musul­mans », du Cau­case et d’Asie cen­trale, ne se joignent guère à cette « contes­ta­tion » en par­tie menée par des milieux d’affaires qui sur­ex­ploitent cette main d’œuvre au rabais ! Et pour cause : cer­tains oppo­sants « natio­na­listes » sont ceux qui mènent les « com­bats de rue » sou­vent meur­triers contre des étrangers.

A Saint-Peters­bourg, deux mondes étran­gers l’un à l’autre ont défi­lé. D’un côté, les libé­raux de « Iablo­ko » avec les gays et les les­biennes, de l’autre les natio­na­listes et les par­ti­sans du natio­nal-bol­ché­vik Limo­nov. Au total, ils étaient entre quelques cen­taines et deux mille.[[Kommersant, 15 sep­tembre 2012.]]

L’INVESTISSEMENT ETATSUNIEN N’EST PAS PROBANT

Comme pré­cé­dem­ment, la « marche » a béné­fi­cié d’une large audience préa­lable dans les médias occi­den­taux, ce qui aurait suf­fi à en faire un évé­ne­ment dont le Krem­lin doit tenir compte, si l’affluence à la Marche n’avait pas été aus­si faible. Le pou­voir reste bien enten­du « sous sur­veillance » inter­na­tio­nale : le phé­no­mène Inter­net inter­dit toute « autar­cie ». Le moindre évé­ne­ment, le moindre inci­dent, s’il est lar­ge­ment dif­fu­sé et mis à pro­fit par des forces poli­tiques loin­taines peut « créer du sou­ci », voir ser­vir à ridi­cu­li­ser le pré­sident Vla­di­mir Pou­tine et affai­blir sa posi­tion d’ « arbitre » des clans diri­geants. On l’a vu avec l’audience for­mi­dable accor­dée à la per­for­mance des Pus­sy Riot.[[Voir JM Chau­vier « De quoi les Pus­sy Riot sont-elles le signe ? » http://www.mondialisation.ca/de-quoi-les-pussy-riot-sont-elles-le-signe/]]

Les per­son­na­li­tés sur les­quelles mise l’Occident sont Boris Nemt­sov, Mikhaïl Kas­sia­nov – tenants d’une ligne néo­li­bé­rale dans le pas­sé- ain­si qu’Alexei Naval­nyi, popu­laire par­mi les blog­gers, cham­pion de la lutte anti-cor­rup­tion et qui assure le lien entre les libé­raux et l’extrême-droite natio­na­liste des « Marches russes » aux­quels Naval­nyi par­ti­cipe. Tous trois, de même que l’ « étoile verte » Evgue­nia Tchi­ri­ko­va ont séjour­né aux Etats-Unis et sont en liai­son avec leur ambas­sa­deur à Mos­cou Jona­than Mac Faul, très enga­gé aux côtés de cette oppo­si­tion. Mais l’ambassadeur doit sans doute « faire rap­port » au Dépar­te­ment d’Etat quant aux faibles résul­tats, à ce jour, de ses efforts.

Les sou­tiens occi­den­taux aux oppo­sants (Dépar­te­ment d’état amé­ri­cain, Union Euro­péenne , Par­le­ment euro­péen, Amnes­ty Inter­na­tio­nal) se sont accen­tués avec l’affaire Pus­sy Riot, les trois femmes du groupe punk condam­nées à deux ans de colo­nie de tra­vail et dont la libé­ra­tion a éga­le­ment été exi­gée par les mani­fes­tants. Comme on sait, la per­son­na­li­té emblé­ma­tique de l’opposition, l’oligarque et ancien patron du groupe pétro­lier « You­kos » Mikhaïl Kho­dor­kovs­ki, empri­son­né depuis 2003, a été adop­té par Amnes­ty Inter­na­tio­nal comme « pri­son­nier de conscience ». [[Sur l’aide amé­ri­caine aux oppo­sants, cf JM Chau­vier http://www.mondialisation.ca/que-font-les-tats-unis-pour-aider-la-contestation-en-russie/

Lire éga­le­ment Dia­na Johns­tone : « Déca­dence de la pro­tes­ta­tion poli­tique » (notam­ment sur le rôle d’Amensty Inter­na­tio­nal) http://www.mondialisation.ca/russie-le-declin-de-la-protestation-politique/]]

Par contre, le natio­nal-bol­ché­vik et roman­tique Edouard Limo­nov, per­son­nage-clé des alliances entre libé­raux et radi­caux dans le pas­sé, s’est appa­rem­ment mis « en marge », avec son mou­ve­ment d’une « Autre Rus­sie » s’affichant désor­mais comme « gauche natio­na­liste » dis­tant de ses anciens amis libé­raux, dont Gar­ry Kas­pa­rov, co-fon­da­teur avec lui en 2005 de la pre­mière mou­ture du petit mou­ve­ment « Autre Rus­sie » lan­cé par la NED[[NED : Natio­nal Endow­ment for Demo­cra­cy. Fon­da­tion conser­va­trice état­su­nienne créée par Ronald Rea­gan en 1983, pour com­battre le com­mu­nisme, et qui finance aujourd’hui des cen­taines d’organisations « non gou­ver­ne­men­tales » à tra­vers l’ex-URSS, éga­le­ment très active en Amé­rique latine. De nom­breux groupes d’opposition en Rus­sie et en Ukraine sont rede­vables à la NED des emplois et des moyens maté­riels qu’ils peuvent mobi­li­ser dans leurs « luttes démo­cra­tiques ».]] et qui défraya la chro­nique mon­diale lors de ses affron­te­ments avec la police en 2007 – 2008.

LES RESERVES DU PARTI COMMUNISTE

On a remar­qué la pré­sence, mais dis­crète du Par­ti Com­mu­niste de Guen­na­di Ziou­ga­nov, prin­ci­pal par­ti d’opposition (20% aux élec­tions) qui pour­rait théo­ri­que­ment mobi­li­ser ses cen­taines de mil­liers de membres et ses mil­lions d’électeurs. Or, ils sont lar­ge­ment absents ! Sauf (mais très peu) dans plu­sieurs villes de pro­vince où c’est le PC qui a orga­ni­sé de petits mee­tings à colo­ra­tion « anticapitaliste ».

Ce par­ti (KPRF) a pris de longue date ses dis­tances envers le mou­ve­ment contes­ta­taire qu’il appré­cie comme oppo­si­tion à Vla­di­mir Pou­tine mais qu’il redoute comme ten­ta­tive de « révo­lu­tion orange » finan­cée par le bloc euro-atlan­tique. Plu­sieurs com­mu­nistes ont d’ailleurs repro­ché à la direc­tion du par­ti ses « ambi­gui­tés », tan­dis que l’extrême-gauche dénonce son manque d’engagement concret, le consi­dé­rant comme un par­ti « du système ».

De l’avis du secré­taire géné­ral Guen­na­di Ziou­ga­nov, nul­le­ment décou­ra­gé, les pro­tes­ta­taires sont désor­mais orien­tés en majo­ri­té « à gauche » : 60 à 70%. Mais la confiance a dimi­nué dans les lea­ders du mouvement.[[Site offi­ciel du KPRF, 17 sep­tembre, http://kprf.ru/dep/110213.html]] Les com­mu­nistes se féli­citent de la forte pré­sence d’enseignants pour qui « l’école n’est pas un mar­ché » et qui réclament une « Rus­sie sans bourgeois ».

Le par­ti « Iabl­ko », membre de l’Internationale libé­rale, a éga­le­ment pris ses dis­tances mais pour d’autres rai­sons : parce que la contes­ta­tion, d’après lui, prend un aspect « rouge-brun ». ( mélange d’extrême-gauche et d’extrême-droite) Ce par­ti avait lui-même exclu de ses rangs Alexei Naval­nyi pour cause de « natio­na­lisme radical ».

FORUM DES GAUCHES RUSSES : LA DIVISION. LE LEADERSHIP DE SERGUEI OUDALTSOV MIS EN CAUSE.

C’est conscients de cet écart entre une contes­ta­tion « bour­geoise » et la réa­li­té du pays que les gauches ont tenu un forum de 300 mili­tants de sept régions le 8 sep­tembre. La ques­tion débat­tue était l’élection pro­chaine d’une Coor­di­na­tion des Oppo­si­tions. Celle-ci serait, d’après les par­ti­ci­pants, « sous hégé­mo­nie libé­rale bour­geoise » et son élec­tion entâ­chée d’irrégularités ou de manipulations.

Serguei_Oudaltsov.pngSer­guei Oudalt­sov, adepte de cette Coor­di­na­tion, au nom du Front des Gauches qui ras­semble une kyrielle de petits groupes et par­tis (com­mu­nistes de gauche, trots­kistes, gue­va­ristes, anar­chistes etc…) en appelle mal­gré tout à l’unité de toutes les forces d’opposition contre le pou­voir « auto­pro­cla­mé » : « Les ban­dits et les voleurs (qui dirigent la Rus­sie) sont dan­ge­reux, chaque jour qui passe sous leur direc­tion, ce sont des morts de nom­breuses per­sonnes et la dégra­da­tion du pays (…) La révo­lu­tion démo­cra­tique bour­geoise mûrit dans le pays ». (Oudalt­sov trace ici un paral­lèle avec la révo­lu­tion de février 1917 qui ren­ver­sa le régime tsa­riste et qui pré­cé­da la révo­lu­tion socia­liste d’Octobre ») Il faut dire qu’Oudalsov est per­sua­dé que le ren­ver­se­ment du capi­ta­lisme et le retour des soviets peuvent avoir lieu en Rus­sie, ce dont les gauches plus « réa­listes » doutent énormément.

Alexandre Bouz­gua­line, du mou­ve­ment « Alter­na­tives », l’un des repré­sen­tants en vue de la pen­sée mar­xiste en Rus­sie, pense que le pou­voir « auto­pro­cla­mé » (selon Oudalt­sov) est consti­tué « de clans sérieux, admi­nis­tra­tifs et éco­no­miques » qui jouissent à ce jour « du sou­tien d’une par­tie signi­fi­ca­tive de la Rus­sie ». Il faut donc mieux tenir compte du rap­port des forces dans la société.

Boris_Kagarlitsky-2.pngBoris Kagar­lits­ky, direc­teur de l’Institut de la Glo­ba­li­sa­tion et des ques­tions sociales (ancien dis­si­dent sous Bre­j­nev et lea­der intel­lec­tuel recon­nu) estime, à l’encontre des autres oppo­sants, que Pou­tine « n’est pas auto­pro­cla­mé mais élu par des mil­lions de gens. ». Les diri­geants de l’opposition sont eux-mêmes « auto­pro­cla­més ». Il en appelle au boy­cott de leur « coordination ».

Edouard_Limonov.pngEdouard Limo­nov, de « l’Autre Rus­sie » qui a suc­cé­dé à son par­ti « natio­nal-bol­ché­vik » (inter­dit) estime que tant Pou­tine que ses oppo­sants pour­suivent une poli­tique « bour­geoise » et que « le wagon rouge de ce train bour­geois doit être décroché ».

Ser­guei Biets, du par­ti com­mu­niste ouvrier (dis­si­dence de gauche du PC) observe que, par rap­port aux années 1990, la pro­por­tion de tra­vailleurs dans les mee­tings pro­tes­ta­taires a sen­si­ble­ment dimi­nué, au pro­fit de couches bour­geoises. C’est ce qui assure la domi­na­tion de la droite dans la contestation.

Ajou­tons que de nom­breuses petites pro­tes­ta­tions sociales ont lieu à tra­vers le pays – contre des licen­cie­ments, pour des hausses de salaires, contre la réduc­tion des bud­gets à l’éducation et à la santé.[[Voir à ce pro­pos le site de l’Institut de l’Action Col­lec­tive, Mos­cou, IKD, http://www.ikd.ru/]]

Ces pro­tes­ta­taires sociaux se retrouvent rare­ment dans « LA » grande contes­ta­tion démo­cra­tique et, sur­tout, moscovite.

VERS DES REORIENTATIONS POLITIQUES ?

La débâcle du mou­ve­ment pro­tes­ta­taire coïn­cide avec des défec­tions au sein du par­ti du pou­voir « Rus­sie Unie », dont cer­tains déser­teurs pour­raient rejoindre une nou­velle for­ma­tion libérale.[[cf « Cour­rier de Rus­sie » 11 sep­tembre 2012 http://www.lecourrierderussie.com/2012/09/11/russie-unie-ceux-qui-ont-quitte-le-parti/#.UFeOPK6XgZt]] Tant le pou­voir que l’opposition seront ame­nés, dans les mois qui viennent, à repen­ser leurs stra­té­gies. La divi­sion gauche-droite va s’accentuer dans la mou­vance contes­ta­taire. « Il est temps d’en finir avec les mee­tings » estime la célèbre jour­na­liste et roman­cière Iou­lia Laty­ni­na, oppo­sante radi­cale au « pou­ti­nisme » et adepte d’un libé­ra­lisme mus­clé, aux anti­podes d’un Ser­guei Oudalt­sov. [[« Ezhed­nev­nyi Jour­nal », 17 sep­tembre 2012, http://www.ej.ru/?a=note&id=12236]] Un jour­na­liste russe proche des milieux libé­raux, Boris Tou­ma­nov, porte un juge­ment sévère sur les lea­ders de la contes­ta­tion : « Il serait trop facile d’attribuer cette pas­si­vi­té (de la popu­la­tion) aux amendes dra­co­niennes pré­vues par la loi adop­tée en juin der­nier pour punir les mani­fes­tants en cas de troubles ou de ras­sem­ble­ment non auto­ri­sé. Il se fait que l’égocentrisme et l’incompétence des lea­ders de l’opposition les rendent inaptes à éta­blir un pro­gramme d’action réa­liste sus­cep­tible de ser­vir de base à un mou­ve­ment poli­tique. » [[Boris Tou­ma­nov dans « La Libre Bel­gique »17 sep­tembre 2012 http://www.lalibre.be/actu/international/article/761054/l‑impossible-opposition-a-poutine.html]]

Les libé­raux et leurs amis occi­den­taux devront mettre en avant de nou­velles per­son­na­li­tés. Il est pro­bable qu’outre Mikhaïl Kho­dor­kovs­ki, dont la libé­ra­tion est récla­mée dans les milieux d’affaires, l’oligarque mil­liar­daire Mikhaïl Pro­kho­rov, qui a obte­nu 7,7% des voix aux pré­si­den­tielles de mars 2012, créa­teur de la « Pla­te­forme civique » et l’ancien ministre des finances Alexei Kou­drine, qui anime un Comi­té d’initiatives civiques, deviennent les garants d’un renou­veau de la droite néo­li­bé­rale, suc­ces­si­ve­ment défaite par le krach de 1998 et par le tour­nant « éta­tiste » en 2003, d’un pré­sident Pou­tine qui n’en a pas moins pour­sui­vi, sous le contrôle du Krem­lin, les œuvres de pri­va­ti­sa­tions et de res­tric­tions des pres­ta­tions sociales de l’état.

De son côté, la gauche « sou­ve­rai­niste » au sein du pou­voir cher­che­ra à obte­nir du pré­sident Vla­di­mir Pou­tine une réorien­ta­tion « régu­la­trice » de la libé­ra­li­sa­tion éco­no­mique, au moment où la Rus­sie fait son entrée dans l’Organisation Mon­diale du Com­merce, source d’inquiétude pour les indus­tries natio­nales et des mil­lions de tra­vailleurs mena­cés de perdre leurs emplois. C’est toute la concep­tion de la « moder­ni­sa­tion de rat­tra­page » qui doit se pré­ci­ser, entre autres ques­tions « iden­ti­taires » d’un pays tou­jours en panne de repères, vingt ans après la fin de l’URSS et la « thé­ra­pie de choc ».

Voi­là sans doute des enjeux qui, avec ceux d’une situa­tion inter­na­tio­nale chao­tique, dépassent de quelques degrés les dis­cours sté­riles où s’est embour­bée la « Place des Marécages ».

Jean-Marie Chau­vier

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IMAGES DE LA MARCHE DU 15 SEPTEMBRE 2012

LES REPORTAGES DE LA TV OFFICIELLE (PREMIER PROGRAMME)

http://www.1tv.ru/news/

On voit peu de mani­fes­tants, le com­men­ta­teur insiste sur le fait qu’il y en a beau­coup moins que pré­cé­dem­ment. On voit à la tri­bune le lea­der des « blog­gers » Alexei Navalnyi.

On voit une bagarre entre natio­na­listes et anarchistes.

AUTRE REPORTAGE, PLUS TARDIF ET REPRESENTATIF

http://www.1tv.ru/news/

L’accent est mis sur les nou­velles reven­di­ca­tions sociales du meeting.

La polé­mique sur le nombre de mani­fes­tants. La police a par­lé de 14.000 mani­fes­tants, le lea­der du Front

On voit le lea­der libé­ral Boris Nemt­sov, qui appelle à l’unité entre droites, gauches et nationalistes.

Dans les autres villes mon­trées, on ne voit que quelques cen­taines de manifestants.

REPORTAGES DE « KRASNOIE TV » (TV ROUGE)

sur inter­net, com­mu­niste. Curieu­se­ment, on ne montre pas les mani­fes­tants du PC mais seule­ment ceux du « Rot­front » proche du PC.

LE NOUVEAU GROUPE « ROTFRONT », GAUCHE COMMUNISTE

http://www.krasnoe.tv:80/node/15836

Ces mani­fes­tants ont refu­sé de suivre le « Front de Gauche » diri­gé par Ser­geui Oudalt­sov, « les repré­san­tants des orga­ni­sa­tions de gauche (sauf Oudalt­sov) n’ont pas pu prendre la parole au meeting.

15 сентября 2012 года в Москве состоялся многотысячный Марш Миллионов. Учитывая тот факт, что организаторы Марша не допускали до выступления представителей левых организаций, партия Российский объединённый трудовой Фронт организовала серию митингов в самой колонне.

На митинге, предваряющем шествие, выступили :

Александр Батов, председатель Московского городского комитета РОТ Фронта ; 
* Борис Кагарлицкий, левый политолог, директор Института глобализации и социальных вопросов ; 
* группа “Неведомая земля” (г. Самара); 
* Айнур Курманов, заместитель председателя профсоюза “Жанарту” (Казахстан); 
* Олег Двуреченский, Красное ТВ ; 
* Юрий Горбач, завод “Метровагонмаш” (Мытищи), профсоюз “Защита труда”.

LES GAUCHES BOYCOTTENT LES ELECTIONS A LA COORDINATION DES OPPOSITIONS : « CES GENS (LIBERAUX ET OUDALTSOV) NE NOUS REPRESENTENT PAS »

Boris Kagar­lits­ky explique (inter­view en russe) pour­quoi « les gauches » (mais pas toutes !) ne recon­naissent plus le lea­der­ship de Ser­guei Oudalt­sov (Front de Gauche) et refu­se­ront de par­ti­ci­per aux élec­tions de la Coor­di­na­tion des Oppo­si­tions, à leur avis domi­né et mani­pu­lé par la droite libé­rale (entre autres : il faut payer pour être can­di­dat aux élec­tions) Sur le fond, Kagar­lits­ky estime que l’opposition doit sou­le­ver les ques­tions sociales et cher­cher à sor­tir du cadre « libé­ral ». Il faut aus­si un mou­ve­ment pour des objec­tifs « construc­tifs » et non pour le chan­ge­ment d’une per­son­na­li­té. Il faut que les gens soient défen­dus contre la crise. http://www.krasnoe.tv:80/node/15812