Nicaragua : « La majorité des gens vit beaucoup mieux qu’il y a cinq ans »

Jusqu’en janvier 2007, il fallait payer l’éducation et la santé. Aujourd’hui, celles-ci sont totalement gratuites.

Image_4-66.png Pho­to : Julie Jaros­zews­ki, Nica­ra­gua novembre 2011.

Inter­view de William Grig­sby par Ser­gio Fer­ra­ri. elmercuriodigital.es

Le 6 novembre, des élec­tions géné­rales auront lieu au Nica­ra­gua, pays cen­tra­mé­ri­cain qui sus­ci­ta dans les années 1980 l’un des mou­ve­ments de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale les plus actifs dans l’histoire contem­po­raine. Comme à cette époque, le Front San­di­niste de Libé­ra­tion Natio­nale (FSLN) conti­nue d’être aujourd’hui l’une des prin­ci­pales forces poli­tiques et son can­di­dat, l’actuel pré­sident Daniel Orte­ga, se repré­sente à l’élection pré­si­den­tielle. Un scé­na­rio par­ti­cu­lier où 4 alliances tentent de dis­pu­ter au par­ti gou­ver­ne­men­tal son hégé­mo­nie. Ci-des­sous, un entre­tien avec William Grig­sby Vado, mili­tant san­di­niste, direc­teur de la radio La Pri­merí­si­ma et ana­lyste poli­tique répu­té en Amé­rique centrale.

Q : Les der­niers son­dages pré-élec­to­raux pré­voient une vic­toire com­mode pour le can­di­dat de l’alliance « Uni, le Nica­ra­gua triomphe » (Uni­da, Nica­ra­gua Triun­fa), l’actuel pré­sident Daniel Orte­ga. Êtes-vous donc d’accord avec ces prévisions ?

Will­liam Grig­sby Vado (WGV) : La ten­dance géné­rale pré­voit effec­ti­ve­ment la vic­toire élec­to­rale de Daniel Orte­ga. Je pense même qu’il pour­rait obte­nir une majo­ri­té écra­sante, ce qui débou­che­rait pour lui sur une majo­ri­té par­le­men­taire de 2/3 (l’Assemblée natio­nale compte 90 dépu­té-e‑s). Un résul­tat qui faci­li­te­rait une future réforme de la Consti­tu­tion. Les quatre autres par­tis – tous de droite – qui par­ti­cipent aux élec­tions sont conscients de cette ten­dance, tout comme les grands entre­pre­neurs et les gou­ver­ne­ments, comme celui des Etats-Unis. Néan­moins, le FSLN ne se fie pas à ce pro­nos­tic et ses mili­tants conti­nuent de faire leur tra­vail, de mai­son en mai­son, dans toutes les com­mu­nau­tés des 153 muni­ci­pa­li­tés des 17 dépar­te­ments et régions du pays. Le ver­dict final tom­be­ra le 6 novembre, lorsque les Nica­ra­guayens se ren­dront aux urnes.

Q : L’opposition dénonce ces élec­tions comme illé­gales. Pour elle, Daniel Orte­ga n’est pas auto­ri­sé à bri­guer un second man­dat suc­ces­sif, vu qu’il avait déjà gou­ver­né dans les années 1980.

WGV : Dans un état de droit, il revient au pou­voir judi­ciaire de déter­mi­ner, en der­nière ins­tance si une norme touche les droits fon­da­men­taux d’un ou de plu­sieurs citoyens. Au Nica­ra­gua, la Cour suprême de jus­tice a déci­dé que l’on ne peut appli­quer l’interdiction de réélec­tion pré­si­den­tielle à quelqu’un qui a déjà exer­cé aupa­ra­vant deux man­dats. La Cour a com­pris qu’empêcher la can­di­da­ture de Daniel Orte­ga vio­le­rait les prin­cipes essen­tiels de la Consti­tu­tion, qui priment sur toute autre norme juri­dique. Le pro­blème, c’est qu’au Nica­ra­gua l’opposition ne se sou­met à l’application de la loi et aux sen­tences judi­ciaires que si ces der­nières lui conviennent. Au final, la légi­ti­mi­té d’un nou­veau man­dat du can­di­dat san­di­niste, en termes poli­tiques, dépen­dra sur­tout de la manière dont les citoyens s’exprimeront dans les urnes. Et je pense que le vote sera net.

Q : L’opposition parle du « clien­té­lisme » gou­ver­ne­men­tal pour expli­quer la pos­sible vic­toire élec­to­rale du sandinisme…

WGV : La majo­ri­té des Nica­ra­guayens savent qu’aujourd’hui ils vivent beau­coup mieux qu’il y a cinq ans. Un seul exemple : dans un pays où 78 % de la popu­la­tion vit avec 2 dol­lars ou moins par jour, il fal­lait, jusqu’en jan­vier 2007, payer l’éducation et la san­té. Aujourd’hui, celles-ci sont tota­le­ment gra­tuites. D’autres indi­ca­teurs pour la même période : le pays a dou­blé le mon­tant de ses inves­tis­se­ments ; le salaire mini­mum a aus­si dou­blé ; il y a une crois­sance de l’emploi ; la crise de l’énergie élec­trique a été réso­lue : la cou­ver­ture de ce ser­vice a pas­sé de 56 % à 70 % ; à la cam­pagne, 80.000 femmes sont aujourd’hui pro­duc­trices de lait et de viande ; 217.000 femmes ont béné­fi­cié de micro-cré­dits sans inté­rêts. En outre, l’analphabétisme a été réduit de 32 % à 4 % de la popu­la­tion ; l’Etat a créé un réseau natio­nal de dis­tri­bu­tion des ali­ments de base, avec 4.000 maga­sins qui les vendent à des prix plus favo­rables que le mar­ché pri­vé ; 481.537 pro­duc­teurs agri­coles (de dimen­sions variables) ont obte­nu des cré­dits. Ajou­tons qu’en quatre ans le gou­ver­ne­ment a four­ni à l’agriculture des cré­dits pour un mon­tant de 1.397 mil­lions de dol­lars. Aujourd’hui, 152.000 fonc­tion­naires reçoivent un bon men­suel de 700 cor­do­bas (Ndr : à peu près 35 dol­lars US) comme com­plé­ment sala­rial. Voi­ci, par­mi beau­coup d’autres, les rai­sons pour les­quelles je pense que l’électorat plé­bis­ci­te­ra mas­si­ve­ment le FSLN.

Q : Plu­sieurs per­son­na­li­tés qui, à l’origine, fai­saient par­tie du Front san­di­niste appuient aujourd’hui Fabio Gadea Man­tilla, l’un des can­di­dats de la droite. Com­ment com­prendre l’attitude de la dis­si­dence sandiniste ?

WGV : Le Mou­ve­ment de reno­va­ton san­di­niste (MRS) est aujourd’hui une fac­tion de droite qui a renié le san­di­nisme et fait par­tie des forces les plus réac­tion­naires de la socié­té nica­ra­guayenne. La majo­ri­té de ses mili­tants (pas plus de 150) ont occu­pé, durant les années 1980, des posi­tions pri­vi­lé­giées comme membres du FSLN. Ensuite, lorsque le FSLN était dans l’opposition, ils se sont consa­crés aux affaires. Actuel­le­ment le MRS sou­tient l’Unidad Nica­ragüense por la Espe­ran­za (UNE), alliance de droite. Leur moti­va­tion actuelle est plus per­son­nelle que poli­tique. Ce sec­teur hait per­son­nel­le­ment Daniel Orte­ga et recherche une ven­geance poli­tique, car il ne contrôle plus le FSLN comme c’était le cas jusqu’en 1994.

Q : L’Amérique cen­trale vit un moment très par­ti­cu­lier de son his­toire. L’ancienne gué­rilla sal­va­do­rienne du Front Fara­bun­do Martí de libé­ra­tion natio­nale gou­verne aujourd’hui le Sal­va­dor. La résis­tance hon­du­rienne qui sou­tient l’ancien pré­sident Manuel Zelaya (dépo­sé en juin 2009 par un coup d’état) a démon­tré sa force, ces der­niers mois, et aspire à gagner les pro­chaines élec­tions. Quel pour­rait être l’impact du résul­tat des élec­tions nica­ra­guayennes du 6 novembre sur le contexte régional ?

WGV : His­to­ri­que­ment, le Nica­ra­gua a tou­jours joué un rôle-clé dans toute la région. Ce qui s’y passe influence les cinq autres pays cen­tra­mé­ri­cains. L’intégration éco­no­mique de ces pays, avec des éco­no­mies très inter­dé­pen­dantes, prime sur toute diver­gence idéo­lo­gique entre les gou­ver­ne­ments, comme cela a été démon­tré au cours des cinq der­nières années. Le FSLN a été un fac­teur de sta­bi­li­té et de consen­sus dans la région, comme en attestent la réac­tion mon­diale au coup d’état mili­taire de 2009, qui ren­ver­sa le pré­sident Manuel Zelaya, et le retour ulté­rieur de ce der­nier au Hon­du­ras. Je le sou­ligne : le san­di­nisme est un élé­ment qui contri­bue acti­ve­ment à la sta­bi­li­té régionale.

Q : En conclu­sion, l’Amérique latine vit un pro­ces­sus qua­si-géné­ra­li­sé de conso­li­da­tion démo­cra­tique avec une pré­do­mi­nance pro­gres­siste. Quel est aujourd’hui le rap­port entre le vécu du Nica­ra­gua et cette conjonc­ture régionale ?

WGV : Du XVIIIe au XXe siècle, l’Europe a accou­ché des chan­ge­ments qui se pro­pagent aujourd’hui dans une grande par­tie de la pla­nète. Le XXIe siècle est celui de l’Amérique latine. L’Europe ne vieillit pas seule­ment au niveau de sa popu­la­tion, mais dans le domaine des idées. Elle connaît une crise des para­digmes et des valeurs. Par contre, l’Amérique latine vit une vague de révo­lu­tions natio­na­listes et pro­gres­sistes qui rompent les moules de l’orthodoxie mar­xiste ou des révi­sion­nismes sociaux-démo­crates. La majo­ri­té des pays lati­no-amé­ri­cains ont com­men­cé à s’engager sur des che­mins dif­fé­rents avec une même pro­po­si­tion : en finir avec la pau­vre­té, impul­ser le déve­lop­pe­ment et l’équité sociale. Les san­di­nistes intègrent ce cou­rant de Notre Amé­rique. Or, en Europe et aux Etats-Unis, le pou­voir fait exac­te­ment le contraire. Il cherche à sau­ver le capi­ta­lisme en pro­dui­sant davan­tage de pauvres, en appro­fon­dis­sant les dif­fé­rences sociales, en rédui­sant les tâches de l’Etat et en pri­vi­lé­giant la mafia finan­cière qui dirige ces socié­tés. Nous avons pris des che­mins anta­go­niques et seule l’histoire pour­ra remettre cha­cun à sa place.

Ser­gio Ferrari

Tra­duc­tion Hans-Peter Renk, col­la­bo­ra­tion jour­nal suisse Le Cour­rier, et de E‑CHANGER, ONG de coope­ra­tion soli­daire pré­sent et active au Nicaragua

Source en espa­gnol : http://www.rlp.com.ni/noticias/general/109118/la-mayoria-de-la-gente-vive-mucho-mejor-hoy-que-cinco-anos-atras

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Les der­niers son­dages pré-élec­to­raux Près de 3 mil­lions de Nica­ra­guayen-ne‑s se ren­dront, le dimanche 6 novembre, dans les 12.960 bureaux de vote répar­tis dans tout le pays. Cinq forces poli­tiques se dis­putent la pré­si­dence et la vice-pré­si­dence de la Répu­blique pour les cinq pro­chaines années, ain­si que les 90 dépu­té-e‑s de l’Assemblée natio­nale (pou­voir légis­la­tif) et les 20 repré­sen­tant-e‑s du Nica­ra­gua au Par­le­ment cen­tra­mé­ri­cain (PARLACEN).

Selon une étude publiée à mi-octobre par l’institut de son­dage « Siglo Nue­vo », l’alliance « Uni­da Nica­ra­gua triun­fa », dont le Front san­di­niste de libé­ra­tion natio­nale (FSLN) repré­sente la colonne ver­té­brale, rem­por­te­rait le scru­tin par un score écra­sant de plus de 58 % des suffrages.

À la seconde place, avec envi­ron 16 % des suf­frages, vien­drait l’ Uni­dad Nica­ragüense por la Espe­ran­za (UNE) construit sur la base du Par­ti libé­ral indé­pen­dant, dont le lea­der est Fabio Gadea Man­tilla, homme poli­tique de droite et pro­prié­taire de radio. Son par­te­naire à la vice-pré­si­dence est le dis­si­dent san­di­niste Edmun­do Jar­quín, l’un des diri­geants du Mou­ve­ment de réno­va­tion san­di­niste (MRS).

Plus loin, avec 12 % des suf­frages, on trouve l’ex-président Arnol­do Alemán, du « Par­ti­do libe­ral consti­tu­cio­na­lis­ta » (Par­ti libé­ral consti­tu­tion­na­liste). Deux autres can­di­dats, éga­le­ment de droite, ferment la marche : le total cumu­lé de leurs suf­frages est esti­mé à 1,5 %. Les élec­tions seront sui­vies par des cen­taines d’observateurs envoyés par l’Organisation des Etats amé­ri­cains (OEA), l’Union euro­péenne (UE), des orga­ni­sa­tions non-gou­ver­ne­men­tales et des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales pri­vées. Par contre, les repré­sen­tants de l’ambassade état­su­nienne à Mana­gua ont été récu­sés comme obser­va­teurs accré­di­tés (Ser­gio Ferrari)

Source : Lare­vo­lu­cion­vive