Nouvelle loi du travail au Vénézuela : un pas de plus vers la vraie vie.

Au Venezuela, le temps de travail passe de 44 à 40 heures par semaines. Cette nouvelle loi du travail, que les médias occidentaux font passer pour une décision unilatérale de "l'autocrate" Chavez, est en fait le produit de trois ans de débats intenses qui ont concernés l'ensemble de la société vénézuélienne.

La nou­velle Loi du Tra­vail célé­brée en grande pompe par les tra­vailleurs véné­zué­liens ce 1er mai 2012 est un vieux rêve deve­nu réa­li­té au bout d’un débat citoyen qui a duré près de trois ans. Plus de 19000 pro­po­si­tions ont été remises par toutes sortes d’organisations de tra­vailleurs, syn­di­cats, coor­di­na­tions, etc.. à la com­mis­sion pré­si­den­tielle char­gée d’élaborer le pro­jet. Avec la Consti­tu­tion Boli­va­rienne, c’est le texte de loi qui a le plus béné­fi­cié de la par­ti­ci­pa­tion populaire.

Nous avions ren­du compte de ce débat natio­nal il y a quelques semaines : “Le Vene­zue­la ouvre le débat pour construire une nou­velle loi du travail“

Résul­tat : la loi signée le 30 avril 2012 par le pré­sident Cha­vez brise enfin le car­can néo-libé­ral où les gou­ver­ne­ments anté­rieurs avaient étouf­fé les droits sociaux. Depuis le 2 mai la loi (dont on peut lire ici le texte inté­gral en espa­gnol) cir­cule gra­tui­te­ment sur inter­net et de main en main, mas­si­ve­ment, dans plu­sieurs jour­naux. Sauf dans ceux de l’opposition qui relaient les cri­tiques patro­nales contre la loi, contre l’égalité homme/femme, contre l’augmentation des indem­ni­tés dues aux tra­vailleurs, etc… Des réunions seront orga­ni­sées par­tout dans les mois qui viennent, notam­ment par les syn­di­cats, pour conti­nuer à faire connaître la loi et pour qu’elle soit un levier de nou­velles transformations.

Points forts : l’égalité entre hommes et femmes ; l’interdiction de la sous-trai­tance du tra­vail ; les conseils de tra­vailleurs. Ceux-ci ne sub­sti­tuent pas les syn­di­cats (qui voient leurs pré­ro­ga­tives ren­for­cées par la loi). Leur fonc­tion, bien­tôt déve­lop­pée par une loi spé­ciale, est de pro­mou­voir la par­ti­ci­pa­tion des tra­vailleurs et de la com­mu­nau­té vivant autour des centres de tra­vail, dans la ges­tion des entre­prises. Ain­si que de lut­ter contre la spé­cu­la­tion, l’accaparement des pro­duits de pre­mière nécessité.

Détail amu­sant (qui rap­pelle l’extrême misère de l’information sur le Vene­zue­la en France) : pour occul­ter le débat citoyen à la base de cette loi, le Monde et l’AFP n’ont rien trou­vé de mieux que de la pré­sen­ter comme une épreuve de force entre un auto­crate et son oppo­si­tion. Saluons cette nou­velle vic­toire du droit des lec­teurs qu’on “informe” sur une Loi du tra­vail sans don­ner la parole à un seul des mil­lions de tra­vailleurs concer­nés mais en la don­nant… au patronat.

Cette loi s’accompagne par ailleurs d’une nou­velle aug­men­ta­tion du salaire mini­mum, qui en fait le plus éle­vé d’Amérique Latine. Une aug­men­ta­tion du pou­voir d’achat pro­té­géee par la baisse conti­nue de l’inflation depuis cinq mois consé­cu­tifs (0,8% en avril), par une loi de contrôle des prix pour les pro­duits de pre­mière néces­si­té et l’offre conco­mi­tante de biens bon mar­ché pro­duits par les entre­prises nationalisées.

Voi­ci un résu­mé (non exhaus­tif) de quelques uns des droits dont jouissent à pré­sent les tra­vailleurs vénézuéliens.

Les indem­ni­tés aux­quelles aura droit le tra­vailleur lors de la fin ou lors de la rup­ture d’un contrat seront cal­cu­lées en fonc­tion du der­nier salaire. Le tra­vailleur y a droit de manière immé­diate, tout retard dans le paie­ment entraî­nant des inté­rêts sup­plé­men­taires à lui ver­ser. Ce cal­cul d’indemnités a un effet rétro­ac­tif à par­tir de de juin 2007, date à laquelle le gou­ver­ne­ment néo-libé­ral de Rafael Cal­de­ra et de Teo­do­ro Pet­koff avait modi­fié la loi au détri­ment des tra­vailleurs. A pré­sent le patron devra ver­ser pour chaque tri­mestre et à chaque tra­vailleur une somme équi­va­lant à 15 jours de salaire. (Art. 141 y 142).

DAVANTAGE DE BÉNÉFICES NON SALARIAUX. La loi crée des avan­tages nou­veaux (non décomp­tables des coti­sa­tions et des épargnes déjà éta­blies en faveur des tra­vailleurs) : notam­ment le rem­bour­se­ment de soins médi­caux, l’octroi de bourses ou le finan­ce­ment de for­ma­tions, de spé­cia­li­sa­tions. (Art. 105)

SANTÉ ET ÉDUCATION GRATUITES PROTÈGENT LE REVENU DU TRAVAILLEUR. (Art. 97)

DURÉE DU TRAVAIL. La durée du tra­vail qui était jusqu’ici de 44 heures (ce qui obli­geait à tra­vailler les same­dis) se réduit à 40 heures heb­do­ma­daires (Art. 173). L’idée est d’avancer pro­gres­si­ve­ment vers plus de temps libre (Art. 174)

SIX MOIS DE CONGÉ PRÉ- ET POST-NATAL (six semaines avant l’accouchement et vingt semaines ensuite) (Art. 336 y 338). Les pères auront droit de leur côté à qua­torze jours de congé à par­tir de la nais­sance de leur enfant (Art. 339). Les parents sont désor­mais pro­té­gés contre toute forme de licen­cie­ment durant deux années à par­tir de l’accouchement. La loi pré­voit des avan­tages sem­blables en cas d’adoption. L’idée est de per­mettre à l’enfant d’être mieux accueilli, mieux entou­ré affec­ti­ve­ment par ses parents . Des repos quo­ti­diens sont pré­vus pour l’allaitement des nour­ris­sons (Art. 335 – 330-345)

LA SOUS-TRAITANCE DU TRAVAIL EST INTERDITE. Cette pra­tique s’était éten­due à toute l’Amérique latine depuis les années 90 avec la néo-libé­ra­li­sa­tion du conti­nent. On estime qu’au Vene­zue­la 1 mil­lion 200 mille tra­vailleurs en sont victimes.

RETOUR DE LA DOUBLE INDEMNISATION, comme l’avait annon­cé le pré­sident Hugo Chá­vez peu avant la pro­mul­ga­tion de la loi. Ce méca­nisme vise à sanc­tion­ner le patron qui effec­tue un licen­cie­ment injus­ti­fié, et à com­pen­ser la perte de l’emploi pour le tra­vailleur en dou­blant ses indem­ni­tés de licen­cie­ment (Art. 92)

LE PATRON PAIERA PLUS S’IL LICENCIE. Tan­dis qu’en Europe les poli­tiques d’ajustement visent à rendre les licen­cie­ment moins chers pour le patro­nat, au Vene­zue­la la nou­velle loi en élève le coût pour le patron (Art. 92)

QUINZE JOURS D’INDEMNITÉS DE VACANCES, c’est ce que devra payer à pré­sent le patron au tra­vailleur en plus du salaire nor­mal (Art 192).

PLUS DE JOURS FÉRIÉS. La nou­velle loi pré­voit quatre jours fériés de plus en faveur des tra­vailleurs (Art. 184).

VACANCES OBLIGATOIRES. Le tra­vailleur devra jouir de ses vacances de manière effec­tive et obli­ga­toire (Art 197).

LE CALCUL DES DIVIDENDES ET AUTRES BÉNÉFICES DE FIN D’ANNÉE DÛS AU TRAVAILLEUR se fera a pré­sent sur la base de trente jours au lieu de quinze. La four­chette va donc à pré­sent de trente jours mini­mum à quatre mois maxi­mum de salaires (Art. 131 – 132). Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales pour­ront aus­si ins­pec­ter les comptes de l’entreprise pour déter­mi­ner si ce qui est ver­sé aux tra­vailleurs reflète bien la réa­li­té des béné­fices de l’entreprise (Art. 133 – 138)

Sanc­tions légales contre les patrons délin­quants, avec DE POSSIBLES PEINES D’EMPRISONNEMENT. Nou­veau­té intro­duite par la loi, la déten­tion comme méca­nisme de sanc­tion en cas d’infraction à la loi par un patron. Exemples d’infractions : le refus de réem­bau­cher un tra­vailleur, la vio­la­tion du droit de grève, le refus d’appliquer ou l’obstruction aux actes des auto­ri­tés du Tra­vail. Ces infrac­tions seront sanc­tion­nées par une mesure de déten­tion de six à quinze mois. (Art. 512, 538)

LA FERMETURE D’UN CENTRE DE TRAVAIL sera éga­le­ment cause d’une mesure de déten­tion qui peut aller de six à quinze mois selon le ver­dict des organes juri­diques com­pé­tents de la Répu­blique. Toute réci­dive est punie d’une peine aug­men­tée (Art. 539 – 540)

TRAVAILLEURS FIXES DÈS LE PREMIER MOIS. Les tra­vailleurs de durée indé­ter­mi­née (comme de durée déter­mi­née, ou à la tâche) seront consi­dé­rés comme fixes par la loi dès le pre­mier mois et non à par­tir de trois mois (en fin de période d’essai) comme aupa­ra­vant. Dans la loi anté­rieure le patron pou­vait rompre le contrat en payant sim­ple­ment la valeur de celui-ci au tra­vailleur ou en s’appuyant sur les causes de licen­cie­ment (Art. 87).

ENTREPRISES SOUS CONTRÔLE OUVRIER : c’est le méca­nisme éta­bli par la loi pour faire face à la fer­me­ture illé­gale ou frau­du­leuse d’entreprises et de centres de tra­vail. Si le patron ne se sou­met pas à l’ordonnance de reprise des acti­vi­tés pro­duc­tives, le Minis­tère du tra­vail réuni­ra les tra­vailleurs pour for­mer une ins­tance d’administration et réac­ti­ver la pro­duc­tion. Dans ce Conseil d’Administration Spé­cial est pré­vue la par­ti­ci­pa­tion du patron. Si celui-ci s’y refuse, le contrôle revient tota­le­ment aux tra­vailleurs. La loi pré­voit la pos­si­bi­li­té que l’État offre son assis­tance tech­nique et par­ti­cipe à la ges­tion à tra­vers les minis­tères com­pé­tents (Art. 149)

CE N’EST QU’APRÈS LE PAIEMENT DES TRAVAILLEURS et quand ceux-ci s’estiment plei­ne­ment satis­faits que les tri­bu­naux peuvent désor­mais pro­cé­der à la décla­ra­tion de faillites. Le paie­ment des salaires est prio­ri­taire par rap­port à tout autre enga­ge­ment de l’entreprise. (Art. 150 – 151)

CONTRE LE HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL ET SEXUEL. La loi inter­dit tout autant ce har­cè­le­ment au tra­vail que sexuel et éta­blit les sanc­tions. Elle défi­nit le har­cè­le­ment au tra­vail comme la pres­sion constante et la conduite abu­sive exer­cée par le patron ou ses repré­sen­tants ou un tra­vailleur por­tant atteinte à la digni­té ou à l’intégrité bio-psy­cho-sociale d’un tra­vailleur. Le har­cè­le­ment sexuel est défi­ni comme l’imposition d’une conduite sexuelle non dési­rée et non deman­dée, exer­cée de manière iso­lée ou de manière répé­tée par le patron ou ses repré­sen­tants contre le tra­vailleur. La norme légale éta­blit à pré­sent que l’État, les tra­vailleurs, leurs orga­ni­sa­tions sociales, les patrons sont dans l’obligation de pro­mou­voir des actions qui garan­tissent la pré­ven­tion, l’enquête, la sanc­tion, ain­si que la dif­fu­sion, le trai­te­ment, le sui­vi et l’appui aux dénon­cia­tions de har­cè­le­ment. (Art. 164 – 166)

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Signa­ture de la loi par Cha­vez : “Jus­ti­cia social !”. 30 avril 2012.

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Cara­cas, 1er mai 2012.