Par Antoine Dumini, François Ruffin, 16/03/2012
« Faire des sacrifices » pour « rassurer les marchés ».
On se croirait dans la mythologie grecque, mais non, on est bien dans l’Europe du troisième millénaire – et c’est la seule voie que connaissent nos élites pour sortir de la crise.
Pourtant, dans l’histoire, bien d’autres solutions ont existé – et réussi.
Qu’on leur coupe la dette ! La saignée par fakirpresse
Ne pas payer les créanciers, c’est possible.
Déjà, en 1307, le roi de France Philippe Le Bel a une lourde ardoise – notamment auprès des Templiers. Avec leurs gigantesques fermes, leurs trésors, eux sont devenus les banquiers de la chrétienté. Que faire, dès lors ? _ On les arrête, on les juge avec des procès fantaisistes, on les envoie au bûcher. Et les finances publiques sont aussitôt soulagées.
Et Louis XIV ? Il opte, à peu près, pour le même remède : le roi Soleil doit énormément à son surintendant, Nicolas Fouquet. Qu’à cela ne tienne : il l’accuse de préparer une rébellion, le condamne à l’exil, l’enferme dans une forteresse, confisque ses biens. Le problème de la dette est largement réglé.
Dans notre histoire, c’est devenu une tradition : « Entre 1500 et 1800, la France a répudié ses dettes en huit occasions, notent Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Comme les rois de France avaient pris l’habitude de mettre à mort les grands créanciers nationaux (une forme ancienne et radicale de “restructuration de la dette”), le peuple avait fini par appeler ces épisodes des “saignées”. »
Ces deux économistes dédramatisent, en un sens, le défaut : ils en dénombrent « au moins 250 entre 1800 et 2009 ». Et surtout, d’après leurs statistiques, les économies se relèvent assez vite d’un « défaut sur la dette extérieure » : trois ans après la crise, il n’y paraît plus. Le recul du PIB est effacé. Mais pas le recul dans la fortune des créanciers…
C’est la solution qu’a ainsi choisie, plus près de nous, l’Argentine.
Début 2002, sous la pression du peuple, le président a décidé de suspendre le paiement de la dette – et de dévaluer massivement le peso par rapport au dollar. La croissance économique est alors revenue, et le chômage a diminué. Les créanciers ont perdu plus de 50% de leurs billes, mais l’Argentine ne s’en porte que mieux !
Annuler la dette ? S’asseoir dessus ?
Cette mesure n’est pas à exclure de notre arsenal. Bien sûr, les détenteurs de capitaux, eux, crient déjà à « l’immoralité », à « l’injustice », au « suicide du système ». Mais les banquiers de BNP-Paribas, de la Société Générale ou de HSBC pourront toujours se consoler : comme nous sommes cléments, ils termineront mieux que Fouquet ou les Templiers…
Source : Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, Cette fois, c’est différent, éditions Les Temps changent, 2010.
La rigueur, oui mais pour qui ?
La « rigueur » attaque jusqu’au plus vital. Pas seulement le « gel des salaires », le « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux », mais jusqu’aux estomacs.
L’Europe avait diminué de 75 % ses aides alimentaires aux plus démunis, de 480 millions à 113 millions d’euros – avant d’accorder un « sursis » pour deux ans. Pendant ce temps, mille fois plus, 480 milliards d’euros ont été consacrés, entre 2008 et 2010, à sauver les banques européennes.
Depuis la crise, le Programme alimentaire mondial a été divisé par deux : de 6 milliards de dollars à 3 milliards. Pendant ce temps, la rémunération des banquiers français a bondi de 44,8% en 2010.
La crise a entraîné, en Europe, une hausse de 35 % du taux de chômage entre 2007 à 2009 – et une hausse également des taux de suicide : + 13 % en Irlande, + 17 % en Grèce. Parmi ces désespérés, pour l’instant, on ne mentionne aucun banquier, aucun trader sautant dans le vide depuis un gratte-ciel.
Ce Tchio Fakir (petit, en picard) résume le dossier paru dans le (gros) Fakir n°53 « Ces solutions qui leur font peur » de décembre 2011.
Pour diffuser largement ce quatre pages (dans les manifs, au bureau, dans les tournois de pétanque, etc.), pour lutter ensemble contre la fatalité ambiante, on s’est joints à ATTAC – une association d’éducation populaire, dont le but premier est la reconquête des espaces perdus par la démocratie au profit de la finance.