Nous publions l’intéressante réponse de Mr Patrick van Laethem suite à l’article très réactionnaire de Mr Mouton : Chère Wallonie adorée, tu te tires une balle dans le pied
Monsieur Mouton,
Ainsi la Wallonie ne pourrait plus manifester son désarroi et son désaccord quant à une politique fédérale qui se résume grosso modo à une soumission complète au capitalisme financier qu’on retrouve sous son appellation idéologique : le néolibéralisme.
Ce capitalisme financier que nombre d’auteurs (voir plus loin) ne cessent de vilipender, pousse à l’implosion de l’état : l’état coûte toujours trop cher alors que par ailleurs il doit assurer le coût toujours plus élevé des effets de ce néolibéralisme. Ce qui poussent les entreprises à plus de compétitivité et donc à limiter les coûts de production dont font partie les travailleurs. Ceux-ci étant réduits à une simple ressource, doivent alors au mieux se flexibiliser à outrance, au pire garnir les étals du Forem. L’état doit diminuer ses dépenses et les augmenter : voici le paradoxe qu’impose le capitalisme financier.
Alors, que des travailleurs se battent pour préserver des conditions de travail leur permettant de réaliser au mieux leur mission ne paraît pas être déraisonnable. Que cela se passe au sud et non au nord relève de l’anecdote. Que cela nuise à l’image de la Wallonie, peu importe. Que cela fasse les choux gras de la NVA, tant pis. Peut-être vous faudrait-il reconsidérer les priorités. Oser dire qu’il s’agit de privilèges d’un autre temps est l’aveu d’un aplatissement complet devant l’idéologie dominante. Nous en sommes gavé, mais c’est à vous, à votre métier, que devrait revenir le rôle de sentinelle en décryptant ce logos, cette raison folle qui pousse l’humanité à sa destruction. Cette balle, c’est vous qui la tirez dans le pied du journalisme.
Que cette protestation gêne, cela va de soi, comme elle me gêne moi et ma famille, comme elle gêne les protestataires eux-mêmes. Se mettre à dos les navetteurs et des étudiants en plein examen est évidemment vrai et regrettable mais c’est la mesure prise en amont qui est cynique et c’est elle qu’il faut agonir.
Je vous renvoie à des lectures comme celle de l’ouvrage de Vincent de Gaulejac « le capitalisme paradoxant » au Seuil ou encore du livre de Pierre Dardot et Christian Laval « Ce cauchemar qui n’en finit pas » à La Découverte, vous voyez, des explications simples, faciles à comprendre, pas des textes gauchistes et idéologiques.
Il est facile de surfer sur le mécontentement des navetteurs, il est facile de fournir des analyses en kit sur les épiphénomènes et de s’ériger ainsi en notable de l’avenir de la Wallonie, de pousser des cris d’orfraie sur les mauvais syndicats noyautés qui avilissent notre sainte Wallonie ! Mais bon sang, ne voyez-vous pas ce qui se passe ? Une pression colossale est mise sur l’emploi ou plutôt sur la réduction de son coût. Pour faire baisser son coût, il faut que les charges sociales baissent. Il faut donc réduire les dépenses de l’état et donc briser le service public. C’est de là que vient la coïncidence des mouvements sociaux qui concernent la Justice et la SNCB. L’individualisation des droits a empêché le chômeur ou l’allocataire social de se révolter quand les gouvernements successifs ont accumulé les mesures humiliantes à leur égard : visite de contrôle, sur-activation, mesures vexatoires et d’exclusion… Mais là aussi le gouvernement a porté le fer. Comme il le porte sur les soins de santé, avec, par exemple, cette hilarante, si elle n’était crapuleuse, remise au travail (quel travail ? où y a‑t-il du travail ?) des malades de longue durée ! La diminution de la durée d’hospitalisation après un accouchement est un autre bon morceau. Quel accueil à la vie ! Et pour la jeunesse ? Quelle perspective (au singulier pour n’en avoir fut-ce qu’une seule) ? Faites des études et si après vous ne trouvez pas de boulot, passez à la case « charité » au CPAS : contrôle, PIIS, humiliation… Quel accueil !
Tout ce qui faisait de notre pays un beau pays humain, hospitalier, fort pour les faibles et soutenant pour les forts, s’écroule, se liquéfie, se dissout. « Trop cher », « c’est la crise, faut faire des efforts » … La crise ? Quelle crise ? La crise n’existe pas, la finance se porte bien merci pour elle ! Des entreprises se cassent la gueule oui, le chômage est structurel, oui, la pauvreté augmente même dans les familles où les 2 parents travaillent, oui, oui… mais on vient de battre un record en 2016 ! Si si, déjà avant les J.O. ! Les 1% les plus riches ont plus que les 99% restant. Les 1% les plus riches sont arrivés à posséder cette année plus de la moitié de la richesse mondiale ! Ah bien joué les gars ! Et vous avez un bon supporter ici ! Olivier Mouton qui demande à ce que chacun reprenne son poste pour que vous puissiez continuer votre belle progression. Parce que c’est vrai tout de même, on est à 50%, on est donc à la moitié du chemin… Il y a encore du gras… Et on ne va pas se faire emmerder par des règles de droit, de l’écologie, de l’éducation (sauf si ça inclut la formation professionnelle), des services publics… et tout le tintouin… Non, si le capitalisme industriel avait besoin d’ordre, le capitalisme financier a besoin d’entropie ! La technique : le mouvement et le changement. Et notre cher gouvernement (mais ce fut le cas de bien des précédents également) a bien compris cela : il faut réformer (et on ajoutera par souci esthétique : moderniser). Alors on réforme tout, partout, faut que ça change, que ça bouge. Faut des annonces, des menaces, des idées. Faut courir, s’activer, se flexibiliser. Les orgues de Staline du changement. Gagner par épuisement. Épuisement des travailleurs comme de la Terre. Ce capitalisme ressemble furieusement à un parasite qui va épuiser son hôte au risque de disparaître avec lui.
Alors non Monsieur Mouton, il ne faut pas céder. Non par idéologie ou par complot politique. Mais parce qu’il ne sert à rien de vouloir plaire à la NVA pour faire croire que la Belgique peut fonctionner sans heurt si le prix à payer est l’Etat lui-même. Vous jouez à un jeu où vous ne pouvez qu’être perdant. Alors laissez ceux qui croient encore à un avenir meilleur, à une survie du service public, à la raison d’un état de droit, à une économie au service de l’homme et non à l’inverse, à une solution qui ne soit pas simplement du plus de la même chose, de se battre pour des idéaux même si, et ce n’est pas une tare, on peut certainement y voir aussi la défense simple de droits acquis.
Ah, encore une chose monsieur Mouton, je ne suis pas d’extrême gauche, je suis un simple citoyen ennuyé et énervé par ces grèves à répétition mais qu’un juste effort de réflexion me pousse à respecter. Mais vous, Monsieur Mouton, d’où parlez-vous ?
Patrick van Laethem
Source : lalibrepresse