Ceux qui sont dessus parlent :
Nous sommes ceux qui commandent. Nous sommes plus puissants, même si nous sommes moins nombreux. Nous ne nous soucions pas de ce que tu dis, écoutes-penses-fais, aussi longtemps que tu restes muet, sourd, immobile.
Nous pouvons imposer au gouvernement des gens assez intelligents (bien qu’il soit devenu très difficile d’en trouver dans la classe politique), mais nous choisissons n’importe qui, incapable de prétendre même savoir ce qui se passe.
Pourquoi ? Parce que nous pouvons le faire.
Nous pouvons utiliser l’appareil militaire et policier pour poursuivre et incarcérer les vrais criminels, mais ces criminels sont notre partie vitale. Au lieu de cela, nous avons décidé de te poursuivre, te frapper, t’arrêter, te torturer, t’emprisonner, te tuer.
Pourquoi ? Parce que nous pouvons le faire.
Innocent ou coupable ? Qui se préoccupe de savoir si tu es l’un ou l’autre ? La justice est une autre pute dans notre manuel d’adresses et, crois-nous, ce n’est pas la chère.
Et même si tu réponds au pied de la lettre aux ordres que nous imposons, même si tu ne fais rien, même si vous êtes tous innocents, nous vous écraserons.
Et si vous insistez pour demander pourquoi nous le faisons, nous répondons : parce que nous le pouvons.
Et, si tu insistes à demander pourquoi nous le faisons, nous te répondrons : parce que nous pouvons le faire.
C’est ça avoir le pouvoir. Nous parlons d’argent, de richesses et d’autres choses. Mais nous croyons que ce qui excite, c’est ce sentiment de pouvoir décider de la vie, de la liberté, des biens de quiconque. Non, le pouvoir, ce n’est pas l’argent, c’est ce qu’on peut en retirer. Le Pouvoir ce n’est pas seulement le fait de l’exercer impunément, c’est aussi et surtout le faire de manière irrationnelle. Parce que avoir le Pouvoir, c’est faire et défaire sans autre raison que la possession du Pouvoir.
Et peut importe qui apparaît au front, nous cachant. La droite et la gauche ne sont que des repaires pour que le chauffeur gare la voiture. La machine fonctionne par elle-même. On ne doit même pas ordonner de punir l’insolence de nous défier. Les grands gouvernements, les moyens, les petits, issus de tout le spectre politique, les intellectuels, les artistes, les journalistes, les hommes politiques, la hiérarchie religieuse se disputent le privilège de nous plaire.
Donc, va te faire foutre, pourris sur pied, crève, perds tes illusions, rends-toi.
Pour le reste du monde, tu n’es rien.
Oui, nous avons semé la haine, le cynisme, la rancoeur, le désespoir, le àquoibonisme théorique et pratique, le conformisme du « moindre mal », la peur faite résignation.
Et, cependant, nous craignons que cela ne se transforme en rage organisée, rebelle, sans prix.
Parce que le chaos que nous imposons, nous le contrôlons, nous l’administrons, nous le dosons, nous le nourrissons. Nos « forces de l’ordre » sont nos forces pour imposer notre chaos.
Mais le chaos qui vient d’en bas …
Ah, celui-là … on ne comprend même pas ce qu’ils disent, qui ils sont, combien ils comptent.
Et puis quelle vulgarité de ne plus mendier, attendre, demander, supplier, et se mettre à exercer leur liberté. Avez-vous jamais vu si grande obscénité !
C’est ça le vrai danger. Des gens qui regardent de l’autre côté, qui sortent du moule ou qui le brisent, ou qui l’ignorent.
Tu sais ce qui a bien marché pour nous ? Ce mythe de l’unité à tout prix. S’entendre uniquement avec le chef, le dirigeant, le leader, le caudillo – quel que soit son nom. Contrôler, administrer, contenir, acheter à une seule personne, c’est plus facile que quand il y en a beaucoup. Et moins cher. Ça et les rébellions individuelles. Elles sont inutiles de manière si attendrissante.
En revanche, ce qui est un véritable danger, un chaos véritable, c’est que chacun se fasse collectif, groupe, bande, race, organisation, et apprenne à dire « non » et à dire « oui », et qu’ils se mettent d’accord entre eux. Parce que le « non » vise ceux que nous envoyons. Et le « oui », ouf, ça, c’est une calamité, imagine que chacun construise son propre destin, et décide ce qu’il sera, ce qu’il fera. Cela reviendrait à signaler qu’on peut se passer de nous, nous qui sommes de trop, nous qui gênons, nous qui ne servons à rien, nous qui ne sommes pas nécessaires, nous qui devons être emprisonnés, nous qui devons disparaître.
Oui, c’est un cauchemar. Oui, c’est clair, maintenant seulement pour nous. Tu imagines quelle faute de goût ce serait, ce monde ? Plein d’Indiens, de nègres, de café-au-lait, de jaunes, de rouges, de rastas, de tatouages, de piercings, de marmites, de punks, de gothiques, de métisses, de squatteurs, de squatteuses, de ce drapeau du A sans pays pour l’acheter, de jeunes, de femmes, de putes, d’enfants, de grands parents, de destroys, de chauffeurs, de paysans, d’ouvriers, d’ouvrières, de tox, de prolos, d’anonymes, de … d’autres. Sans un espace privilégié pour nous, « the beautiful people » … les « gens biens » pour que tu nous comprennes … parce que ça se remarque à l’accent que tu n’as pas étudié à Harvard.
Oui, ce jour serait une nuit pour nous… oui, si tout explosait. Que ferions-nous ?
Hem… nous n’y avions pas pensé. Nous réfléchissons, planifions et exécutons ce qu’il faut faire pour empêcher que cela n’arrive mais … non, ça nous était pas arrivé.
Bien, dans ce cas, et bien … hem … je ne sais pas … peut-être que nous chercherions des coupables et ensuite, et bien nous chercherions, je ne sais pas, un plan B. Évidemment que, à partir de là, tout serait inutile. Je crois qu’alors nous nous souviendrions de la phrase d’un de ces maudits juifs rouges … non, Marx non … Einstein, Albert Einstein. Il me semble que c’est lui qui a dit : « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Dans ce cas, nous avons joint la théorie à la pratique : rien ne fonctionne … et personne ne sait pourquoi. »
Non, tu as raison, on n’arriverait même pas à sourire. Le sens de l’humour a toujours été un patrimoine impossible à exproprier. N’est-ce pas dommage ?
Oui, sans aucun doute, c’est une époque de crises.
Écoute, tu ne vas pas prendre des photos ? Je le dis pour qu’on s’arrange un peu et qu’on mette quelque chose de plus décent. Ah, ce modèle, on l’utilise déjà dans « Hola » … ah mais pourquoi on te raconte tout ça, on voit bien que n’as pas dépassé « el libro Vaquero » (hebdomadaire populaire mexicain).
Ah, on ne peut pas espérer le raconter à nos amis qui sont venus nous voir tellement, tellement, tellement … différents. Ils seront ravis. Et puis ça nous donnera un air si cosmopolite.
Non, évidemment qu’on n’a pas peur de toi. Quant à cette prophétie … bah, s’il s’agit seulement de superstitions, tellement, tellement … autochtones … oui, tellement de la région 4 …. ah, ah, ah … quelle bonne blague, laisse-nous la noter pour quand nous verrons les enfants …
Quoi ? Ce n’est pas une prophétie ?
Oh, c’est une promesse …
(…) Bruit de tililiit-tatata du Smartphone) ?
Bien, la police ? Oui, pour vous dire que quelqu’un est venu nous voir. Oui, nous pensions que c’était un journaliste ou quelque chose comme ça. Il avait l’air tellement, tellement … différent. Non, non, il ne nous a rien fait. Non, il n’a rien emmené non plus. C’est que, maintenant, quand nous sommes sortis à la discothèque pour voir nos amis, nous voyons qu’ils ont peint quelque chose sur la porte d’entrée du jardin. Non, les gardes ne savent pas qui. Évidemment que non ! Les fantômes n’existent pas. Bon, c’est peint comme ça avec beaucoup de couleurs … Non, on n’a vu aucun pot de peinture à proximité … Bon, on vous disait que c’était peint avec beaucoup de couleurs, comme ça, très coloré, très bourrin, très différent, rien à voir avec les galeries où … quoi ? Non, nous ne voulons pas vous envoyiez une patrouille. Oui, on le sait déjà. Mais nous en parlons pour voir si on peut découvrir ce que veut dire ce qui est peint. On ne sait pas si c’est une énigme ou une des langues bizarres que parlent les prolos. Oui, c’est un mot tout seul, mais on ne sait pas pourquoi ça nous donne la chair de poule. C’est : ¡MARICHIWEU ! ( cri des Indiens Mapuches, du Chili : « Nous vaincrons ! ».
(à suivre …)
De n’importe quel coin, partout dans le monde.
Sous-commandant Marcos. Planète Terre. Janvier 2013.