Trouver un compromis avec les photographes professionnels ?

La contribution créative reste néanmoins le seul système capable d’appréhender de manière globale la question de la valeur des contenus en ligne et d’organiser un financement complet, parce qu’elle prend en compte les productions amateurs.

20 Sep­tembre 2012

Source de l’ar­ticle : blog de Cali­maq — Aka Lio­nel Mau­rel, Juriste & Bibliothécaire. 

For­te­ment bou­le­ver­sé depuis plu­sieurs années par les évo­lu­tions du numé­rique, le sec­teur de la pho­to­gra­phie pro­fes­sion­nelle s’organise et réagit pour pro­po­ser des solu­tions au gou­ver­ne­ment. Ain­si, L’Union des Pho­to­graphes Pro­fes­sion­nels (UPP) pro­pose un Mani­feste des pho­to­graphes en huit points, indi­quant des pistes par les­quelles le légis­la­teur pour­rait agir pour amé­lio­rer leur condition.

Après une pre­mière lec­ture, ma pre­mière envie a été de les mordre… lit­té­ra­le­ment ! Tel­le­ment ce mani­feste consti­tue en réa­li­té une décla­ra­tion de guerre contre la culture numérique.

Par exemple, les pho­to­graphes pro­fes­sion­nels sont enga­gés dans une véri­table croi­sade contre la gra­tui­té et les pra­tiques ama­teurs, qui sont effec­ti­ve­ment mas­sives dans le domaine de la pho­to­gra­phie. Ils confondent dans une même invec­tive les micro­stocks pho­to (banque d’images à bas prix, comme Foto­lia) et des sites de par­tage d’images, comme Fli­ckr ou Wiki­me­dia Com­mons, où les inter­nautes peuvent rendre leurs pho­to­gra­phies réuti­li­sables gra­tui­te­ment par le biais de licences Crea­tive Com­mons (plus de 200 mil­lions sur Fli­ckr et plus de 10 mil­lions de fichiers sur Com­mons).

Leur han­tise est que ces pho­to­gra­phies gra­tuites puissent être réuti­li­sées par des pro­fes­sion­nels de l’édition (dans le cas où la licence uti­li­sée ne com­porte pas de clause NC – pour Non Com­mer­cial). Les­quels auraient dû être obli­gés – dans leur esprit – de se tour­ner vers eux pour se pro­cu­rer des images contre espèces son­nantes et tré­bu­chantes. D’où l’impression que l’explosion des pra­tiques ama­teurs consti­tue une insup­por­table concur­rence, qui serait la cause des dif­fi­cul­tés tou­chant leur sec­teur d’activité.

Et leur pro­jet, pour lut­ter contre ce phé­no­mène, consiste tout sim­ple­ment à inter­dire la gra­tui­té, ou plus exac­te­ment comme nous allons le voir ci-des­sous, à rendre la gra­tui­té… payante !

Cet élé­ment consti­tue­rait déjà à lui seul une rai­son suf­fi­sante pour avoir envie de les mordre. Mais en pour­sui­vant la lec­ture de leurs pro­po­si­tions, on se rend compte que l’UPP sou­tient aus­si… la licence glo­bale !

Concer­nant l’utilisation d’oeuvres par des par­ti­cu­liers sur le web, nous consta­tons que le dis­po­si­tif répres­sif ins­tau­ré par la loi “Créa­tion et Inter­net” est inopé­rant et illu­soire dans le sec­teur des arts visuels. À ce jour, les pho­to­graphes, ne per­çoivent aucune rému­né­ra­tion en contre­par­tie de ces utilisations.

L’UPP s’est pro­non­cée dès 2007 en faveur de la mise en place d’une licence glo­bale pour les arts visuels, dis­po­si­tif équi­li­bré, qui vise à conci­lier l’intérêt du public et la juste rétri­bu­tion des auteurs.

Cette prise de posi­tion mérite consi­dé­ra­tion, car les pho­to­graphes pro­fes­sion­nels doivent être aujourd’hui l’un des der­niers corps de pro­fes­sion­nels de la culture à sou­te­nir la licence glo­bale (dans le domaine de la musique, les inter­prètes de l’ADAMI et de la SPEDIDAM la sou­te­naient – ce sont même eux qui ont inven­té cette pro­po­si­tion – mais ils ont aujourd’hui modi­fié leurs positions).

Alors que la Mis­sion Les­cure sur l’acte II de l’exception cultu­relle va com­men­cer ses tra­vaux (et devra se pen­cher aus­si sur le cas de la pho­to­gra­phie), j’ai déci­dé, plu­tôt que de faire un billet assas­sin au sujet de ces pro­po­si­tions, d’essayer de com­prendre le point de vue de l’UPP.

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Accords et désaccords…

For­te­ment impac­té par les pos­si­bi­li­tés de dis­sé­mi­na­tion induites par le numé­rique (quoi de plus simple et de plus incon­trô­lable que de faire cir­cu­ler une pho­to­gra­phie sur Inter­net ?), les pho­to­graphes ont réa­li­sé qu’un dis­po­si­tif comme celui d’Hadopi est inef­fi­cace et ne peut leur être d’aucun secours. Aus­si sont-ils prêts à accep­ter de lais­ser cir­cu­ler les conte­nus, en échange d’une com­pen­sa­tion. Ils tirent les consé­quences d’un des aspects de la révo­lu­tion numé­rique et leur point de vue, en ce sens, est louable.

Mais je vou­drais leur expli­quer ici en quoi leur oppo­si­tion aux pra­tiques ama­teurs est insup­por­table, en cela qu’elle nie le propre de ce qu’est la culture numé­rique (la capa­ci­té don­née au grand nombre de créer). Il y a même là une incom­pré­hen­sion totale de la valeur à l’heure du numé­rique. Com­ment expli­quer en effet que les pho­to­graphes pro­fes­sion­nels soient en crise grave, mais que dans le même temps Ins­ta­gram soit rache­té par Face­book pour la somme miro­bo­lante de un mil­liard de dol­lars ? C’est bien que la pho­to ama­teur a une valeur, très impor­tante, et l’un des enjeux de la réflexion conduite dans le cadre de la mis­sion Les­cure devrait être d’empêcher que cette valeur soit cap­tée uni­que­ment par des pla­te­formes ou des géants du web, comme Facebook.

On asso­cie plu­tôt le modèle de la licence glo­bale à la musique ou au ciné­ma (les inter­nautes paient une somme for­fai­taire men­suelle pour pou­voir par­ta­ger en P2P des fichiers). Mais l’idée avan­cée par l’UPP d’appliquer un finan­ce­ment en amont à la pho­to­gra­phie n’est pas absurde. La seule dif­fé­rence (et elle est énorme!), c’est qu’il faut le faire sur le mode de la contri­bu­tion créa­tive, et non de la licence glo­bale. Les deux sys­tèmes dif­fèrent dans la mesure où la licence glo­bale rétri­bue uni­que­ment les créa­teurs pro­fes­sion­nels, alors que la contri­bu­tion créa­tive s’étend aus­si aux pro­duc­tions des amateurs.

Faire payer… la gratuité ?

Il y a beau­coup de choses irri­tantes avec les pho­to­graphes pro­fes­sion­nels, notam­ment une forme de double dis­cours. Ils poussent les hauts cris lorsque le droit d’auteur des pho­to­graphes est vio­lé, mais enfreindre celui des autres ne semble pas tel­le­ment les déranger.

Sur le site de l’UPP, on trouve par exemple un billet récent dans lequel est signa­lé la paru­tion d’un article consa­cré au droit d’auteur dans la pho­to­gra­phie sur Nikon Pro Maga­zine. Mais plu­tôt que d’en faire un résu­mé, l’UPP y va fran­co ! Ils scannent l’article et mettent le fichier en télé­char­ge­ment, ce que ne per­met aucune excep­tion en droit fran­çais (la revue de presse n’est ouverte qu’aux pro­fes­sion­nels de la presse). Que n’auraient-ils dit si c’était une pho­to­gra­phie qui avait fait l’objet d’un trai­te­ment aus­si cavalier !

Mais pas­sons sur l’anecdote. Le plus contes­table reste la manière dont l’UPP veut mettre fin à la gra­tui­té du par­tage des pho­to­gra­phies en ligne. Cette orga­ni­sa­tion s’est déjà signa­lée par exemple en sai­sis­sant le Minis­tère de la Culture pour essayer de faire inter­dire le concours Wiki Loves Monu­ments, au motif que des pro­fes­sion­nels pour­raient reprendre gra­tui­te­ment les pho­tos pla­cées sous licence libre sur Commons.

Dans leur pro­gramme, le moyen qu’ils envi­sagent pour empê­cher cette forme de « concur­rence » est vrai­ment cocasse :

Nous sommes favo­rables à une modi­fi­ca­tion du Code de la pro­prié­té intel­lec­tuelle, pré­voyant que l’usage pro­fes­sion­nel d’oeuvres pho­to­gra­phiques, est pré­su­mé avoir un carac­tère onéreux.

Cette phrase est fan­tas­tique, quand on réflé­chit à ce qu’elle signi­fie. En gros, un pro­fes­sion­nel – ima­gi­nons un com­merce cher­chant une image pour illus­trer son site Inter­net – ne pour­rait uti­li­ser gra­tui­te­ment une pho­to sous licence libre trou­vée sur Wiki­me­dia Com­mons ou sur Fli­ckr. Il lui fau­drait payer, alors même que l’auteur du cli­ché a sciem­ment déci­dé qu’il vou­lait auto­ri­ser les usages com­mer­ciaux sans être rétri­bué. Selon l’UPP, il fau­drait donc bien payer… pour la gratuité !

Mais à qui fau­drait-il que le pro­fes­sion­nel verse cette rétri­bu­tion ? C’est là que les choses deviennent fas­ci­nantes. Plus loin, l’UPP dit qu’elle est en faveur de la mise en place d’un sys­tème de licence col­lec­tive éten­due pour les exploi­ta­tions numé­riques, ce qui signi­fie qu’ils veulent qu’une socié­té de ges­tion col­lec­tive (une sorte de SACEM de la pho­to) obtienne com­pé­tence géné­rale pour déli­vrer les auto­ri­sa­tions d’exploitation com­mer­ciale des pho­tos et per­ce­voir une rému­né­ra­tion. Dans un tel sys­tème, tous les auteurs de pho­to­gra­phies sont répu­tés adhé­rer à la socié­té. Ils ne peuvent en sor­tir qu’en se mani­fes­tant expli­ci­te­ment auprès d’elle (dis­po­si­tif dit d’opt-out).

Pour reprendre l’exemple de la pho­to sous licence libre sur Wiki­me­dia Com­mons, cela signi­fie donc que son auteur devrait envoyer un cour­rier à la socié­té pour dire qu’il refuse d’être payé. Sinon, le com­merce dont nous avons par­lé plus haut devrait payer la socié­té de ges­tion, qui rever­se­ra le mon­tant à l’auteur (non sans avoir cro­qué au pas­sage de juteux frais de ges­tion). Et voi­là com­ment l’UPP ima­gine que la gra­tui­té devien­dra impos­sible (ou très com­pli­quée) : en “for­çant” les ama­teurs a accep­ter des chèques de socié­té de ges­tion collective !

Ubuesque !

Mais en fait pas tant que cela…

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Contri­bu­tion créa­tive & Photographie

En réa­li­té, ce sont les pré­sup­po­sés idéo­lo­giques des pho­to­graphes pro­fes­sion­nels – le rejet de la culture ama­teur, la guerre for­ce­née au par­tage et la croi­sade contre la gra­tui­té – qui rendent leurs pro­po­si­tions aus­si aberrantes.

Mais si au contraire, on consi­dère comme un fait posi­tif pour la culture que la pho­to­gra­phie soit deve­nue une pra­tique lar­ge­ment répan­due dans la popu­la­tion (démo­cra­ti­sa­tion) et si l’on admet que la mise en par­tage volon­taire des conte­nus par leurs auteurs est béné­fique d’un point de vue social, alors on peut pen­ser d’une manière construc­tive le fait de récom­pen­ser tous les créa­teurs qui par­ti­cipent à l’enrichissement de la Culture sur Inter­net, qu’ils soient pro­fes­sion­nels ou amateurs.

Et c’est pré­ci­sé­ment ce que veut faire la contri­bu­tion créa­tive, telle qu’elle est pro­po­sée par Phi­lippe Aigrain notam­ment, dans les “Élé­ments pour une réforme du droit d’auteur et des poli­tiques cultu­relles liées“.

Dans ce sys­tème, la pre­mière étape consiste à mettre fin à la guerre au par­tage, en léga­li­sant le par­tage non-mar­chand des œuvres entre indi­vi­dus. La seconde vise à mettre en place une contri­bu­tion (un pré­lè­ve­ment obli­ga­toire de quelques euros ver­sés par les indi­vi­dus pour leur connexion Inter­net), des­ti­née à récom­pen­ser (et non à com­pen­ser) les créa­teurs de conte­nus. Le mon­tant glo­bal de cette rému­né­ra­tion (qui peut atteindre un mil­liard selon les esti­ma­tions de Phi­lippe Aigrain) serait à par­ta­ger entre les dif­fé­rentes filières cultu­relles, et l’on peut tout fait y faire entrer la pho­to­gra­phie. Cette rému­né­ra­tion ne concer­nait pas seule­ment le télé­char­ge­ment, mais aus­si l’usage des œuvres, que l’on pour­rait mesu­rer en fonc­tion du nombre de visites des sites, des rétro­liens ou des par­tages sur les réseaux sociaux.

Dans ce dis­po­si­tif, le pho­to­graphe pro­fes­sion­nel, qui met en ligne ses cli­chés, ne peut plus s’opposer à ce qu’ils cir­culent sur Inter­net. Mais de toute façon, il est extrê­me­ment dif­fi­cile d’empêcher que les pho­tos se dis­sé­minent en ligne et les pho­to­graphes agissent rare­ment contre les reprises faites par de simples par­ti­cu­liers, sans but com­mer­cial. En revanche, les pho­to­graphes seraient tout à fait fon­dés à tou­cher une récom­pense moné­taire, à hau­teur de l’usage de leurs œuvres en ligne.

Ce sys­tème ne les empê­che­rait pas par ailleurs de conti­nuer à tou­cher aus­si des rému­né­ra­tions pour les usages com­mer­ciaux, opé­rés par les pro­fes­sion­nels (sites de presse ou usage pro­mo­tion­nel par des com­merces ou des marques, usage par des admi­nis­tra­tions, etc). De ce point de vue d’ailleurs, le pro­gramme de l’UPP contient des mesures inté­res­santes et même néces­saires (lutte contre l’usage abu­sif du D.R., rééqui­li­brage des pra­tiques contrac­tuelles, voire même cette ges­tion col­lec­tive obligatoire).

Mais la contri­bu­tion créa­tive s’appliquerait aus­si aux ama­teurs. C’est-à-dire que l’internaute qui par­tage ses pho­to­gra­phies sur Fli­ckr, sur Wiki­me­dia Com­mons ou sur son site per­son­nel, est elle aus­si fon­dée à être récom­pen­sée, car elle contri­bue à enri­chir la culture par sa pro­duc­tion. En fonc­tion du taux de partage/usage de ses cli­chés, l’amateur pour­ra donc tou­cher une rétri­bu­tion, par redis­tri­bu­tion d’une part de la contri­bu­tion créative.

On en arrive donc, para­doxa­le­ment, à un sys­tème pas si éloi­gné de la “machine de guerre” contre la gra­tui­té ima­gi­née par l’UPP : des ama­teurs, qui n’auraient pas for­cé­ment créé des œuvres dans un cadre pro­fes­sion­nel, pour­raient tou­cher une rétri­bu­tion. Sauf que dans le dis­po­si­tif conçu par Aigrain, les per­sonnes dési­reuses de tou­cher les récom­penses devraient se mani­fes­ter, en s’enregistrant (sys­tème d’opt-in et non d’opt-out). Par ailleurs, les récom­penses ne seraient ver­sées que si elles atteignent un mon­tant mini­mum chaque année (pour ne pas qu’elles coûtent plus cher à ver­ser que ce qu’elles rap­portent effec­ti­ve­ment aux créateurs).

Au lieu de fonc­tion­ner sur une dis­tinc­tion amateur/professionnel, la contri­bu­tion créa­tive fonc­tionne sur une dis­tinc­tion entre les créa­teurs qui veulent tou­cher une récom­pense et ceux qui ne le sou­hai­te­ront pas (cer­tai­ne­ment très nom­breux dans le domaine de la photographie).

Tirer pro­fit des forces du par­tage, au lieu des combattre.

La mise en place de la contri­bu­tion créa­tive dans le domaine de la pho­to­gra­phie sou­lève néan­moins des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières, et sans doute davan­tage que dans le sec­teur de la musique et du film.

Le pro­blème réside dans la dif­fi­cul­té d’attribuer les pho­to­gra­phies à leurs auteurs, alors qu’il est si simple de faire cir­cu­ler, de modi­fier ou d’enlever le fili­grane ou les méta­don­nées des fichiers des pho­to­gra­phies. C’est en fait à la fois une ques­tion tech­nique et une ques­tion de res­pect du droit moral des pho­to­graphes. Sur ce ter­rain, les com­bats de l’UPP sont abso­lu­ment fon­dés et ils rejoignent éga­le­ment les valeurs des tenants de la Culture Libre (sou­ve­nez-vous les pro­tes­ta­tions de Wiki­pé­dia contre les récu­pé­ra­tions de Houellebecq).

Com­ment faire en sorte que le lien entre l’auteur et ses pho­to­gra­phies ne se rompent pas au fil de la dis­sé­mi­na­tion ? Je pense en fait que la solu­tion est moins d’ordre tech­nique, ni même juri­dique, que dans la manière dont les pho­to­graphes gére­ront leur iden­ti­té numé­rique et leur pré­sence en ligne. A mon sens, une manière de contrô­ler la dis­sé­mi­na­tion consiste pour les pho­to­graphes à orga­ni­ser eux-mêmes le par­tage de leurs conte­nus sur la Toile.

Un exemple per­met­tra de com­prendre de quoi il retourne. Le pho­to­graphe pro­fes­sion­nel amé­ri­cain Trey Rat­cliffe, spé­cia­li­sé dans la pho­to de, voyage et la HDR, a déjà adop­té une stra­té­gie glo­bale de dis­sé­mi­na­tion de ses conte­nus sur Inter­net. Il tient un blog pho­to très popu­laire – Stock In Cus­toms — ; il dif­fuse ses pho­to­gra­phies sur Fli­ckr par le biais d’albums ; il est pré­sent sur Tum­blr où ses images sont très lar­ge­ment par­ta­gées et il va même jusqu’à orga­ni­ser des « Expo­si­tions » sur Pin­te­rest en retaillant ces pho­tos spé­cia­le­ment pour qu’elles s’adaptent à cette interface.

Le résul­tat de cette stra­té­gie “d’ubiquité numé­rique” est que le taux de fré­quen­ta­tion de ses sites et de par­tage de ses conte­nus est très fort, comme il le dit lui-même :

La licence Crea­tive Com­mons aug­mente le tra­fic sur mon site où nous pou­vons où nous pou­vons ensuite octroyer des licences pour des pho­tos à but com­mer­cial. Mes pho­tos ont été consul­tées plus de 100 mil­lions de fois sur mon site prin­ci­pal. En outre, j’ai plus de deux mil­lions d’abonnés sur Google+.

Il aug­mente par ce biais sa noto­rié­té et se construit une iden­ti­té numé­rique très forte. Par ailleurs, l’ensemble des “lieux” où Trey Rat­cliffe par­tage ses pho­tos lui assurent une attri­bu­tion claire de ses images, puisque que c’est lui-même qui les poste : son blog, Fli­ckr, Tum­blr, Pin­te­rest, Google+, Twit­ter, etc. Bien sûr, il y a néces­sai­re­ment des “fuites”, avec des reprises sau­vages de ses cli­chés sans res­pect de son droit à la pater­ni­té. Mais elles sont sou­te­nables, vu le tra­fic que la dif­fu­sion contrô­lée des images assure par ailleurs à l’artiste.

Actuel­le­ment, Tray Rad­cliffe uti­lise une licence CC-BY-NC-SA, ce qui signi­fie qu’il auto­rise les usages non com­mer­ciaux et fait payer les usages com­mer­ciaux. C’est son busi­ness model et il a l’air de fonc­tion­ner remar­qua­ble­ment. Mais dans un sys­tème de contri­bu­tion créa­tive, il ne fait pas de doute qu’un pho­to­graphe comme lui tire­rait encore mieux son épingle du jeu, car il tou­che­rait éga­le­ment une récom­pense pour les par­tages non-mar­chands de ses œuvres.

Dans l’article signa­lé plus haut de Nikon Pro Maga­zine, voi­ci le point de vue, sans doute repré­sen­ta­tif des pho­to­graphes pro­fes­sion­nels sur cette démarche :

Cette stra­té­gie fonc­tionne, mais beau­coup estiment qu’elles dépré­cient la pho­to­gra­phie et dimi­nue les pos­si­bi­li­tés de gagner de l’argent pour ceux qui ont besoin de reve­nus afin de main­te­nir un stan­dard éle­vé et de finan­cer des projets.

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Légi­ti­mi­té des pra­tiques amateurs

Cet exemple des pho­to­graphes pro­fes­sion­nels est impor­tant, notam­ment dans le cadre de la Mis­sion Les­cure qui s’annonce. Il montre en effet que la ligne de frac­ture entre les titu­laires de droits et les tenants de la Culture Libre se situe essen­tiel­le­ment au niveau de la recon­nais­sance de la légi­ti­mi­té des pra­tiques ama­teurs et de leur néces­saire prise en compte dans les méca­nismes de finan­ce­ment de la création.

Si ce point de désac­cord était levé entre ces deux par­tis, il serait pos­sible de se retrou­ver sur d’autres sujets (res­pect du droit moral et de la pater­ni­té, mise en place de contrats plus favo­rables aux auteurs, amé­lio­ra­tion des sys­tèmes de ges­tion pour rému­né­rer les usages com­mer­ciaux, etc) et d’arriver peut-être à un consensus.

La contri­bu­tion créa­tive reste néan­moins le seul sys­tème capable d’appréhender de manière glo­bale la ques­tion de la valeur des conte­nus en ligne et d’organiser un finan­ce­ment com­plet, parce qu’elle prend en compte les pro­duc­tions amateurs.

Elle par­vient à le faire en élar­gis­sant les usages, et non en pro­vo­quant des dom­mages col­la­té­raux très impor­tants sur les pra­tiques. J’ai déjà eu l’occasion ailleurs de démon­trer que la contri­bu­tion créa­tive pou­vait appor­ter des solu­tions de finan­ce­ment per­ti­nentes pour la presse en ligne, bien plus que l’absurde Lex Google pro­po­sée par les édi­teurs de presse, qui veut taxer les liens et les clics !

Cela pour­rait être aus­si le cas pour la photographie.