ULB : de la burqa pride à l’inquisition ?

Le Rec­teur de l’ULB a annon­cé que le débat était sus­pen­du (…) Com­ment, dès lors, pré­tendre que ce débat a subi la cen­sure, alors que ce sont les orga­ni­sa­teurs eux-mêmes qui l’ont arrêté.

Carte blanche dans Le Soir

same­di 31 mars 2012

Le 7 février der­nier, à l’ULB, un groupe de per­sonnes a par­ti­ci­pé à une « bur­qa pride » à l’oc­ca­sion du débat qui devait avoir lieu entre Her­vé Has­quin et Caro­line Fou­rest. Dans les faits, une petite cin­quan­taine de contes­ta­taires ont cha­hu­té l’in­ter­ven­tion de Caro­line Fou­rest jus­qu’à ce que le Rec­teur décide de sus­pendre la ren­contre qui n’a fina­le­ment pas repris.

Le soir même, invec­tives, injures, pro­pos racistes, accu­sa­tions de racisme, d’an­ti­sé­mi­tisme, d’in­té­grisme, d’is­la­mo­pho­bie ont fusé dans tous les sens. Depuis lors, l’his­toire offi­cielle rap­porte qu’une bande de fon­da­men­ta­listes musul­mans seraient venus dans le but d’empêcher Caro­line Fou­rest de s’ex­pri­mer. Et que, ce fai­sant, ils se seraient ren­dus cou­pables de cen­sure, d’en­trave à la démo­cra­tie, au débat plu­ra­liste et ouvert, à la liber­té d’expression.

En réa­li­té, ces per­sonnes avaient l’in­ten­tion de pro­tes­ter contre l’ab­sence de contra­dic­tion dans le débat. Alors même que Cultures d’Eu­rope, les orga­ni­sa­teurs de la ren­contre, avaient pour prin­cipe de pri­vi­lé­gier le débat contra­dic­toire et plu­ra­liste : « La for­mule de la confé­rence ex-cathe­dra ne semble plus répondre de manière satis­fai­sante à la néces­si­té de plu­ra­li­té dans l’ex­pres­sion des opi­nions. C’est pour­quoi l’as­bl “Cultures d’Eu­rope” a déci­dé de modi­fier sa for­mule en pro­po­sant, non plus des confé­rences, mais des débats où les grandes ques­tions de socié­té seront dis­cu­tées de manière vivante et contra­dic­toire » (http://www.ulb.ac.be/cultureeurope/culture-europe.html).

Ces per­sonnes pro­tes­taient aus­si contre les pro­pos de Caro­line Fou­rest, qu’elles iden­ti­fient comme racistes. Fon­dant leur opi­nion notam­ment sur “The War for Eur­abia”, un article de Caro­line Fou­rest (http://online.wsj.com/artcle/0„SB110729559310242790,00.html ; Ver­sion libre : http://www.jewishtoronto.com/page.aspx?id=97015).

Les acteurs de la « bur­qa pride » seraient-ils des “inté­gristes islamistes”?

Dif­fi­cile pour­tant de le pré­tendre alors qu’ils étaient de toutes ori­gines sociales et cultu­relles. D’au­tant plus qu’il n’est pas dans les moeurs des isla­mistes que les hommes portent des bur­qa ou des fou­lards pas­tiches en signe de pro­tes­ta­tion. Pas plus qu’ils ne sont enclins à jouer d’a­na­lo­gie entre la bur­qa (pride) et la gay (pride)…

La réa­li­té est bien plus cer­tai­ne­ment qu’une par­tie de l’as­sis­tance, les orga­ni­sa­teurs de la ren­contre et les com­men­ta­teurs qui sui­virent, se sont lais­sés entraî­ner par les invec­tives que Caro­line Fou­rest adres­sait à ses détrac­teurs. Elle est d’ailleurs cou­tu­mière du fait à en juger notam­ment par le témoi­gnage édi­fiant de l’in­tel­lec­tuel fran­çais Pierre Teva­nian (http://lmsi.net/Je-suis-tombe-par-terre-c-est-la). Alors que la ques­tion qui est posée par tous est celle de la liber­té du débat, il semble que Caro­line Fou­rest elle-même ait une atti­tude tout à fait équi­voque à ce sujet (voir aus­si la vidéo citée plus loin).

Par ailleurs, deux rai­sons nous portent à dire qu’on ne peut pas iden­ti­fier l’ac­tion menée par les « bur­qa pri­ders » comme de la censure.

D’une part, ces per­sonnes deman­daient un débat plu­ra­liste, contra­dic­toire et équi­li­bré, à par­tir de l’a­na­lyse qu’elles font de l’in­fluence des écrits de Fou­rest sur le déve­lop­pe­ment de l’is­la­mo­pho­bie. Le pré­sident du Conseil d’Ad­mi­nis­tra­tion de l’ULB peut en témoi­gner puis­qu’il rece­vait la veille une demande en ce sens. N’ayant pas obte­nu de réponse posi­tive à cette demande, ils ont pro­tes­té par un cha­hut. Cha­hut qui émane plei­ne­ment de la tra­di­tion ulbiste et qui de date immé­mo­riale fait par­tie de la pano­plie des moyens de pro­tes­ta­tion des étu­diants, des cher­cheurs, du PATGS et même du corps aca­dé­mique. Com­bien de fois des ensei­gnants ont-ils été inter­rom­pus parce que leurs pro­pos étaient inau­dibles pour des étu­diants ? Com­bien de fois le Conseil d’Ad­mi­nis­tra­tion a‑t-il été empê­ché par des membres de la com­mu­nau­té uni­ver­si­taire qui vou­laient pro­tes­ter contre une déci­sion à venir ?

Pour­rait-on dénom­brer les confé­ren­ciers qui ont été hués, entar­tés, enfa­ri­nés, conspués et qui ont même dû fuir le cam­pus ? Et un peu plus loin, que dire des séances du par­le­ment fédé­ral dans lequel le cha­hut est de tout temps l’un des moyens pri­vi­lé­giés de contestation ?

Mais sur­tout, lorsque le Rec­teur de l’ULB a annon­cé que le débat était sus­pen­du, les mani­fes­tants ont quit­té la salle. Et le débat n’a pas repris, alors qu’il aurait pu. Com­ment, dès lors, pré­tendre que ce débat a subi la cen­sure, alors que ce sont les orga­ni­sa­teurs eux-mêmes qui l’ont arrêté.

Que les pro­pos de Caro­line Fou­rest soient racistes, on peut poser la ques­tion, défendre cette idée ou défendre le contraire. Mais alors que c’est pré­ci­sé­ment ce que sou­te­nait l’u­nique ora­teur alter­na­tif admis un court ins­tant à la tri­bune du 7 février, il a fait l’ob­jet d’une insulte raciste, de bous­cu­lades, d’in­ti­mi­da­tions phy­siques et de menaces, son micro étant par ailleurs cou­pé en cours d’ex­po­sé. Comme en témoigne la vidéo publiée sur You­tube par Nadia Geerts : http://www.youtube.com/watch?v=9wJm_EKzLYQ.

Mais le cha­hut est voué aux gémo­nies quand la menace et l’in­ti­mi­da­tion res­tent sans réac­tion de la part des orga­ni­sa­teurs. Aucune réac­tion alar­mée du modé­ra­teur quand, par exemple, Mme Ven­ner, com­pagne de Caro­line Fou­rest, gra­ti­fia son col­lègue d’un fau­chage dont la judo­ka a le secret (voir lien précédent).

D’autre part, Caro­line Fou­rest, plus encore qu’­Her­vé Has­quin, dis­pose d’un accès qua­si­ment libre à une frange impor­tante de la presse quo­ti­dienne. Elle a l’oc­ca­sion de s’ex­pri­mer tant et plus sur des sujets aus­si divers qu’une seule per­sonne ne sau­rait s’en pré­tendre autant multiexperte.

Qu’à l’oc­ca­sion d’un débat, une mino­ri­té, contes­ta­taire, lui coupe la parole ne peut être sérieu­se­ment consi­dé­ré comme un acte de cen­sure. D’au­tant que les jours qui sui­virent, l’es­sayiste béné­fi­cia d’une audience excep­tion­nelle en Belgique.

Autant dire que le cha­hut n’est ici rien d’autre qu’un moyen d’en­trer de force dans un débat duquel cer­tains sont exclus. Un moyen de for­cer la contra­dic­tion qui ne fai­sait pas par­tie du dis­po­si­tif pré­vu ini­tia­le­ment par les orga­ni­sa­teurs. Nous sup­po­sons que les méthodes uti­li­sées par les contes­ta­taires devaient être aus­si désa­gréables aux orga­ni­sa­teurs du débat que les moda­li­tés pré­vues l’é­taient aux yeux des contes­ta­taires. Il reste que cette méthode, bonne enfant quoi qu’en disent cer­tains, est tel­le­ment com­mune à l’ULB que la réac­tion qu’elle sus­ci­ta cette fois-ci nous est incompréhensible.

Il n’est pas ques­tion pour nous de nous pro­non­cer sur la per­ti­nence de la « bur­qa pride » ou sur sa bien­séance, mais d’af­fir­mer que rien de ce qui s’est pas­sé ce soir là ne déborde du débat démo­cra­tique et d’un sain rap­port de forces entre des per­sonnes qui sont en désac­cord quant aux moda­li­tés du débat et au fond de celui-ci. C’est pour­quoi nous enten­dons dénon­cer la dési­gna­tion uni­la­té­rale des par­ti­ci­pants à la « bur­qa pride » tels des inté­gristes isla­mistes ou des fas­cistes. Ils ne sont ni l’un ni l’autre. Et nous dénon­çons avec force l’am­biance de chasse aux sor­cières qui sévit autour de l’ULB dans le cadre de laquelle des indi­vi­dus, des groupes et des asso­cia­tions réclament la tête d’un membre de la com­mu­nau­té uni­ver­si­taire, fai­sant fi de tout débat et de toute démarche libre-exaministe.

Les méthodes inqui­si­trices ne sont pas de mise à l’U­ni­ver­si­té Libre de Bruxelles qui, sinon, s’en cou­vri­rait de ridi­cule. Et on ne sau­rait tolé­rer qu’elles le deviennent, quelles que soient la qua­li­té des pro­ta­go­nistes, la teneur du débat et l’in­ten­si­té de la ten­sion qui l’accompagne.

Dans une situa­tion sur­ten­due, puis­qu’un désac­cord fron­tal est iden­ti­fié, l’ULB a le choix entre la repres­sion d’une com­po­sante de la ten­sion (comme s’il n’y avait pas matière à débat sur le fond) et une sor­tie par le haut en action­nant ce qu’elle a déjà pu constuire à maintes reprises dans ce genre de cir­cons­tances : un débat contra­dic­toire — sans exclu­sive -, plu­ra­liste et équi­li­bré por­tant sur les modes d’a­li­men­ta­tion contem­po­rains du racisme. L’ULB résis­te­rait ain­si fort uti­le­ment aux pres­sions de la sur­en­chère médiatique.

Nous récla­mons qu’un débat contra­dic­toire, plu­ra­liste et équi­li­bré soit orga­ni­sé et que les prin­cipes qui y pré­sident soient ceux de l’ULB et non ceux de la sur­en­chère média­tique sans fon­de­ment et de la sanc­tion disciplinaire.

“Article 1 L’U­ni­ver­si­té Libre de Bruxelles fonde l’en­sei­gne­ment et la recherche sur le prin­cipe du libre exa­men. Celui-ci pos­tule, en toute matière, le rejet de l’ar­gu­ment d’au­to­ri­té et l’in­dé­pen­dance de jugement.

Article 2 L’U­ni­ver­si­té fonde son orga­ni­sa­tion sur la démo­cra­tie interne, l’in­dé­pen­dance, l’au­to­no­mie et la soli­da­ri­té. La démo­cra­tie interne pos­tule la garan­tie de l’exer­cice des liber­tés fon­da­men­tales à l’in­té­rieur de l’U­ni­ver­si­té et la voca­tion des corps consti­tu­tifs de la com­mu­nau­té uni­ver­si­taire à par­ti­ci­per, avec pou­voir déli­bé­ra­tif, à la ges­tion de l’U­ni­ver­si­té et au contrôle de cette ges­tion.” [extrait des Sta­tuts orga­niques de l’ULB]

Les signa­taires

-Judith But­ler, Phi­lo­sophe fémi­niste, Pro­fes­seur de rétho­rique et de lit­té­ra­ture à l’U­ni­ver­si­té de Berkeley

-Chris­tine Del­phy, Cher­cheure CNRS, Direc­trice de la revue Nou­velles Ques­tions Féministes

-Esther Ben­bas­sa, Séna­trice, Titu­laire de la chaire d’his­toire du judaïsme moderne à Ecole pra­tique des hautes études (Sor­bonne)

-Naci­ra Gué­nif-Soui­la­mas, Socio­logue et anthro­po­logue, Maître de confé­rences HDR à l’U­ni­ver­si­té Paris-XIII

-Marie Helene Bour­cier, Socio­logue, Maître de confé­rences à l’U­ni­ver­si­té Lille-III

-Alain Bros­sat, Pro­fes­seur émé­rite de phi­lo­so­phie à l’U­ni­ver­si­té de Paris 8

-Marc Zune, Socio­logue, UCL

-Jean-Louis Siroux, Socio­logue, char­gé de recherches FNRS à l’UCL

-Mali­ka BENARAB ATTOU, Dépu­tée au Par­le­ment européen

-Sarah Bracke, Socio­logue, KU Leuven

-Nadia Fadil, Socio­logue, KU Leuven

-Said Boua­ma­ma, Socio­logue, direc­teur de recherche à l’IFAR

-Pierre Teva­nian, Phi­lo­sophe, auteur de plu­sieurs ouvrages dont “Le voile média­tique : Un faux débat ” aux édi­tions Rai­sons d’agir

-Didier Les­trade, Jour­na­liste et écri­vain fran­çais, co-fon­da­teur d’Act-up, rédac­teur en chef de Minorités.

-Ramon Gros­fo­guel, Pro­fes­seur, Eth­nic stu­dies depart­ment, Berkeley

-Phi­lippe Ham­bye, Socio­lin­guiste, UCL

-Laurent Lévy, Avo­cat fran­çais, auteur notam­ment de “La gauche”, les Noirs et les Arabes, aux édi­tions La Fabrique .

-Jacob Cohen, Ecri­vain franco-marocain.

-Hou­ria Bou­tel­ja, Porte-parole du Mou­ve­ment des Indi­gènes de la République

-Sel­ma Ben­khe­li­fa, Avo­cate au Bar­reau de Bruxelles

-Eric Hul­sens, Jour­na­liste à De Wereld Morgen

-Rudi Bar­net, Ex-expert audio­vi­suel de la Com­mu­nau­té française

-Ron­nie Rami­rez, Réalisateur

-Marianne Van Leeuw, Edi­trice, Les Edi­tions du Souffle

-Her­man de Ley, Pro­fes­seur Emé­rite, UGent

-Joris Note, Ecrivain

-Ginette Bau­wens, Philosophe

-Bahar Kimyon­gur, Historien

Par ailleurs, près de 1900 per­sonnes ont signé une péti­tion s’op­po­sant à celle deman­dant l’ex­clu­sion de Sou­hail Chi­chah de l’ULB.