Nous reproduisons ici un article qui traite sur un “dérapage” journalistique et qui appèle à la nécessite d’une éthique dans les médias, avec l’autorisation de l’auteur : Gaspard Musabyimana et du site internet (http://www.musabyimana.be) un site de “documentation et d’informations socio-politiques sur le Rwanda”.
Le 09/11/210, le Tribunal de Première Instance de Bruxelles a prononcé le jugement dans le procès qui opposait le Pasteur Joseph Nsanzurwimo[i] à la RTBF. Le litige avait trait à un reportage intitulé : « Les génocidaires sont parmi nous », réalisé par la journaliste Marianne Klaric et diffusé sur la télévision de la RTBF le 3 septembre 2008 dans une émission intitulée : « Questions à la Une » présentée par Jean-Claude Defossé.
Le Pasteur Pasteur Nsanzurwimo y avait été mis en cause. Il a gagné le procès.
Les grandes lignes sur lesquelles les juges ont fondé leur conviction pour trancher en faveur du Pasteur Nsanzurwimo sont on ne peut plus claires.
La journaliste Marianne Klaric a fait parler des témoins dont un certain Théodore Nyilinkwaya. Les juges ont été d’avis que « si madame Klaric avait procédé à un contrôle sérieux de l’accusation formulée par ledit [témoin], elle n’aurait pas manqué de s’apercevoir que le préfet Emmanuel Bagambiki qu’il cite comme co-organisateur avec monsieur Nsanzurwino du transfert des réfugiés du groupe scolaire, a été acquitté par le tribunal pénal international pour le Rwanda le 7 juillet 2006 ».
De plus, le fait que l’identité du témoin Emmanuel Bagambiki « a été brouillée au moment du montage, ce qui devait empêcher les téléspectateurs de s’apercevoir de la mystification, témoigne de la mauvaise foi dont ont fait preuve la RTBF et madame Marianne Klaric à l’égard de monsieur Nsanzurwimo. Interrogé à l’audience sur la raison de cette situation, leur conseil n’a pas pu fournir d’explication ».
Les juges ont considéré qu’un autre témoin, Grégoire Nyirimanzi, est tout aussi peu fiable. « Ses accusations sont disparates et pour la plupart totalement vagues ». […] « Elles n’ont pas été vérifiées, alors qu’elles émanent d’un individu dont les déclarations sont sujettes à caution dès lors que, détenu au moment de l’interview dans l’attente du procès dont il fera l’objet pour répondre d’exactions commises pendant le génocide, il a tout intérêt à révéler des faits commis par un tiers en espérant la clémence en échange de sa supposée collaboration ». […]
« Le tribunal retient des éléments qui précèdent que l’émission a été conçue, montée et présentée pour convaincre injustement de la culpabilité de monsieur Nsanzurwimo ».
« La question de savoir si monsieur Nsanzurwimo est ou non impliqué dans le génocide est une question de fait, à l’égard de laquelle les journalistes de l’équipe de “Questions à la une” avaient un devoir de stricte véracité. Ce devoir de véracité implique le recoupement et la vérification des sources d’information.
Dès lors que l’émission prétend livrer les résultats d’une véritable enquête dont le téléspectateur devrait pouvoir penser qu’elle a été menée de façon rigoureuse et approfondie, il est logique que les devoirs d’investigation, de vérification et de recoupement des sources soient appréciés de façon rigoureuse ».
« Il est attendu d’un journaliste normalement prudent et avisé qui diffuse une émission portant atteinte à l’honneur et à la réputation d’un tiers, comme c’est le cas en l’espèce, qu’il ait contrôlé ses sources d’information de manière professionnelle ». […]
Pour les juges, il peut légitiment être reproché à madame Klaric et à la RTBF d’avoir commis une faute grave et « un grave manquement à la déontologie journalistique en accusant à la légère monsieur Nsanzurwimo d’avoir participé au génocide perpétré au Rwanda, sans avoir procédé à une enquête sérieuse à laquelle il n’est pas contesté qu’il aurait pu être procédé, sans avoir vérifié et recoupé les accusations formulées par des soi-disant témoins peu fiables, accusations qu’elles ont non seulement relayées, mais également accréditées en les prenant à leur propre compte, manquant à leur devoir d’objectivité et d’impartialité ». […]
« Madame Klaric a commis une faute supplémentaire en diffusant ces déclarations accablantes pour monsieur Nsanzurwimo sans l’en avoir informé et sans lui avoir donné la possibilité d’y répondre ». […].
« Madame Klaric a également commis une faute en prétendant faussement à monsieur Nsanzurwimo qu’elle réalisait un reportage sur le thème de la réconciliation des Rwandais, thème qui lui est cher, pour lequel il a accepté d’être interviewé et filmé et de laisser filmer l’église où il est pasteur et les fidèles, alors qu’il n’en était rien. En occultant délibérément l’objet du reportage réalisé, madame Klaric a abusé du consentement de monsieur Nsanzurwimo et manqué à l’obligation de loyauté qui lui incombait ».
En outre, le fait que l’identité du préfet Emmanuel Bagambiki, l’un des témoins à décharge, a été occultée aux téléspectateurs au moment du montage est constitutif « d’une grave faute supplémentaire dans le chef de la journaliste, madame Klaric, et de la RTBF ».
En conclusion, le tribunal souligne « que la RTBF et madame Klaric n’ont pas pris les précautions élémentaires qui s’imposaient avant de diffuser et d’accréditer des accusations portant gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de monsieur Nsanzurwimo, accusations qui n’ont été ni vérifiées, ni recoupées et provenaient de sources peu fiables ; elles ont fait preuve de malhonnêteté en sollicitant une interview sans lui révéler le thème du reportage qu’elles préparaient contre lui, elles ont agi fautivement en ne lui donnant pas la possibilité de réfuter les accusations portées à son encontre ; de surcroît, elles ont fait preuve de malhonnêteté en occultant sciemment des informations essentielles à la vérité.
En réalisant et en diffusant le reportage concernant monsieur Nsanzurwimo, madame Klaric, l’équipe de la RTBF qui produit l’émission « Questions à la Une », et la RTBF ont manqué des qualités élémentaires de prudence, de loyauté et d’objectivité qui s’imposaient d’autant plus, au regard de la gravité des accusations qui étaient injustement portées à son égard (génocide) et sur lesquelles il ne lui a pas été donné la possibilité de réagir ».
Gaspard Musabyimana
02/12/2010
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