Fin février 2020 : ouverture du procès de Julian Assange pour espionnage à Londres. Des militant.e.s venant de toute l’Europe se retrouvent devant la prison de Belmarsh, dont des belges, pour refuser l’extradition du fondateur de Wikileaks.
Comment libérer Julian Assange de sa prison médiatique ?
De quoi parle-t-on lorsqu’on défend la “liberté d’expression”, la “liberté de la presse” ? La liberté de cacher ce qui touche à nos intérêts personnels ? La liberté donnée à une industrie privée de nous vendre les informations qui lui plaisent ? De donner le tempo ? De déterminer le vrai du faux ? Réduire l’enjeu du procès en cours de Julian Assange aux thèmes consensuels de la “liberté d’expression” ou de la “liberté de la presse” contribue à faire du fondateur de Wikileaks un symbole abstrait, la figure médiatique d’idées vagues, générales et — lorsqu’elles restent en surface — inoffensives. D’ailleurs, qui oserait s’insurger contre ces deux libertés fondamentales ? Comment alors enrayer les préjugés — très largement relayés par les médias dominants — selon lesquels Julian Assange, s’il est dans cette situation, est d’une certaine manière coupable ? Quel est le contre-champ de la situation d’enfermement que subit depuis bientôt dix ans Julian Assange ?
Selon la légende, dans la Grèce antique, les mauvaises nouvelles qu’on ne souhaitait pas entendre étaient fatales à ceux qui les apportaient. Tuer le messager revenait à annuler les conséquences de son message. Si ce qui se joue avec le procès Assange, qui a débuté fin février dernier à la Woolwich Crown Court au Royaume-Uni, est d’une importance capitale, c’est que le journalisme d’investigation y est en danger de mort. Poursuivi en vertu des lois anti-espionnage de 1917 et pour piratage informatique, pour avoir diffusé sur le site de Wikileaks à partir de 2010 plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires nord-américaines, dont des crimes de guerre, Julian Assange risque jusqu’à 175 ans de prison, si pas la peine de mort. En outre, si la demande d’extradition des États-Unis devait aboutir, mettre en lumière les coulisses de nos gouvernements serait alors considéré — si ce n’est pas déjà le cas — comme un crime et le journalisme comme de l’espionnage. A l’évidence, Julian Assange n’est pas un espion (de Russie ou d’ailleurs) mais un éditeur, un journaliste, et Wikileaks se rapproche plus d’un service de renseignement du citoyen (en tous cas quand Assange en était le rédacteur en chef) que d’une agence d’ “acteurs non-étatiques hostiles” comme le voudrait l’ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo.
Une chose est sûre, l’information est la clé de la guerre moderne. Et comme dans n’importe quelle guerre, toutes les armes sont bonnes pour anéantir l’ennemi. L’intimidation en est une (l’instrumentalisation du viol aussi). Surtout lorsque l’on cherche à cacher le fait qu’il s’agit bel et bien d’une guerre. L’objectif des Etats-Unis dans ce procès pour espionnage n’est — bien sûr — pas d’obtenir d’Assange qu’il confesse les “crimes” qui lui sont imputés. S’il est extradé (ce que l’absence d’indépendance de la justice britannique fait craindre), il sera jugé par un jury militaire, l’ “Espionage Court”, où les Etats-Unis jugent toutes les affaires concernant la sécurité nationale. Et face à ce jury, l’issue du procès est fixée d’avance : personne n’a jamais été acquitté pour le type d’affaire qui concerne Julian Assange. Non, bien entendu, l’objectif n’a jamais été d’obtenir des confessions. L’objectif est d’intimider le reste du monde, et plus particulièrement les journalistes et autres lanceuses/lanceurs d’alerte, toutes nationalités confondues, qui voudraient imiter Assange. Comme le disait George W. Bush (pratique de la torture et prisons secrètes à l’appui) : “Notre mode de vie n’est pas négociable”. Autrement dit, pas de droit international qui ne tienne (who cares?), si vous révélez nos agissements secrets, nous viendrons vous chercher, qui que vous soyez, où que vous soyez. En juin 2018, les États-Unis se sont retirés du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies ; l’institution étant accusée d’être “une source d’embarras” pour les États-Unis, selon Mike Pompeo (encore lui). Ce processus d’élargissement continu du secret d’État est aussi visible en Belgique avec la “loi Reynders” qui prévoit 5000 euros d’amende et de la prison pour les journalistes et les lanceurs d’alerte qui révèleraient des informations gouvernementales secrètes — loi passée quasi inaperçue en mai dernier…
Lors d’un rassemblement de soutien à Assange à Londres, Roger Waters, ex-membre des Pink Floyds, se demandait si nous étions réellement libres ? Les dirigeants de nos “démocraties” atlantiques — qui poursuivent ces héroïnes/héros modernes (contraint.e.s à l’être) que sont Julian Assange, Chelsea Manning, Edward Snowden, Sarah Harrison… pour ne citer que celles et ceux proches de Wikileaks (la liste des lanceurs d’alerte à travers le monde s’allongeant de jour en jour) — ne scieront pas d’eux-même la branche sur laquelle ils commercent… La logique belliqueuse et implacable de nos pseudo-démocraties, qui remplacent le droit de savoir par le droit de vote, la liberté de penser par la liberté de consommer, l’éthique par le confort de la loi, ne trouvera d’obstacle à sa course que dans les brisures de silence et le partage de l’information. Walter Benjamin disait du métier d’historien qu’il consiste, comme un chiffonnier, à fouiller dans les poubelles de l’histoire pour sauver ce qui s’y trouve… Julian Assange, en plus d’être le journaliste le plus primé de l’histoire contemporaine, fouillant dans les poubelles de nos gouvernements, est un faiseur d’Histoire avec un grand “H” (à l’encontre de nos dirigeants qui la font avec une grande hache), et comme il le dit lui-même (ce que j’espère vrai au plus profond de moi-même) : “Le courage est contagieux”.
Thomas MICHEL
Membre de ZIN TV