L’art nègre est considéré comme de l’ethnographie. Il est donc mis au musée de l’homme et pas au musée du Louvre. Un film réalisé en 1953 par Chris Marker et Alain Resnais qui nous parle d’aujourd’hui.
Il faut déboulonner les symboles de la colonisation du Congo
« Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. »
Les Statues meurent aussi (1953)
Les réalisateurs questionnent le manque de considération pour l’art africain dans un contexte de colonisation. Les Statues meurent aussi sera censuré en France pendant huit ans en raison de son point de vue anti-colonialiste parce que proposant une lecture intelligente, sensible et coupable du colonialisme africain des années 50. Alain Resnais : “On nous avait commandé un film sur l’art nègre. Chris Marker et moi sommes partis de cette question : pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au Musée de l’Homme, alors que l’art grec ou égyptien est au Louvre ?”.
Alain Resnais et Chris Marker, répondront à la demande du collectif “Présence africaine” (revue panafricaine), patronné alors par Alioune Diop, et animé notamment par des intellectuels comme Aimé Césaire, Price Mars, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright ou Jean-Paul Sartre… Monsieur A. Diop qui veut offrir au monde un espace de discussions où se rencontrent les figures les plus marquantes de la société africaine de l’après-guerre.
Le sujet du film, c’est la mise à nu des mécanismes d’oppression et d’acculturation, l’impossible dialogue culturel dans le contexte immanent de la colonisation, le développement d’un Art-Bazar au bénéfice du Blanc consomateur-acheteur, l’idée qu’il n’y aurait pas de rupture entre la civilisation africaine et la civilisation occidentale. “En même temps que l’Art nègre gagne ses titres de gloire, ne devient-il pas une langue morte, question?” ; “On achète son art au Noir et on dégrade son art.”
Chris Marker : “L’art nègre, nous le regardons comme s’il trouvait sa raison d’être dans le plaisir qu’il nous donne. Les intentions du nègre qui le créée, les émotions du nègre qui le regarde tout cela nous échappe. Parce qu’elles sont écrites dans le bois nous prenons leurs pensées pour des statues et nous trouvons du pittoresque là où un membre de la communauté noire voie le visage d’une culture.” Ce documentaire très controversé pose la question de la différence entre l’art nègre et l’art officiel, et surtout souligne la relation qu’entretient l’Occident avec cette culture qu’elle nie. La commission de contrôle refusera au film le VISA d’exploitation nécessaire à sa diffusion, notamment dû à son discours anticolonialiste.
Après 8 ans de censure, une copie tronquée du film sortira toutefois sur les écrans. Alain Resnais : “Quant à eux, ils savaient tout ce qui se passait en Afrique et nous étions même très gentils de ne pas avoir évoqué les villages brûlés, les choses comme ça ; ils étaient tout à fait d’accord avec le sens du film, seulement, ces choses-là, on pouvait les dire dans une revue ou un quotidien, mais au cinéma, bien que les faits soient exacts, on n’avait pas le droit de le faire. Ils appelaient ça du “viol de foule”.
L’interdiction eut des conséquences très graves pour le producteur. Quant à nous — est-ce un hasard ? — ni Chris Marker ni moi ne reçûmes de propositions de travail pendant trois ans”.