Promoteur, à ta tour d’avoir peur

Quelques dizaines d’habitant·e·s du quar­tier et militant·e·s  de Cure­ghem décident d’occuper un ancien maga­sin de tis­sus des­ti­né à être détruit au bas­sin de Bies­te­broeck pour inter­pel­ler contre la gen­tri­fi­ca­tion ram­pante du quartier .

Notre tour­nage dans le quar­tier de Cure­ghem, en novembre 2021, venait à peine de com­men­cer que déjà le mou­ve­ment de résis­tance de la digue du canal était mena­cé. Les pro­mo­teurs immo­bi­liers ont pro­cé­dé avec le sou­tien de la police à l’ex­pul­sion des habitant.e.s de l’oc­cu­pa­tion 1 mois après leur ins­tal­la­tion. “Expul­sion mais pas aban­don” pou­vait-t-on lire le jour sui­vant sur une ban­de­role accro­chée en haut du bâti­ment ! Mal­gré l’expulsion, l’occupation aura per­mis de visi­bi­li­ser et d’in­for­mer beau­coup d’habitant.e.s sur les menaces qui pèsent sur leur quar­tier ain­si que d’organiser la résistance.

Le pro­blème à l’heure actuelle n’est pas tant de dis­po­ser d’une forte pro­duc­tion de loge­ments que de pou­voir offrir aux bruxel­lois des loge­ments dont ils peuvent payer le prix.

Cet ancien bâti­ment va très pro­chai­ne­ment être rem­pla­cé par une tour de 524 loge­ments pri­vés culmi­nant à 84 m de haut, un pro­jet qui incarne, la spé­cu­la­tion immo­bi­lière en cours depuis 10 ans à Cure­ghem. L’ob­jec­tif pour les pro­mo­teurs :  créer des “water-fronts”, c’est-à-dire un ensemble de loge­ments béné­fi­ciant de vues sur le canal, une sorte d’î­lot de richesse acces­sible à 2700 euros/m2 pour les appar­te­ments les moins attractifs !

Cette tour fait par­tie d’un pro­jet immo­bi­lier plus vaste (por­té par les pro­mo­teurs immo­bi­liers BPI et Immo­bel ) en déca­lage total avec les besoins du quar­tier. ” Le pro­blème à l’heure actuelle n’est pas tant de dis­po­ser d’une forte pro­duc­tion de loge­ments que de pou­voir offrir aux bruxel­lois des loge­ments dont ils peuvent payer le prix. Rap­pe­lons que le nombre de ménages sur la liste d’attente des loge­ments sociaux a dou­blé en 10 ans. En mars 2021, on chif­frait ces ménages à 49 000. Le rap­port d’incidences envi­ron­ne­men­tales du PPAS adop­té en 2017, qui cadre les déve­lop­pe­ments autour du bas­sin de Bies­te­broeck, poin­tait que : « compte tenu de la pro­prié­té entiè­re­ment pri­vée des par­celles visées par le PPAS, le loge­ment neuf sera pro­duit à des prix de mar­ché, peu acces­sible à une par­tie impor­tante de la population. »

Quant aux équi­pe­ments col­lec­tifs de base pour accueillir les familles sup­plé­men­taires, ils sont pra­ti­que­ment inexis­tants : le pro­jet ne pré­voit aucune école mater­nelle, pri­maire et secon­daire alors que les quar­tiers proches offrent en l’état 0,78 places/enfant (contre 1,06 places pour la Région) pour l’enseignement mater­nel et 0,81 places/enfant (contre 1,1 place pour la Région) pour l’enseignement pri­maire. Le taux de cou­ver­ture des crèches dans le sec­teur était de 22 % en 2017 soit un taux infé­rieur à la réfé­rence régio­nale (37 %). Le pro­jet pré­voit une crèche de 42 places, une nou­velle capa­ci­té qui res­te­ra encore bien insuf­fi­sante au regard des manques actuels obser­vés dans les quar­tiers environnants.

Bref, un désastre social et éco­no­mique sans même avoir à abor­der les ques­tions de mobi­li­té (annonce de conges­tion impor­tante de voi­ries dont cer­taines sont déjà à la limite de la satu­ra­tion) et l’absence d’amélioration de la bio­di­ver­si­té dans une zone qui en manque fon­ciè­re­ment. Le pro­jet avec sa tour de 84 m de haut plon­ge­ra au contraire dans l’ombre le Parc Cri­ckx, le seul espace vert du quar­tier ! Le pro­jet Key West fixe à cet endroit un quo­tient de den­si­té (rap­port entre les super­fi­cies des construc­tions et la super­fi­cie du ter­rain) de 4,3 alors qu’il est de 0,95 à l’heure actuelle, soit une aug­men­ta­tion de 452 % ! Un îlot gon­flé à bloc au pro­fit du pro­mo­teur à proxi­mi­té de quar­tiers déjà très denses : Wayez et Bies­te­broeck sont déjà trois à cinq fois plus denses que la moyenne des quar­tiers de la Région : de 18 à 34 000 hab/km² (alors que la moyenne est de 7 440 habitants/km² pour la Région). (…) Rap­pe­lons que ce pro­jet mas­sif de 524 loge­ments et 383 places de par­king s’est réa­li­sé sans aucune étude d’incidences envi­ron­ne­men­tales lais­sant des zones d’ombre inquié­tantes sur le tas­se­ment des sols, les risques d’inondation, les effets cumu­lés des dif­fé­rents pro­jets immo­bi­liers en cours autour du bas­sin.” 1

Tout cela n’a pour­tant pas empê­ché les per­mis d’urbanisme et d’environnement d’être déli­vrés début 2021. C’est la vigi­lance d’un citoyen sou­te­nu par IEB qui a per­mis d’obtenir l’annulation de cette réforme envi­ron­ne­men­ta­le­ment sui­ci­daire. En effet, le 21 jan­vier 2021, la Cour consti­tu­tion­nelle a annu­lé la dis­po­si­tion liti­gieuse, ce qui a per­mis à IEB d’introduire un recours contre le per­mis d’urbanisme auto­ri­sant le pro­jet qui est tou­jours en cours.

Encore une fois, le ter­ri­toire est pen­sé pour sa valeur mar­chande et non pour sa valeur d’usage

Encore une fois, le ter­ri­toire est pen­sé pour sa valeur mar­chande et non pour sa valeur d’usage. Aucune place n’est lais­sé, par exemple, pour une réflexion autour du pour­cen­tage de loge­ments sociaux, la construc­tion d’équipements col­lec­tifs et une pro­por­tion plus équi­li­brées entre les loge­ments et les espaces pro­duc­tifs et por­tuaires, etc.

Pour plus d’information, et pour l’accès à l’article complet :

“Key West : un Far West immo­bi­lier à Bies­te­broeck”, Un article de Claire Sco­hier, publié le 6 mai 2021
https://www.ieb.be/Key-West-un-Far-West-immobilier-a-Biestebroeck

 

  1.  “Key West : un Far West immo­bi­lier à Bies­te­broeck”, Un article de Claire Sco­hier, publié le 6 mai 2021
    https://www.ieb.be/Key-West-un-Far-West-immobilier-a-Biestebroeck

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