Dossier du journal Kairos consacré à Zin TV!!! {Zin TV est le résultat d’un héritage cinématographique qui se situe dans une lignée de continuité historique d’émancipation. D’où ce côté laboratoire de télévision de service publique de demain…}
Nous avons consacré les deux premiers dossiers de Kairos à une analyse critique de la RTBF et de sa dérive mercantile sous la pression publicitaire et politicienne. La dérive continue. Heureusement et bien entendu, « La vie sociale résiste à l’écran » comme le dit Serge Halimi. Nous avons rencontré Zin TV, basée en Région Bruxelloise et active sur de nombreux terrains, dans de nombreux pays. Une alternative bien vivante qui donne envie de sortir des écrans et qui le fait. Rencontre avec Ronnie Ramirez, l’un des fondateurs et coordinateurs de Zin TV.
Peux-tu nous présenter Zin TV, comment est-elle née ?
Le but de Zin TV, c’est de créer autre chose que ce qu’on subit comme télévision, c’est notre façon de prendre nos responsabilités comme professionnels de l’audiovisuel et de proposer une alternative. Zin TV est née avec une vocation pédagogique dans le but de pouvoir stimuler les mouvements sociaux, le monde citoyen, à travers l’envie et la capacité des gens à se réapproprier leur propre image, et l’image de leurs mondes. Comprendre que l’image est construite par un langage, et que cette construction construit aussi une identité, c’est fondamental, et Zin TV base son action là-dessus.
A l’époque, nous étions modestement l’« Ecole de cinéma des quartiers populaires » qui regroupait par affinité des personnes actives dans les ateliers vidéo des quartiers. Nous formions déjà pas mal de gens, mais une fois que l’on avait donné goût au métier, il était difficile de donner des perspectives : les portes du marché du travail s’ouvrent difficilement, surtout si tu n’empruntes pas les filières classiques. Une sorte de retour à la case de départ générait un découragement par la suite et rendait notre action plus ou moins stérile. L’heure était venue de devenir plus ambitieux et de proposer une suite aux formations que nous donnions. On a pris le temps de discuter, une prise de conscience s’est opérée chez la plupart d’entre nous et on s’est mis à rêver un projet qui rapproche nos jeunes plus des initiatives constructives et des solutions collectives. Et c’est à partir de ce moment que les choses ont pris de l’ampleur.
Nous avions déjà travaillé avec François Ruffin que nous avions rencontré au Venezuela où il faisait de la formation aux médias. Il a lancé en France le journal « Fakir » dans sa formule nationale par un évènement bruxellois en parlant des lobbies économiques qui influencent l’Union Européenne : ça consistait à poser une plaque symbolique avec les logos de quelques mouvements sociaux à la place d’une autre plaque – tout aussi symbolique — posée par les lobbies économiques à l’entrée du Parlement européen, elle y est toujours d’ailleurs. En même temps, le tout passait dans l’émission radio « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet sur France Inter. François nous a demandé de l’aider. On a donc contacté les syndicats et autres organisations, parce que l’idée était d’allier la culture et le social, les artistes et les mouvements sociaux. On a également fait venir « théâtre et réconciliation », animé par Frédérique Lecomte qui a mis en scène des sans papiers qui ont égorgé Monsieur Kapit Ali St, et on a filmé tout ça.
A ce moment là, il devenait clair qu’il nous fallait un nom qui corresponde à notre nouveau projet et qui puisse allier formation, production, distribution et mobilisation. En fait, la réflexion sur notre outil, sa structure et son évolution est allée de pair avec la recherche du nom. Il nous fallait une télévision qui nous ressemble et qui dépasse l’idée même de la télé. C’est‑à dire que son rôle n’est pas d’isoler les gens, mais plutôt à les faire sortir de chez eux pour entrer en action, faire rencontrer d’autres citoyens et même faire rencontrer les réseaux entre eux.
En bon journaliste, François nous avait posé la bonne question : vous n’avez pas, chez vous, un personnage qui représente l’exclu ? A Bruxelles, c’est le zinneke qui représente au mieux le personnage qui est à l’ombre, qui est sans voix, sans image, un mélangé qui se revendique sans complexe de ce panachage. Le zinneke, c’est le chien batard qu’on noyait dans la Senne, c’est le symbole de ce dont on ne veut pas. D’ou le nom « Zin » qui vient de Zenne (Senne en flamand), mais qui veut également dire « beauté » en arabe, « sens » en flamand, et se prononce comme « sans » [sín] en espagnol, sans-télé… En plus, avec ses possibilités graphiques, le nom était tout trouvé : « Zin TV ». C’est donc François Ruffin qui nous a aidé a trouver le nom. Ainsi on s’est fait connaître et depuis, on est débordés. (rires).
Du coup, nous avons pris conscience que dans notre pays, il se passe plein de choses au mètre carré, il y a une vie associative, syndicale et culturelle extrêmement riche, des initiatives et des débats intéressants, des gens qui cherchent des solutions, des productions artistiques originales, etc. mais qui se passent loin des caméra de télévision de service publique[[NDLR : la RTBF vient de déprogrammer « Ca bouge », son « émission présentant l’agenda des manifestations d’éducation permanente en Fédération Wallonie-Bruxelles ».]]. Pourquoi alors consacrer 6 heures de programmation d’un mariage princier à l’étranger ? En montrant, on fait exister, donc on stimule. On peut donc comprendre pourquoi on ne montre pas.
Il y a bien-sûr encore quelques exceptions, mais quand la vie associative est montrée à la télé, c’est souvent sur le mode du folklorique, de l’anecdotique, de l’insignifiant et quand il s’agit des luttes sociales, c’est sur un ton d’agacement qu’on les aborde, de la distance hygiénique, quand ce n’est pas carrément les criminaliser…
Mais cela, tout le monde le sait, il faut dépasser là encore la simple critique du média qui est certes nécessaire, mais limitant et seulement d’ordre tactique. Il y a par ailleurs une carte d’identité collective à construire, qui nous définit et qui représente cette diversité que nous défendons. Pour cela nous devons créer notre propre esthétique, cela c’est d’ordre stratégique, donc essentiel.
Il va de soi que Zin TV se propose d’aider et d’accompagner ceux qui veulent se réapproprier l’outil. C’est donc dans les meilleurs des cas, un travail de co-construction avec les associations et les citoyens engagés. De ce point de vue, Zin TV est une école de cinéma pour les autres, avec des pros qui viennent donner un coup de main. C’est notre manière de démocratiser le secteur de la pédagogie du cinéma qui à l’origine est élitiste.
Quel genre de formation proposez-vous, comment organisez-vous votre travail ?
Pour l’instant, nous répondons surtout à une nécessité. Il n’y a pas un cursus unique que nous imposons à tous, notre répertoire est riche et modulable à volonté. Accompagner des processus filmique et les aider à se développer. Nous organisons des formations là où on nous appelle : notre école est mobile et va vers les citoyens. On refuse les formations basées sur le mode d’emploi du matériel, il y a suffisamment d’offre à ce niveau. La formation technique n’est qu’un segment d’un processus. On ne lâche pas les participants réguliers, nous les suivons jusqu’à ce qu’ils puissent être autonome et même nous aider à en former d’autres. Mais, le jour viendra où nous pourrons donner des formations intégrales et de longue durée, les seules qui garantissent un résultat.
Nos formations sont conçues comme un laboratoire de libération des formes, du langage cinématographique et les références communes nous aident à avoir un langage commun. C’est pour cela que nous essayons d’offrir des références d’expériences d’émancipation cinématographiques dans l’histoire du cinéma, histoire de s’inscrire dans un héritage autre que celui de l’Entertainment. Ainsi on revisite des périodes fécondes, on regarde les films et on tente de comprendre comment des nouvelles esthétiques se sont forgées.
Zin TV est le résultat d’un héritage cinématographique. On n’est pas partis de rien, nous nous situons par filiation, cela nous aide à nous inscrire dans une lignée de continuité historique d’émancipation cinématographique et à envisager un avenir. C’est peut-être là, notre côté laboratoire de télévision de service publique de demain ?
Comment évoluent les choses de ce point de vue là selon vous ?
Certains d’entre nous, dont moi-même, avons eu la chance de voyager au Venezuela d’Hugo Chavez et de pouvoir participer et étudier de près l’expérience des télés associatives qui sont en pleine éclosion. Il est intéressant de voir que la Révolution Bolivarienne a ouvert un front dans le paysage audiovisuel. Il est maintenant rejoint par des milliers de nouvelles télés associatives partout en Amérique Latine, qui vit sa deuxième indépendance et réveil de la société civile. Le Venezuela a déjà mis deux satellites de télécommunications en orbite et la Bolivie d’Evo Morales aura bientôt le sien, cela au service, entre autres, du mouvement des télés communautaires. Une législation qui délimite équitablement le spectre de diffusion hertzien entre le secteur privé, public et communautaire est déjà une réalité en Argentine et verra le jour dans d’autres pays de la région. Bref, c’est un des phénomènes des plus intéressants de notre histoire contemporaine.
Chez nous, c’est pour l’instant un peu plus morose, il y a une pente sur laquelle les écoles de cinéma sont en train de glisser, c’est une tendance générale qui penche vers la fiction commerciale au détriment du cinéma de réalité. Du côté néerlandophone c’est pareil, avec une version télévisuelle plus accentuée. C’est bien-sûr plus lucratif, cela attire plus les étudiants-clients… Pourtant en Belgique nous pouvons être fier de nombreuses expériences issues d’une ligne réalité largement primée et admirée dans le monde entier : les frères Dardenne, Henry Stork, Paul Meyer, etc. Dans ce sens, nous collaborons beaucoup avec Thierry Odeyn, professeur et fondateur avec Michel Khleifi de la de la ligne réalité à l’INSAS (école de cinéma à Bruxelles) qui influence et nourrit positivement nos travaux. Il faut lui rendre hommage car il est littéralement notre bibliothèque vivante, d’une générosité sans bornes et sincère, un grand pédagogue ayant une vision aiguisée du paysage cinématographique, il éclaire nos pratiques et notre boussole.
Zin TV est dans un processus évolutif, nous nous institutionnalisations peu à peu et consolidons le projet, de manière prudente, car ce que nous avons crée reste fragile, ça nous échappe même. C’est pour cela que nous nous sommes associés à des partenaires qui nous permettent de rendre possible notre action. Mais, nous faisons tout pour que ce projet devienne irréversible.
Vous indiquez dans votre brochure qu’ « Une écriture, une mise en scène ou une investigation demande une « vitesse de production » plus lente ». Avez-vous un point de vue sur le productivisme ?
En pratique, chez Zin TV, on ne cherche surtout pas à brûler les étapes, il n’y a aucune raison. Le cadre pédagogique nous permet de fonctionner par tâtonnement, ou l’on essaye et corrige, tant que l’on arrive à de la qualité. Si l’on commence à produire du contenu rien que pour remplir de l’espace c’est un mauvais signe, ça signifie qu’on ne répond plus à une nécessité. Le jour où l’on fonctionnera en pilotage automatique, il faudra que l’on vienne nous réveiller. Par contre intensifier une production et respecter des deadlines, s’il faut le faire, nous sommes prêt à le faire car c’est justifié.
Si ta question est plus d’ordre idéologique, de manière générale nous n’avons pas d’orientation politique unique ou univoque. Notre projet c’est de créer un espace de participation citoyenne réel, et un tel espace ne peut pas être mis sous tutelle ni par l’État, ni par une avant-garde marxiste-léniniste, ni par une église, ni une entreprise privée, sinon cet espace de pouvoir citoyen sera tout simplement avorté. C’est un espace fragile où il est nécessaire que les idées citoyennes soient débattues, toutes avec respect et sans complexes. Il s’agit de créer une nouvelle culture politique, celle marquée par le terrain, celle de la démocratie participative, celle de l’action collective, celle qui sera au mieux socio-productive, mais qui dépasse les vieux schémas qui condamnent toute idée de gauche au siècle passée.
C’est aussi pour nourrir et contribuer à l’émergence de cette nouvelle culture politique que Zin TV s’est ouvert au monde et travaille en réseau avec des partenaires de différents pays, surtout avec l’Amérique Latine. En 2011, nous avons accompagné la délégation des dirigeants étudiants chiliens venus au Parlement Européen. Dans leur pays ils sont sous les feux des projecteurs et la vidéo que nous avons réalisée a eu un impact énorme là-bas. Comme quoi, nous pouvons aussi donner un petit coup de pouce aux camarades en lutte à l’autre bout de la planète. Nous travaillons également avec Poadane, des vidéastes Kanaks en Nouvelle-Calédonie, ALBA TV et VIVE TV au Venezuela. Là, nous tournons un film au Burkina-Faso ou nous travaillons avec des communautés déplacées par une transnationale d’exploitation aurifère. Nous travaillons également en Belgique, entre autres, avec le Festival International du Film Documentaire Millenium, les Comités Action Europe contre l’austérité que nous suivons dès leur début, etc. Voilà, le reste est sur notre site internet et dans les coulisses… Tout cela est franchement passionnant et réunit des personnes extraordinaires, alors qu’on nous dessinait une vie sans horizon.
Propos recueillis par JBG, relus et corrigés par Ronnie Ramirez.
Zin TV lance un appel aux volontaires pour se joindre à des projets en cours, ou même à proposer.
Il suffit d’envoyer vos coordonnées (nom, prénom, mail, gsm ou téléphone) à : zamis@zintv.org
Vous serez ainsi régulièrement informés des demandes.
Quelques projets proposés :
• Rédaction du séminaire « Réalité Point de Vue » de Thierry Odeyn, nous cherchons des volontaires pour retranscrire deux semaines de séminaires. Cet ouvrage fera l’objet d’une future publication.
• Traduction de l’ouvrage de Jorge Sanjinés. « Théorie et Pratique d’un cinéma auprès du peuple » est un classique qui n’existe pas encore en français et ne fait que 120 pages. L’ambassade de la Bolivie à Bruxelles est prête à nous soutenir dans la publication. Nous cherchons des traducteurs Espagnol > Français. (Néerlandais, c’est pas de refus).
• Une liste de permanence vidéo pour les luttes sociales est également ouverte, pour la rejoindre il suffit de s’y inscrire. Si vous ne dominez pas le matériel audiovisuel, vous êtes invité à vous inscrire dans notre formation au reportage social.
• Zin TV accueille également des étudiants en communication ou cinéma en recherche de stages