Maroc, la révolution qui vient

Depuis 8 mois, la mobilisation populaire s’est installée dans le Rif. Déclenchée en réaction à la mort de Mouhcine Fikri, le mouvement s’est enraciné et organisé.

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Le Maroc, loin d’être une excep­tion his­to­rique, tra­verse une com­bi­nai­son et accu­mu­la­tion des contra­dic­tions qui, bien que conte­nues pério­di­que­ment, refont sur­face à un niveau plus aigu. La séquence actuelle confirme la longue durée des pro­ces­sus révo­lu­tion­naires, au-delà des phases de reflux, et la pro­fon­deur de la crise poli­tique et sociale. Depuis 8 mois, la mobi­li­sa­tion popu­laire s’est ins­tal­lée dans le Rif. Déclen­chée en réac­tion à la mort de Mouh­cine Fikri[[Mouhcine Fikri était un ven­deur de pois­son dont la mar­chan­dise a été confis­quée par les auto­ri­tés et jetée dans une benne à ordure. En vou­lant la récu­pé­rer, il s’est fait broyé]], le mou­ve­ment s’est enra­ci­né et orga­ni­sé.

Un ensemble de fac­teurs expliquent la durée, la radi­ca­li­té et la mas­si­fi­ca­tion de la mobilisation :

la pla­te­forme reven­di­ca­tive du mou­ve­ment popu­laire (du « Hirak ») a su tra­duire les aspi­ra­tions des couches popu­laires : la fin de la cor­rup­tion, la construc­tion d’hôpitaux, d’universités, de ser­vices publics, de pro­jets utiles pour la région et créa­teurs d’emploi, la pro­mo­tion d’équipements cultu­rels et de loi­sirs, l’arrêt des expro­pria­tions des terres col­lec­tives et de la main­mise des maf­fias mari­times et fores­tières liées à l’appareil d’état. Ega­le­ment, le désen­cla­ve­ment de la région, la levée de la mili­ta­ri­sa­tion qui régit la région depuis la fin des années 50, la jus­tice et la véri­té pour les cinq jeunes cal­ci­nés durant le M20F, la condam­na­tion pénale des vrais res­pon­sables de l’assassinat de Mouh­cine Fikri, la libé­ra­tion des déte­nus. Son éla­bo­ra­tion a pu recueillir les doléances des dif­fé­rentes caté­go­ries sociales et s’appuyer sur des méca­nismes par­ti­ci­pa­tifs. Elle est le fon­de­ment de l’unité d’action et intègre des reven­di­ca­tions spé­ci­fiques des popu­la­tions du dépar­te­ment, por­tées par les comi­tés locaux du mou­ve­ment populaire.

Elle a été adop­tée la nuit du 5 Mars sur la place publique en pré­sence de mil­liers de manifestants. 

Elle indique trois élé­ments essentiels :

le moteur des luttes popu­laires larges, y com­pris dans leur dimen­sion démo­cra­tique, s’appuie en der­nier res­sort, sur les pré­oc­cu­pa­tions immé­diates et les ques­tions sociales concrètes

la confron­ta­tion poli­tique a lieu quand la lutte pour la satis­fac­tion des besoins élé­men­taires prend un carac­tère de masse, s’oppose concrè­te­ment aux poli­tiques glo­bales du pou­voir, à son appa­reil gou­ver­ne­men­tal et répressif.

l’appropriation des contes­ta­taires de leurs propres luttes et reven­di­ca­tions contri­bue à la per­ma­nence et carac­tère de masse de l’action

l’indépendance poli­tique : le mou­ve­ment popu­laire actuel est dans un rap­port de défiance, en pre­mier lieu, face aux par­tis du sys­tème vécus comme des relais au ser­vice du clien­té­lisme, de la pré­da­tion, du racket, de l’autoritarisme et de la cor­rup­tion, mais aus­si vis-à-vis des cou­rants oppo­sés au pou­voir. Cela ren­voie en par­tie au refus d’être para­ly­sé par des cli­vages poli­tiques et une manière de pré­ve­nir les batailles de contrôle sur le mouvement. 

Il y a une leçon apprise de l’expérience du Mou­ve­ment du 20 Février : ce der­nier, mal­gré une base popu­laire, n’a jamais pu construire une direc­tion orga­nique et s’est trou­vé en par­tie, sur­dé­ter­mi­né, par les approches des forces orga­ni­sées (et de leurs contra­dic­tions). Il y a aus­si, les oppo­si­tions ins­tal­lées entre les cou­rants cultu­rels et poli­tiques ama­zi­ghes et la gauche. Cette der­nière est mar­quée par un faible enra­ci­ne­ment dans les quar­tiers popu­laires, un dis­cours glo­bal plus idéo­lo­gique qu’ancré dans le vécu et la langue des masses, des guerres intes­tines, des concep­tions orga­ni­sa­tion­nelles dépas­sées, un ancrage dans des orga­ni­sa­tions sociales et syn­di­cales en crise, affai­blies ou dis­cré­di­tés. Ce rap­port dis­tan­cié pour des motifs variables n’est pas signe d’apolitisme. Mais La lutte actuelle sanc­tionne un rap­port déter­mi­né entre les par­tis et le mou­ve­ment social. 

En réa­li­té, le « HIRAK » inau­gure une nou­velle séquence : faire pré­ci­sé­ment de la poli­tique à par­tir des luttes, de la ques­tion sociale et par en bas. Il avance à par­tir de sa propre expé­rience, for­mule des objec­tifs, des reven­di­ca­tions, des tac­tiques de luttes, désigne des adver­saires, construit son propre agen­da et récit, en cher­chant à main­te­nir l’unité d’action popu­laire. Ce pro­ces­sus par en bas, au cœur de l’expérience col­lec­tive de confron­ta­tion face au pou­voir, nour­rit une poli­ti­sa­tion bien plus large et pro­fonde, que l’action orga­ni­sée menée depuis des décennies.

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L’auto orga­ni­sa­tion popu­laire : une des par­ti­cu­la­ri­tés du mou­ve­ment actuel est qu’il repose sur des commissions/ comi­tés d’action liés aux habi­tants. Ces comi­tés, divers dans leurs formes, fonc­tions, implan­ta­tion, fonc­tionnent au moins par­tiel­le­ment, comme un cadre d’expression directe des aspi­ra­tions des masses et de leur volon­té de lutte. Il y a un pro­ces­sus d’organisation en ges­ta­tion qui tranche avec les fonc­tion­ne­ments clas­siques des struc­tures asso­cia­tives, syn­di­cales, poli­tiques, où la parole, la déci­sion, l’interprétation des motifs et de l’agenda de la lutte, étaient cana­li­sés dans des cadres res­treints. La défiance par rap­port aux média­tions directes ou indi­rectes du pou­voir est « organisée ». 

Ce pro­ces­sus assoit la légi­ti­mi­té de la lutte et met en en échec les manœuvres du régime. En excluant les struc­tures du mou­ve­ment de toute négo­cia­tion, les auto­ri­tés se sont appuyés sur des ins­ti­tu­tions reje­tées et peu cré­dibles. Il n’existe plus de « cadre de dia­logue » capable d’institutionnaliser la lutte et les reven­di­ca­tions en échange de conces­sions for­melles et de promesses[[Le pou­voir ne peut accep­ter de dia­lo­guer avec les repré­sen­tants du mou­ve­ment popu­laire. Il est orga­ni­que­ment hos­tile à un dia­logue qui tra­duit un rap­port de force issu des mobi­li­sa­tions. Et il ne peut accep­ter de légi­ti­mer les formes poli­tiques et sociales de la contes­ta­tion et de leur repré­sen­ta­tion. Le faire, c’est recon­naitre la pos­si­bi­li­té d’émergence d’expressions poli­tiques et sociales indé­pen­dantes, qui sortent du cadre d’allégeance induit par la façade démo­cra­tique et les méca­nismes d’intégration du pou­voir. C’est affir­mer que demain, d’autres formes de contre-pou­voir issues de la socié­té, recon­nues par le peuple, peuvent être légi­times. Le refus de dia­lo­guer avec les repré­sen­tants du Hirak a des rai­sons pro­fon­dé­ment politiques]].

Le paci­fisme — la lutte actuelle se veut paci­fique. Ce choix tra­duit aus­si une lec­ture lucide des rap­ports de forces : on ne s’affronte pas à mains nues et avec des pierres, face à des corps répres­sifs qui ont les moyens d’écraser un sou­lè­ve­ment de quelques mil­liers ou mêmes de dizaines de mil­liers de per­sonnes. La mémoire col­lec­tive du peuple rifain porte les traces des répres­sions san­glantes qui ont émaillé son his­toire. Il s’agit par ce choix, de garan­tir les condi­tions d’une par­ti­ci­pa­tion popu­laire, comme élé­ment cen­tral de la construc­tion d’un rap­port de force sur la durée. De mener éga­le­ment la lutte vis-à-vis de l’opinion publique locale et inter­na­tio­nale sur le fait que les res­pon­sables de la « fit­na » ( « le désordre ») sont ceux qui imposent la mar­gi­na­li­sa­tion, la Hogra, la néga­tion des droits élé­men­taires, la répres­sion et la misère. Main­te­nir des mobi­li­sa­tions paci­fiques et impo­ser le droit de mani­fes­ter contre le har­cè­le­ment, le blo­cage des forces de l’ordre est un des élé­ments du mou­ve­ment. Il est néces­saire, au-delà des élé­ments qui expliquent la per­ma­nence et le carac­tère de masse du sou­lè­ve­ment, d’en voir les res­sorts pro­fonds et le sens général.

De quoi le sou­lè­ve­ment du RIF est-il le nom ?

Il faut rele­ver des dyna­miques sociales et ter­ri­to­riales spé­ci­fiques qui accom­pagnent et struc­turent la mobilisation :

C’est le pro­lé­ta­riat infor­mel, la jeu­nesse pré­ca­ri­sée, sco­la­ri­sée ou non, coa­gu­lés aux couches de la petite bour­geoi­sie labo­rieuse, qui consti­tuent l’épicentre social de la contes­ta­tion popu­laire. Celle-ci est à son tour irri­guée des pay­sans pauvres et mar­gi­na­li­sés. Cet ensemble social sou­lève la région et prend racine dans l’espace public. Les quar­tiers popu­laires deviennent le lieu prin­ci­pal d’organisation de la contes­ta­tion. Lorsque celle-ci déborde sur les lieux de tra­vail au sens large, c’est en lien avec cette dyna­mique principale.

Les inéga­li­tés ter­ri­to­riales ne sont pas seule­ment liées aux formes d’exclusion liées à la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste, ou aux effets mul­ti­pliés des poli­tiques de pré­da­tion. Elles sont aus­si des pro­ces­sus sociaux, cultu­rels et poli­tiques. L’ostracisme his­to­rique impo­sé à la région du Rif a den­si­fié et cor­ré­lé la mar­gi­na­li­sa­tion éco­no­mique, les dis­cri­mi­na­tions cultu­relles envers l’identité ama­zi­ghe, l’arbitraire poli­cier ins­ti­tu­tion­na­li­sé, cris­tal­li­sant ain­si un maillon faible du sys­tème de domi­na­tion. Sous des formes variables, cette don­née tra­verse d’autres régions du « Maroc inutile ». Ce der­nier, relé­gué à la marge, devient un fac­teur déter­mi­nant ou cen­tral de la contes­ta­tion glo­bale. Les marges et les péri­phé­ries consti­tuent une plaque sen­sible des contra­dic­tions qui tra­versent l’ensemble de la société.

Les luttes popu­laires s’inscrivent dans l’espace public et des ter­ri­toires concrets qui ont leur his­toire et leur mémoire. Le Rif, c’est une mémoire tis­sée dans une his­toire de résis­tances popu­laires : de la Répu­blique du Rif (1921 – 1927) à la des­truc­tion de l’Armée de Libé­ra­tion du Nord au len­de­main de l’indépendance et l’assassinat de ses diri­geants ( Abbas Mes­sâa­di ), l’insurrection matée au len­de­main de l’indépendance ( 1958 – 1959 [[En 1958 la répres­sion fut menée par Has­san II, alors prince héri­tier et le sinistre Ouf­kir. Entre 5000 et 10000 morts sont esti­més, sans comp­ter la des­truc­tion des récoltes et des terres, les viols. Cet épi­sode reste gra­vé dans la mémoire col­lec­tive. En 1984, la révolte popu­laire contre les poli­tiques d’ajustement struc­tu­rel a fait dire à Has­san 2 que les rifains étaient des « apaches » et leur a rap­pe­lé ce qu’il leur en a coû­té de se révol­ter par le pas­sé. Là aus­si on a eu d’innombrables morts, des enlè­ve­ments, des tor­tures à la chaine, des arres­ta­tions de masses]]) , ou à la hargne de l’Etat en 1984 contre le « awbachs ». Il faut se rap­pe­ler aus­si, le trai­te­ment des consé­quences du trem­ble­ment de terre en 2004, avec plus de 800 morts et 15000 sans-abris, révé­la­teur du mépris ins­ti­tu­tion­na­li­sé. De même, les vic­times durant le M20F retrou­vées mortes cal­ci­nées et dépo­sées dans une banque, l’interdiction de mani­fes­ter éta­bli de fait en 2012 pour tous les mou­ve­ments sociaux, l’assassinat de mili­tants , la volon­té de dis­lo­quer l’unité cultu­relle de la région par un décou­page admi­nis­tra­tif dont la seule ratio­na­li­té est sécu­ri­taire. Il faut avoir en tête la bana­li­sa­tion de la mili­ta­ri­sa­tion, au-delà du décret qui l’a ins­tau­ré, par les mul­tiples bar­rages quo­ti­diens et le poids spé­ci­fique de la gen­dar­me­rie, le niveau par­ti­cu­liè­re­ment éle­vé de la cor­rup­tion dans l’ensemble des admi­nis­tra­tions publiques et sécu­ri­taires, le sys­tème de racket impo­sé sur la contre­bande infor­melle, la lutte contre la culture du can­na­bis des familles pay­sannes au pro­fit de la maf­fia liée à l’appareil d’état et l’armée. Éga­le­ment la des­truc­tion des res­sources mari­times et les déré­gu­la­tions du sec­teur qui affectent des mil­liers de familles, la spo­lia­tion des terres, le niveau de chô­mage, un des plus éle­vés du pays, alors que les aides depuis 2008 pro­ve­nant de l’émigration ont consi­dé­ra­ble­ment baissé.[[La région, au moment de l’indépendance, qui comp­tait 53 usines, notam­ment dans l’agro-alimentaire et la conserve de pois­sons, n’en compte plus qu’une seule. Un quart des familles vit grâce aux trans­ferts des émi­grés.]] Tous ces élé­ments ont nour­ri, sur le temps long, une mémoire et une iden­ti­té spé­ci­fiques de résis­tance avec des racines dans le sub­strat cultu­rel et linguistique

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La construc­tion d’un récit popu­laire alternatif

La mobi­li­sa­tion affirme un pro­ces­sus de réap­pro­pria­tion de la mémoire col­lec­tive et his­to­rique. Elle recourt au pas­sé et à ses sym­boles, comme des éten­dards de la lutte au pré­sent. Les bles­sures muettes ou ouvertes du peuple du Rif sonnent, comme un appel à une per­sé­vé­rance his­to­rique ‚et la lutte actuelle, résonne comme une fidé­li­té à la mémoire des vain­cus d’autrefois. Aucune lutte qui pré­pare l’avenir ne peut oublier d’où elle vient, et de contes­ter l’adversaire y com­pris sur le ter­rain de l’imaginaire, de la langue et du sym­bo­lique. L’utilisation mas­sive de la langue rif­fia n’est pas que l’usage de la langue mater­nelle pour faci­li­ter la com­mu­ni­ca­tion, elle est un défi au pou­voir qui, au-delà de sa façade cultu­relle pro­lon­geant sa façade démo­cra­tique, reste orga­ni­que­ment hos­tile aux spé­ci­fi­ci­tés cultu­relles de notre peuple et ses iden­ti­tés multiples[[La « langue du pou­voir » occulte le fait que « ses sujets » au Rif n’ont pas la même langue. Il est aus­si signi­fi­ca­tif que les ser­vices répres­sifs inter­disent aux familles des déte­nus de s’exprimer en en rif­fia dans les parloirs]]. 

L’utilisation du dra­peau de la répu­blique du Rif ou du dra­peau ama­zigh n’est pas le signe d’une cris­pa­tion iden­ti­taire mais un sym­bole de la lutte qui ne se sou­met pas à la stig­ma­ti­sa­tion, la défaite et l’oubli que veut impo­ser le des­po­tisme depuis des décen­nies. La filia­tion reven­di­quée avec le com­bat d’Abdelkrim El Khat­ta­bi [[Le com­bat d’Abdelkrim al khat­ta­bi a contri­bué à inau­gu­rer le cycle des luttes de libé­ra­tion natio­nale. Les formes de gué­rilla adop­tées ont impo­sé des défaites aux armées colo­niales. Ain­si à la bataille d’Anoual, l’armée pay­sanne rifaine, forte de 3000 hommes, met hors de com­bat 16000 sol­dats de l’armée espa­gnole. La répu­blique ins­tau­rée était éga­le­ment une néga­tion en acte des formes poli­tiques du pou­voir domi­nant du sul­tan et des caïds, relais locaux de l’ordre colo­nial, et une menace directe de leurs inté­rêts. Il a fal­lu l’alliance du colo­nia­lisme espa­gnol et fran­çais, l’envoi de 400000 hommes menés par le maré­chal Pétain, l’utilisation inten­sive des bom­bar­de­ments aériens contre les civils et celle, mas­sive des gaz chi­miques, pour mater la rébel­lion. Abdel­krim exi­lé est mort en en Egypte. Sa dépouille n’a jamais été rapatriée.]]réactive la résis­tance contre les des­cen­dants de ceux, qui à l’époque, liaient leur sort au colo­nia­lisme mais aus­si la capa­ci­té de résis­ter contre un adver­saire mille fois plus puissant. 

La fameuse for­mule qui orne les ban­de­roles : « Vous êtes un gou­ver­ne­ment ou un gang ? » est de lui et n’a pas per­du de sa véra­ci­té, face au gang de pré­da­teurs maf­fieux qui dirige le pays. L’appel à une mani­fes­ta­tion monstre le 20 juillet, date anni­ver­saire de la bataille d’Anoual, est tout un sym­bole. Ce qui est reven­di­qué est une his­toire refou­lée par le pou­voir actuel qui donne au sou­lè­ve­ment actuel une por­tée poli­tique plus vaste qu’un simple mou­ve­ment reven­di­ca­tif [[Ce lien entre le pas­sé et le pré­sent passe par­fois par des voies inat­ten­dues. Une des reven­di­ca­tions du mou­ve­ment est la construc­tion d’un hôpi­tal d’oncologie réel­le­ment équi­pé et adap­té à la diver­si­té des can­cers qui frappent cette région, de géné­ra­tion en géné­ra­tion, en rai­son des effets muta­gènes et can­cé­ri­gènes de la guerre chi­mique menée par les forces colo­niales pen­dant la guerre du RiF. 

Toutes les familles ont des proches concer­nées. La non recon­nais­sance du lourd tri­but payé par la popu­la­tion du Rif lors des luttes anti­co­lo­niales par le pou­voir revient en boo­me­rang aujourd’hui.]]. Ce récit popu­laire alter­na­tif oppo­sé au récit offi­ciel impose une rup­ture radi­cale avec les concep­tions domi­nantes de l’unité natio­nale et de la figure de l’Etat.

Le peuple du Rif existe bel et bien comme com­po­sante du peuple maro­cain avec la conscience de sa spé­ci­fi­ci­té his­to­rique, cultu­relle et poli­tique. Affir­mer cela ce n’est pas ver­ser dans la défense d’un état sépa­ré du Rif pour des rai­sons eth­niques, ni cher­cher à créer des contra­dic­tions au sein du peuple, qui quelle que soit la région et sa langue, a un adver­saire prin­ci­pal com­mun : le pou­voir et la classe domi­nante. Mais on ne peut à l‘inverse nier qu’une large par­tie des mani­fes­tants actuels trouve un res­sort à leur résis­tance dans une his­toire qui leur est propre. Il n’y a aucune contra­dic­tion entre sou­te­nir le mou­ve­ment actuel dans ses dimen­sions cultu­relles, sociales, démo­cra­tiques, construire une oppo­si­tion glo­bale, sociale et popu­laire dans l’ensemble du pays et appuyer le droit du peuple rifain à s’auto admi­nis­trer, à refu­ser les formes de cen­tra­li­sa­tion jaco­bines et auto­ri­taires, à affir­mer de fait que le peuple maro­cain est tra­ver­sé d’identités mul­tiples dont la recon­nais­sance est la condi­tion de son uni­té et éman­ci­pa­tion. Cette recon­nais­sance implique la construc­tion d’un Etat fédé­ral démo­cra­tique et laïque réa­li­sant les auto­no­mies natio­nales-cultu­relles des régions oppri­mées et dotées de larges pré­ro­ga­tives en termes d’auto-administration.

La digni­té comme fac­teur moral du sou­lè­ve­ment : La lutte contre la Hogra est l’expression concrète de la lutte pour la digni­té indi­vi­duelle et col­lec­tive. La digni­té a bien sûr un fon­de­ment social et maté­riel : la mar­gi­na­li­sa­tion et l’arbitraire qui reviennent à consi­dé­rer des frac­tions de la popu­la­tion comme sans huma­ni­té, sans droits et aux­quelles on demande d’accepter la sur­vie et le mépris, de la nais­sance à la mort. C’est le refus de cette déshu­ma­ni­sa­tion où la vie de n’importe qui peut finir dans une benne à ordure qui est le ciment moral de la contes­ta­tion actuelle. La reven­di­ca­tion de la digni­té consti­tue l’antagonisme éthi­co-poli­tique à leur monde de pré­da­tion, de cor­rup­tion et de répres­sion. Elle est cette part d’irréductible non négo­ciable qui sur­vit aux défaites, ali­mente la légi­ti­mi­té du sou­lè­ve­ment, le refus de céder face aux rap­ports de forces et armes des puis­sants. Quand le peuple est vain­cu, mépri­sé, il lui reste sa digni­té pour ren­ver­ser la défaite et conju­rer le sort qui lui est fait. La rébel­lion rifaine est tra­ver­sée par un sen­ti­ment col­lec­tif du refus et une soif de chan­ge­ment plus large que la défense de reven­di­ca­tions maté­rielles. La digni­té devient une reven­di­ca­tion en tant que telle et opère comme un puis­sant fac­teur de délé­gi­ti­ma­tion de l’ordre établi.

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Vers une crise de l’hégémonie du pouvoir ?

Le pou­voir a cher­ché à divi­ser et iso­ler la mobi­li­sa­tion pen­sant que le temps joue­rait en sa faveur. En réa­li­té, La contes­ta­tion a dévoi­lé une crise de la façade démo­cra­tique, de ses relais ins­ti­tu­tion­nels, des dis­po­si­tifs hégé­mo­niques des dominants :

Les par­tis du sys­tème, lar­ge­ment dis­cré­di­tés, n’ont aucune assise sociale autre que clien­té­liste. Asso­ciés à la ges­tion d’un sys­tème répres­sif, cor­rom­pu, leurs dis­cours ne sont que la mise en forme des injonc­tions du minis­tère de l’intérieur. La crise poli­tique n’a pas com­men­cé ces der­niers mois, mais la mobi­li­sa­tion l’a fait appa­raitre ouver­te­ment. Le sys­tème poli­tique offi­ciel est contes­té dans les urnes par un boy­cott mas­sif et dans la rue. Les péri­pé­ties qui ont accom­pa­gné la for­ma­tion du nou­veau gou­ver­ne­ment ont fait la démons­tra­tion que le peuple n’est pas repré­sen­té. Les par­tis ne sont rien d’autre que des exé­cu­tants dociles, l’antichambre du clien­té­lisme et des gra­ti­fi­ca­tions royales Ce sys­tème n’est pas en capa­ci­té de res­pec­ter même l’artifice de sa propre façade [[Les élec­tions de novembre 2016 boy­cot­tées ou bou­dées mas­si­ve­ment ont été sui­vies d’un blo­cage qui a duré plu­sieurs mois dans la consti­tu­tion du gou­ver­ne­ment. Le pou­voir a refu­sé la recon­duc­tion de Ben­ki­rane, ancien chef du gou­ver­ne­ment ( 2011 – 2017) et lea­der du Par­ti jus­tice et déve­lop­pe­ment ( PJD), mal­gré la vic­toire rela­tive du par­ti isla­miste, inter­ve­nant pour impo­ser un autre homme de cette for­ma­tion dans le cadre d’une com­po­si­tion poli­tique où les par­tis admi­nis­tra­tifs ont plus de poids.]]. Il n’y a plus de forces poli­tiques qui peuvent vendre la pos­si­bi­li­té de réformes dans le cadre de la conti­nui­té, à l’instar du PJD il y a quelques années, ou de l’USFP aupa­ra­vant. La monar­chie a épui­sé ses média­tions à force de domes­ti­quer le champ social et poli­tique en ne lui lais­sant aucune autonomie.

Ce n’est pas un hasard que le mou­ve­ment actuel refuse de négo­cier avec les res­pon­sables gou­ver­ne­men­taux, les élus, les offi­cines poli­tiques et s’adresse direc­te­ment à la monar­chie. Ce qui est mis au-devant de la scène, c’est le dévoi­le­ment de la façade : le monarque est le pou­voir réel. Une nou­velle séquence, en termes d’horizon poli­tique, com­mence à être posée et qui aura un effet majeur sur les pers­pec­tives d’ensemble, quelle que soit l’issue de cette lutte. Lorsque les demandes sociales et démo­cra­tiques sont adres­sées direc­te­ment à la monar­chie qui n’a même plus de fusibles à pré­sen­ter, elle devient la cible poten­tielle. Ce qui est nou­veau, ou du moins se mani­feste avec une nou­velle ampleur, c’est la com­bi­nai­son de la crise sociale et de la crise poli­tique. Les par­tis du sys­tème, la socié­té civile offi­cielle, les cor­po­ra­tions syn­di­cales, les dif­fé­rentes manœuvres visant à coop­ter, cor­rompre ou mena­cer des ani­ma­teurs de la lutte n’ont plus d’effet de cana­li­sa­tion. Le pou­voir est contes­té dans ses relais locaux, dans ses dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions, dans son dis­cours offi­ciel mais il est aus­si mis en situa­tion de res­pon­sa­bi­li­té réelle.

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Autre fait qui a son impor­tance sym­bo­lique et poli­tique. La vague de répres­sion actuelle a été ini­tiée après l’interruption du ser­mon d’un imam offi­ciel tenu contre le Hirak[[Il y a eu des « khot­bas (ser­mons reli­gieux) visant à atta­quer au mou­ve­ment et ses ani­ma­teurs accu­sés « d’incitation à la déso­béis­sance et au trouble, usant du men­songe, de la trom­pe­rie et de la super­che­rie et la mani­pu­la­tion des médias pour des mobiles indignes et des objec­tifs mal­hon­nêtes ».]]. Ces ser­mons ont été dic­tés par le minis­tère des affaires isla­miques, « minis­tère de sou­ve­rai­ne­té » dépen­dant exclu­si­ve­ment du Roi. Un des lea­ders de la contes­ta­tion, Nas­ser Zef­za­fi posait la ques­tion de savoir si « les mos­quées sont la mai­son de dieu ou celle du Makh­zen ? ». Depuis les mani­fes­tants boy­cottent les prières dans les mos­quées du pou­voir. C’est sans doute la pre­mière fois que la contes­ta­tion s’immisce, sous cette forme, dans l’un des dis­po­si­tifs les plus ancrées de la légi­ti­ma­tion pré moderne de la monar­chie, où le roi s’affirme comme « com­man­deur des croyants ». Elle pose de fait une cri­tique en acte de la reli­gion offi­cielle ins­tru­men­ta­li­sée par le pou­voir. Par ailleurs, ce n’est un secret pour per­sonne, le dis­cours de la contes­ta­tion puise non pas dans les réfé­rents théo­lo­giques de l’islam poli­tique orga­ni­sé ou d’Etat, mais dans les res­sorts cultu­rels de l’islam popu­laire mis au ser­vice des luttes sociales et démo­cra­tiques. Il ne s’agit pas d’un dis­cours reli­gieux, mais d’un dis­cours poli­tique laïc dans son conte­nu social et démo­cra­tique et les expli­ca­tions ration­nelles des motifs de la lutte mais qui s’irrigue, en par­tie, de la reli­gion comme culture et langue inté­grée dans le vécu popu­laire. Cette sym­biose est cor­ro­sif pour le pou­voir en place et de son mono­pole de la repré­sen­ta­tion et inter­pré­ta­tion de la reli­gion. C’est donc autant les élé­ments de légi­ti­mi­té moderne de la façade démo­cra­tique que tra­di­tion­nelle qui sont fis­su­rés par la contes­ta­tion actuelle. Le dis­po­si­tif hégé­mo­nique du pou­voir est en train d’entrer en crise et il est inca­pable de fabri­quer du « consen­te­ment » ou de nou­veaux consen­sus légi­ti­mant à la fois ses poli­tiques anti­po­pu­laires et répressives

Le Roi est nu et n’a que son bou­clier sécu­ri­taire mais la peur du makh­zen a lar­ge­ment recu­lé. Répri­mer fron­ta­le­ment, pro­vo­quer un mas­sacre, c’est prendre un double risque : celui d’un embra­se­ment géné­ral, avec en pers­pec­tive l’effondrement de la façade démo­cra­tique. La monar­chie devien­drait la cible directe. L’image d’un royaume stable sur l’échiquier régio­nal, « en tran­si­tion démo­cra­tique », en mesure de res­pec­ter dans un contexte de paix sociale, les condi­tions exi­gées par le FMI et les mul­ti­na­tio­nales, vole­rait en éclat. Les res­sources externes à la repro­duc­tion de la domi­na­tion sur le plan interne se trou­ve­raient affai­blies, remises en cause et se com­bi­nant à des pro­ces­sus ouverts de délé­gi­ti­ma­tion interne. La nature même de la pro­pa­gande contre le Hirak est révé­la­trice : la théo­rie du com­plot étran­ger légi­time la répres­sion et révèle, que face aux ten­sions sociales, le pou­voir ne véhi­cule plus la pro­messe d’un chan­ge­ment social et d‘une auto reforme. Le mythe d’une uni­té natio­nale mena­cée sonne creux tel­le­ment les injonc­tions sont mul­tiples : un jour le mou­ve­ment serait à la botte des ser­vices secrets algé­riens, un autre il serait finan­cé par le Poli­sa­rio, une autre­fois des accoin­tances exis­te­raient avec le chiisme, sur fond de lourds motifs d’inculpation et de sus­pi­cion. Ce dis­cours de fabrique de « l’ennemi inté­rieur » se nour­rit d’une réac­ti­va­tion d’un racisme cultu­rel latent. Le pou­voir en crise n’incarne plus une iden­ti­fi­ca­tion posi­tive per­met­tant de tem­po­ri­ser les attentes qui émergent de la socié­té. Les illu­sions tombent. Le masque de la façade démo­cra­tique se cra­quèle de tout part.

Le pou­voir a per­du la bataille de la com­mu­ni­ca­tion. On ne peut plus étouf­fer à l’heure des réseaux sociaux, la réa­li­té de la contes­ta­tion et de sa parole. Les medias aux ordres ne sont plus en mesure d’invisibiliser et de détour­ner le sens des révoltes popu­laires, et quand ils le font, ils ren­forcent la convic­tion que ce sys­tème n’est pas prêt au dia­logue, ni à se refor­mer, parce qu’il ment et le men­songe est dis­sé­quée, ana­ly­sée, contes­tée et donne des rai­sons sup­plé­men­taires à la déter­mi­na­tion d’en finir avec lui. Le double dis­cours de L’état visant d’une part à recon­naitre for­mel­le­ment et du bout des lèvres la légi­ti­mi­té des reven­di­ca­tions et de la contes­ta­tion dans le cadre défi­ni par les lois et de l’autre visant à cri­mi­na­li­ser, répri­mer et dis­cré­di­ter la mobi­li­sa­tion par tous les moyens, accen­tue la perte de cré­di­bi­li­té des annonces offi­cielles média­tiques et politiques.

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Le HIRAK Et le M20F

Nombre de mani­fes­tants actuels ont fait leurs pre­mières armes en 2011. Nombre de slo­gans sont liés à cette expé­rience. La dis­po­ni­bi­li­té à la lutte, le recul de la peur ont été ini­tiés par le M20F. Le Hirak cepen­dant, ne pré­tend pas répondre aux exi­gences d’une lutte natio­nale et ne cherche pas à s’assumer comme moteur et direc­tion d’une contes­ta­tion glo­bale, il se concentre en pre­mier lieu sur la situa­tion du RIF. Il ne reven­dique pas une consti­tu­tion démo­cra­tique mais la fin de la répres­sion et des poli­tiques d’austérité et de mar­gi­na­li­sa­tion. Il s’appuie sur la mobi­li­sa­tion directe de la popu­la­tion et une soli­da­ri­té trans­ver­sale. On a vu ain­si des dizaines de chauf­feurs de taxi assu­rer gra­tui­te­ment le dépla­ce­ment des mani­fes­tants des loca­li­tés voi­sines ou loin­taines à al Hocei­ma pour les jour­nées d’action du Hirak, la par­ti­ci­pa­tion mas­sive des petits com­merces, des arti­sans, des bou­tiques de café, dans les grèves géné­rales. Autre fait, l’unité des reven­di­ca­tions entre les zones urbaines et rurales est sans doute plus impor­tante qu’en 2011. Tous ces élé­ments n’existaient pas ou très peu lors du M20F.

L’inquiétude du pou­voir est que le Hirak puisse inci­ter d’autres popu­la­tions à reven­di­quer et que se cris­tal­lise une nou­velle vague révo­lu­tion­naire por­tée, cette fois ci, par des mou­ve­ments popu­laires sans média­tions , sans reven­di­ca­tions gérables pour le sys­tème, sans cibles secon­daires ou déri­va­tifs, plus arti­cu­lés à la popu­la­tion et aux urgences sociales dans leur glo­ba­li­té. Ce qui se pro­file est un mou­ve­ment qui tire sa légi­ti­mi­té et sa radi­ca­li­té de la lutte pour mettre fin aux poli­tiques d’austérité et de répres­sion. Lorsque les demandes sociales sont tra­duites en reven­di­ca­tions concrètes, nul alchi­mie et tour de passe-passe élec­to­rale ou consti­tu­tion­nel ne peut y répondre. Lorsque la lutte exige la fin des dif­fé­rentes formes de vio­lences de l‘Etat, elle touche l’architecture interne de l’appareil répressif. 

Quand la lutte exige la fin du règne de l’austérité, de la Hogra et de la répres­sion, elle trace des lignes de frac­ture avec l’ordre éta­bli qui ne peuvent être désa­mor­cée sur le champ institutionnel.

Le pou­voir ne peut satis­faire les reven­di­ca­tions. Le faire, c’est indi­quer que par la lutte col­lec­tive, il est pos­sible de gagner, d’encourager par­tout le niveau des reven­di­ca­tions et des exi­gences. Dans un contexte où le ras le bol est géné­ral, les attentes immenses, une conjonc­ture mar­quée depuis 2014/2015 par une mul­ti­pli­ca­tion des conflits sociaux, ce serait ouvrir la mar­mite des colères sociales accu­mu­lées. Le faire sup­pose une réorien­ta­tion glo­bale des poli­tiques publiques. Une équa­tion impos­sible pour le pou­voir asso­cié orga­ni­que­ment à un capi­ta­lisme patri­mo­nial fon­dé sur la dépos­ses­sion conti­nue, la dépen­dance et l’impunité éco­no­mique de la caste diri­geante. De simples conces­sions minimes ou for­melles, ne serait-ce que pour gagner du temps, relèvent main­te­nant d’une inef­fi­ca­ci­té poli­tique et sociale. Car des sec­teurs de la popu­la­tion ont aus­si assi­mi­lé l’expérience du 20 février et de sa suite. Les conces­sions accor­dées ne concernent pas tout le monde et sont faites pour être reniés. Les chan­ge­ments consti­tu­tion­nels ou du per­son­nel poli­tique, les élec­tions ne change rien au rap­port de l’état à la société. 

Le dia­logue social c’est échan­ger la lutte contre une pro­messe qui n’aboutit jamais. Les pro­jets de déve­lop­pe­ments ne servent que les inté­rêts de mino­ri­tés cor­rom­pues, quand ils ne sont pas aban­don­nés en cours de route. D’une cer­taine manière, le pou­voir a fait trop peu ou trop tard.[[L’envoi d’une délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle après la mani­fes­ta­tion du 18 mai sup­po­sée faire la démons­tra­tion que le gou­ver­ne­ment cherche des solu­tions a été accueillie comme il se doit. Un ouvrier du port de Hocei­ma a expli­qué au ministre de l’agriculture et de la pêche, qu’il n’avait pas le temps d’écouter (ses bali­vernes). Le ministre de l’éducation a été accueilli par des mani­fes­ta­tions, les étu­diants l’obligeant à se pré­sen­ter au milieu d’eux et à répondre à leurs inter­ven­tions, le fai­sant quit­ter pré­ci­pi­tam­ment les lieux. Le ministre de l’intérieur visi­tant une zone mar­quée par un conflit issue de l’expropriation de pay­sans dans la pro­vince de Hocei­ma, a été encer­clé par les habi­tants devant son refus de s’expliquer devant eux tous, en plein air et face aux médias. Les habi­tants ont blo­qué aux milieux de slo­gans son héli­co­ptère pen­dant deux heures. Ces faits peuvent appa­raitre anec­do­tiques mais révèlent un fait : la frac­ture entre les élites et le peuple, le recul de la peur, l’insolence rebelle des pauvres quand ils ont conscience de leurs droits.]]Sa stra­té­gie de conces­sions par­tielles, de récupération/neutralisation des direc­tions, d’éparpillement des reven­di­ca­tions, de guerre d’usure, est sans effet dur le niveau d’exigences et de mobilisations.
Par bien des aspects, le Hirak est un mou­ve­ment plus radi­cal que le M20F mais il faut sai­sir la dyna­mique de lutte comme un pro­ces­sus ouvert de radi­ca­li­sa­tion qui, de la défense des ques­tions sociales et démo­cra­tiques élé­men­taires en vient à contes­ter pro­gres­si­ve­ment la ges­tion sécu­ri­taire et poli­tique de ses demandes et de ses don­neurs d’ordre. Ce qui nour­rit cette radi­ca­li­sa­tion ce ne sont pas en soi des mots d’ordre cen­traux, mais la contra­dic­tion entre les reven­di­ca­tions por­tées et la nature répres­sive et anti­po­pu­laire du pou­voir, dans un contexte d’affrontement de masse qui passe par des phases mul­tiples. Qui peut igno­rer que nous sommes loin de la simple reven­di­ca­tion de la jus­tice pour Fikri et que le com­bat aujourd’hui est glo­bal bien que limi­tée par la situa­tion d’isolement rela­tif de la région ?

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Vers un nou­veau cycle de luttes populaires ?

La jour­née du 18 Mai, appe­lée pour contrer la pro­pa­gande du régime et réité­rer les reven­di­ca­tions du Hirak a été cou­ron­nées de suc­cès. Le dis­po­si­tif poli­cier et mili­ta­ri­sé n’a pu inter­ve­nir en rai­son de la force concrète de la mobi­li­sa­tion. La contes­ta­tion s’est enra­ci­née dans de nou­velles loca­li­tés et des appels en soli­da­ri­té avec le Rif ont eu lieu dans tout le pays. La vague répres­sive qui s’en est sui­vi le 26 Mai a visé le noyau dur de la direc­tion du Hirak, espé­rant ain­si désor­ga­ni­ser le mou­ve­ment et l’amener à se recen­trer sur la seule exi­gence de la libé­ra­tion des déte­nus et à impo­ser un « dia­logue » selon l’agenda et les canaux du pou­voir. Cette stra­té­gie n’a pas eu le suc­cès escomp­té par le pouvoir.

Le Hirak a fait émer­ger une nou­velle direc­tion civile orga­ni­que­ment lié au mou­ve­ment de contes­ta­tion, ce der­nier a pro­duit une large couche de mili­tant-es ano­nymes ayant fait leurs armes dans l’expérience de masse de la confron­ta­tion avec le pou­voir. Aucune désor­ga­ni­sa­tion fatale ne se fait sen­tir, preuve s’il en est de l’enracinement de la pro­tes­ta­tion, même si celle-ci devient plus dif­fi­cile. Par ailleurs, les ten­ta­tives de faire émer­ger une direc­tion plus conci­liante n’ont pas abou­tie en rai­son du degré de radi­ca­li­té et d’exigence du mouvement

La contes­ta­tion loin de fai­blir s’est enra­ci­née dans une acti­vi­té quo­ti­dienne. Elle a éga­le­ment sti­mu­lé la soli­da­ri­té dans tout le pays et le début d’extension géo­gra­phique au-delà du Rif. Ce sont, d’une manière désyn­chro­ni­sée, des dizaines de villes qui ont connu des appels à la mobilisation.

La répres­sion a fait émer­ger dans la lutte un mou­ve­ment de femmes à l’avant-garde du com­bat pour la libé­ra­tion des déte­nus mais aus­si comme acteur spé­ci­fique dans la mobilisation.

Il n’y aucun chan­ge­ment au niveau de la pla­te­forme géné­rale du Hirak et sa stra­té­gie actuelle. C’est l’ensemble des reven­di­ca­tions por­tées depuis plu­sieurs mois qui consti­tuent le socle de la mobi­li­sa­tion. La ques­tion de la libé­ra­tion des déte­nus, bien que deve­nue cen­trale, ne se sub­sti­tue pas à cette démarche géné­rale, mais porte à un niveau supé­rieur, la com­bi­nai­son de la lutte pour la liber­té poli­tique et la satis­fac­tion des reven­di­ca­tions sociales.

Le « dia­logue » est tou­jours refu­sé pour les mêmes (bonnes) rai­sons : tant qu’il n’y a pas de libé­ra­tion de tous les déte­nus, la levée de la mili­ta­ri­sa­tion, la recon­nais­sance des repré­sen­tants déci­dés par le Hirak lui-même. Pas plus qu’il ne s’agit d’un dia­logue en échange de l’arrêt de la mobi­li­sa­tion ou avec les per­son­nages de la façade démo­cra­tique , cor­rom­pus et sans pou­voir réel, ou pour des objec­tifs autres, que la satis­fac­tion des reven­di­ca­tions, assor­ties de méca­nismes de garan­ties et de contrôle.

Le pou­voir a été à nou­veau mis en échec sur le plan poli­tique. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la jour­née natio­nale du 11 juin. Entre le 18 mai et le 11 juin se sont suc­cé­dé les appels locaux de soli­da­ri­té, dans un contexte où le niveau de répres­sion dans le RIF a cher­ché à impo­ser une chape de plomb, ren­dant impos­sible tout rassemblement/manifestation mas­sive et empê­cher de fait, une acti­vi­té de masse quo­ti­dienne. Tout en conti­nuant la vague d’arrestation des ani­ma­teurs de la mobi­li­sa­tion (plus de 120 aujourd’hui). Les mobi­li­sa­tions dans le reste du pays ont éga­le­ment été for­te­ment répri­mées. C’est dans ce contexte que l’appel à une ini­tia­tive cen­tra­li­sée à rabat a vu le jour avec pour slo­gan fédé­ra­teur « Nous sommes un seul pays, un seul peuple, Tous contre la Hogra ».

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Cette ini­tia­tive a été sou­te­nue par un arc de force assez large regrou­pant des sec­teurs mili­tants du mou­ve­ment social, la gauche non gou­ver­ne­men­tale, les forces de la gauche radi­cale, l’opposition isla­miste indé­pen­dante, les asso­cia­tions des droits de l’homme, les coor­di­na­tions locales de sou­tien au RIF, les cou­rants ama­zighs. Son objec­tif était de contrer la pro­pa­gande du pou­voir contre le pré­ten­du sépa­ra­tisme, de situer le ter­rain du conflit sur le refus de la Hogra et des ques­tions sociales, d’apporter une soli­da­ri­té à la mobi­li­sa­tion du rif et d’exiger la libé­ra­tion des déte­nus et l’arrêt de la répres­sion. Mais der­rière ces objec­tifs, il s’agissait aus­si de véri­fier les pos­si­bi­li­tés de la construc­tion d’un mou­ve­ment au niveau natio­nal. Mal­gré le contexte du rama­dan, La mani­fes­ta­tion ouverte par le comi­té des déte­nus des familles du Rif fut un véri­table suc­cès avec une par­ti­ci­pa­tion de 100 à 150000 manifestants.
Comme lors du M20F, les orga­ni­sa­tions n’apparaissent pas en tant que telle, même si on pou­vait signa­ler la démons­tra­tion de force d’Adl Wal Ihsane (AWI [[AWI est un cou­rant de l’islam poli­tique, non recon­nue léga­le­ment mais tolé­ré, prin­ci­pal oppo­si­tion de masse au pou­voir actuel auquel elle ne recon­nait pas la légi­ti­mi­té de « com­man­deur de croyant ».]]). Mais l’essentiel est dans le fait que cette ini­tia­tive a pu uni­fier les slo­gans sur des bases pro­gres­sistes de reven­di­ca­tions des droits pour tous et toutes. Elle annonce la consti­tu­tion d’un front pour la défense des liber­tés, de la digni­té et la jus­tice sociale comme l’affirme son com­mu­ni­qué final, s’engageant dans toutes les régions du pays à construire les mobi­li­sa­tions. En tout état de cause, le pou­voir est main­te­nant confron­té à deux pro­ces­sus : le main­tien de la résis­tance popu­laire dans le rif, le réveil social et démo­cra­tique dans les autres régions du pays. C’est une nou­velle situa­tion sociale et poli­tique qui s’ouvre. L’émergence d’une dyna­mique sociale, d’un HIRAK glo­bal sera tou­te­fois un pro­ces­sus com­plexe mar­qué par l’inégalité des rythmes, des défis nou­veaux et la capa­ci­té des forces enga­gées à évi­ter les pièges ten­dues par le pou­voir, sans répé­ter les erreurs ou limites du M20F.
Les défis et enjeux des mobi­li­sa­tions actuelles

Il s’agit de mettre en cœur de la mobi­li­sa­tion les urgences sociales et démo­cra­tiques concrètes, de décli­ner la lutte contre la Hogra sur le plan local. La lutte pour « la fin du règne de la pré­da­tion, de l’austérité, de la Hogra et de la répres­sion » doit par­tir des pré­oc­cu­pa­tions immé­diates des masses popu­laires. A tra­vers cette démarche, il ne s’agit pas réduire ou de consi­dé­rer une pers­pec­tive natio­nale comme une simple addi­tion de mobi­li­sa­tions locales, mais de don­ner un conte­nu concret au com­bat pour la liber­té, la digni­té et la jus­tice sociale, en par­tant de ce qui appa­rait urgent et immé­diat aux yeux des masses popu­laires. Les dif­fé­rences sociales, géo­gra­phiques, cultu­relles doivent être inté­grées dans les espaces de mobi­li­sa­tion. Ces dif­fé­rences pèsent et vont peser dans la construc­tion de la mobi­li­sa­tion. Il est fort pro­bable que ça soit dans les petites et moyennes villes ou les péri­phé­ries d’autres régions du Maroc inutile que la contes­ta­tion trouve un pre­mier essor de masse :Tin­ghir, Zago­ra ; Imin­ta­nout, Beni Mel­lal, Guer­sif, Azi­lal, Goul­mime, Sefrou, Nador, Khe­mis­set en four­nissent des indices. Le fil conduc­teur com­mun existe objec­ti­ve­ment mais les points de départ à une acti­vi­té de masse peuvent être divers. Sans ces mul­tiples dyna­miques de bases, les enjeux et pos­si­bi­li­tés d’expression et coor­di­na­tions natio­nales res­te­ront limi­tés. Cela doit s’imbriquer avec des moments natio­naux, mais sans perdre de vue la néces­si­té d’ancrer les mobi­li­sa­tions sur des ter­ri­toires concrets.

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De refu­ser les mots d’ordres qui cana­lisent la lutte popu­laire vers des objec­tifs consti­tu­tion­nels (une consti­tu­tion démo­cra­tique ou une monar­chie par­le­men­taire) ne tra­dui­sant pas, à cette étape, la néces­si­té d’en finir avec le makh­zen de la pré­da­tion et de la répres­sion, la répondre aux urgences sociales, et qui divi­se­raient le mou­ve­ment sur la nature des « solu­tions poli­tiques ». Il ne s’agit pas de limi­ter le mou­ve­ment ou de l’identifier comme simple mou­ve­ment socio- éco­no­mique, mais de ne pas cana­li­ser sa dyna­mique poli­tique sur des ter­rains qui dépos­sède sa capa­ci­té à s’ériger, dans des condi­tions déter­mi­nées, en contre-pou­voir consti­tuant par en bas, comme pro­ta­go­niste poli­tique à part entière. Ou des objec­tifs qui impli­que­raient une coupure/ dis­so­cia­tion entre la néces­saire répar­ti­tion soli­daire et éga­li­taire des richesses et la réap­pro­pria­tion démo­cra­tique du pou­voir. Le mot d’ordre à cette étape doit se concen­trer sur la fin du sys­tème makh­zen et la satis­fac­tion des droits et besoins sociaux. Ce mot d’ordre peut se pré­ci­ser et évo­luer en fonc­tion du niveau de confron­ta­tion sociale et poli­tique, du degré d’isolement du pou­voir cen­tral et de cris­tal­li­sa­tion de la crise poli­tique. L’autre pen­dant à ce mot d’ordre, qui concerne plus spé­ci­fi­que­ment la mobi­li­sa­tion en tant que telle réside, à cette étape, dans la consti­tu­tion de fronts sociaux et démo­cra­tiques s’appuyant sur des comi­tés popu­laire pour la lutte dans tous les espaces possibles.

La seule pos­si­bi­li­té de faire face à la répres­sion dans ce contexte, dépen­dra du niveau de mobi­li­sa­tion de masse, et de la capa­ci­té à faire émer­ger au cœur de la lutte, les capa­ci­tés de renou­vel­le­ment per­ma­nent du mou­ve­ment et de ses direc­tions pra­tiques et civiles. Le pou­voir cherche à avor­ter l’émergence de direc­tions de lutte orga­ni­que­ment liées à la base, et à rendre impos­sible les capa­ci­tés d’auto orga­ni­sa­tion du mou­ve­ment, à une échelle de masse. C’est le défi majeur qui est posé aujourd’hui. L’extension du domaine de la lutte à un niveau natio­nal per­met­trait éga­le­ment de dis­per­ser les dis­po­si­tifs répres­sifs. La soli­da­ri­té inter­na­tio­nale est éga­le­ment un levier pour iso­ler le régime sur ce ter­rain. Reste que l’articulation entre le carac­tère paci­fique des mobi­li­sa­tions et la néces­si­té d’imposer le droit d’expression et de mani­fes­ta­tion néces­si­te­ra d’innover dans les formes de luttes, com­bi­nant le choix des espaces, la capa­ci­té de mobi­li­té, l’ancrage dans les quar­tiers popu­laires, la concen­tra­tion ou la mul­ti­pli­ca­tion des actions. Dans les cir­cons­tances, où l’affrontement est inévi­table, en rai­son des formes d’intervention répres­sive, l’autodéfense doit cher­cher à gar­der un carac­tère de masse et appa­raitre comme légi­time aux yeux de la popu­la­tion. Par ailleurs, nous ne pou­vons igno­rer qu’un des objec­tifs clas­siques du pou­voir est de détour­ner la dyna­mique de la mobi­li­sa­tion sur le seul axe de la libé­ra­tion des déte­nus, dans une longue guerre de posi­tion où les motifs ini­tiaux de la lutte sont refou­lés. Evi­ter ce piège par le main­tien de l’unité des reven­di­ca­tions sociales et démo­cra­tiques est essen­tiel dans la période qui vient

Le pou­voir cherche à créer des espaces de média­tion visant à faire croire que le dia­logue est pos­sible. On a vu fleu­rir les ini­tia­tives, les prises de posi­tions, les péti­tions appe­lant « au dia­logue » pour abais­ser les ten­sions et trou­ver des solu­tions com­munes dans l’intérêt de la sta­bi­li­té et du pays. La der­nière en date sous l’initiative d’Illyas Ommari[[Une confé­rence visant à ras­sem­bler la socié­té civile offi­cielle, des repré­sen­tants du gou­ver­ne­ment ; des élus des membres du hirak, devait poser les bases de recom­man­da­tions pour sor­tir de la crise. Le comi­té des familles de déte­nus l’a reje­té et a rap­pe­lé les décla­ra­tions du Par­ti de l’Authenticité et de la Moder­ni­té dont Illyas Omma­ri est le secré­taire géné­ral (et par ailleurs pré­sident de la région du nord) légi­ti­mant la répres­sion quelques semaines aupa­ra­vant, et le carac­tère d’officine poli­tique des orga­ni­sa­teurs et invi­tés. Le PAM et lui-même une créa­tion du Palais. Le palais s’est même arro­gé le droit d’interpeller les ser­vices de la jus­tice pour enquê­ter sur la véra­ci­té ou non des trai­te­ments de tor­ture contre les déte­nus, comme si les ser­vices répres­sifs et leurs pra­tiques n’étaient pas gérés par le cabi­net royal ou ne rele­vaient pas d’un minis­tère de sou­ve­rai­ne­té. La ten­ta­tive de négo­cier une grâce royale des déte­nus a été aban­don­née devant le refus à juste titre dse concer­nés de cette mesure et aus­si en rai­son du choix de la confron­ta­tion du pou­voir.]] où « tous les acteurs » ont été sol­li­ci­tés. Dans un contexte, où la lutte et la répres­sion durent depuis plu­sieurs mois, des sec­teurs même sin­cères de la mobi­li­sa­tion peuvent pen­ser qu’une inter­ven­tion du roi ou un geste de sa part, ou l’établissement d’un « vrai dia­logue », peut déblo­quer la situa­tion. Reste que l’objectif visé n’est pas la réponse aux reven­di­ca­tions des masses mais de gagner du temps, de divi­ser le mou­ve­ment et de remettre en selle des pare chocs pro­té­geant le pou­voir cen­tral et diluant ses responsabilités. 

Il s‘agit de refu­ser les offi­cines poli­tiques, les pseu­dos dia­logues avec les marion­nettes du pou­voir, les média­tions et relais du sys­tème. Les demandes sociales et démo­cra­tiques doivent être orien­tées vers le pou­voir réel et les véri­tables centres de déci­sions [[Il y a pro­ba­ble­ment des divi­sions en haut au sein du sérail. Si la monar­chie inter­vient ouver­te­ment, cela signi­fie qu’elle endosse la res­pon­sa­bi­li­té dans la situa­tion et la réso­lu­tion du conflit. C’est confir­mer la nature réelle du pou­voir abso­lu et légi­ti­mer le fait que le Hirak a rai­son de reje­ter les boucs émis­saires et les faire valoir de la façade démo­cra­tique. Un dan­ge­reux pré­cèdent qui ferait juris­pru­dence pour la contes­ta­tion sociale alors que la monar­chie ne peut accé­der aux demandes sociales et démo­cra­tiques. Qu’elle n’intervienne pas signi­fie qu’elle assume le choix de la répres­sion, de la relé­ga­tion de ses « sujets » et qu’elle fait par­tie du pro­blème. Son dilemme est là depuis plu­sieurs mois et témoigne d’un aspect de la crise poli­tique actuelle.]].

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Struc­tu­rer, déve­lop­per et auto-orga­ni­ser la lutte

Un Hirak glo­bal pas­se­ra par la struc­tu­ra­tion de fronts de lutte locaux qui ne se résument pas à un car­tel d’organisations ou de réseaux mili­tants. Il s’agit d’avancer vers des cadres de mobi­li­sa­tion de masses, par­ti­ci­pa­tifs et inclu­sifs, struc­tu­rés par en bas, qui ne dépendent pas de l’agenda des orga­ni­sa­tions, mais déve­loppent leurs propres forces et direc­tions de luttes. Cet enra­ci­ne­ment popu­laire et local, où ceux et celles qui luttent, éla­borent leurs reven­di­ca­tions et dirigent leur lutte, est la condi­tion d’une repré­sen­ta­tion orga­nique du mou­ve­ment, y com­pris à l’échelle natio­nale. C’est ce pro­ces­sus qui per­met­tra de mas­si­fier la mobi­li­sa­tion et de main­te­nir l’unité des forces qui luttent réel­le­ment pour le chan­ge­ment. Sans la prise en compte de cette dimen­sion, c’est res­ter à une vision des rap­ports entre mou­ve­ments sociaux/populaires et forces poli­tiques, contes­table, his­to­ri­que­ment dépas­sé, et qui consti­tue un pro­blème et non pas un début de solution.

Un Hirak glo­bal néces­si­te­ra d’élargir l’unité, en incluant d’une manière stable les dif­fé­rents mou­ve­ments sociaux et les sec­teurs syn­di­caux sans attendre l’aval des bureau­cra­tie ou leur bon vou­loir, pour don­ner consis­tance à un véri­table front social, démo­cra­tique et popu­laire tour­née vers l’action. L’unité des forces poli­tiques doit être sans exclu­sive mais sans conces­sions sur le fond : 1) l’unité pour la défense des reven­di­ca­tions sociales et démo­cra­tiques immé­diates de l’ensemble du peuple en y incluant la libé­ra­tion de tous les déte­nus, l’arrêt de la répres­sion, la soli­da­ri­té avec le Rif. 2) l’unité sur la néces­si­té de construire un rap­port de force sur la durée par les mobi­li­sa­tions jusqu’à la satis­fac­tion des reven­di­ca­tions. 3) l’unité sur la néces­si­té de res­pec­ter l’indépendance orga­ni­sa­tion­nelle du Hirak, des mou­ve­ments popu­laires et de leurs struc­tures propres.

Il s’agit de dépas­ser les limites de l’expérience du M20F : la fai­blesse de l’auto orga­ni­sa­tion et de direc­tions de luttes indé­pen­dantes, la faible pré­sence des mou­ve­ments sociaux locaux/nationaux, la décon­nec­tion avec les dyna­miques syn­di­cales étran­glées par les bureau­cra­ties ou can­ton­nées à un niveau sym­bo­lique. Ces élé­ments sont néces­saires pour entrai­ner dans l’action dépas­ser les larges masses non orga­ni­sées et les couches les plus exploi­tées et les plus oppri­mées. De même, un nou­veau HIRAK doit s’identifier prin­ci­pa­le­ment à un mou­ve­ment qui veut chan­ger la vie quo­ti­dienne, répondre aux urgences sociales concrètes, et non pas comme un mou­ve­ment qui veut mora­li­ser les ins­ti­tu­tions ou chan­ger la consti­tu­tion. Un mou­ve­ment dont la cible poli­tique doit arti­cu­ler une contes­ta­tion géné­rale du des­po­tisme et la clef de voute de ce der­nier : le pou­voir abso­lu et ses ins­ti­tu­tions. Un mou­ve­ment qui innove dans ses formes d’action, sans s’enterrer dans la répé­ti­tion rou­ti­nière d’appels à mani­fes­ta­tions, qui ne per­mettent pas, sur la durée, un dépla­ce­ment réel des rap­ports de forces. Il nous fau­dra, che­min fai­sant, répondre à ses limites, construire des réponses appro­priées, sor­tir du piège d’une contes­ta­tion qui se défi­nit en réponse aux manœuvres du pou­voir plu­tôt qu’en construi­sant son propre agenda.

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Il y a éga­le­ment un enjeu de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale. Si la lutte du Rif a une visi­bi­li­té média­tique sur le plan inter­na­tio­nal, l’axe essen­tiel ne peut se réduire à mobi­li­ser les com­mu­nau­tés immi­grés, les réseaux mili­tants maro­cains exis­tants, il faut mener une bataille de longue haleine et publique, visant inclure les forces pro­gres­sistes des pays en ques­tion, dans le sou­tien concret au com­bat popu­laire et contre les com­pli­ci­tés des Etats avec le pou­voir en place. Il s’agit de tra­quer le régime au niveau de ses appuis inter­na­tio­naux éta­tiques, de construire un cou­rant d’opinion publique soli­daire, de bri­ser l’image d’un roi moderne qui camouffle une tyran­nie réelle et un sys­tème maf­fieux. La visite de Macron au Maroc illustre le niveau de conni­vence stra­té­gique entre l’impérialisme fran­çais et le pou­voir. Cette conni­vence ne peut être bri­sée sim­ple­ment par des ini­tia­tives visant à faire pres­sion sur tel ou tel gou­ver­ne­ment ou ins­ti­tu­tion inter­na­tio­nale, par des lettres de recom­man­da­tion ou des inter­pel­la­tions. Il s’agit de s’appuyer sur les forces sociales et démo­cra­tiques pré­sentes dans chaque pays où nous avons les pos­si­bi­li­tés d’agir pour déve­lop­per notre com­bat. Les liens tis­sés par exemple avec Pode­mos et la Gauche Unie en Espagne sont importants.

Une des dif­fi­cul­tés de la situa­tion actuelle tient à l’inégalité des rythmes de mobi­li­sa­tion. Le niveau dif­fé­ren­cié des tra­di­tions de luttes, des implan­ta­tions mili­tantes, des expé­riences his­to­riques de confron­ta­tion avec le pou­voir pèsent. Le pas­sage de la soli­da­ri­té avec le Rif à la construc­tion de luttes locales et natio­nales s’appuyant sur les pré­oc­cu­pa­tions concrètes des masses ne se fait pas spon­ta­né­ment. Les maillons faibles sont inéga­le­ment faibles et le pou­voir garde la mai­trise des grands centres urbains. La mobi­li­sa­tion dans le Rif est en train de chan­ger incon­tes­ta­ble­ment l’état d’esprit de sec­teurs de la popu­la­tion mais il n’y a pas d’automatisme à l’émergence d’un Hirak glo­bal. Tout est pos­sible mais rien n’est cer­tain. Le pou­voir s’appuie sur ces dif­fé­rences pour évi­ter que l’incendie se pro­page. La répres­sion, sous toutes ses formes, vise à avor­ter les pos­si­bi­li­tés d’extension et de mas­si­fi­ca­tion dans l’œuf, à sépa­rer les ini­tia­tives mili­tantes de la masse de la popu­la­tion. Tou­te­fois, per­sonne n’a réel­le­ment la mai­trise de la situa­tion : un réveil géné­ra­li­sé peut être pro­vo­qué ou accé­lé­ré par tel ou tel fac­teur : l’explosion des prix avec la déva­lua­tion pro­chaine du dirham, la fixa­tion de nou­veaux lieux de contes­ta­tion de masse dans le Maroc inutile, un virage répres­sif plus impor­tant, un nou­veau scan­dale de cor­rup­tion ou d’impunité. Quoi qu’il en soit, la crise est là, nour­ris­sant les ingré­dients de luttes majeures et les mobi­li­sa­tions actuelles ouvrent l’espace d’une recons­truc­tion des pra­tiques et orga­ni­sa­tions de luttes sur le ter­rain social et politique.

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Les res­pon­sa­bi­li­tés des gauches de contestation

Dans l’ensemble de cette séquence, Les cou­rants de la gauche radi­cale et de lutte devraient s’unir sans préa­lables ou condi­tions. Cette uni­té ne peut se limi­ter à se coor­don­ner ponc­tuel­le­ment dans des ini­tia­tives conjonc­tu­relles de sou­tien à la mobi­li­sa­tion. L’enjeu est que se déve­loppe une expres­sion poli­tique com­mune per­ma­nente dans les batailles expli­cites ou impli­cites à venir autour de quelques repères fon­da­men­taux : aucune solu­tion aux reven­di­ca­tions popu­laires n’est pos­sible sans une large mobi­li­sa­tion uni­taire et com­ba­tive, sans la pers­pec­tive d’un affron­te­ment majeur avec le pou­voir de la mino­ri­té maf­fieuse et pré­da­trice, sans mettre fin au makh­zen et à toutes ses ins­ti­tu­tions. Nul ne peut se sub­sti­tuer au peuple et aux exploi­tés dans la lutte pour la jus­tice sociale, la digni­té et la liber­té ou déci­der à leur place ou par­ler en leur nom. Nous lut­tons pour que le mou­ve­ment popu­laire se repré­sente lui-même, construit ses organes de lutte et de déci­sions en toute indé­pen­dance du pou­voir, ses relais et des par­tis, et mène la lutte jusqu’au bout pour la fin du règne de l’austérité, de la Hogra et de la matraque. Il s’agit de ras­sem­bler tous ceux et celles qui luttent pour une socié­té sans dis­cri­mi­na­tions et oppres­sions, tour­née vers la satis­fac­tion des besoins sociaux, les liber­tés col­lec­tives et indi­vi­duelles, des droits égaux et effec­tifs pour tous et toutes, une auto­dé­ter­mi­na­tion démo­cra­tique et sociale du peuple, une répar­ti­tion éga­li­taire des richesses.
Quelque soient les dif­fé­rences pas­sées ou actuelles, l’émergence d’un pôle dans la lutte clai­re­ment pro­gres­siste et radi­cal est un atout pour la défense des inté­rêts géné­raux des classes popu­laires, la dyna­mique de la mobi­li­sa­tion, et la construc­tion à terme d’une alter­na­tive poli­tique plus cré­dible. Que l’on soit « orga­ni­sé » ou non, il s’agit d’agir ensemble, ici et main­te­nant. Cela ne signi­fie pas mas­quer les dif­fé­rences, mais à par­tir d’un socle com­mun défen­due publi­que­ment, elles peuvent être dis­cu­tées serei­ne­ment, en par­tant des enjeux concrets et pos­si­bi­li­tés de la lutte.

Nous ne pou­vons pré­tex­ter la pré­sence mas­sive d’AWI et de tac­tiques dif­fé­rentes vis-à-vis de ce cou­rant pour para­ly­ser l’expression col­lec­tive, uni­taire et indé­pen­dante de la gauche de lutte et les pos­si­bi­li­tés d’interventions com­munes. C’est même l’inverse qui est vrai et indis­pen­sable. AWI a un dis­cours de défense des reven­di­ca­tions sociales et démo­cra­tiques et contri­bue à la construc­tion de la mobi­li­sa­tion bien qu’elle se soit enga­gée tar­di­ve­ment. Mais son orien­ta­tion reste peu lisible : appa­raitre comme la prin­ci­pale force d’opposition en vue d’imposer des conces­sions au pou­voir concer­nant son propre agen­da ? Com­pen­ser sa fai­blesse rela­tive à l’intérieur du Rif en appa­rais­sant comme la seule alter­na­tive cré­dible aux yeux de la popu­la­tion ?. Nous ne pou­vons nier qu’AWI est hos­tile à la dimen­sion iden­ti­taire de la rébel­lion rifaine et l’expression des spé­ci­fi­ci­tés cultu­relles, au nom de l’unité de la « Oum­ma », au moment où cette ques­tion devient un enjeu et un motif de la lutte démo­cra­tique. Elle reste défiante aux taches d’auto orga­ni­sa­tion démo­cra­tique et à la consti­tu­tion de cadres d’unité d’action popu­laire construit par en bas. La stra­té­gie d’AWI est de par­ti­ci­per aux dif­fé­rentes ini­tia­tives, sans pour autant être moteur dans la construc­tion d’un affron­te­ment social et poli­tique de l’aveu même de ses diri­geants, qui insistent sur le fait que la balle est main­te­nant dans le camp des auto­ri­tés. Nous ne pou­vons pas non plus avoir la mémoire sélec­tive, et oublier leur retrait du M20F qui n’était pas une erreur, mais un choix poli­tique cal­cu­lé dans leur rap­port au régime. Ceci dit, si un front civil doit viser à impli­quer le maxi­mum de forces pos­sibles, l’enjeu pour la gauche de luttes est d’impliquer le maxi­mum de mou­ve­ments et orga­ni­sa­tions sociales, de la socié­té civile indé­pen­dante, des cadres de lutte locaux, des sec­teurs du mou­ve­ment syn­di­cal. De main­te­nir et déve­lop­per une expres­sion sociale et poli­tique indépendante.

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Le rap­port avec les cou­rants de la gauche par­le­men­taire ne peut faire l’impasse de l’existence de « sen­si­bi­li­tés mili­tantes » mais aus­si de cou­rants majo­ri­taires dans l’appareil et la direc­tion, dont le « réfor­misme ins­ti­tu­tion­nel », abou­tit à une cri­tique (tar­dive) de la ges­tion sécu­ri­taire et poli­tique des « évé­ne­ments », mais pour légi­ti­mer la néces­si­té d’un nou­veau contrat social et poli­tique. La rébel­lion dans le Rif et la cen­tra­li­té de la ques­tion sociale sont réduites à un pro­blème de démo­cra­ti­sa­tion des ins­ti­tu­tions, avec une incom­pré­hen­sion du degré de rup­ture de larges masses, avec celles-ci. Il est signi­fi­ca­tif qu’une par­tie de cette gauche n’ait pas par­ti­ci­pé ou sou­te­nue du bout des lèvres, la mani­fes­ta­tion du 11 juin, qu’une par­tie de ses diri­geant-es ait signé un appel reven­di­quant un dia­logue trans-par­ti­san dans l’intérêt de l’état et la nation, sans cibler les res­pon­sa­bi­li­tés réelles du pou­voir dans la situa­tion. Est signi­fi­ca­tif qu’un par­le­men­taire de cette gauche ait signi­fié que la place des lea­ders du Hirak est dans le par­ti qui mène la « lutte dif­fi­cile » à l’intérieur des ins­ti­tu­tions, comme si celles-ci étaient l’alpha et omé­ga de toute lutte poli­tique sérieuse.

C’est là encore, ne pas voir le niveau de conscience et de matu­ri­té poli­tique du Hirak qui a lar­ge­ment com­pris de quelle nature sont ces ins­ti­tu­tions, irré­for­mables ni de l’intérieur ni de l’extérieur, une incom­pré­hen­sion que pour obte­nir plus de démo­cra­ti­sa­tion et des réformes sérieuses, il faut faire « table rase » du fonc­tion­ne­ment actuel. La Fédé­ra­tion de la Gauche Démo­cra­tique ( FGD ) a par ailleurs ten­dance à jus­ti­fier son retrait par rap­port à cer­taines ini­tia­tives, sous pré­texte qu’elle refuse non seule­ment le fon­da­men­ta­lisme makh­ze­nien mais aus­si isla­mique en réfé­rence à la pré­sence de AWI. Or c’est la poli­tique du pou­voir menée depuis des décen­nies qui est le fac­teur prin­ci­pal de l’influence des isla­mistes qui ont su poli­ti­ser et don­ner une expres­sion sociale et cari­ta­tive à la misère et la précarité. 

C’est les poli­tiques de renon­ce­ment d’une cer­taine gauche plus apte à pas­ser des com­pro­mis, à modé­rer ses exi­gences pour main­te­nir son inté­gra­tion ins­ti­tu­tion­nelle et sa par­ti­ci­pa­tion au jeu élec­to­ral, qui ont fait que les isla­mistes appa­raissent comme anti sys­tème et indé­pen­dant du pou­voir. Com­battre le fon­da­men­ta­lisme isla­mique sur la durée, c’est d’abord construire une oppo­si­tion réso­lue, sociale et popu­laire, sur un pro­gramme consé­quent contre l’austérité et la répres­sion. Cette oppo­si­tion pour être cré­dible et effi­cace doit être uni­taire et radi­cale à la fois et mon­trer son uti­li­té concrète pour les luttes concrètes. L’adversaire de demain peut être com­bat­tue dès aujourd’hui si nous concen­trons nos forces sur l’adversaire prin­ci­pal et concret d’aujourd’hui : le bloc domi­nant au pou­voir. Ce n’est pas AWI qui est res­pon­sable de la dégra­da­tion des condi­tions de vie et de tra­vail, de la remise en cause des acquis, des vio­la­tions per­ma­nentes des droits et libertés.

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Être pré­sent dans les ini­tia­tives de lutte avec toutes les forces, y com­pris des adver­saires et concur­rents poli­tiques, ce n’est pas faire alliance, mais mener la lutte pour que le mou­ve­ment popu­laire fasse sa propre expé­rience col­lec­tive sur qui sont ses amis, ses faux amis, ses adver­saires réels à chaque phase de son com­bat. Cette expé­rience peut don­ner ses fruits, si existe un front social et démo­cra­tique des gauches en luttes et une orien­ta­tion consé­quente pour que le peuple impose ses reven­di­ca­tions. Il ne s’agit donc pas de faire alliance, de mélan­ger les dra­peaux, ni même de consi­dé­rer que AWi est un allié natu­rel de la lutte démo­cra­tique mais de ne pas se trom­per sur la maniére de le com­battre. Il n’en reste pas moins qu’il est néces­saire d’associer, inter­pel­ler, se confron­ter avec cette gauche pour gagner ses sen­si­bi­li­tés mili­tantes à d’autres pers­pec­tives de lutte. Et dans ce cadre, le débat ne soit pas se situer sur la ques­tion des rap­ports avec AWI, mais sur les tâches pour gagner des acquis, construire le rap­port de force, ren­for­cer à la base la capa­ci­té du peuple à agir et déci­der de son avenir.

L’enjeu pour une vic­toire réelle est que naisse un mou­ve­ment de masse indé­pen­dant, auto orga­ni­sé, coor­don­né démo­cra­ti­que­ment et qui compte sur ses propres forces. La gauche de lutte doit s’appuyer avant tout sur le peuple et les caté­go­ries popu­laires qui res­tent aujourd’hui majo­ri­tai­re­ment, peu ou pas, orga­ni­sées. C’est aus­si cela la leçon du Rif. La gauche de lutte doit aider que s’exprime une radi­ca­li­té, non pas mino­ri­taire mais de masse, évi­tant le piège de ceux, qui affo­lés devant les batailles qui peuvent venir, cherchent encore une fois les com­pro­mis qui don­ne­ront une bouée d’oxygène au pou­voir actuel et à la per­pé­tua­tion de la situa­tion telle qu’elle est. C’est aus­si cela la leçon du Rif. La gauche de lutte doit aider à ce que s’affirme un com­bat glo­bal qui vise à obte­nir la vic­toire, loin des stra­té­gies de pres­sion, de cal­culs tac­tiques et de démons­tra­tion de force où se mar­chandent d’éventuels com­pro­mis ou retrait de la lutte demain. Elle ne doit inté­rio­ri­ser aucune « ligne rouge » au niveau des objec­tifs et des reven­di­ca­tions autre que celles de tenir compte des rythmes de matu­ra­tion poli­tique du mou­ve­ment. En tout état de cause, ne répé­tons pas l’erreur du M20F où les cou­rants mili­tants poli­tiques et sociaux de la gauche de lutte sont entrés dans la bataille en rang dis­per­sés et divi­sés, sans capa­ci­té de peser dans l’élargissement et le déve­lop­pe­ment bien du rap­port de force et des pers­pec­tives d’émancipation sociale et démo­cra­tique. Notre res­pon­sa­bi­li­té est col­lec­tive et elle est clai­re­ment enga­gée vis-à-vis de notre peuple. La gauche réelle en sor­ti­ra ren­for­cée et recon­nue où dura­ble­ment défaite.

Chaw­qui Lotfi

source : CETRI


notes :