Un dirigeant indigène d’Amazonie est élu au Congrès.
Occulté par le débat actuel des alliances nécessaires et accords de diverses forces politiques qui se re-alignent pour le deuxième tour de l’élection présidentielles prévu pour le 5 juin prochain, un fait fondamental et historique passe inaperçu : pour la première fois en 200 ans dans l’histoire républicaine du Pérou, un représentant des peuples autochtones de l’Amazonie est élu. Les peuples autochtones avaient obtenu l’an dernier un quota “native”, qui oblige une présence légale d’un minimum de 15% de leurs représentants sur les listes électorales (régionales et municipales) dans les zones ou vivent les autochtones, ce qui donne une viabilité à long terme de la Constitution (art. 191).
Eduardo Nayap Kinin est un pasteur protestant, diplômé en théologie et en sociologie à l’Universidad Nacional Heredia du Costa Rica, et originaire du peuple Awajun et Wampis, acteur majeur dans la lutte contre les décrets “de la mort” que le gouvernement sortant a prétendu octroyer aux zones de la forêt amazonienne à la faveur des sociétés transnationales, exigence de l’Accord de libre-échange — l’ALENA avec les États-Unis. En 2009, ce qu’on a appelé “le Baguazo”, des milliers d’indigènes sont entrés en résistance afin de repousser ces décrets qui se sont terminés en affrontements violents suite à une répression sanglante opéré dans la zone de Bagua, en Amazonie. Les Indiens ont pu, avec le soutien massif de l’indignation nationale et internationale, mettre en échec le gouvernement et faire reculer ces décrets. Le bilan s’éleva à une vingtaine de policiers tués et un nombre inconnu d’Indiens abattus. Immédiatement après les événements, la zone de conflit a été déclarée en état d’urgence et des semaines durant les médias ont été réduits au silence, aucun observateur indépendant ne pouvant y entrer, et même les rapports officiels ultérieurs n’ont plus aucune crédibilité. Précisément, l’une des principales demandes de Nayap Kinin est établir une enquête impartiale des événements et clarifier les faits et les responsabilités, afin de rompre l’irresponsabilité et l’impunité officielle. Il a obtenu la majorité, d’abord dans le district de l’Amazone peuplée en majorité d’autochtones et occupe désormais l’un des deux sièges au Congrès.
Vents du changement
Curieusement, le deuxième tour de la présidentielle aura lieu exactement à la même date du massacre des indiens Bagua il y a deux ans, le 5 juin. Le fait est que les Indiens et les partisans d’Ollanta Humala de la liste “Gana Perú” considèrent cela comme prémonitoire. Il est désormais le premier Indien à entrer au Congrès dans l’histoire républicaine du Pérou et pour atteindre ce succès il a compté sur un instrument politique d’envergure : une alliance composée par “Gana Perú” (dirigé par son candidat à la présidentielle Ollanta Humala) et le parti nationaliste qui avec les forces de gauche, des syndicats et organisations populaires indigènes se sont unis. Un fait qui n’est pas accidentel, car il marque une nette tendance historique et structurelle. Alors que les travailleurs avaient jusqu’à présent, obtenu une représentation de base, depuis la seconde moitié du XXe siècle, à travers l’APRA et la gauche traditionnelle, les Quechuas des Andes, les producteurs de feuilles de coca et autres secteurs similaires qui étaient marginalisés et discriminés. Ils s’étaient présentés aux élections pour la première fois seulement au début de XXIème siècle lors des élections de 2006, par l’intermédiaire du Parti nationaliste péruvien et à ce moment se sont joints des femmes de ces secteurs ce qui est égalment devenu un fait historique très important au Congrès. Bien-sûr, ces avancées sont limitées face aux énormes lacunes encore à surmonter, telle l’exclusion et la discrimination, mais l’exclusion continue venant du passé et commence à faire partie du passé.
L’élection d’Eduardo Nayap Kinin est aussi un fait qui a choqué l’extrême droite ouvertement raciste au Pérou, qui dans cette élection était représenté par Pedro Pablo Kuczynski ‑PKK, dont les jeunes “fans” se défoulent sur Internet à travers une campagne publique imprésentable, farouchement raciste et classiste vis à vis d’Ollanta et ses électeurs. Mais hélas, cela vaut aussi pour une gauche traditionnelle mal à l’aise, qui de fait, a été réduite à sa plus petite expression car ayant perdu toute capacité d’écoute et de représenter les secteurs multiculturels et marginalisées du pays, et voit avec inquiétude, ou même une indifférence à peine déguisée, son rôle historique et structurel en jeu, depuis cinq ans de nationalisme. La gauche émergeante est une force idéologiquement moins consistante que la gauche traditionnelle, avec des définitions programmatiques plus ambiguës, limitée et même conservatrice dans certains endroits, plein de contradictions et de risques, mais qui obtient pour la première fois l’appui d’une majorité populaire suffisante pour disputer l’hégémonie de la droite féroce et récalcitrante du Pérou.
Au-delà des résultats de l’élection imminente du deuxième tour de la présidentielle, le fait est que la rébellion électorale des majorités impose maintenant des vents du changement, et pas seulement des nombreux contingents, mais aussi et peut-être plus significative, un changement sous-jacent et historique.
Ricardo Jimenez, depuis Lima. (remerciements à Luis Esparza, jeune nationaliste du district des Amazones)
Traduit par Zin TV (www.zintv.org)