Camila Vallejo : « Cette lutte n’est pas seulement celle des Chiliens, mais celle de tous les jeunes du monde »

Nous nous attaquons à des problèmes centraux du système et cela engendre la transversalité

« L’espoir est grand parce qu’on voit que le Chi­li n’est pas le même qu’avant, et qu’à par­tir de la il y a un réveil mais aus­si un chan­ge­ment, ou le début d’un chan­ge­ment, dans les struc­tures mentales. »

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Entre­vue avec Cami­la Val­le­jo par Oleg Yasinsky.

San­tia­go du Chi­li. Un mou­ve­ment étu­diant s’amplifie au Chi­li depuis Mai de cette année. Il y a déjà 6 mois de mani­fes­ta­tions dans la rue, d’assemblées ; et de liai­sons avec d’autres sec­teurs de la socié­té, au nom de la récla­ma­tion pri­mi­tive d’un nou­veau modèle d’éducation qui se tra­duit par une plainte dépo­sée contre le sys­tème néo­li­bé­ral en général

Cami­la Val­le­jo, 23 ans, étu­diante en géo­gra­phie, est deve­nue l’une des figures visibles du mou­ve­ment le plus impor­tant du Chi­li depuis l’arrivée de la Concer­ta­ción par­ti d’opposition à l’actuel pré­sident de droite, réunis­sant divers par­tis de gauche, et né en 1988 en oppo­si­tion à la dic­ta­ture de Pino­chet]. Pré­si­dente de la Fédé­ra­tion des Etu­diants de l’Université du Chi­li, mili­tante des Jeu­nesses Com­mu­nistes, Cami­la parle lors d’un entre­tien avec [Desin­for­mé­mo­nos des défis et des espoirs du mou­ve­ment, des suc­cès obte­nus et des craintes actuelles. Dans la pre­mière entre­vue accor­dée à un média mexi­cain, Cami­la salue les étu­diants de la UNAM [Uni­ver­si­té de Mexi­co] et envoie un mes­sage aux jeunes d’Amérique Latine.

Extraits de l’entrevue :

C’est quoi, être de gauche, aujourd’hui ?

D’abord, il faut com­prendre qu’il est néces­saire de faire des chan­ge­ments pro­fonds dans la socié­té et le sys­tème poli­ti­co-éco­no­mique et cultu­rel qui la struc­ture, mais il faut avoir en plus conscience que cela demande une action col­lec­tive, un tra­vail col­lec­tif, et tra­vailler de façon orga­ni­sée et dans l’unité.

Deuxiè­me­ment, cette trans­for­ma­tion à recher­cher à recou­vrer la sou­ve­rai­ne­té pour les dif­fé­rentes popu­la­tions, par­ti­cu­liè­re­ment au Chi­li. Cher­cher à ce que cette sou­ve­rai­ne­té ne se tra­duise pas seule­ment par la récu­pé­ra­tion des res­sources natu­relles mais aus­si par la capa­ci­té à répar­tir d’une meilleure manière le pou­voir poli­tique. Une démo­cra­tie bien plus col­lec­tive, bien plus par­ti­ci­pa­tive, qui implique de créer au niveau ins­ti­tu­tion­nel les espaces néces­saires pour que ce soient les dif­fé­rents groupes humains qui prennent en leurs propres mains la construc­tion du futur. Et cela avec le prin­cipe de base de parier sur une plus grande jus­tice sociale, qui passe autant par la jus­tice dans la dis­tri­bu­tion que par la jus­tice dans la pro­duc­tion Et, dans cet état d’esprit, non seule­ment on s’occupe de la récu­pé­ra­tion des moyens de pro­duc­tion maté­riels mais aus­si cultu­rels, de connais­sance, qui ont à être démo­cra­ti­sés. Je pense que c’est le grand défi de la gauche aujourd’hui.(…)

Pour­quoi recueillez-vous autant d’appui et de sym­pa­thie des gens, et pas seule­ment au Chili ?

Je pense que nous nous atta­quons à des pro­blèmes cen­traux du sys­tème et que cela engendre la trans­ver­sa­li­té. Il ne s’agit pas d’une lutte cor­po­ra­tiste pour la défense de quelque cor­po­ra­tion ou qui ne nous lie pas direc­te­ment aux étu­diants, mais d’une pro­blé­ma­tique qui est posée , et la reven­di­ca­tion qui monte est une reven­di­ca­tion sociale, qui est pour tout le monde, pas seule­ment pour la géné­ra­tion actuelle mais pour le futur. Et cela a engen­dré la sym­pa­thie et a aus­si réveillé la conscience de beau­coup de gens, ren­du l’espoir à ceux qui avaient lut­té aupa­ra­vant mais, par crainte, ne conti­nuaient pas. Et je pense que ça a été la prin­ci­pale richesse de ce mou­ve­ment : la trans­ver­sa­li­té, le réveil de la conscience, l’attaque des pro­blèmes cen­traux sont par-des­sus tout les consé­quences du mou­ve­ment. Je crois que nous n’avons pas fait de com­pro­mis, non par intran­si­geance mais par sens des res­pon­sa­bi­li­tés devant des ques­tions qui sont pour nous éthiques et morales, qui sont une lutte légi­time. C’est de cet aspect, je pense, qu’est issu le plus grand appui social à ce mouvement. (…)

Quels est le rôle de la presse et des jour­na­listes dans ce processus ?

C’est un pou­voir de fait. Au Chi­li, la presse est très diri­gée par les grands groupes éco­no­miques, elle joue dans une large mesure le jeu des inté­rêts du pou­voir, de toute évi­dence. Nous connais­sons tous le duo qui est der­rière les grands médias.

Dans ce contexte, au moins au début, elle a très bien dis­po­sé l’opinion publique à ce qui était en train de ses pas­ser parce-qu’il n’y avait rien d’autre, parce que les mani­fes­ta­tions étaient mas­sives, créa­tives, diver­si­fiées, joyeuses ; là, le rôle joué par les médias a eu aus­si à être un peu plus impartial.

Cepen­dant, avec le déve­lop­pe­ment du conflit est arri­vé le point où rien ne se solu­tion­nait avec le gou­ver­ne­ment, et les médias ont adop­té une autre stra­té­gie, main­te­nant claire, qui consis­tait à indis­po­ser l’opinion publique à l’égard du mou­ve­ment étu­diant, des mou­ve­ments sociaux et si quelqu’un était vu dans la rue, la pré­sen­ta­tion était cen­trée sur la délin­quance sup­po­sée, sur la vio­lence, sur la néces­si­té d’avoir la main ferme, de cri­mi­na­li­ser la pro­tes­ta­tion sociale. Donc, de toute évi­dence, les médias appar­tiennent au sys­tème – un sys­tème de com­mu­ni­ca­tion – par lequel on peut repro­duire l’hégémonie du dis­cours domi­nant, dis­cours qui vient par­ti­cu­liè­re­ment du gou­ver­ne­ment actuel, des sec­teurs les plus réactionnaires.

Autre chose sont les médias alter­na­tifs, la radio. Ceux-ci jouent un rôle qui a été de diver­si­fier et d’amplifier davan­tage, pro­duit par la néces­si­té de com­mu­ni­quer d’une meilleure manière ce qui est en train de se pas­ser. Avec plus d’objectivité, un peu plus favo­rable à ce qu’est réel­le­ment le mou­ve­ment étudiant. (…)

Quand le mou­ve­ment récent des étu­diants Chi­liens était en train de prendre, la presse qui ne savait pas écrire cor­rec­te­ment ton nom, t’a aus­si­tôt taxée de « lea­der » de ce mou­ve­ment. Il sem­ble­rait qu’en ce moment, depuis la chute des « socia­lismes réels » qui n’ètaient ni si réels ni si socia­listes que cela, les gens et les jeunes ne veulent plus de lea­ders ni d’avant-garde éclai­rée… Nous vivons la néces­si­té de repo­ser la ques­tion du pou­voir, non seule­ment à l’extérieur mais aus­si à l’intérieur de nos propres mou­ve­ments… Com­ment vois-tu cette ques­tion ? Tu te sens lea­der, diri­geante, coor­di­na­trice, porte-parole ?

Je crois que l’Histoire nous met là. Je ne crois pas que nous soyons lea­der-né, je crois que les cir­cons­tances m’ont obli­gée à être là ; cela aurait pu être quelqu’un d’autre (…) Je pense que ce mou­ve­ment est dû prin­ci­pa­le­ment au tra­vail de tous, pas prin­ci­pa­le­ment aux visages les plus visibles, mais à tous ceux qui le construisent jour après jour. Non parce qu’ils sortent mani­fes­ter, mais parce qu’ils le construisent dans les assem­blées, dans les liai­sons avec d’autres orga­ni­sa­tions et, dans ce sens, je par­tage l’idée que le pou­voir ne doit pas être concen­tré dans un lea­der­ship mais à la base du mouvement. (…)

Si tu écoutes les pro­fes­sion­nels de la politque, le mot le plus fré­quent est « je »…

C’est vrai pour les pro­fes­sion­nels de la poli­tique mais je ne crois pas que ça le soit quand on parle du mou­ve­ment ; nous avons su trou­ver un équi­libre et nous disons cela aus­si. Je crois que c’est impor­tant de le sou­li­gner, parce que sou­vent nous allons à des forum ou à des dis­cus­sions et on nous applau­dit mais pas parce que c’est nous. Les applau­dis­se­ments doivent être pour tous nos com­pañe­ros qui le méritent à ce moment. Et nous, nous sommes devant les camé­ras, dans les réunions, et en train de faire mille choses, mais on oublie tout le tra­vail que sont en train de faire les com­pañe­ros et que sans eux, rien de tout cela ne serait pos­sible. Ceux qui construisent la base de ce mou­ve­ment sont tous les étu­diants, les tra­vailleurs, les pro­fes­seurs, qui tra­vaillent au jour le jour. Ceci est très clair pour nous, et je crois que cela a beau­coup contri­bué à ce que les vapeurs du suc­cès ne nous montent pas à la tête.

Cami­la Val­le­jo, inter­ro­gée par Oleg Yasinsky