Quelle réponse spécifique attendez-vous de la part du gouvernement pour vous sentir satisfaits ?
La première chose est de démontrer une volonté de changer le paradigme qui définit l’éducation aujourd’hui comme un investissement individuel et non pas comme un investissement social. Sur cette base, nous avons besoin d’un changement constitutionnel, dont l’État n’en soit pas le garant, mais plutôt le responsable et se dédie à fournir une éducation publique pour tous. Parmi les principaux points de nos revendications il y a celui de savoir comment allons nous avancer affin que les familles puissent être soulagées dans les coûts de l’éducation. Mais nous comprenons que tout cela fait partie d’un processus.
Vous cherchez un système de financement des étudiants qui fonctionne comme le différentiel tarifaire ?
Il y a une discussion sur le fond, parce que le but politique c’est la gratuité et le différentiel tarifaire est un pas vers elle. C’est une proposition qui s’est mélangée par après alors qu’il n’y avait pas encore la demande pour une réforme fiscale, maintenant c’est différent parce que le mouvement a atteint un tel niveau de massivité et de complexité si importante qu’il nous permet de demander d’importants changements structurels pour que cela puisse être financée adéquatement. Les ressources existent et ils dépendent de comment ils seront distribuées affin de garantir, par exemple, la gratuité pour les sept premiers déciles de la population.
La quête de gratuité est destinée à couvrir l’ensemble de l’enseignement supérieur ou bien uniquement l’enseignement publique ?
Si nous utilisions les bénéfices de l’exploitation minière d’une seule grande mine, cela nous permettrait de financer l’ensemble de l’enseignement supérieur. Tout pourrait être gratuit, parce qu’elle a un coût de 2,2 milliards de pesos (2200 millions de dollars), c’est là l’utilité d’une grande exploitation minière. La mine “La Escondida” as réalisé des bénéfices de 4,3 milliards de pesos en 2010. Alors, par évidence, les ressources existent, mais avec le gouvernement que nous avons cela ne va pas arriver. Ce que nous voulons c’est assurer la gratuité pour les universités qui appartiennent au conseil des recteurs — 24 institutions. Pour les universités privées, nous cherchons un système de financement plus amiable comme un fonds de solidarité, en éliminant complètement les banques privées parce que l’État doit aussi prendre soin des élèves qui n’ont pas choisi le système public.
Pensez-vous qu’il est sage pour un étudiant de la strate supérieure de bénéficier de la scolarité gratuite ?
S’il y a une réforme fiscale en amont, cela n’aurait pas d’importance, parce qu’à la fin du compte ce sont les plus riches qui payeraient pour cela. Je pense que c’est le mieux, enfin on assumerait l’éducation comme un droit, quel que soit le statut socioéconomique d’une personne.
EDUCATION, LES SYMPTOMES D’UN MALADE
Comment convertir les demandes des étudiants, qui, initialement n’étaient qu’économiques en fer de lance d’un vaste mouvement politique ?
Je pense que le mouvement a été très politique, au-delà qu’il y a effectivement des gens qui n’ont qu’une revendication purement économique. D’autres encore qui dans le sujet de l’éducation n’y voient qu’une lutte politique et d’autres qui voient à plus long terme une quête du pouvoir. Avec tous ces gens, notre défi est d’empêcher que ce mouvement ne devienne à l’avenir qu’un simple témoignage, il faut empêcher aussi la récupération politique de la Concertación (NDLT : coalition de centre-gauche) qui ira se positionner en vainqueurs, et enfin, de manière efficace atteindre un niveau d’organisation et de coordination qui permette la configuration d’un programme politique, qui est, la lutte du peuple pour le pouvoir.
Comment le mouvement étudiant peut-il se propager à d’autres secteurs de la société qui vivent des problèmes similaires dérivées du modèle ?
Cela est déjà en train d’avoir lieu, cela fait partie de nos objectifs, mais c’est un grand défi car aujourd’hui il n’y a pas une masse critique, ou un peuple suffisamment conscient. Cependant, il y a des revendications qui, à première vue semble être syndicales, et qui finalement amènent les gens à saisir le mauvais de ce modèle. Alors, on commence à comprendre que l’éducation est un problème social, mais qui fait partie d’une crise majeure et qui a à voir avec un modèle de marché qui nous gouverne.
Attribuez-vous la massivité des manifestations actuelles à la perte d’une peur de cette génération ou à l’effondrement du système économique ?
Je crois qu’il y a beaucoup de facteurs, mais le plus fort a avoir avec le modèle qui s’épuise. Personne ne croit plus aux fausses promesses et les gens sentent cet abus. Le cas de La Polar est un bel exemple (NDLT : scandale économique d’une chaîne de grands magasins qui semblait prospère. En fait, c’était un montage : les dettes impayées des clients étaient renégociées, à leur insu). Que va t’il se passer avec les cadres ? Seront-ils laissé en impunité ou vont-ils simplement payer un coût faible. Alors, les gens savent que dans d’autres domaines aussi, en bon Chilien : se los están cagando (NDLT : ils se font entuber). Ils ont enduré pendant longtemps cette situation, mais c’est fini, et ils se mélangent à une génération qui effectivement n’a pas peur de protester. Nous sommes fatigués d’un modèle qui opprime et vole les gens.
LA GAUCHE EST ENCORE PLEIN DE MEFIANCE
La gauche est-elle en mesure de mener un mécontentement social comme celui-ci ?
Pas encore. En particulier, le Parti communiste (PC) est resté largement à l’écart et n’a pas tenté de se présenter comme le conducteur de ce processus car il ne l’est pas. En général, je pense qu’à gauche il y a encore de nombreuses craintes, mais pas de divisions, car nous savons que nous nous retrouvons toujours et sommes unis. Ce qui nous manque en tant que gauche, c’est la capacité à créer des alliances et construire ensemble des bases programmatiques.
Et cela réponds à quoi ?
Je vois une partie de la gauche encore très prématuré, avec un manque de base sociale, d’alternative programmatique, une gauche qui s’est construite sur la négation non seulement de la classe politique, mais aussi du Parti Communiste lui-même. Ici, le défi est de construire la confiance, faire des alliances et construire un programme entre tous.
Pensez-vous que la méfiance de la part de la gauche avec le PC se trouve, par exemple, dans les accords d’alliance instrumentale avec la coalition ?
Cela a été déterminant, même au sein du PC. Mais je pense que le parti a assumé les coûts politiques, qui sont caractéristique d’une époque, et je pense que cela a été préjudiciable. C’est à dire qu’avec trois députés nous n’avons pas réalisé de grandes choses en apparences, mais on a participé à la discussion de projets de loi qui bénéficient le peuple.
Est-ce la voie que devrait suivre la gauche et le PC en particulier ?
C’est que le PC ne peut pas le faire seul. Nous avons un leadership dans tous les secteurs, mais il faut commencer à articuler plus de base sociale à partir de cette direction et cela exige nécessairement le travail des autres secteurs de la gauche.
Pensez-vous que la suspicion de certains secteurs de la gauche envers le PC est-elle justifiée ?
Je pense que cela est justifié. D’une certaine manière cela se voit de l’extérieur, l’approche vers la Coalition – et nous savons tous qu’ils ont été les complices de ce modèle — est interprété comme une trahison à la gauche. Mais le PC n’a jamais eu cette disposition, ni a trahi le peuple ou la gauche avec cette approche. Le projet du PC n’est pas de faire partie de la Coalition, mais plutôt créer une tension dans l’autre sens et évidemment il les secteurs les plus réactionnaires de la Coalition n’en font pas partie.
LES PROCHAINES ÉLECTIONS ET L’AVENIR
Comment voyez-vous une candidature de Michelle Bachelet à la prochaine élection présidentielle ?
Je n’aimerais pas en aller en arrière, se serait comme un recul ou pour revenir dans le domaine étudiant, à des choses comme le LGE (NDLT : Loi Générale de l’éducation qui as généré des vives protestations exigeant un référendum pour une éducation en tant qu’institution éducative et non comme entreprise lucrative). Pour vraiment avancer, il faudrait serait démontrer un autre agenda politique, radicalement différente, où l’on puisse voir plus de volonté que de l’opportunisme qui caractérise de nombreux dirigeants de la Coalition.
Avec qui croyez-vous que les communistes vont s’allier à la prochaine élection ?
Je ne suis pas encore arrivé à cette discussion encore, mais il y a de nouvelles références qui sont en train de naître et elles ont l’air intéressantes. D’autre part, il faut voir ce qui va se passer avec la Coalition, qui n’existe plus en tant qu’alliance politique et ils doivent l’assumer. Ils doivent définir si ils continueront à cautionner le modèle ou bien vont ils lancer un processus d’alliance avec d’autres secteurs afin de créer une véritable alternative.
Souhaites-tu que la Coalition déchante et que la gauche s’organise à partir de cette base ?
Non, je pense que la gauche devrait former sa propre base. Mais au niveau de la classe politique, il faut voir ce qui se passe parce que la gauche n’arrive pas encore à avoir des figures qui vont aller disputer le pouvoir.
LE PINOCHETISME
A propos de ce qui est arrivé durant ces manifestations, pensez-vous il y a un noyau dur de Pinochet dans le pays ?
Oui, bien sûr. Lorsque Pinochet est mort nous l’avons tous constaté. Je suis tombé des nues en voyant tous ces romantiques du Pinochetisme. Et aujourd’hui, nous le voyons également dans certains secteurs, et je parle précisément des personnes qui sont au pouvoir dans le gouvernement. Dans la rue, heureusement, j’en ai vu un peu, mais quand vous lisez sur Twitter, vous y trouvez des commentaires fascistes.
Lorsque vous vérifiez votre compte Twitter quel type de messages vous laissent vos adversaires ?
La plupart des commentaires sont fachos et macho, sans beaucoup d’arguments, sans vision, sans discussion, que de la discrimination et une haine qui me surprends. Ce sont des gens capables de faire n’importe quoi. De même, au gouvernement vous pouvez trouver des commentaires similaires, du genre fasciste, invoquant la dictature …
Comme cette fonctionnaire qui a dit « tuer la chienne pour tuer la meute » (NDLT : Visant Camila mais faisant référence à une déclaration du général Pinochet sur Allende au moment du coup d’état de 1973)…
C’en fut un, mais t’en trouves d’autres comme, « Si vous continuez comme ça, nous aurons à nouveau une détenue & disparue. » Il y en a même qui ont proposé de sortir l’armée dans les rues …
En 2010, nous parlions de la lutte Mapuche et maintenant on n’en parle plus, le Chili est un pays à la mémoire courte ? Avez-vous peur que la question de l’éducation souffre quelque chose de similaire ?
Nous avons tous peur que tout cela ne soit une grosse catharsis, puis on oublie, mais je pense qu’il y a un niveau d’ouverture du peuple et du mouvement, beaucoup de foi et à partir de cela déclencher non seulement un changement dans l’éducation mais un pays différent. Les gens sentent cet état d’esprit et les choses ne meurent pas si facilement.
Pensez-vous que la presse reflète ça ?
Je sais bien où je vis. Je sais que c’est une société sexiste, les médias sont de fait un pouvoir important, qui disposent selon ce que le pouvoir leur dicte. Il s’agit d’un scénario où de nombreux médias tels que La Tercera, La Segunda et El Mercurio, déforment tout, ils se focalisent uniquement sur la violence, les divisions internes de la CONFECH et essayent de manipuler l’opinion publique. Je ne donne plus d’interviews à La Tercera, c’est effrayant comment ils manipulent l’information. Ce journal ment, non pas comme El Mercurio, qui je pense se limite à donner juste un point de vue depuis la droite.
Et dans le cas de Las Ultimas Noticias (LUN)?
LUN utilise la stratégie de la superficialité, ils ne vont pas au fond. Aujourd’hui, ils m’utilisent, puis c’est quelqu’un d’autre. Ils banalisent l’information afin que les gens ne voient que le superficiel et non pas ce qui se passe réellement dans les mouvements. Par exemple, quand ils ont mis « Camila Vallejo n’a pas voulu bouger son cul » (NDLT : no quiso mover la colita) Quel niveau journalistique avons nous là ?
L’ENJEU CONSTITUTIONNEL DOIT ÊTRE UN PROCESSUS
Comment abordez-vous la réforme politique d’une assemblée constituante ?
L’assemblée constituante est une projection, et ce n’est pas une demande en ce moment. L’installer comme une demande est une question politique, et nous savons que si nous la demandons aujourd’hui ce seront les mêmes de toujours qui participeront et la rédigeront. C’est parce que les gens des bidonvilles, la base sociale, ne s’est pas encore approprié de ce sujet. En termes de projection politique, il y a là un défi majeur : générer un pouvoir de la constituante.
À moyen terme cela veut dire ?
Oui, je pense que c’est à moyen terme. Par exemple, aujourd’hui on a beaucoup parlé des assemblées territoriales ou populaires. À partir de ces instances qui sont en cours de création et qui permettent aux gens qui ne sont pas impliqués dans la politique de participer, doit s’installer l’idée d’une nouvelle Constitution. Si nous travaillons tous dans ce sens, tant les communistes que la gauche en général et les bases de la Coalition, cela pourra donner quelque chose de très puissant.
RECADRAGE
Au moment de rédiger cet entretien, la rencontre avec le Président M. Sebastián Piñera se préparait :
Comment espérez-vous que soit la rencontre avec Piñera cette semaine ?
Nous voulons y donner un cadre d’instance dans laquelle il va nous répondre en termes de volonté politique qu’il a d’aller vers les points que nous demandons. Nous considérons cet espace comme un premier face à face avec le président. Voyons voir si c’est possible ou non d’avancer dans ce dialogue.
Quelles sont les conditions pour que ce dialogue prospère ?
Nous devons principalement signaler la répression que nous avons vécu, avec des camarades qui ont été illégalement détenus et battus. Aussi la mort de Manuel Gutierrez, dont faire justice n’est pas seulement de virer le policier, mais là il faut instruire l’affaire.
Nous ne voulons pas parler avec quelqu’un qui est en train de nous réprimer.
Avez-vous appelé à la démission de Rodrigo Hinzpeter suite à la mort de Manuel Gutiérrez ?
Nous exigeons la démission du ministre de l’intérieur Hinzpeter depuis le 4 août. Le problème de la demander comme condition pour le dialogue, c’est que certainement le gouvernement va la rejeter et nous retomberons dans un scénario sans dialogue. Nous nous attendons à un revirement dans la politique du ministère de l’Intérieur face aux mobilisations sociales.
Quel est le minimum pour les étudiants dans ce dialogue ?
Politiquement, le plus important c’est la réponse à nos points. S’ils vont nous resservir le même plat de toujours, nous ne l’accepteront pas. S’il y a du progrès, nous l’amènerons à nos bases afin de discuter dans les assemblées et à la CONFECH ce samedi, ‑3 Septembre pour décider si oui ou non il est possible de commencer à travailler avec l’exécutif.
Est-ce un processus de dialogue avec des mobilisations ou allez-vous les interrompre si c’est une condition du gouvernement ?
Nous n’avons aucun pouvoir de négociation si nous ne sommes pas mobilisés.
Que ferez-vous si Piñera n’est présent qu’à la réunion, puis vous laisse parler seuls avec Bulnes (ministre de l’éducation)?
Nous voulons qu’il y soit jusqu’à la fin. Sinon cela ne nous sert pas.
Allez-vous vous représenter comme candidate à la présidence de la FECH (Fédération étudiants du Chili) pour une nouvelle période ?
-Nous en discutons. Je pourrais me présenter à nouveau, j’y suis disposé. Mais je dois résoudre ma situation académique. C’est quelque chose que je n’exclue pas, cela dépendra des besoins du mouvement étudiant.
En termes de pays, voyez-vous des candidatures ?
Je n’y pense pas. On me l’a déjà demandée dans la rue, mais non.
Par Sergio Jara Roman
Source de l’article ; El Ciudadano Nº109, septiembre 2011
Traduction : www.zintv.org