Nous publions une carte blanche rédigée par le collectif outils solidaires contre les violences policières au sujet du décès de Mohamed Amine Berkane le lundi 13 décembre 2021 dans un commissariat de police bruxellois (moins de 1 an après le décès d’Ylias Abbedou, dans ce même commissariat).
Il s’appelait Mohamed Amine Berkane.
Il était algérien.
Il avait 26 ans.
Il est mort en cellule à Bruxelles.
Presque 1 an jour pour jour après le décès d’Ilyas Abbedou, âgé de 29 ans et mort dans le même commissariat de Bruxelles, le décès de Mohamed Amine Berkane ravive une colère et une inquiétude légitime sur les violences de la police bruxelloise. Le 18 janvier 2021, Ilyas Abbedou, un jeune homme de 29 ans de nationalité algérienne, était arrêté au centre commercial du DOCKX à Bruxelles pour le vol présumé d’une veste. Ilyas fut transféré au commissariat de la rue Royale et retrouvé mort le lendemain après-midi. Une mort tragique et sordide qui n’a toujours pas été élucidée jusqu’à aujourd’hui ! « On croyait qu’il dormait lorsqu’on s’est aperçu qu’il y avait du sang qui coulait sur son visage…et qu’il était déjà mort”, déclare l’un des agents responsables de sa surveillance.
L’histoire se répète un an plus tard, avec Mohamed Amine Berkane1, alors âgé de 26 ans dont l’identité a été relevée grâce au minutieux travail d’enquête de la journaliste Malika Madi
Mohamed Amine Berkane a été arrêté le 12 décembre dernier, près de la Bourse pour un vol présumé d’un téléphone portable. Il était en compagnie de son ami Hicham2, lui aussi embarqué pour les mêmes faits. Hicham est placé dans une cellule pour mineurs alors que Mohamed Amine est placé dans une cellule pour adultes. Ce traitement différencié ne s’explique pas car les deux jeunes garçons avaient quasiment le même âge.
Hicham raconte avoir entendu Mohamed crier très fort et « puis plus rien ». Mohamed passe la nuit dans sa cellule et reçoit un petit déjeuner le lendemain matin mais son repas de midi ne lui a pas été délivré car : « On pensait qu’il dormait » justifient les policiers. Quand l’état d’inanimation de Mohamed est déclaré, les policiers n’appellent pas directement le SMUR, mais une ambulance. Les secouristes ne réussissent pas à le réanimer et ce sont finalement les services d’urgence et un médecin urgentiste qui arrivent sur place pour constater le décès vers 15h.
Pourquoi les agents de police ne se sont-t-ils pas inquiétés plus tôt ? N’y avait-t-il pas moyen d’agir plus rapidement ? Des minutes vitales qui auraient pu éviter ce deuxième drame. Les policiers de la RAC (la garde zonale de la zone de police de Bruxelles-Capitale-Ixelles) semblent avoir une « fâcheuse tendance » à oublier leurs détenus en cellule et à constater leur décès sans pouvoir en expliquer les raisons.
Mohamed Amine a été vu par un médecin avant son incarcération mais celui-ci n’a pas signalé d’obstacle physique et médical à un placement en garde à vue.
Arrêté et privé de liberté, Mohamed s’est retrouvé dans une situation de grande vulnérabilité et les policiers étaient dans l’obligation de s’assurer qu’il ne courrait aucun danger. Toutes les cellules sont d’ailleurs équipées de caméras de surveillance qui sont en permanence contrôlées et qui auraient dû donner l’alerte aux moindres soucis. Il s’agit ici d’une situation de non-assistance à personne en danger. Voire pire. Son ami Hicham, sorti vivant de ce commissariat mais traumatisé, s’est confié : « Au commissariat, les policiers savent où sont les caméras. Ils nous frappent quand ils savent qu’ils ne seront pas filmés. »
Les tous premiers articles sortis dans la presse au lendemain de la mort d’Ilyas et de Mohamed Amine, n’ont pas échappé à la règle de la criminalisation des victimes. Ils utilisent un argumentaire qui tourne autour de la prise de stupéfiants par exemple. C’est un classique. Les journalistes s’appuient sur la version de la police, parti prenante dans l’affaire. Ainsi, les journalistes communiquent la version policière, rendant la victime responsable de sa propre mort. Nous sommes en droit de questionner sur la version policière et de demander comment Mohamed Amine aurait bien pu être en possession de « stupéfiants » alors que les détenu.e.s sont fouillé.e.s avant l’entrée en cellule et leurs effets personnels confisqués .
Ilyas et Mohamed Amine étaient tous les deux algériens. Tous les deux avaient moins de 30 ans. Et tous deux étaient des personnes sans-papiers à Bruxelles. Plutôt que de les criminaliser et de les stigmatiser, nous devons nous interroger sur leur situation de grande vulnérabilité et de précarité. Nous devons nous inquiéter du contexte actuel qui favorise la déshumanisation des personnes sans papiers et la criminalisation croissante de leur présence en rue. Nos politiques actuelles mettent la vie des personnes sans-papiers en danger et la mort de Mohamed Amine s’inscrit dans un contexte plus large de crimes policiers racistes.
Il y a beaucoup (trop) de points communs entre Ilyas et Mohamed Amine pour invoquer une simple coïncidence. Deux jeunes racisés de moins de 30 ans et sans papiers sont morts dans le même commissariat à moins de 1 an d’intervalle. Il faut aussi souligner que sans le travail d’enquête de la journaliste, Malika Madi de Divercite.be l’identité du jeune Mohamed Amine n’aurait sans doute jamais été révélée, ce qui nous amène à craindre que d’autres victimes existent sans qu’elles soient connues, passées aux oubliettes, que leur famille ne sont pas contactées, qu’elles ne sont pas enterrées dignement et que justice et vérité ne soient jamais rendues.
Par cette carte blanche nous invitons toutes les forces de soutiens aux sans-papiers et contre les violences policières à se mobiliser autour d’une action collective pour réclamer la justice et la vérité autour de ce nouveau décès. Nous invitons également la Ligue des droits humains et Douche Flux à exiger une enquête indépendante et sérieuse (comme ils l’ont fait dans l’affaire d’Ilyas Abbedou) si la famille de Mohamed Amine ne peut se porter partie civile. Ces invitations sont un minimum aux vues des circonstances obscures de son décès et la répétition de ces évènements tragiques dans le commissariat de la rue royale à Bruxelles.
Le collectif outils solidaires contre les violences policières