Courrier d’une troupe de théâtre cubaine en tournée aux USA

Une lettre très émouvante de Carlos Alberto Cremata, directeur de la troupe de théâtre cubaine "La Colmenita" en tournée aux États-Unis

Image_3-98.pngVoi­ci la tra­duc­tion de la lettre très émou­vante de Car­los Alber­to Cre­ma­ta, Tin comme tous l’ap­pellent à Cuba, et qui est direc­teur de la troupe de théâtre “La Col­me­ni­ta”. Comme vous êtes au cou­rant, ils viennent de faire une tour­née aux Etats-Unis, spon­so­ri­sés par la fon­da­tion Browns­tone. Leur pièce “Abra­ca­da­bra” écrite par les enfants de la troupe raconte l’his­toire des Cinq. Le René dont il est ques­tion à la fin de la lettre est René Gon­zalez, celui des Cinq qui a été libé­ré le 7 octobre et qui est assi­gné à rési­dence pen­dant 3 ans aux USA.

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(…) De la visite aux Etats-Unis, je vous raconte tout ce qui fut le plus impor­tant qui me soit arri­vé dans la vie et je suis sûr que c’est aus­si le cas de La Colmenita…

Visi­ter Washing­ton et voir le mémo­rial de Lin­coln et celui de Washing­ton, l’en­droit où Luther King a dit : « J’ai fait un rêve », les musées extra­or­di­naires que l’on voit dans la sage « Une nuit au musée » (des Sciences Natu­relles, de l’Air et de l’Es­pace) la Mai­son Blanche, l’État Major de la CIA en Vir­gi­nie, le Pentagone… 

Enfin et sur­tout, pou­voir entrer au Capi­tole et au Congrès des États-Unis et pou­voir être avec deux congres­sistes amies comme Bar­ba­ra Lee et Lau­ra Richard­son, être pen­dant presque une demie-heure, à deux mètres de la Louve Féroce dans la salle de lob­by du Congrès et obser­ver ses can­cans et sa façon de par­ler scan­da­leuse et ensuite, voir la moue sur son visage lorsque sa figure riante devint pathé­tique en voyant nos pull-overs de La Col­me­ni­ta

Jouer avec une salle pleine dans la fameuse École d’Art « Duke Elling­ton » dans une École du Mary­land et dans l’A­me­ri­can Uni­ver­si­ty elle-même (où quelques jours aupa­ra­vant, Car­los Vare­la s’é­tait pré­sen­té) et par­tout, avoir eu le suc­cès le plus extraordinaire…

Ensuite, voir New York, se pro­me­ner dans Times Square et Broad­way et pas­ser dans un fer­ry face à la sta­tue de la Liber­té et visi­ter la grande gare cen­trale où a été fil­mé « Mada­gas­car » et Cen­tral Park où se trouve l’u­nique sta­tue équestre (impres­sion­nante) de Mar­ti et le Straw­ber­ry Fields où Yoko dres­sa le mémo­rial à John pour 1 mil­lion de dol­lars, face à l’é­di­fice Dako­ta où il fut tué…

Et voir Ground Zéro (où étaient les Tours Jumelles) et jouer à Brook­lyn, dans le Bronx, à Har­lem, deux fois à Man­hat­tant, tou­jours dans des salles combles où les gens criaient « Vive Cuba !» et « Liber­té pour les 5 !», faire dan­ser de façon endia­blée plus de 500 fonc­tion­naires et diplo­mates au siège des Nations Unies !!! Et écou­ter notre Ambas­sa­deur nous dire qu’un séna­teur d’État était pré­sent, Bill Per­kins, (envoyé sans doute par Hil­la­ry Clin­ton), sur qui Bru­no, notre chan­ce­lier, nous avait dit qu’il avait essayé de faire pres­sion à l’U­NI­CEF et que le séna­teur (qui ne s’é­tait jamais mani­fes­té à pro­pos de Cuba) avait eu une grosse larme et qui à la fin,se leva et avant de se reti­rer, dit cette chose incroyable : « Après avoir vu cela, dites-moi ce que je peux faire pour Cuba et pour les 5 ? »

Et per­sonne ne peut encore croire qu’il ait dit cela, ce type (ce qu’il avait vu, c’é­tait la Cuca­ra­chi­ta et évi­dem­ment, avec la vidéo de Dan­ny Glo­ver à la fin …) 

Et ensuite, voir le ving­tième vote de l’O­NU contre le blo­cus à quelques mètres du siège de Cuba et échan­ger pen­dant presque une heure des dizaines d’a­nec­dotes sym­pa­thiques avec Bru­no Rodrí­guez (ministre cubain des Affaires étran­gères) sur les votes anté­rieurs et nous faire pho­to­gra­phier (grâce à Bru­no) sur le célèbre podium où furent Fidel et le Che… 

Et ensuite, nous retrou­ver à San Fran­cis­co et ses rues escar­pées et ses tram­ways et ses braves gens et à Rich­mont (celle de « Coach Car­ter » que ce film ne se perde pas !!!) et à Oak­land (déjà celles-ci – avec Recon­nais­sances et Ordres que nous remet­taient cités et com­tés) et un théâtre extrê­me­ment luxueux, tout près de la pri­son d’Al­ca­traz et du Gol­den Gate Bridge, tout cela fut for­mi­dable et tou­jours entou­rés de très braves gens et dans un bus jaune comme à Cuba où nous chan­tions la vieille et la nou­velle Trova.

Et que dire des conver­sa­tions télé­pho­niques avec les 5 ? Le gros rire très conta­gieux de Ramon, l’hu­mi­li­té de Fer­nan­do, la sen­si­bi­li­té et l’é­du­ca­tion de Tony, les pro­vo­ca­tions de René et sur­tout, les huit appels de Gerar­do !!! (Je suis en train d’é­crire un article pour le « Gran­ma » sur ces huit appels, que je leur enver­rai après)…

Mais, bon, cela n’est pas com­pa­rable au der­nier jour à Mia­mi où les enfants ont été toute la mati­née et une grande par­tie de l’a­près-midi avec leurs familles (que plu­sieurs ne connais­saient pas ou avaient très peu vues) Et ensuite, la meilleure sur­prise de toute la Tour­née, nous sommes allés chez un ami à Mia­mi et nous avons fait le cercle d’éner­gie dans le jar­din et rapi­de­ment, magi­que­ment, un type très grand entra dans le cercle avec un pull-over de la Col­me­ni­ta en criant « Abra­ca­da­bra ! » (il sem­blait être tom­bé du ciel!) et tout le monde fut sur­pris et per­sonne ne bou­geait, et per­sonne n’en­ten­dait rien, c’é­tait comme une appa­ri­tion, comme un envoyé des Dieux (cer­tains eurent l’im­pres­sion qu’il était tom­bé du ciel) un héros des BD (Bat­man, Super­man, quelque chose comme ça) et qui était-ce ? René !!!

René Gon­za­lez Sche­we­rert, un géant aux yeux clairs, aux mains immenses, cin­quante-cinq ans, corps d’ath­lète, pro­vo­ca­teur à n’en plus pou­voir, simple, tendre jus­qu’à l’exa­gé­ra­tion, pater­nel, bon frère !!! (je ne trouve pas d’autre défi­ni­tion) et rapi­de­ment, en voyant que per­sonne ne bou­geait, il dut crier : « Putain, foin des émo­tions, nous sommes des artistes… La Pili­ta !!! »… Et tous les enfants de sau­ter sur René et de le man­ger de baisers… 

Et après, l’ « Abra­ca­da­bra » le plus grand qui se puisse trou­ver dans la vie, dans la petite pièce d’une mai­son si humble qu’elle n’a­vait même pas de magné­to­phone (nous dûmes mettre la musique presque à l’o­reille à par­tir du por­table de Daniel), un « abra­ca­da­bra » seule­ment pour exac­te­ment 14 per­sonnes (11 amis de la Soli­da­ri­té et en pre­mier lieu : René Glez, Irma Sche­we­rert et Maru­chi, la sœur de Tony) et à la fin, René, qui ne pou­vait rete­nir ses larmes, s’ar­rête et dit : « Je veux dire une chose, quand ils m’ont arrê­té, le plus dif­fi­cile pour mois, les pre­miers jours, ce fut lorsque ensuite, ils arrê­tèrent Olgui­ta et après nous être écrit plu­sieurs lettres, ils nous ont per­mis de nous voir. Elle venait par le cou­loir, avec la tenue orange des pri­son­nières, très sale et défraî­chie, négli­gée et c’est à ce moment-là que j’ai sen­ti que je n’a­vais jamais eu tant envie de pleu­rer dans ma vie et ensuite, Olgui­ta, dans une lettre, m’a dit la même chose…

Et moi, en voyant que nous allions pleu­rer tous les deux, j’ai crié : « Ma vie, comme l’o­range te va bien ! »… Et nous avons ri tous les deux, rete­nant nos pleurs… Et nous avons ensuite conve­nu que, devant l’en­ne­mi, on ne pleure jamais et nous avons été très fiers de ne pas avoir don­né ce plai­sir aux gardiens…

Bon, j’ai beau­coup rete­nu jus­qu’à main­te­nant et comme c’est avec les amis que nous devons réel­le­ment pleu­rer, per­met­tez-moi main­te­nant de pleu­rer avec vous… »
. Et il me prit dans ses bras, très fort et ce géant invin­cible com­men­ça à pleu­rer sur mon épaule comme un enfant …

Tout a été fil­mé par Rober­to Chile. Un moment plus émou­vant ne peut exis­ter pour des appren­tis artistes cubains… Ensuite, depuis 6 heures du soir jus­qu’à 2 heures du matin, nous eûmes les conver­sa­tions les plus incroyables avec le héros, dans les­quelles s’é­chan­gèrent les ques­tions les plus élé­men­taires jus­qu’aux plus indis­crètes et invrai­sem­blables… Et ain­si, nous en revînmes à Cuba :

La ques­tion la plus récur­rente par­mi les enfants, était : « Tin, est-ce que c’est nor­mal qu’on ne le croit pas ? …

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(Mer­ci a la tra­duc­tion de Gas­ton Lopez et aux com­men­taires ini­tiales de Kakine)