De la chasse au Che à sa vente aux enchères

Par Her­nan­do Cal­vo Ospina

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blog de HCO


Tra­duit par Hélène Vaucelle

45 ans après son assas­si­nat, une vente aux enchères eut lieu…

En mars 1967, une ving­taine d’hommes des forces spé­ciales éta­su­niennes, dont quelques-uns pro­ve­naient du Sud Viet­nam, s’installa en Boli­vie. Spé­cia­listes en contre-insur­rec­tion, ils fai­saient par­tie des Equipes mobiles d’Entrainement (Mobile Trai­ning Team). A leur tête se trou­vait le major Ralph « Pap­py » Shel­ton, vété­ran de la guerre de Corée et des opé­ra­tions spé­ciales au Laos et au Viet­nam. Ils étaient char­gés d’organiser et d’entraîner un bataillon de « chas­seurs » de la forêt, corps d’élite connu aus­si sous le nom de « Ran­gers ».

Shel­ton déci­da qu’une bonne par­tie des recrues devait être d’origine que­chua. Selon ce mili­taire, leur connais­sance du ter­rain, de la langue et leur tem­pé­ra­ment faci­li­te­raient les rela­tions et la col­la­bo­ra­tion avec la popu­la­tion rurale. En outre, Shel­ton sou­te­nait que les Que­chuas résis­taient mieux aux rigueurs de la jungle que les indiens Aymara.[[Gillet, Jean-Pierre. Les bérets verts. Les com­man­dos de la CIA. Albin Michel. Paris, 1981.]]

Paral­lè­le­ment au groupe de Shel­ton, arri­vèrent Félix Rodrí­guez Men­di­gu­tia et Gus­ta­vo Vil­lol­do Sam­pe­ra, d’origine cubaine, membres de l’Agence cen­trale de ren­sei­gne­ment des Etats-Unis, CIA. Howard Hunt, l’un des hommes clés de la CIA lors du ren­ver­se­ment du pré­sident gua­té­mal­tèque Jaco­bo Arbenz, en juin 1954, se joi­gnit à eux. Lors du « Pro­jet Cuba », qui pré­pa­rait l’invasion ratée de Cuba à par­tir de Playa Giron, en avril 1961, Hunt avait été le res­pon­sable char­gé de l’organisation du « Gou­ver­ne­ment pro­vi­soire cubain ». Il y avait aus­si Anto­nio Vecia­na Blanch, d’origine cubaine, qui tra­vaillait à l’ambassade éta­su­nienne à La Paz, en tant que fonc­tion­naire de l’Agence des Etats-Unis pour le déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal, (Uni­ted States Agen­cy for Inter­na­tio­nal Deve­lop­ment, USAID), une ins­ti­tu­tion créée en 1961, dépen­dant du Dépar­te­ment d’Etat et prin­ci­pal agent d’exécution des actions de la CIA à l’étranger. Vecia­na avait été l’un des prin­ci­paux inter­mé­diaires entre la CIA et la mafia de la « Cosa Nos­tra », lorsque le pré­sident John F. Ken­ne­dy auto­ri­sa cette « rela­tion » dans le but d’assassiner Fidel et Raul Cas­tro, ain­si que Che Guevara.[[Rapport de la Com­mis­sion spé­ciale pré­si­dée par le séna­teur Frank Church : “Alle­ged Assas­si­na­tion Plots Invol­ving forei­gn Lea­ders.” An Inter­im report of the Select Com­mit­tee to Stu­dy Govern­men­tal Ope­ra­tions With Res­pect to Intel­li­gence Acti­vi­ties Uni­ted States Senate Toge­ther UIT Addi­tio­nal, Sup­ple­men­tal, and Sepa­rate Views. Novem­ber, 1975. U.S. Govern­ment prin­ting office 61 – 985. Washing­ton, 1975.]]

Tous étaient en Boli­vie pour pour­suivre, cap­tu­rer ou faire dis­pa­raître Che Gue­va­ra. La CIA n’avait pas pu rem­plir cet objec­tif au Congo. Le 24 avril 1965, le Che était arri­vé en Tan­za­nie avec un petit groupe de Cubains. De là, ils étaient pas­sés au Congo, pre­nant contact avec les rebelles qui com­bat­taient le dic­ta­teur Joseph-Dési­ré Mobu­tu, lequel comp­tait sur l’appui d’Etasuniens et d’Européens. Le Che s’était ren­du au Congo pour répondre à l’appel du diri­geant Laurent-Dési­ré Kabi­la qui avait deman­dé au gou­ver­ne­ment cubain de l’assistance en tech­niques de gué­rilla. Le Che et ses hommes quit­tèrent le Congo en novembre, en accord avec les rebelles.

Le révo­lu­tion­naire était arri­vé en Boli­vie en novembre 1966, sous le nom d’Adolfo Mena Gon­za­lez, avec un pas­se­port uru­guayen. Peu de jours après, il s’incorpora à la gué­rilla nais­sante. Son inten­tion était de conso­li­der un mou­ve­ment rebelle qui serait le début de l’expansion des pro­ces­sus de libé­ra­tion à tra­vers l’Amérique du Sud.

Presqu’un an aupa­ra­vant, le 3 octobre 1965, lors de la céré­mo­nie de consti­tu­tion du Comi­té Cen­tral du Par­ti Com­mu­niste de Cuba, Fidel Cas­tro avait lu l’émouvante lettre d’adieu du Che, dans laquelle il renon­çait à toutes ses fonc­tions offi­cielles que lui avait confié la Révo­lu­tion nais­sante. « D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je peux faire ce qui t’est refu­sé, en rai­son de tes res­pon­sa­bi­li­tés à la tête de Cuba et l’heure est venue de nous séparer.

Je veux que tu saches que je le fais avec un mélange de joie et de dou­leur ; je laisse ici les plus pures de mes espé­rances de construc­teur et le plus cher de tous les êtres que j’aime […] Sur les nou­veaux champs de bataille je por­te­rai en moi la foi que tu m’as incul­quée, l’esprit révo­lu­tion­naire de mon peuple, le sen­ti­ment d’accomplir le plus sacré des devoirs : lut­ter contre l’impérialisme où qu’il soit ; ceci me récon­forte et gué­rit les plus pro­fondes déchi­rures. Je répète une fois encore que je délivre Cuba de toute res­pon­sa­bi­li­té, sauf de celle qui émane de son exemple […] ».

 

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L’ordre d’envoyer cette équipe « chas­ser » le Che avait été don­né après que la CIA eût pris connais­sance des pho­tos prises depuis un avion espion, de type U‑2. Cet « oiseau invi­sible » avait réa­li­sé ses pre­miers vols en 1956. L’existence de ce type d’avions fut brus­que­ment révé­lée à la une de la presse mon­diale lorsque les Sovié­tiques en abat­tirent un spé­ci­men au-des­sus de leur ter­ri­toire, le 1er mai 1960, pro­vo­quant une grande ten­sion entre les deux nations. Deux ans plus tard, le 14 octobre, ce furent les pho­tos prises au-des­sus de Cuba par l’un de ces appa­reils qui déchaî­nèrent la Crise des Mis­siles. Le U‑2 jouis­sait d’un grand pres­tige grâce à sa capa­ci­té à réa­li­ser des pho­to­gra­phies du sol tout en volant à une alti­tude de 20 kilo­mètres. Ses camé­ras étaient équi­pées d’un sys­tème de détec­tion à infra­rouge, qui impri­mait le moindre rayon­ne­ment ther­mique sur une pel­li­cule ultra sen­sible. Cet avion de recon­nais­sance ne fut pas le seul moyen auquel eut recours l’Equipe Spé­ciale éta­su­nienne afin de loca­li­ser avec exac­ti­tude la colonne du Che. Si l’information tirée de trans­fuges et de pri­son­niers – qui par­lèrent volon­tai­re­ment ou sous la tor­ture – fut impor­tante, on comp­ta aus­si avec la sur­veillance d’autres avions.

Dans la jour­née, des avions loués par la CIA, camou­flés au milieu de ceux des entre­prises pétro­lières et de gaz, sur­veillaient toute la par­tie méri­dio­nale de la Boli­vie, depuis San­ta Cruz jusqu’à la fron­tière avec le Bré­sil, le Para­guay et l’Argentine.[[Jean-Pierre Gil­let. Op.cit.]]

Lorsqu’on eut la cer­ti­tude que c’était bien le Che qui com­man­dait la colonne de gué­rilla, une autre sec­tion de la CIA appor­ta son sou­tien aux agents sur le ter­rain. Elle leur remit le dos­sier de l’étude psy­chia­trique per­son­nelle (Psy­chia­tric Per­so­na­li­ty Stu­dy, PPS), du diri­geant révo­lu­tion­naire. Comme le fait la CIA avec toute per­sonne qu’elle met sous sa loupe dans le monde, le PPS du Che conte­nait les enquêtes de psy­cho­logues, de psy­chiatres et même de jour­na­listes, sur sa per­son­na­li­té pré­su­mée et son com­por­te­ment depuis sa jeu­nesse, en incluant les mala­dies pro­bables et même les pré­fé­rences sexuelles.

La cap­ture ou l’assassinat du Che était d’importance stra­té­gique, ce qui fut démon­tré le 9 avril 1967. Ce jour-là, comme cela se fit en peu d’occasions, les hauts res­pon­sables civils et mili­taires pour l’Amérique Latine se réunirent afin de débattre de la marche à suivre. Pour le Penta­gone étaient pré­sents le géné­ral en chef de l’Etat Major de la US Army, et le com­man­dant du Sou­thern Com­mand, ain­si que les chefs des troupes d’intervention et de ren­sei­gne­ment. Y par­ti­ci­paient éga­le­ment, pour la Mai­son Blanche et le Dépar­te­ment d’Etat, le Secré­taire d’Etat adjoint pour les affaires régio­nales, un conseiller du Conseil Natio­nal de Sécu­ri­té, et divers experts. Le secré­taire d’état Dean Rusk ain­si que Richard Helms, le chef de la CIA pré­si­daient la réunion.

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Le centre de la zone de com­bat se situait près du fleuve Ñan­ca­hua­zu. Rodri­guez Men­di­gu­tia et Vil­lol­do Sam­pe­ra diri­geaient les effec­tifs boli­viens. Bles­sé au com­bat, le Che fut cap­tu­ré le 8 octobre 1967 et assas­si­né le len­de­main, alors qu’il se trou­vait tota­le­ment sans défense, à l’intérieur de l’humble école de La Higuera.

Des années après, Félix Rodri­guez Men­di­gu­tia se glo­ri­fiait d’avoir été le der­nier Eta­su­nien et le der­nier Cubain à voir le Che vivant. Ce fut lui qui trans­mit à un ser­gent boli­vien l’ordre, venant de Washing­ton, de tirer sur le gué­rille­ro. Dans son actuelle mai­son-bun­ker des alen­tours de Mia­mi, il a son « musée » per­son­nel où il exhibe la montre Rolex en acier et la pipe qu’il prit au Che. Il décri­vit les détails de son action dans cette opé­ra­tion dans un rap­port à la CIA, déclas­si­fié en 1993.

Exé­cu­tant les direc­tives de Washing­ton, Gus­ta­vo Vil­lol­do Sam­pe­ra se char­gea d’enterrer le Che en secret, « pour empê­cher La Havane de véné­rer ses restes comme un monu­ment à la révo­lu­tion. » [[El Nue­vo Herald, “Vil­lol­do : Yo enter­ré al Che” Mia­mi, 21 sep­tembre 1997.]]

Ce qu’il ne put pour­tant pas évi­ter, tout au contraire : le Che devint l’un des plus grands sym­boles de la lutte révo­lu­tion­naire pour la liber­té, dans l’histoire de l’humanité.

Il ne put pas non plus empê­cher le retour du Che à Cuba. Le 28 juin 1997, un groupe d’experts cubains et argen­tins décou­vrit à Val­le­grande en Boli­vie, une fosse com­mune qui ren­fer­mait les restes du Che et de six autres gué­rille­ros. Le 12 juillet, ils furent trans­fé­rés à Cuba et reçus par leurs familles ain­si que par tout le peuple de Cuba, lors d’une céré­mo­nie simple mais extra­or­di­naire. Aujourd’hui, leurs restes reposent dans le mau­so­lée de la Place Ernes­to Che Gue­va­ra à San­ta Clara.

chehair.jpgEn 2007, une vente aux enchères eut lieu dans une librai­rie du Texas, à la demande de Vil­lol­do Sam­pe­ra. Y figu­raient les empreintes digi­tales du Che, une touffe de che­veux cou­pés sur le cadavre, ain­si que des cartes de la mis­sion de détec­tion et de cap­ture. Il espé­rait en obte­nir un demi-mil­lion de dol­lars. Même si la grande presse mon­diale s’en était fait l’écho, cette vente aux enchères atti­ra beau­coup de curieux mais un seul ache­teur à qui Vil­lo­do dut vendre ses « tro­phées » pour 100.000 dol­lars. La plu­part des gens étaient d’avis que leur acqui­si­tion por­te­rait malheur.