Didier Reynders ou la realpolitik à tout prix

A l’heure de dis­cu­ter du ren­for­ce­ment de la coopé­ra­tion judi­ciaire entre la Bel­gique et le Maroc, il n’est pas per­mis de fer­mer les yeux sur les vio­la­tions fla­grantes et sys­té­ma­tiques des droits fon­da­men­taux des per­sonnes par cet Etat, ni de nier le cal­vaire d’un Belge.

Com­mu­ni­qué 9 mars 2016, par le Cabi­net d’avocats Jus Cogens

Affaire Ali AARRASS : « Didier REYNDERS ou la Real­po­li­tik à tout prix »

Le par­le­ment belge est actuel­le­ment en train de dis­cu­ter d’une loi por­tant assen­ti­ment à la « Conven­tion de coopé­ra­tion entre le gou­ver­ne­ment du royaume de Bel­gique et le gou­ver­ne­ment du Royaume du Maroc en matière de lutte contre la cri­mi­na­li­té orga­ni­sée et le terrorisme ».

Dans ce cadre, Mon­sieur REYNDERS, répon­dant à une inter­pel­la­tion du Dépu­té HELLINGS, a décla­ré au sujet d’Ali AARRASS :

« Il s’agit d’une per­sonne qui, dans le pas­sé, a été extra­dée par l’Espagne vers le Maroc où il est tou­jours incar­cé­ré. Il béné­fi­cie de l’assistance consu­laire belge. Les auto­ri­tés maro­caines répondent sys­té­ma­ti­que­ment aux dif­fé­rentes démarches belges que l’intéressé a été condam­né pour dif­fu­sion de pro­pa­gande isla­mique, pour par­ti­ci­pa­tion à un réseau de com­bat­tants étran­gers pour l’Irak et à des livrai­sons d’armes. Grâce aux efforts déployés par le consu­lat belge, la Com­mis­sion maro­caine pour les droits de l’homme a pu rendre visite à l’intéressé toutes les semaines. Rien n’indique que le condam­né ait été tor­tu­ré par les ser­vices maro­cains »[[Chambre des repré­sen­tants, 25 février 2016, « Pro­jet de loi por­tant assen­ti­ment à la Conven­tion de coopé­ra­tion entre le gou­ver­ne­ment du Royaume de Bel­gique et le gou­ver­ne­ment du Royaume du Maroc en matière de lutte contre la cri­mi­na­li­té orga­ni­sée et le ter­ro­risme, faite à Bruxelles le 18 février », 2014DOC 54 1646/002, p. 7]].

Cette réponse est scan­da­leuse. Quelle honte de la part de celui-là même qui est cen­sé assu­rer la pro­tec­tion des res­sor­tis­sants belges en dan­ger à l’étranger !

Pre­miè­re­ment, il est tota­le­ment inexact de pré­tendre que Mon­sieur AARRASS « béné­fi­cie de l’assistance consu­laire belge ». Il n’a jamais reçu la visite du Consul belge à Rabat. Le Ministre a été condam­né par la Cour d’appel de Bruxelles pour son inac­tion mais les auto­ri­tés belges ne font rien d’efficace pour pou­voir ren­con­trer leur res­sor­tis­sant. Le Ministre pour­rait pour­tant exi­ger du Maroc, au regard du droit inter­na­tio­nal, d’exercer ses com­pé­tences consulaires[[Dès 1es années 1950, la Cour Inter­na­tio­nale de Jus­tice a consi­dé­ré que :

« Selon la pra­tique des Etats, les déci­sions arbi­trales et judi­ciaires et les opi­nions doc­tri­nales, la natio­na­li­té est un lien juri­dique, ayant à sa base un fait social de rat­ta­che­ment, une soli­da­ri­té effec­tive d’existence, d’intérêts, de sen­ti­ments, jointe à une réci­pro­ci­té de droits et devoirs… Confé­rés par un Etat, elle ne lui donne titre à l’exercice de la pro­tec­tion vis-à-vis d’un autre Etat que si elle est la tra­duc­tion en termes juri­diques de l’attachement de l’individu consi­dé­ré à l’Etat qui en a fait son natio­nal » (Made­leine GRAWITZ, « Arrêts Not­te­bohm du 18 novembre 1953 (com­pé­tence) et du 6 avril 1955 (fond) », in Annuaire fran­çais de droit inter­na­tio­nal, volume I, 1995, p. 26)

Dans une sen­tence du 10 juin 1955, la Com­mis­sion de conci­lia­tion ita­lo-amé­ri­caine a éga­le­ment confir­mé que : « le prin­cipe, fon­dé sur l’égalité sou­ve­raine des Etats, qui exclut la pro­tec­tion diplo­ma­tique en cas de double natio­na­li­té doit céder devant celui de la natio­na­li­té effec­tive toutes les fois que cette natio­na­li­té est celle de l’Etat requé­rant mais il ne doit pas céder quand une telle pré­do­mi­nance n’est pas prou­vée » (Daniel-Hen­ri VIGNES, « Com­mis­sion de conci­lia­tion ita­lo-amé­ri­caine, sen­tence du 10 juin 1955 : affaire Flo­rence Mer­gé », in Annuaire fran­çais de droit inter­na­tio­nal, volume II, 1956, p. 433).]].

Deuxiè­me­ment, il n’y pas de Com­mis­sion maro­caine pour les droits de l’homme mais bien un Conseil natio­nal des droits de l’homme au Maroc. Cet organe n’est pas indé­pen­dant. Il ne visite pas heb­do­ma­dai­re­ment Mon­sieur AARRASS et ne lui a été d’aucune uti­li­té. Les pro­messes faites suite à ses grèves de la faim n’ont jamais été respectées !

Troi­siè­me­ment, si le Ministre des Affaires étran­gères fait allu­sion à la condam­na­tion au Maroc, il sait per­ti­nem­ment que, pour la même affaire, la jus­tice espa­gnole a inno­cen­té Ali AARRASS. Il sait éga­le­ment que ce dos­sier est une suite du « dos­sier BELLIRAJ », dont l’iniquité de la pro­cé­dure devant les juri­dic­tions maro­caines a été lar­ge­ment dénon­cée par les ONG[[Voir notam­ment : Com­mis­sion arabe des droits humains, « Rap­port d’observation du pro­cès des six déte­nus poli­tiques au Maroc – Affaire Bel­li­raj », 10/12/2009 ; Human Rights Watch, « Stop Loo­king for your Son », octobre 2010]].

Qua­triè­me­ment et plus fon­da­men­ta­le­ment, le Ministre ment lorsqu’il dit « rien n’indique que le condam­né ait été tor­tu­ré par les ser­vices marocains ».

Le Rap­por­teur spé­cial contre la tor­ture des Nations Unies, Juan MENDEZ, a visi­té Mon­sieur AARRASS en sep­tembre 2012, accom­pa­gné d’un méde­cin expert en matière d’évaluation des séquelles de la tor­ture. Il a constaté :

« Le méde­cin légiste a conclu que la plu­part des traces obser­vées, bien que non diag­nos­ti­quées comme signes de tor­ture, sont clai­re­ment com­pa­tibles avec les allé­ga­tions pré­sen­tées par M. Aar­rass, à savoir le genre de tor­ture et de mau­vais trai­te­ments infli­gés, tels que brû­lures occa­sion­nées par une ciga­rette, pra­tique du « falan­ja » (coups asse­nés sur la plante des deux pieds), atta­che­ment intense puis sus­pen­sion par les poi­gnets et élec­tro­chocs aux tes­ti­cules. En outre, il a consta­té que la des­crip­tion faite par M. Aar­rass des symp­tômes res­sen­tis après les épi­sodes d’actes de tor­ture et de mau­vais trai­te­ments est tota­le­ment com­pa­tible avec les allé­ga­tions et que le genre de pra­tiques décrites et les métho­do­lo­gies qui auraient été sui­vis par les agents pra­ti­quant ces actes, coïn­cident avec les des­crip­tions et les allé­ga­tions pré­sen­tées par d’autres témoi­gnages que le Rap­por­teur spé­cial a reçus dans d’autres lieux de déten­tion et qui ne sont pas connus de M. Aar­rass ».

Le Comi­té contre la tor­ture a recon­nu que le Maroc n’avait pas res­pec­té son obli­ga­tion d’enquêter de manière indé­pen­dante, appro­fon­die et impar­tiale sur les allé­ga­tions de tor­ture de Mon­sieur AARRASS. Ce Comi­té a éga­le­ment consta­té que Mon­sieur AARRASS avait été condam­né sur base d’aveux obte­nus sous la torture[[CAT, Affaire AARRASS c. Maroc, com­mu­ni­ca­tion 477/2011
]].

Enfin, une vidéo, tou­jours dis­po­nible sur inter­net, montre les mul­tiples héma­tomes sur le corps de Mon­sieur AARRASS après son pas­sage à tabac suite à sa dénon­cia­tion des mau­vais trai­te­ments au Rap­por­teur spé­cial contre la torture[[https://www.rtbf.be/video/detail_ali-aarrass-malmene-et-torture?id=2048443]].

Que faut-il de plus au Ministre des Affaires étrangères ?

Une recon­nais­sance de l’usage sys­té­ma­tique de la tor­ture au Maroc par une Juri­dic­tion internationale ?

Il est ser­vi ! La Cour euro­péenne des droits de l’homme confirme ce fait, sur base de très nom­breux rap­port d’ONG, depuis 2010 : affaire Bou­ta­gni c. France (18/11/2010), affaire Rafaa c. France (30/05/2013), affaire Oua­bour c. Bel­gique (02/06/2015).

Notre Ministre ignore-t-il que la Cour euro­péenne des droits de l’homme a consta­té qu’il y avait eu déni fla­grant de jus­tice en Bel­gique lorsque nos juri­dic­tions ont accep­té de faire usage de décla­ra­tions faites au Maroc dans des dos­siers de terrorisme ?

C’est pour­tant le cas[[CEDH, affaire EL HASKI c. Bel­gique, 25 sep­tembre 2012, dis­po­nible sur hudoc]] !

A l’heure de dis­cu­ter du ren­for­ce­ment de la coopé­ra­tion judi­ciaire entre la Bel­gique et le Maroc, il n’est pas per­mis de fer­mer les yeux sur les vio­la­tions fla­grantes et sys­té­ma­tiques des droits fon­da­men­taux des per­sonnes par cet Etat, ni de nier le cal­vaire d’un Belge.

Un peu de res­pect, s’il vous plait, pour nos ins­ti­tu­tions et nos concitoyens.

Bruxelles, 9 mars 2016

CABINET D’AVOCATS JUS COGENS :

Me Dou­nia ALAMAT (GSM : 32.484.65.13.74 ;da@juscogens.be) – Me Nico­las COHEN (GSM : 32.470.02.65.41 ; nc@juscogens.be) – Me Chris­tophe MARCHAND (GSM : 32.486.32.22.88 ; cm@juscogens.be)

Publié par : freea­li


Notes :