Ebola : le FMI et la Banque mondiale, pompiers pyromanes

Dans les pays tou­chés par Ebo­la, la dégra­da­tion des sys­tèmes de san­té est la consé­quence directe des plans d’ajustement structurel…

Les pays les plus tou­chés par les ravages du virus Ebo­la font face à des crises sani­taires majeures. Celles-ci sont la consé­quence directe des mesures struc­tu­relles orches­trées depuis plus de trente ans par le FMI et la Banque mon­diale. L’annulation des dettes des pays du Sud doit être une priorité.

 

Le club des pays les plus riches du monde, le G20, s’est enga­gé à « éra­di­quer l’épidémie d’Ebola et à cou­vrir ses consé­quences éco­no­miques et huma­ni­taires à moyen terme ». Plus de 5.600 per­sonnes en sont déjà mortes en Afrique de l’Ouest.

Com­ment les gou­ver­ne­ments du G20 comptent-ils « éra­di­quer » Ebo­la ? Quelle somme vont-ils réel­le­ment déblo­quer ? Rien de concret n’est indi­qué sauf qu’ils « saluent l’initiative du FMI de déblo­quer 300 mil­lions de dol­lars sup­plé­men­taires pour endi­guer Ebo­la (…) à tra­vers des prêts pré­fé­ren­tiels, réduc­tions de dette et des dons » pour les trois pays les plus tou­chés : la Gui­née, le Libe­ria et la Sier­ra Leone.

Ce plan du FMI vise en réa­li­té moins les inté­rêts des popu­la­tions que ceux des créan­ciers et ce, pour trois raisons.

Pre­miè­re­ment, l’« aide » pro­mise de 300 mil­lions de dol­lars ne res­te­ra pas long­temps dans ces pays puisqu’une par­tie retour­ne­ra direc­te­ment dans la poche des créan­ciers via le rem­bour­se­ment du ser­vice de la dette. Rien que pour 2014 et 2015, ces trois pays doivent rem­bour­ser 230 mil­lions de dol­lars à leurs bailleurs de fonds (dont les pays du G20 et le FMI). Autre­ment dit, les créan­ciers donnent d’une main ce qu’ils reprennent de l’autre.

Deuxiè­me­ment, comme l’indique le com­mu­ni­qué du G20, l’« aide » du FMI est com­po­sée en par­tie de prêts qui vont auto­ma­ti­que­ment alour­dir le poids de la dette de ces trois pays. Les dépenses sociales conti­nue­ront à être sacri­fiées vu que la prio­ri­té des gou­ver­ne­ments, au Sud comme au Nord, est le rem­bour­se­ment de la dette, quel que soit son carac­tère illégitime.

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas l’allégement de la dette annon­cé par le FMI qui va remettre en cause cette logique. En effet, les réduc­tions de dettes, lorsqu’elles sont déci­dées par les créan­ciers, visent à évi­ter les défauts de paie­ment. En effa­çant une par­tie de cette dette, leur objec­tif est de la rendre « sou­te­nable » donc rem­bour­sable même si cette dette est odieuse, illé­gale ou illégitime.

De plus, cette défi­ni­tion de la « sou­te­na­bi­li­té » repose sur des cri­tères éco­no­miques qui ne prennent abso­lu­ment pas en compte les besoins fon­da­men­taux des popu­la­tions. Pour preuve : les Phi­lip­pines auraient une dette « sou­te­nable » selon l’appréciation ren­due par le FMI et la Banque mon­diale après le typhon de novembre 2013 qui a pour­tant entraî­né 10.000 décès et 4 mil­lions de per­sonnes dépla­cées. Mal­gré ce désastre huma­ni­taire, le pays est donc som­mé de rem­bour­ser sa dette car celle-ci res­te­rait « sou­te­nable ». Résul­tat : depuis ce typhon, les Phi­lip­pines ont reçu 850 mil­lions de dol­lars d’« aide » (essen­tiel­le­ment des prêts) alors que dans le même temps le pays a payé 6 mil­liards de dol­lars à ses créan­ciers. Le ser­vice annuel de cette dette odieuse lar­ge­ment héri­tée de la dic­ta­ture de Mar­cos est plus éle­vé que les bud­gets de la San­té et de l’Education.

Troi­siè­me­ment, les pays tou­chés par Ebo­la et les autres catas­trophes huma­ni­taires comme celles que connaissent les Phi­lip­pines ou encore Haï­ti (suite au séisme de 2010) res­tent sou­mis aux poli­tiques d’ajus­te­ment struc­tu­rel (appe­lées dans les pays du Nord « mesures d’austérité ou de rigueur ») dic­tées par leurs créan­ciers. À titre d’exemple, le der­nier rap­port du FMI sur la Gui­née publié le 21 novembre sou­ligne que « les réformes struc­tu­relles demeurent une prio­ri­té du gou­ver­ne­ment et une condi­tion sine qua non pour une plus forte crois­sance, la réduc­tion de la pau­vre­té, et pour que la Gui­née béné­fi­cie de ses res­sources natu­relles (…) Les mesures struc­tu­relles clés visent à ren­for­cer la ges­tion des finances publiques, refor­mer la fonc­tion publique, amé­lio­rer le cli­mat d’affaire. »

Ces mesures struc­tu­relles orches­trées depuis plus de trente ans par le FMI et la Banque mon­diale sont pour­tant lar­ge­ment res­pon­sables de la crise huma­ni­taire dans ces pays.

Tirer des leçons des échecs passés

Dans les pays tou­chés par Ebo­la, la dégra­da­tion des sys­tèmes de san­té est la consé­quence directe des plans d’ajustement struc­tu­rel qui se sont tra­duits par des coupes dras­tiques dans les bud­gets sociaux, le gel des salaires et les licen­cie­ments dans la fonc­tion publique dans le but de rem­bour­ser la dette. Si les ser­vices de san­té et d’assainissement (infra­struc­tures d’égouts, de trai­te­ment des eaux, etc.) de ces pays n’avaient pas été entiè­re­ment déman­te­lés par ces poli­tiques, le risque épi­dé­mique aurait été bien plus faible ou plus faci­le­ment contrôlable.

Visi­ble­ment, les gou­ver­ne­ments des pays les puis puis­sants qui se réunissent en club (G20, Club de Paris) ou au sein des ins­ti­tu­tions qu’ils dominent (FMI, Banque mon­diale) ne veulent pas tirer les leçons des échecs pas­sés et prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés en stop­pant ces poli­tiques anti-sociales et en annu­lant tota­le­ment les dettes des pays du Sud.

Ces dettes ont déjà été inté­gra­le­ment rem­bour­sées. Contrai­re­ment à ce qu’on pour­rait croire, les pays dits « en déve­lop­pe­ment » sont les véri­tables créan­ciers puisque le trans­fert net sur leur dette exté­rieure est lar­ge­ment néga­tif. Cela signi­fie qu’ils ont payé à leurs créan­ciers plus qu’ils n’ont reçu. Selon le der­nier rap­port du CADTM « Les chiffres de la dette », ils ont payé à leurs créan­ciers 251 mil­liards de dol­lars de trop sur la période 1985 – 2012 !

Annu­ler leur dette ne relè­ve­rait donc pas de la géné­ro­si­té mais consti­tue­rait un acte de jus­tice qui ne péna­li­se­rait pas les popu­la­tions des pays du Nord. Concer­nant la Bel­gique, le mon­tant total de ses créances envers les pays du Sud ne s’élève qu’à 2 mil­liards d’euros. C’est cinq fois moins que ce qui a été injec­té dans Dexia depuis 2008.

L’État pour­rait com­pen­ser cette annu­la­tion en rédui­sant radi­ca­le­ment cer­taines de ses dépenses illé­gi­times, à com­men­cer par le paie­ment du ser­vice de la dette qui repré­sente 20 % du bud­get annuel de l’État fédé­ral. La Bel­gique pour­rait éga­le­ment condi­tion­ner sa contri­bu­tion finan­cière appor­tée à la Banque mon­diale au res­pect des droits humains. La Banque mon­diale est, en effet, la prin­ci­pale béné­fi­ciaire de l’« aide au déve­lop­pe­ment » alors même que le repré­sen­tant de la Bel­gique à la Banque mon­diale ne rend aucun compte devant le Par­le­ment, tout comme le repré­sen­tant au FMI.

par Renaud Vivien

Source de l’ar­ticle : Carte blanche publiée le 28 novebre 2014 sur le site du Le Soir