Le massacre de l’Eldorado do Carajás

Par Cata­ri­na Barbosa

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LVC

Le 17 avril a été décla­ré “Jour­née inter­na­tio­nale des luttes pay­sannes” afin de gar­der vivante la résis­tance pay­sanne dans la mémoire et de ce jour à ne pas oublier

C’était mer­cre­di, vers 16 heures, le 17 avril 1996. Envi­ron quinze cents per­sonnes se trou­vaient au cam­pe­ment “cur­va do S”, dans l’Eldorado do Cara­jás, région sud-est de l’État de Pará, au nord du Bré­sil, dans le cadre d’une mani­fes­ta­tion. Leur but était de mar­cher vers la capi­tale de l’État, Belém, pour obte­nir les papiers néces­saires à l’installation de la ferme Macaxei­ra, alors occu­pée par 3.500 familles sans terre.

La marche qui a débu­té le 10 avril a été arrê­tée dans le sang, ver­sé à cause d’une attaque de la police mili­taire. L’incident a été connu dans le monde entier sous le nom de “Mas­sacre d’Eldorado do Cara­jás”. Au total, 155 offi­ciers ont par­ti­ci­pé à l’opération qui a tué 21 tra­vailleurs ruraux, 19 sur place et deux qui sont morts plus tard à l’hôpital.

Pour de nom­breuses familles dont la vie a été bou­le­ver­sée par ces tue­ries, la lutte ne s’est pas ter­mi­née avec le mas­sacre. Pol­liane Soares fait par­tie de la direc­tion du Mou­ve­ment des tra­vailleurs ruraux sans terre (MST) dans l’État du Pará. En ce jour fati­dique, elle avait 11 ans et mar­chait sur l’autoroute avec sa famille vers Belém, pour lut­ter pour leurs droits fonciers.

“Je me sou­viens que le jour du mas­sacre, j’étais en ville avec ma mère, qui tra­vaillait comme ensei­gnante à Eldo­ra­do. À un moment don­né de la nuit, vers 20 heures, je crois, l’électricité s’est cou­pée. Lorsque la panne s’est pro­duite, la nou­velle s’est répan­due que les meurtres avaient eu lieu, que les sans-terre avaient été tués et que ma mère — puisque son frère était par­mi eux — était désespérée”.

À la tom­bée de la nuit, le crime avait déjà été com­mis. Sans élec­tri­ci­té dans la ville, dans l’obscurité totale et inca­pable de com­mu­ni­quer avec qui que ce soit, la mère et la fille ne pou­vaient pas dor­mir. Le jour sui­vant, de bonne heure elles se ren­dirent à “cur­va do S”.

“Quand nous sommes arri­vés, je me sou­viens qu’il y avait beau­coup, beau­coup de sang sur l’autoroute. C’était une puis­sante scène de des­truc­tion. Les signes de ce qui s’est pas­sé étaient par­tout, beau­coup de choses ont été lais­sées der­rière nous”, dit-elle.

Mitraillettes contre rochers

Le 5 mars 1996, dans le mois pré­cé­dant le mas­sacre, les familles avaient occu­pé la ferme de Macaxei­ra — à Curionó­po­lis, un com­té voi­sin d’Eldorado — cher­chant à négo­cier avec l’Institut natio­nal pour la colo­ni­sa­tion et la réforme agraire (Incra), et à enta­mer le pro­ces­sus de réins­tal­la­tion des terres impro­duc­tives. Igno­rés et n’ayant reçu que des pro­messes non tenues, les pay­sans ont déci­dé de pro­tes­ter dans la capi­tale de l’État.

La marche est par­tie de Curionó­po­lis et devait pas­ser par l’Eldorado do Cara­jás et Marabá, avant d’arriver à Belém. Celles et Ceux qui ont vécu ce jour-là, ou qui ont vu les images à la télé­vi­sion, ont été témoins de la vio­lence qui a frap­pé les familles sans terre à Eldo­ra­do. Les enre­gis­tre­ments montrent des gens ensan­glan­tés cou­rant dans la boue, des coups de feu, du sang et du déses­poir. L’agression a duré envi­ron deux heures.

Les fer­miers étaient encer­clés. D’un côté par les poli­ciers de la caserne des Paraua­pe­bas, de l’autre par le bataillon Marabá. Sur les dix-neuf per­sonnes assas­si­nées, huit ont été tuées avec leurs propres outils de tra­vail : haches et machettes, onze autres ont reçu 37 balles, soit une moyenne de quatre coups par per­sonne. Soixante-dix-neuf autres per­sonnes ont été bles­sées. Deux d’entre eux sont morts plus tard à l’hôpital.

La police a tué les paysan·ne·s avec des balles dans le cou et sur le front — un signe évident d’exécution. L’un d’entre eux a eu la tête écrasée.

Un acte de lâcheté

Pour le pro­fes­seur et chef local du MST Pará, Batis­ta Nas­ci­men­to Sil­va, qui vit dans la colo­nie de Lou­ri­val San­ta­na, il n’y a pas d’autre défi­ni­tion de ce qui s’est pas­sé que la lâche­té. Lorsque les tra­vailleurs ruraux ont été encer­clés par la police, Batis­ta se trou­vait sur l’autoroute.

“Quand les poli­ciers sont arri­vés et ont débar­qué du côté de Marabá, ils ont com­men­cé à lan­cer des bombes assour­dis­santes et à tirer. La police du côté oppo­sé de l’Eldorado a com­men­cé à faire de même contre nous alors qu’elle s’approchait. Les mani­fes­tants, en consta­tant qu’un des leurs était tom­bé après avoir été abat­tu, ont char­gé les mili­taires en lan­çant des bâtons et des pierres, pour ten­ter de repous­ser les offi­ciers, mais ceux-ci se sont encore plus refer­més et ont conti­nué à tirer”, raconte-t-il.

Pour se pro­té­ger, Batis­ta a tra­ver­sé l’autoroute pour cher­cher refuge. “Je n’ai pas pu aller loin, il y avait trop de brous­sailles. J’ai fait demi-tour, j’ai tra­ver­sé en esqui­vant, il y avait beau­coup de gens à terre et j’ai pu atteindre une mai­son de l’autre côté. Je suis res­té là quelques ins­tants et j’ai vu beau­coup de cama­rades qui avaient été abat­tus. Il y avait un enclos sur la pro­prié­té, alors j’ai pous­sé la porte parce que je vou­lais me cacher à l’intérieur et là, il y avait beau­coup de gens par terre, des femmes, des enfants, des vieux et des jeunes”.

Après s’être caché pen­dant quelques heures, la nuit, Batis­ta a retrou­vé sa mère et ses trois frères, sa petite sœur n’a été retrou­vée que le len­de­main. Son père était en ville ce soir-là et n’a pas été auto­ri­sé à reve­nir. “Après l’incident, nous sommes res­tés à cet endroit pen­dant deux jours, nous n’avions nulle part où aller, et nous ne sommes par­tis qu’une fois les corps libé­rés pour l’enterrement”.

Impunité

Sur les 55 poli­ciers pré­sents sur les lieux ce jour-là, seuls les com­man­dants de l’opération ont été incul­pés et purgent des peines, dont une d’assignation à rési­dence. Les 153 autres ont été inno­cen­tés, bien que de nom­breux offi­ciers pré­sents avaient des armes qui ont été reti­rées des com­mis­sa­riats sans enre­gis­tre­ment, ce qui est interdit.

Après le mas­sacre, le 17 avril est deve­nu la Jour­née inter­na­tio­nale de la lutte des pay­sans ou Jour de la Terre. La ferme de Macaxei­ra, dont le pro­prié­taire était l’une des per­sonnes à l’origine du crime, a été appro­priée et est deve­nue la colo­nie du 17 avril.

Le lieu où le mas­sacre est arri­vé est aujourd’hui consi­dé­ré comme sacré par le mou­ve­ment MST. Le “monu­ment des ana­car­diers brû­lés” est com­po­sé d’arbres morts, un pour chaque vie qui a été prise. Au centre, il y a un autel avec les noms des morts, “en leur honneur”.

Voi­ci les noms qui ne devraient jamais être oubliés :

Abí­lio Alves Rabelo

Antô­nio Alves Rabelo

Alta­mi­ro Ricar­do da Silva

Amãn­cio dos San­tos Silva

Antô­nio Alves da Cruz

Antô­nio Cos­ta Dias

Gra­cia­no Olím­pio de Souza

João Car­nei­ro da Silva

João Per­ei­ra

João Rodrigues Araújo

Joa­quim Per­ei­ra Veras

José Alves da Silva

José Per­ei­ra

José Riba­mar Alves de Souza

Leo­nar­do Batis­ta de Almeida

Lou­ri­val da Cos­ta Santana

Manoel Gomes de Souza

Oziel Alves Pereira

Rai­mun­do Lopes Pereira

Rob­son Vitor Sobrinho

Val­de­mir Fer­rei­ra da Silva