Femmes du Mali : Disons “NON !” à la guerre par procuration

La féministe Aminata Traoré et de nombreuses personnalités maliennes s'opposent à l'intervention armée au Mali.

De la situa­tion dra­ma­tique du Mali, il res­sort une réa­li­té ter­rible qui se véri­fie dans d’autres pays en conflit : l’instrumentalisation des vio­lences faites aux femmes pour jus­ti­fier l’ingérence et les guerres de convoi­tise des richesses de leurs pays.

Les femmes afri­caines doivent le savoir et le faire savoir.

Autant l’amputation du Mali des deux tiers de son ter­ri­toire et l’imposition de la cha­ria aux popu­la­tions des régions occu­pées sont humai­ne­ment inac­cep­tables, autant l’instrumentalisation de cette situa­tion, dont le sort réser­vé aux femmes, est mora­le­ment indé­fen­dable et poli­ti­que­ment intolérable.

Nous avons, de ce fait, nous femmes du Mali, un rôle his­to­rique à jouer, ici et main­te­nant, dans la défense de nos droits humains contre trois formes de fon­da­men­ta­lisme : le reli­gieux à tra­vers l’islam radi­cal ; l’économique à tra­vers le tout mar­ché ; le poli­tique à tra­vers la démo­cra­tie for­melle, cor­rom­pue et corruptrice.

Nous invi­tons toutes celles et tous ceux qui, dans notre pays, en Afrique et ailleurs, se sentent concer­nés par notre libé­ra­tion de ces fon­da­men­ta­lismes à joindre leurs voix aux nôtres pour dire « Non » à la guerre par pro­cu­ra­tion qui se pro­file à l’horizon. Les argu­ments sui­vants jus­ti­fient ce refus.

Le déni de démocratie

La demande de déploie­ment de troupes afri­caines au nord du Mali, trans­mise par la Com­mu­nau­té des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union Afri­caine (UA) aux Nations Unies, repose sur un diag­nos­tic déli­bé­ré­ment biai­sé et illégitime.

Il n’est fon­dé sur aucune concer­ta­tion natio­nale digne de ce nom, ni au som­met, ni à la base. Ce diag­nos­tic exclut par ailleurs la lourde res­pon­sa­bi­li­té morale et poli­tique des nations, celles qui ont vio­lé la réso­lu­tion 1973 du Conseil de Sécu­ri­té en trans­for­mant la pro­tec­tion de la ville libyenne de Ben­gha­zi en man­dat de ren­ver­ser le régime de Mouam­mar Kadha­fi et de le tuer.

La coa­li­tion des sépa­ra­tistes du mou­ve­ment natio­nal de libé­ra­tion de l’A­za­wad (MLNA), de Al Qaï­da au Magh­reb Isla­mique (Aqmi) et de ses alliés qui a vain­cu une armée malienne démo­ti­vée et désor­ga­ni­sée doit éga­le­ment cette vic­toire mili­taire aux arse­naux issus du conflit libyen.

Le même Conseil de Sécu­ri­té va-t-il approu­ver, dans les jours à venir le plan d’intervention mili­taire que les Chefs d’Etat afri­cains ont approu­vé en pré­ten­dant cor­ri­ger ain­si les consé­quences d’une guerre injuste par une guerre tout aus­si injuste ?

Mar­gi­na­li­sée et humi­liée dans la ges­tion de la crise libyenne, l’U­nion Afri­caine doit-elle se lan­cer dans cette aven­ture au Mali sans médi­ter les ensei­gne­ments de la chute du régime de Mouam­mar Kadhafi ?

Où est la cohé­rence dans la conduite des affaires du conti­nent par les diri­geants afri­cains, dont la plu­part s’était oppo­sé en vain à l’intervention de l’OTAN en Libye, lors­qu’ils s’accordent sur la néces­si­té d’un déploie­ment de forces mili­taires au Mali, aux consé­quences incalculables.

L’extrême vul­né­ra­bi­li­té des femmes dans les zones en conflit

L’in­ter­na­tio­nal Cri­sis Group pré­vient, à juste titre, que :

« Dans le contexte actuel, une offen­sive de l’armée malienne appuyée par des forces de la Cédéao et/ou d’autres forces a toutes les chances de pro­vo­quer davan­tage de vic­times civiles au Nord, d’aggraver l’insécurité et les condi­tions éco­no­miques et sociales dans l’ensemble du pays, de radi­ca­li­ser les com­mu­nau­tés eth­niques, de favo­ri­ser l’expression vio­lente de tous les groupes extré­mistes et, enfin, d’entraîner l’ensemble de la région dans un conflit mul­ti­forme sans ligne de front dans le Sahara ».

Ces consé­quences revêtent une gra­vi­té par­ti­cu­lière pour les femmes. Leur vul­né­ra­bi­li­té qui est sur toutes les lèvres, devrait être pré­sente dans tous les esprits lors des prises de déci­sions, et dis­sua­sive quand la guerre peut être évi­tée. Elle peut l’être. Elle doit l’être au Mali.

Rap­pe­lons que les cas de viols que nous déplo­rons dans les zones occu­pées du Nord de notre pays risquent de se mul­ti­plier avec le déploie­ment de plu­sieurs mil­liers de sol­dats. A ce risque, il faut ajou­ter celui d’une pros­ti­tu­tion plus ou moins dégui­sée qui se déve­loppe géné­ra­le­ment dans les zones de grande pré­ca­ri­té et par consé­quent les risques de pro­pa­ga­tion du Sida.

Le plan d’intervention mili­taire sur lequel le Conseil de Sécu­ri­té va se pen­cher pré­voit-il des moyens de mettre réel­le­ment les femmes et les fillettes du Mali à l’abri de ce type de situa­tion désastreuse ?

Rap­pe­lons éga­le­ment que sur l’en­semble du ter­ri­toire les sanc­tions éco­no­miques impo­sées par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale au peuple malien au nom du retour à un ordre consti­tu­tion­nel dis­cré­di­té affectent consi­dé­ra­ble­ment les groupes vulnérables.

Les femmes du fait de la divi­sion sexuelle des tâches sont confron­tées au niveau domes­tique à l’é­norme dif­fi­cul­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment des familles en eau, nour­ri­ture, éner­gie domes­tique, médicaments.

Cette lutte quo­ti­dienne et inter­mi­nable pour la sur­vie est déjà en soi une guerre. Dans ces cir­cons­tances de pré­ca­ri­té et de vul­né­ra­bi­li­té des popu­la­tions, et des femmes en par­ti­cu­lier, l’op­tion mili­taire en pré­pa­ra­tion est un remède qui a toutes les chances d’être pire que le mal alors qu’une alter­na­tive paci­fique, éma­nant de la socié­té malienne, civile, poli­tique et mili­taire, sera constructive.

Des inco­hé­rences de la com­mu­nau­té internationale

Cha­cun des puis­sants repré­sen­tants de la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » ain­si que la Cédéao (la Com­mu­nau­té éco­no­mique des Etats de l’A­frique de l’Ouest) et l’UA (Union afri­caine) ont pro­non­cé des mots à pro­pos de nos mau­dits maux de femmes en situa­tion de conflit.

A tout sei­gneur tout hon­neur, le pré­sident fran­çais, Fran­çois Hol­lande, qui joue le rôle de chef de file dans la défense de l’option mili­taire, a sou­li­gné la souf­france des femmes « pre­mières vic­times des vio­lences de guerre » 

Et pour­tant, il a décla­ré le 26 sep­tembre 2012, à New York, lors de la réunion spé­ciale sur le Sahel, en marge de l’As­sem­blée Géné­rale des Nations Unies :

« Je sais qu’il peut y avoir une ten­ta­tion de mener des négo­cia­tions. Négo­cier avec des groupes ter­ro­ristes ? Il ne peut en être ques­tion. Toute perte de temps, tout pro­ces­sus qui s’é­ter­ni­se­rait ne pour­rait faire que le jeu des terroristes ». 

« Il faut savoir ter­mi­ner une guerre », semblent dire les pré­si­dents amé­ri­cains et français.

« La guerre d’Afghanistan s’est pro­lon­gée au-delà de la mis­sion ini­tiale. Elle attise la rébel­lion autant qu’elle per­met de la com­battre. Il est temps de mettre fin en bon ordre à cette inter­ven­tion et j’en prends ici l’engagement », décla­ra le can­di­dat Fran­çois Hol­lande dans son dis­cours d’investiture à l’élection présidentielle.

La Secré­taire d’Etat amé­ri­caine aux affaires étran­gères, Hil­la­ry Clin­ton dont l’escale du 29 octobre 2012, à Alger, avait en par­tie pour objet de convaincre le pré­sident Abde­la­ziz Bou­te­fli­ka de rejoindre le camp de la guerre, s’é­tait adres­sée aux chefs d’Etat afri­cains réunis à Addis-Abe­ba en ces termes :

« En Répu­blique Démo­cra­tique du Congo, la pour­suite des actes de vio­lences contre les femmes et les filles et les acti­vi­tés des groupes armés dans la région orien­tale du pays, sont pour nous une source constante de pré­oc­cu­pa­tion. L’Union Afri­caine et les Nations Unies ne doivent épar­gner aucun effort en vue d’aider la RDC à réagir à ces crises sécu­ri­taires incessantes ».

L’initiative du secré­taire des Nations Unies, Ban Ki Moon, inti­tu­lée « Unis pour mettre fin à la vio­lence contre les femmes », lan­cée le 25 jan­vier 2008, accorde une atten­tion par­ti­cu­lière aux femmes de l’Afrique de l’Ouest. C’é­tait avant les guerres en Côte d’I­voire et en Libye qui ont lar­ge­ment com­pro­mis la réa­li­sa­tion des objec­tifs assi­gnés à cette initiative.

Nous com­pre­nons sa réserve quant au déploie­ment mili­taire et espé­rons qu’il ne sou­tien­dra pas le plan d’in­ter­ven­tion des Chefs d’É­tats de la Cédéao. La guerre, rap­pe­lons-le, est une vio­lence extrême contre les popu­la­tions civiles, dont les femmes. Elle ne peut que nous éloi­gner des objec­tifs visés par cette initiative. 

Pour­quoi les puis­sants de ce monde qui se pré­oc­cupent tant du sort des femmes afri­caines ne nous disent pas la véri­té sur les enjeux miniers, pétro­liers et géos­tra­té­giques des guerres.

La pré­si­dente de la com­mis­sion de l’UA, Nko­sa­za­na Dla­mi­ni-Zuma, pour sa part, sou­ligne qu’ « il est cru­cial que les femmes contri­buent à, et s’impliquent acti­ve­ment dans, la recherche d’une solu­tion au conflit. Leurs voix doivent être enten­dues dans les efforts visant à pro­mou­voir et à conso­li­der la démo­cra­tie dans leur pays. A cette fin, vous pou­vez, sans aucun doute, comp­ter sur le sou­tien de l‘UA, ain­si que sur mon enga­ge­ment personnel. »

La nomi­na­tion pour la pre­mière fois d’une femme à ce poste pour­rait être un fac­teur véri­table d’é­man­ci­pa­tion poli­tique pour les femmes et donc de libé­ra­tion du conti­nent, si Nko­sa­za­na Dla­mi­ni-Zuma accepte d’é­lar­gir la base du débat sur les femmes afri­caines en y inté­grant les enjeux glo­baux qui nous sont dissimulées.

Notre triste sta­tut d’otages

Le Mali est un pays à la fois agres­sé, humi­lié et pris en otage par des acteurs poli­tiques et ins­ti­tu­tion­nels qui n’ont aucun compte à nous rendre, à com­men­çé par la Cédéao. L’une des tra­duc­tions de cette réa­li­té est l’é­norme pres­sion exer­cée sur ce qui reste de l’É­tat malien.

Le Pré­sident par inté­rim, Dion­coun­da Trao­ré, est le pre­mier des otages maliens. S’il a cru devoir rap­pe­ler, le 19 octobre 2012, lors de la réunion du groupe de sou­tien et de sui­vi de la situa­tion de notre pays, qu’il n’est pas un pré­sident pris en otage, c’est pré­ci­sé­ment parce qu’il l’est.

Sinon il n’aurait pas répé­té à trois reprises, le 21 sep­tembre 2012, la veille de l’anniversaire de l’indépendance de notre pays qu’il pri­vi­lé­gie le dia­logue et la concer­ta­tion, et deman­dé aux Nations Unies, trois jours plus tard, une inter­ven­tion mili­taire inter­na­tio­nale immédiate.

« J’ai conscience d’être le pré­sident d’un pays en guerre mais le pre­mier choix est le dia­logue et la négo­cia­tion. Le deuxième choix est le dia­logue et la négo­cia­tion et », insiste-il « le troi­sième choix demeure le dia­logue et la négo­cia­tion. Nous ferons la guerre si nous n’avons pas d’autre choix… », a‑t-il décla­ré dans son dis­cours à la nation avant de chan­ger d’avis.

Au-delà du pré­sident inté­ri­maire, nous sommes tous des otages pri­son­niers d’un sys­tème éco­no­mique et poli­tique inéga­li­taire et injuste qui excelle dans l’art de bri­ser les résis­tances à coup de chan­tage au finan­ce­ment. La sup­pres­sion de l’aide exté­rieur se tra­duit cette année 2012 par un manque à gagner de 429 Mil­liards de francs CFA. La qua­si tota­li­té des inves­tis­se­ments publics sont suspendus.

La fer­me­ture de nom­breuses entre­prises a occa­sion­née licen­cie­ments et chô­mage tech­nique pour des dizaines de mil­liers de tra­vailleurs alors que les prix des den­rées ali­men­taires conti­nuent de flam­ber. Les pertes les plus impor­tantes sont enre­gis­trées dans les sec­teurs du bâti­ment et des tra­vaux publics.

Paix et inté­gri­té territoriale

Le tou­risme, l’ar­ti­sa­nat, l’hô­tel­le­rie et la res­tau­ra­tion, qui subis­saient depuis 2008 les consé­quences de l’ins­crip­tion du Mali sur la liste des pays à risques, sont gra­ve­ment affec­tés alors qu’ils consti­tu­tuaient des sources de reve­nus sub­stan­tiels pour les régions aujourd’­hui occu­pées, notam­ment celle de Tombouctou.

Réfé­rence est faite au sta­tut d’o­tage non point pour dédra­ma­ti­ser l’é­preuve insup­por­table des otages euro­péens et de leurs familles mais pour rap­pe­ler l’égale gra­vi­té de la situa­tion de tous les êtres humains pié­gés dans des sys­tèmes dont ils ne sont pas per­son­nel­le­ment responsables.

La ques­tion est tou­te­fois de savoir com­ment agir de telle sorte que notre pays retrouve son inté­gri­té ter­ri­to­riale et la paix, et que les six Fran­çais déte­nus par Aqmi retrouvent leurs familles sains et saufs, sans que ces libé­ra­tions n’ouvrent la voie à une inter­ven­tion mili­taire qui met­trait en péril la vie des cen­taines de mil­liers d’ha­bi­tants du Nord Mali qui sont autant d’otages (…)

Nous deman­dons à toutes celles et à tous ceux qui par­tagent notre approche d’in­ter­pel­ler immé­dia­te­ment les prin­ci­paux acteurs de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, par écrit ou sous toutes autres formes d’expression, en plai­dant pour que le Conseil de Sécu­ri­té n’a­dopte pas une réso­lu­tion auto­ri­sant le déploie­ment de mil­liers de sol­dats au Mali.

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Signa­taires :Ami­na­ta D. TRAORE ; SISSOKO Safi SY ; SANOGO Syl­vie KONE ; IMBO Mama SY ; Kadia­tou TOURE ; TRAORE Séli­kè­né SIDIBE(Vieux) ; DICKO Rokia SACKO ; Ténin DIAKITE ; DOUMBIA Fan­ta DIALLO ; KONE Mamou TOURE ; TRAORE Sara­ta SANOGO ; TRAORE Pen­da DIALLO ; DIABATE Kadia­tou KOUYATE ; Ami­na­ta BOCOUM ; Oumou KODIO ; Assa­tou KAREMBE ; Awa KOÏTA ; Ami­na­ta DOUMBIA ; Fatou­ma­ta COULIBALY ; Bad­ji BOIRE ; Awa TOURE ; Bin­tou KONE ; Fatou­ma­ta MARIKO ; Mariam KONE ; Mina­ta DIARRA ; Oumou KEITA ; Kadia­tou DIALLO ; Kan­kou KONE ; Rokia NIARE ; Kadia DJIRE ; Ada NANTOUMA ; Awa COULIBALY ; Soun­gou­ra DOUMBIA ; Fan­ta KANTE ; Safia­tou COULIBALY ; Dja­ba TANGARA ; KONE Mama DIARRA ; Ismael DIABATE ; Kara­mo­ko BAMBA ; Doum­bi FAKOLY ; Coum­ba SOUKO ; Cla­riste SOH-MOUBE ; Natha­lie M’Dela-Mounier ;

Source : http://www.slateafrique.com/98611/femmes-du-mali-disons-non-la-guerre-appel-femmes-aminata-traore