Fidel, inépuisable révolutionnaire

Pierre Richard: C’est l’un des plus grands personnages du XXème siècle. En France, il n’y a personne qui ait sa stature, même Charles de Gaulle.

ven­dre­di 19 avril 2013, par Her­nan­do Cal­vo Ospina

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Texte lu par Her­nan­do Cal­vo Ospi­na, le 17 avril 2013 à la Mai­son de l’Amérique latine, Paris, lors de la pré­sen­ta­tion du livre « Le droit de l’humanité à l’existence », qui contient 22 « Réflexions » du diri­geant cubain Fidel Cas­tro Ruz. A la fin se trouve la vidéo avec l’intervention de tous les orateurs.

“Le droit de l’hu­ma­ni­té à l’exis­tence” from Les Films de l’An 2 on Vimeo.

Inter­ve­nants : Orlan­do Requei­jo Gual, ambas­sa­deur de la Répu­blique de Cuba en France ; Ramon Chao, jour­na­liste et écri­vain ; Her­nan­do Cal­vo Ospi­na, coor­don­na­teur du livre, jour­na­liste et écri­vain ; et Domi­nique Leduc, secre­taire de France-Cuba.

Fidel, inépui­sable révolutionnaire

« C’est l’un des plus grands per­son­nages du XXème siècle. En France, il n’y a per­sonne qui ait sa sta­ture, même Charles de Gaulle. Qu’on aime Fidel Cas­tro ou pas, cet homme est un mythe vivant… » Ces mots sont ceux du grand acteur fran­çais, Pierre Richard, au cours d’une inter­view qu’il m’a accor­dée il y a 6 ans.

Et oui, effec­ti­ve­ment, Fidel, comme ceux qui admi­rons son par­cours et son œuvre avons pris l’habitude de l’appeler, est un per­son­nage hors du commun.

Par trois fois, j’ai eu l’occasion de pou­voir par­ta­ger un moment de dia­logue avec lui, et ces trois moments sont res­tés gra­vés dans ma mémoire, par­mi les plus impor­tants de ma vie. J’ai aus­si eu la chance de l’écouter plu­sieurs fois. Je ne pre­nais pas de note en écou­tant ses ana­lyses, car je savais que je les lirai le len­de­main dans la presse cubaine. Je pré­fé­rais prendre mon temps pour l’observer. Voir com­ment ses mains ges­ti­cu­laient près de sa barbe, tan­dis que l’index de sa main droite s’agitait comme la baguette d’un chef d’orchestre. A chaque fois, je crai­gnais que sa voix se casse, car elle sem­blait enrouée, mais à chaque fois je me trom­pais et il par­lait plus de quatre heures d’affilée. Selon le sens de ses phrases, il était tour à tour diri­geant, pro­fes­seur, com­pañe­ro ou papa.

Une très longue recherche dans l’histoire de l’humanité serait néces­saire pour savoir si un lea­der poli­tique a jamais eu autant de capa­ci­tés que celles dont Fidel fait preuve. Doté d’une mémoire pro­di­gieuse, il peut réa­li­ser à l’improviste et en un clin d’œil des cal­culs mathé­ma­tiques. A la télé­vi­sion, après un dis­cours sur la géos­tra­té­gie, il peut don­ner des conseils à la popu­la­tion sur la meilleure manière de pré­pa­rer un plat de gas­tro­no­mie cubaine, au moyen d’une cocote mul­ti­fonc­tions que le gou­ver­ne­ment va dis­tri­buer à prix extrê­me­ment modique. Durant la guerre de libé­ra­tion d’Angola et contre l’état raciste d’Afrique du sud, il fut le conseiller de ses géné­raux et diri­gea presque les prin­ci­pales batailles depuis La Havane. Il est capable d’assurer avec anti­ci­pa­tion le sui­vi de l’évolution d’un cyclone, pour expli­quer ensuite dans les médias com­ment l’on doit se pré­pa­rer à affron­ter ce cataclysme.

el-fidel-de-guayasamin.jpg Il est cer­tain qu’il n’a pas eu la tâche facile lorsqu’il s’est per­mis de com­men­ter un match de base­ball et qu’une par­tie de la popu­la­tion n’était pas d’accord avec lui parce que cela favo­ri­sait une équipe. De même qu’il n’a fait rire per­sonne lorsqu’il a pro­po­sé de contrô­ler la consom­ma­tion de rhum pour pro­té­ger la san­té du peuple cubain : c’est l’une des très rares pro­po­si­tions de Fidel qui n’ont jamais pu être appliquées.

Autant que je sache, en une seule occa­sion on a cru qu’il était deve­nu fou. C’était durant un dis­cours dans la ville de Cama­guey, le 26 juillet 1989. Il décla­ra : « Si demain matin ou tout autre jour, nous appre­nions au réveil qu’une grande guerre civile a écla­té en URSS ; ou si nous appre­nions au réveil que l’URSS s’est dés­in­té­grée, chose que nous sou­hai­tons ne devoir jamais arri­ver… etc, etc. » J’insiste, il a pro­non­cé ces mots en juillet 1989, et beau­coup se sont inquié­tés pour le Coman­dante et ont pen­sé que le soleil lui fai­sait du mal. Et pour­tant, deux ans plus tard, que s’est-il pas­sé ? Dés­in­té­gra­tion de l’URSS !! Fidel avait déjà ana­ly­sé la voie prise par Gorbachov.

Et avec la dis­pa­ri­tion de l’URSS et du bloc socia­liste euro­péen arri­vèrent les moments les plus dif­fi­ciles vécus par la révo­lu­tion cubaine, car Cuba s’est retrou­vée seule au monde. Fini le pétrole, l’électricité, la nour­ri­ture… Pas mal de chats ont fini dans une cas­se­role. Pen­dant presque huit ans, les Cubains ont sup­por­té la même situa­tion que celle de l’Europe à la fin de la Seconde guerre mon­diale. Avec une dif­fé­rence de taille : les Etats-Unis dis­tri­buaient de la nour­ri­ture, à cré­dit, à l’Europe, alors que dans le cas de Cuba ils ren­for­cèrent le blo­cus pour que la pénu­rie et la faim fassent cou­ler la révo­lu­tion. Et ce 26 juillet 1989, Fidel avait éga­le­ment dit que même si l’URSS venait à dis­pa­raître : « même dans de telles cir­cons­tances, Cuba et la révo­lu­tion cubaine conti­nue­raient à lut­ter et conti­nue­raient à résis­ter ! » Et ils ont résis­té ! Le FMI et la Banque mon­diale ne com­prennent pas com­ment ils ont pu sor­tir de l’abîme sans pri­va­ti­ser une seule école ni un seul hôpi­tal. J’ai cher­ché la réponse dans les rues de Cuba. Et beau­coup de gens m’ont répon­du la même chose : « Fidel avait dit que nous allions nous en sor­tir. Et nous l’avons cru. » Et j’ose même pré­ci­ser : c’est la foi en Fidel et en la révo­lu­tion qu’il diri­geait qui leur a per­mis de s’en sor­tir, mais aus­si la soli­da­ri­té entre les Cubains qui ont par­ta­gé le peu de sel et le peu de riz qu’ils avaient.

La révo­lu­tion a sur­vé­cu aus­si parce que Fidel et les Cubains n’ont vou­lu copier aucun sys­tème, ni le chi­nois, ni le sovié­tique ni un autre. Ils ont construit une révo­lu­tion à la cubaine. Fidel n’approuve pas les copieurs. Il a tou­jours dit qu’il valait mieux se trom­per par soi-même. Ain­si, en 50 ans, en dépit des erreurs, Fidel et les Cubains ont façon­né une autre socié­té plus éga­li­taire. Mais n’oublions pas que 50 années sont bien peu de temps pour se débar­ras­ser du far­deau de cinq-cents ans de colo­nia­lisme euro­péen et étasunien.

Fidel a été un stra­tège comme il y en a eu peu dans l’histoire de l’humanité. Un rêveur avec un cœur immense qui a vécu pour son peuple et pour la révo­lu­tion : il a été un sol­dat de pre­mière ligne. Mais en plus, il a fait beau­coup pour beau­coup de peuples pauvres du monde. Lorsque la plu­part des gou­ver­ne­ments pro­po­saient d’envoyer des troupes, il envoyait gra­tui­te­ment des méde­cins et des pro­fes­seurs. Hai­ti en est le der­nier exemple. Je me rap­pelle mon incré­du­li­té lorsque j’ai appris que Fidel avait déci­dé de créer l’Ecole lati­no-amé­ri­caine de méde­cine, pour offrir des bourses à des mil­liers de jeunes en pro­ve­nance d’Amérique latine et aus­si des Etats-Unis. C’était à la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque la situa­tion éco­no­mique était encore bien dif­fi­cile. Et cette école, ELAM, est tou­jours là, et fabrique des méde­cins pour tout le continent.

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En décembre 2011, Fidel est entré dans le livre Guin­ness des records comme « la per­sonne qu’on a le plus sou­vent ten­té d’assassiner ». On cal­cule que de 1959 à l’année 2000, il y a eu 638 pro­jets et ten­ta­tives d’assassinat, en grande par­tie menés par l’Agence cen­trale de ren­sei­gne­ment des Etats-Unis (CIA). Et il ne faut pas oublier que la CIA dépend direc­te­ment du pré­sident de cette nation. Wayne Smith, ancien chef de la Sec­tion des Inté­rêts des Etats-Unis à La Havane, m’a don­né sa ver­sion des rai­sons pour les­quelles assas­si­ner Fidel est deve­nu une obses­sion pour son gou­ver­ne­ment. Voi­là ce qu’il m’a dit : « Beau­coup de nos lea­ders poli­tiques ont cru que Cuba devait faire par­tie de notre ter­ri­toire ; ou que nous avions le droit de déci­der ce qui devait s’y pas­ser. Et si Cas­tro n’avait pas été là, il en serait sûre­ment ain­si. Cas­tro s’est conver­ti en un obs­tacle qui nous défie et qui se moque de nous. Et cela, une super­puis­sance ne peut le sup­por­ter. »

Ce diplo­mate aurait pu ajou­ter que Fidel et sa Révo­lu­tion ont fait bas­cu­ler le conti­nent amé­ri­cain. Rien n’a plus jamais été comme avant, ni mili­tai­re­ment ni poli­ti­que­ment : Washing­ton a dû réadap­ter toute sa stra­té­gie d’empire.

Mais com­ment Fidel Cas­tro a‑t-il pu sur­vivre à tant d’acharnement et de moyens mis en œuvre ? On se sou­vient de cette après-midi du 8 jan­vier 1959 lorsque Fidel entra triom­phant à La Havane, et au beau milieu de son dis­cours une colombe se posa sur son épaule. Le silence se fit et dans l’assistance, beau­coup firent le signe de croix, devant ce qu’ils voyaient comme un signe de Dieu qui bénis­sait « l’élu ». Mais aucun pou­voir extra­ter­restre n’aurait suf­fi pour assu­rer sa sécu­ri­té s’il n’y avait pas eu un peuple, à Cuba et en dehors, et de nom­breux amis de cette révo­lu­tion pour le protéger.

Le 19 février 2008 j’étais à La Havane. Le soleil du matin était res­plen­dis­sant, mais l’ambiance géné­rale était dif­fé­rente. Quelques heures plus tôt on avait dif­fu­sé le mes­sage de Fidel qui décla­rait qu’il renon­çait à ses fonc­tions de pré­sident du conseil d’état et de com­man­dant en chef. Il deman­dait qu’on conti­nue sim­ple­ment à l’appeler « com­pañe­ro Fidel ». Il y avait sou­vent des larmes dans les yeux des per­sonnes que je croi­sais ce matin-là. « C’est comme si un père renon­çait à être père », me disait-on. Mais vers midi déjà la plu­part des gens s’écriaient : « Fidel, renon­cer ? Mais Fidel c’est Fidel ! Il sera tou­jours notre Com­man­dant en chef, même après sa mort ! »

Comme pas mal de gens aiment entendre ça, oui je vais le dire : oui, Fidel a com­mis des erreurs. C’est un être humain. En construi­sant, on com­met des erreurs. D’autant plus lorsque l’on construit avec l’épée de la plus grande puis­sance pla­cée au-des­sus de la tête. Fidel en outre, a recon­nu ses erreurs. Pour le savoir, il suf­fit de lire une par­tie de sa vaste œuvre intel­lec­tuelle. J’ai admi­ré et j’admire sa capa­ci­té de conti­nuer à avan­cer tout en cor­ri­geant ses erreurs.

Pour toutes ces rai­sons et bien d’autres encore, j’ai pour lui un immense res­pect et autant d’admiration, pour le diri­geant poli­tique, pour l’humain et pour le rêveur. Parce que grâce à lui, il n’y a pas à Cuba la misère qui règne en Amé­rique latine, mais aus­si aux Etats-Unis et dans de nom­breux endroits en Europe, y com­pris dans la belle ville de Paris. Il n’y a pas un seul enfant à Cuba qui dorme dans la rue, qui souffre de la faim, ou qui n’aille pas à l’école. Et c’est l’œuvre de Fidel. Agir pour l’avenir des enfants, c’est aus­si agir pour toutes les géné­ra­tions et n’est-ce pas l’œuvre la plus noble et la plus grandiose ?

Et mal­gré tout cela, ils sont encore nom­breux à trai­ter Fidel de dic­ta­teur et à sou­hai­ter sa mort. Mais ceux-là ne savent pas, ou n’ont pas envie de savoir, que des mil­lions de per­sonnes dans ce monde ont besoin qu’il existe des Fidels. Des mil­lions de per­sonnes ont besoin d’un Fidel Cas­tro Ruz qui leur per­mette de croire qu’ils sont des êtres humains et qu’ils ne sont pas seule­ment venus au monde pour souffrir.

Mer­ci beaucoup.

Her­nan­do Cal­vo Ospina

Mai­son de l’Amérique latine, Paris, le 17 avril 2013

Tra­duc­tion : Karine Alvarez

VIDEO : http://vimeo.com/64319052

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