Folie et sagesse d’Ana Belen Montes

Par Jua­ni­ta Cone­je­ro / MCs et MTh Dou­glas Cal­vo Gaínza


Tra­duit par Mau­rice Lecomte

EN LIEN :

Si les Etats-Unis veulent rega­gner l’estime de ses voi­sins lati­no-amé­ri­cains, ils doivent renouer avec sa poli­tique de bon voisinage.

-38.jpg

L’hé­roïne Ana Belén Montes

Reine et solidaire

À toi héroïne Ana Belén Montes

Depuis une cel­lule grise qui empri­sonne tes élans

et pro­jette en clar­té la briè­ve­té juste de tes cris

Ana de la Cuba Ana la portoricaine.

Ana de l’Entière Amé­rique Ana du Monde

tu viens jusqu’à moi avec tes sen­ti­ments cou­ra­geux et ton œil d’acier

en plein cœur des coraux avec la force de tes manières

ain­si que l’hymne inébran­lable qui fait son nid de mes paysages.

Là-bas, loin, tu as écou­té le gémis­se­ment des palmiers

de l’Île mal­trai­tée qui se dresse intacte dans ses angoisses.

Tu la sens tienne reine et soli­daire flot­tant aux Caraïbes

toi le rameau d’olivier en sa gran­deur de sûre lumière.

Le temps noie les pas­sions et cris­tal­lise les larmes.

Nous sommes ici pour faire hur­ler le cri !

Faire s’épanouir des cas­cades d’appels !

Te désen­cla­ver de la soli­tude et de l’oubli !

Nous sème­rons la clar­té la plus pure.

Dès lors cette clar­té de ton image

attein­dra en concerts d’horizons

la liber­té qui vient et te rachète.

Jua­ni­ta Conejero

La Havane CUBA, le 31/10/2015

-37.jpg

Folie et santé mentale d’Ana Belen Montes.

En ces temps de dégel rela­tif des rela­tions entre Cuba et les États-Unis, il y a des noms qui ne peuvent pas res­ter oubliés. Évi­dem­ment, Ana Belen Montes est l’un d’entre eux. Par consé­quent, je crois posi­tif d’exprimer quelques réflexions per­son­nelles sur son cas, en accep­tant à l’a­vance que cer­tains puissent avoir tort. D’autres, cer­tai­ne­ment pas.

Tout d’a­bord, je pense que doivent exis­ter bien trop de bonnes rai­sons pour infli­ger à qui­conque sa mise au secret abso­lu. Une per­sonne à qui on impose de subir non seule­ment un iso­le­ment radi­cal et contre nature, qu’on prive de la lumière du soleil et du chant des oiseaux, à qui en-sus, on refuse tout sou­rire misé­ri­cor­dieux et de n’avoir pour seule socié­té que des per­sonnes qua­si-démentes, c’est qu’elle doit, à n’en pas dou­ter, être une menace gra­vis­sime pour l’humanité.

Ana Montes est-elle cette menace mon­diale ? J’en doute. Cette dame n’a jamais bles­sé son pays, ni mis en dan­ger la vie des civils nord-amé­ri­cains. Elle n’a pas indi­qué aux isla­mistes un cer­tain tun­nel secret pour assas­si­ner Bill Clin­ton, ni pla­cé aux Twin-Towers aucun sys­tème de signa­li­sa­tion pour gui­der la fuite des pirates de l’air du 9/11. Ni pro­pa­gé la mala­die du char­bon dans un centre com­mer­cial, ou conduit les extré­mistes afghans à atta­quer une école mater­nelle à New York. Elle n’a jamais ouvert la voie à la conquête de la Mai­son Blanche par un État tota­li­taire, encore moins trans­mis par radio des ins­truc­tions per­met­tant le bom­bar­de­ment du Paris Las Vegas du Neva­da. Elle n’a rien fait, abso­lu­ment rien contre son peuple. Elle a sim­ple­ment aidé (dans les limites de ses pos­si­bi­li­tés en affi­chant ain­si un bien grand cou­rage per­son­nel) à ce que les citoyens de l’île de Cuba aient les mêmes droits que ceux des États-Unis, qu’ils cessent de souf­frir des innom­brables attaques contre son Pré­sident, des dizaines de détour­ne­ments aériens et mari­times, des attaques inhu­maines sur les jar­dins d’en­fants, des explo­sions san­glantes d’a­vions en vol, des guerres scé­lé­rates bio­lo­giques, des atten­tas féroces sur les tou­ristes, des escar­mouches fron­ta­lières ain­si qu’un étran­gle­ment éco­no­mique bar­bare uni au funeste dan­ger d’une inva­sion, et de bien autres tristes exploits de la sorte, les­quels devraient être la honte des Pères Fon­da­teurs de la “Pre­mière Répu­blique du Monde”.

La condam­na­tion de Montes se rat­tache à la divul­ga­tion des plans d’es­pion­nage de l’A­mé­rique du Nord dans sa guerre asy­mé­trique contre Cuba ; non vice ver­sa. Donc, dans cette intrigue poli­cière amère, la vic­time est d’emblée la nation des Caraïbes, agres­sée, et non la puis­sance du Nord, agres­seur. C’est cette pri­son­nière qui a été exclue du monde, de même qu’il a été ten­té d’i­so­ler Cuba. Seule­ment, avec l’Île, une telle poli­tique relé­ga­tion­niste a échoué, parce que l’of­fen­sive impé­riale s’est trou­vée affron­tée à tout un peuple ; alors que, dans ce cas, les repré­sailles impla­cables ont été plus heu­reuses, pour s’être déchaî­nées sans rete­nues sur une femme solitaire.

Une femme qui risque sa vie pour défendre un petit pays sous-déve­lop­pé de l’a­gres­sion impla­cable de la super­puis­sance mon­diale régnante ne peut qu’être consi­dé­rée comme quel­qu’un digne d’hon­neur et de res­pect. Et si une telle chose est niée, alors j’ignore quel est le sou­bas­se­ment moral de l’actuelle rhé­to­rique anti-russe per­met­tant à l’Oc­ci­dent de s’ériger comme gar­dien de l’in­dé­pen­dance ukrai­nienne face à l’ours rapace moscovite.

Voyant ceci, où est-il, le crime contre l’hu­ma­ni­té ayant moti­vé cette ven­geance atroce, dont souffre aujourd’­hui cette citoyenne du monde ?

Il est affir­mé que par sa faute le ser­gent Béret Vert Gre­go­ry Fro­nius, déta­ché au Sal­va­dor, a été tué. En uti­li­sant ses contacts avec Cuba, Ana aurait dénon­cé aux par­ti­sans natifs l’existence d’une base secrète yan­kee, et au tra­vers d’elle, per­mit l’at­taque patriote ayant cau­sé la mort dudit mili­taire étranger.

Nul doute que le chiffre soit élo­quent : la confi­dence sup­po­sée a pro­duit un mort nord-amé­ri­cain en sol étran­ger. Le nombre des vic­times de la Cuba frôle les trois mille sur son propre ter­ri­toire. Mais toute perte humaine doit être déplo­rée, dans tout conflit, et pour ma part je regrette hon­nê­te­ment la mort de Fro­nius, tout en pré­ci­sant ne pas mettre sur un même plan la mort d’un entraî­né opé­ra­tion­nel des forces spé­ciales, et celle de celui accom­plis­sant une mis­sion volon­taire dans un pays étran­ger, tout comme les ravages contre femmes et enfants déshé­ri­tés de tout un peuple sans défense, per­ni­cieu­se­ment atta­qués dans leur propre patrie.

Main­te­nant, j’ose émettre un doute rela­tif à cet évé­ne­ment. Je ne pense pas que les gué­rille­ros sal­va­do­riens aient eu besoin d’une recherche inter­na­tio­nale si sophis­ti­quée pour connaître l’exis­tence d’une base enne­mie sur leurs terres. Ils étaient dans leur propre ter­ri­toire (pas les Bérets Verts). Logi­que­ment, ceux-là connais­saient bien chaque pouce de leur mon­tagne et avaient mille confi­dences entre pay­sans. Par consé­quent, par­mi tant de petits “his­pa­niques” et de bron­zés avec des nuances raciales d’aspect indien, il était impos­sible que la pré­sence de ces robustes et rubi­conds légion­naires anglo­phones consti­tue un éter­nel secret. Et cela, sans “espions cubains”.

Mais d’autre part, même en admet­tant que la mort au com­bat de M. Fro­nius a été due à un rap­port de Montes, que dire des patriotes sal­va­do­riens qui sont morts dans ce même com­bat ou un autre, en fai­sant face aux sol­dats étran­gers ? Et de tant de mas­sacres de pay­sans, des bom­bar­de­ments de mul­tiples vil­lages, des dizaines de prêtres dis­pa­rus, des tor­tures de masse hor­ribles, et des nom­breux autres exploits com­mis contre la popu­la­tion sal­va­do­rienne par les diplô­més de Fort Bragg, sous les aus­pices de l’Ar­mée US et ses ser­vices de ren­sei­gne­ment ? Existe t‑il vrai­ment suf­fi­sam­ment d’autorité éthique aux États-Unis pour une telle cruau­té envers Ana Montes devant la mort d’un seul enva­his­seur mili­taire, quand les Sales Guerres par­rai­nées par les admi­nis­tra­tions suc­ces­sives de la Mai­son Blanche, et menées par ses agents, du Centre Amé­rique avec une infi­ni­té de fosses com­munes, une sai­gnée aux pro­por­tions extra­or­di­naires, et des cica­trices de l’âme his­pa­no-amé­ri­caine à jamais muti­lantes, qui affleurent aujourd’­hui dans les Maras[Gangs], les Zetas[Gangs], et tant d’autres legs malé­fiques de l’“assessorat mili­taire” étatsunien ?

Quel est donc le véri­table dan­ger mon­dial : cette recluse sin­gu­lière cloî­trée à Fort Worth, ou les mul­tiples fau­cons mili­ta­ristes du Penta­gone et ses innom­brables “taupes” de la CIA ? Celle qui a (peut-être) infor­mé les patriotes de la pré­sence des occu­pants attra­pés, et qui a (peut-être) pro­vo­qué la mort au com­bat d’un cen­tu­rion impé­rial, ou l’Em­pire lui même avec ses esca­drons de la mort, ses dic­ta­tures d’extrême-droite, ses opé­ra­tions style Gla­dio, Phoé­nix, ou Condor, et son décompte de cadavres défiant la capa­ci­té arith­mé­tique de Pytha­gore lui-même ?

Qui­conque ayant un sens com­mun répond à cette question.

Quant à moi, je ne crois pas qu’honnêtement, en droit, un gou­ver­ne­ment sur la pla­nète (qu’il soit de “gauche”, de “droite”, une monar­chie de l’Ere escla­va­giste, ou une horde du futur “post-apo­ca­lyp­tique”) puisse impo­ser à un être humain [sans défense], l’i­so­le­ment total du reste de l’u­ni­vers ; comme je n’admets pas non plus qu’un tri­bu­nal puisse exis­ter dans ce monde, avec l’au­to­ri­té légale de sup­pri­mer d’un trait de plume la per­mis­sion à l’amitié.

D’autre part et encore, je trouve cela d’autant plus incom­pré­hen­sible, si l’on consi­dère qu’aux États-Unis, par­fois des assas­sins en série les plus endur­cis par­viennent à atteindre une sorte d’aura de vedette. Par exemple, un sinistre per­son­nage comme Ted Bun­dy, a non seule­ment reçu de nom­breuses lettres dans sa cel­lule, mais a même eu le droit de se marier après sa condam­na­tion. Un psy­cho­pathe bes­tial avec des pré­ten­tions artis­tiques comme John Wayne Gacy, a ven­du avec suc­cès ses pein­tures depuis sa pri­son. La mal­heu­reuse Kar­la Faye Tucker, a acquis célé­bri­té et popu­la­ri­té jus­te­ment au cours de sa réclu­sion en rai­son de sa très évi­dente réforme morale, ce qui n’a pas empê­ché sa liqui­da­tion par l’É­tat. Le meur­trier sec­taire Charles Man­son, a enre­gis­tré et ven­du sa musique depuis sa pri­son en col­lec­tion­nant des mil­liers de fans. Tous ont assas­si­né des civils nord-amé­ri­cains sans défense, dont un mineur et une femme enceinte. Néan­moins (ou à cause de cela), ils sont deve­nus pour cer­tains sec­teurs de la socié­té du nord des icônes sociales, jouis­sant d’une popu­la­ri­té inusité.

En revanche, sans rap­port avec ces records homi­cides, Ana Belen Montes a été condam­née à être enter­rée ou emmu­rée vivante. Elle vaut encore moins que le plus vil tueur, sur la base du délit de lèse majes­té pour avoir ten­té d’éviter les agres­sions de la super­puis­sance régnante contre un petit pays voi­sin. Son châ­ti­ment nous rap­pelle celui de la ter­rible com­tesse de Tran­syl­va­nie, qui se bai­gnait dans le sang de ses bonnes, et qui a été condam­née à l’emmurement. Mais Montes n’a pas poi­gnar­dé sadi­que­ment des dizaines de demoi­selles, et je ne crois pas que le sys­tème juri­dique amé­ri­cain aspire à imi­ter la monar­chie féo­dale des Car­pates. Nous sommes au XXIème siècle, pas au Moyen Age, bien que par­fois on ait ten­dance à en douter.

Si les Etats-Unis veulent rega­gner l’es­time de ses voi­sins lati­no-amé­ri­cains, ils doivent dépas­ser l’héritage du pré­ten­du “Mani­fest Des­ti­ny” et hono­rer le décent Frank­lin D. Roo­se­velt en renouant avec sa poli­tique de bon voi­si­nage. Par consé­quent, pour culti­ver un véri­table pan­amé­ri­ca­nisme, ils doivent ces­ser l’isolement de la Cuba. Et avec celui-ci, aus­si celui d’Ana Montes. La femme qui lan­guit main­te­nant dans une sorte de “démence” juste pour avoir eu assez de bon sens pour entre­voir que la cruau­té into­lé­rante et la mépri­sante injus­tice, por­tées à leurs paroxysmes au niveau des rela­tions inter­na­tio­nales, conduisent néces­sai­re­ment à l’im­po­pu­la­ri­té et au déclin de tout pou­voir, comme la Rome de Syl­la, la France de Napo­léon ou le Washing­ton post-Bush. Et par la loi du des­tin, l’Empire qui cherche à sub­ju­guer sur la base de la ter­reur, inva­ria­ble­ment, fini­ra par som­brer dans le chaos.

En ce sens, je consi­dère Ana Belen Montes comme la per­sonne la plus raisonnable/saine des États-Unis. Bien qu’elle soit enfer­mée dans le pavillon des fous.

12 Sep­tembre 2015

Par MCs et MTh Douglas Calvo Gaínza

Article publié dans : Musée "Ernesto Che Guevara" Caballito, CABA. Rue Rojas 129, Esq. Yerbal, Buenos Aires (AAC 1405) Argentine - École de Solidarité avec Cuba "CHAUBLOQUEO"