Par Luk VERVAET
D’abord, il y a eu le 11 septembre 2001 à New York. Et puis, si on en croit les médias, il y a eu le 7 février 2012 à Bruxelles. Le chahut, lors d’une conférence de Caroline Fourest sur l’extrême droite, à l’Université Libre de Bruxelles, le 7 février 2012, désormais appelé le « Mardi Noir », a été comme un véritable 9/11 qui s’est abattu sur le Temple du libre examen. Ce 7 février, « l’obscurantisme islamiste » a frappé – de manière pacifique, mais pour autant pas moins terrible- contre « la liberté d’expression des Lumières ». D’un côté, il y avait les agresseurs : Souhail Chicha et un groupe d’islamistes radicaux, « femmes en burqa et hommes cagoulés ». De l’autre, il y avait les victimes : Caroline Fourest, la gauche-laïque-démocratique et les autorités académiques, qui se sont déclarées « consternées » et « scandalisées » par cet « attentat contre la liberté d’expression » commis au cœur même de l’Université de Bruxelles, temple du débat d’idées »[[Le Soir 8 février 2012 « L’ULB dénaturée et menacée par des assassins de la démocratie », avec une vidéo sous le titre : Clash entre Caroline Fourest et des intégristes.]] . Selon les médias, le chahut lors de l’action Burqa Pride était l’illustration de « la marmite de haine, qui bouillonne à l’ULB et qui répand un climat de peur et, pratiquement, interdit la liberté de pensée et d’expression »[[http://www.levif.be/info/burqa-bla-bla-ou-sont-les-valeurs-de-l-ulb/article-4000041087412.htm]].
Sous la pression médiatique, l’inévitable réaction politique en chaîne ne s’est pas faite attendre : interpellations au parlement par des députés « consternés », Richard Miller (MR) et Jean-Claude Defossé (Écolo) . Armand De Decker (MR) déclare “se trouver sur la même longueur d’ondes que Marc Uyttendaele pour demander la mise à l’écart de M. Chichah aux noms des valeurs fondamentales de l’ULB”. Communiqués du PS, MR, FDF contre le « retour de l’obscurantisme et de la violence et le communautarisme radical ». Un ministre de l’Enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Jean-Claude Marcourt (PS), se dit « atterré par ce qui s’est passé »[[http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/article/385628/le-flop-de-burqa-bla-bla.html]].
A toutes ces personnes, littéralement atterrées par la Burqa Pride, j’aimerais poser une question pour ramener un peu le sens de la mesure et de la raison : Est-ce que je me trompe si je dis que c’est bien eux, qui, pendant cette dernière décennie, ont soutenu et justifié des attentats et des guerres, mais alors là des vraies guerres, qui ne finissent pas, avec des bombes réelles, contre les populations de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Somalie ou de la Libye ?
Les Pharisiens du Temple sortent leur Manifeste de l’exclusion.
Ce seront les Fourestiens belges, les Elie Cogan, Chemsi Cheref-Khan, Gisèle De Meur, Catherine François, Nadia Geerts, Marc Parmentier, Jamila Si M’Hammed et Jeanine Windey, qui se présentent comme les fers de lance du combat pour la liberté d’expression et de la démocratie. Ils lancent une pétition sous forme de « Lettre ouverte aux autorités de notre université : à propos du mardi noir de l’ULB ». C’est un véritable manifeste pour l’exclusion, signé depuis par quelques milliers de personnes et suivi par une tribune dans la Libre Belgique « Faut-il exclure Souhail Chicha », signée par une dizaine de membres du personnel académique et administratif de l’ULB, reprenant le même appel à l’exclusion. Cette pétition, qui se saisit de la dramatisation médiatique de l’évènement, démontre à elle seule qu’on n’a pas à faire à des personnes soucieuses de la liberté d’expression, mais bien à des Pharisiens du Temple ou à des Mc Carthystes des temps modernes.
La lettre et la pétition avancent trois idées.
D’abord, les auteurs prétendent que cette action n’a pas d’égale dans l’histoire de l’ULB. Comme quelques anciens gauchistes de ma génération risquent de leur répondre que des chachuts et des sabotages de conférences à l’ULB ont toujours existé et qu’il ne faut pas en faire un drame, ils ont pris la peine de leur répondre de manière préventive. Il faut savoir que des actions de contestation, turbulentes, même violentes, mais en tout cas bien plus graves que celle de la Burka pride, ont eu lieu à l’ULB de la part des groupes de gauche, maoïstes et autres marxistes-léninistes durant la période mai 68 et bien au-delà. Entretemps, les participants à ces actions sont devenus de respectables professeurs d’université, des journalistes ou des chefs d’entreprise, qui préfèrent qu’on ne revienne pas trop leurs péchés de jeunesse. Sur ces actions, nos Pharisiens du Temple écrivent, sans rire : « La quête turbulente des contestataires de mai 1968 se déclinait en volonté de participation, de recherche de la vérité, et de débat structuré par la pratique du libre examen ». Et dire qu’il y a 4000 personnes qui signent de telles contre-vérités ! Il suffit de regarder ne fût-ce que quelques actions menées à cette époque pour voir de quel « débat structuré » il s’agissait. Le 4 février 1960, le Cercle colonial de l’ULB sabote la tenue d’une conférence sur Patrice Lumumba. Le 12 février 1968, le dirigeant étudiant de Leuven, Paul Goossens, est invité pour tenir une conférence à l’ULB sur le syndicalisme étudiant. La conférence est perturbée et sabotée, la police doit intervenir contre les violences qui éclatent au sein même de la conférence. Le 27 janvier 1967, auditoire bondée de 1500 personnes au Janson pour une conférence sur la guerre au Vietnam. Les maoïstes s’opposent à la tenue de la conférence qui devait être donnée par monsieur Harold Kaplan, sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires Étrangères américaines, sur invitation du Cercle du Libre Examen. Drapeaux des terroristes du Vietcong dans la salle, la tenue de la conférence est rendue impossible. Le 17 mai 1968, 500 étudiants envahissent la séance inaugurale des Journées médicales et la rendent impossible.
Est-il inimaginable que le chahut et la confrontation aux universités pendant la guerre au Vietnam contre le terrorisme communiste du Vietcong puissent aujourd’hui être remplacés par l’opposition à la guerre mondiale contre le terrorisme islamiste ? Que les actions de chahut et autres ont toujours fait pleinement partie du champ de la liberté d’expression ? Que ni la gauche, qu’elle soit radicale ou molle, ni la droite n’ont jamais renoncé à ces méthodes de contestation ? En 2009, un communiqué du Cercle des Etudiants libéraux se plaignait des menaces de la gauche. Le cercle libéral dénonçait qu’un groupe d’étudiants avait déjà perturbé le Congrès des libéraux européens à Tour et Taxis. Ensuite, suite à des « menaces », le cercle avait dû annuler une de leurs conférences « le MR sur le grill », avec comme invité Armand Dedecker et la députée Françoise Bertiaux. Ou prenons la décision d’Arcélor Mittal en février 2012 de renoncer à sa participation au Jobday Sciences politiques, sociales et communication, qui devait se dérouler sur le campus de l’ULB, suite à des « menaces » des Jeunes du FGTB. On peut se demander : où était la guillotine après ces évènements ? Où l’hystérie médiatique ? Ou s’agit-il de faire payer à la Burqa Pride tout ce qui n’a pas été poursuivi jusqu’à présent ?
Ensuite, de manière théâtrale, quasi pathétique, les auteurs de la pétition vont se présenter comme les descendants directs et les héritiers naturels des fondateurs de « leur université », il y a 200 ans. C’est dans ce cadre historique d’une histoire vieille de 200 ans qu’ils vont développer la dimension historique de la Burqa pride. Pour être ridicule, c’est ridicule. Gommons quelques guerres mondiales : c’est bien la Burka Pride du 7 février 2012 qui constitue « l’attentat » historique dans l’histoire de l’ULB. Lisez mot par mot et jugez par vous-mêmes : « Les évènements qui ont secoué l’amphithéâtre K ont fait de ce 7 février 2012, le mardi noir de l’histoire de notre maison. Ils sont désormais inscrits dans notre histoire par l’atteinte profonde qu’ils ont portée à nos valeurs, nos idéaux, nos principes, fondements mêmes de la création de l’Université Libre de Bruxelles en 1834… Ce sont les fondements même de l’existence de l’ULB qui ont été attaqués… Il est urgent d’être intransigeant sur ce que nous considérons comme le sens même de notre vie : l‘expression libre mais argumentée de l’esprit critique, l’égalité des genres, la démocratie, le respect de l’Autre… ». Pour ces héritiers de 1834, il y a aussi une certaine modestie et prudence qui s’impose. Il n’est pas inutile de rappeler à ces universitaires que les fondements de l’ULB à l’époque n’étaient pas plus que l’expression de la volonté de la bourgeoisie urbaine et industrielle (libérale) de former ses propres élites à sa propre université.
Mais puis viennent les choses sérieuses : la répression et l’exclusion. La Burqa Pride, c’est le moment d’exiger l’exclusion de tous les opposants présents à la Burqa Pride, et non seulement du débat politique, mais carrément de leur emploi.
« Nous avons dépassé le stade des menaces, déjà dénoncées, puisque le passage à l’acte a bien eu lieu… La tolérance a ses limites. Elles étaient atteintes depuis longtemps et ont été dépassées ce 7 février 2012… Nous avons plusieurs fois regretté la relative timidité des réactions des autorités de l’université. Ce sentiment a atteint un paroxysme mardi soir… Nous vous exhortons donc à siffler la fin de cette mauvaise récréation. Les sanctions ne peuvent être différées. Non seulement l’instigateur qui n’a simplement pas sa place dans l’université mais toutes les personnes ayant été actives mardi, et ceux dont l’agitation est connue, doivent être visés par les autorités compétentes. Seule cette attitude permettra à la lumière de briller à nouveau dans les ténèbres. »
Sur le blog de Madame Fourest et de ses amis, on peut trouver les noms des coupables qui doivent être exclus par « les autorités compétentes ». Parmi eux, les Indigènes de la République ou du Royaume ou les sympathisants de Tariq Ramadan : « Les réseaux indigeno-ramadano-dieudonesques de Souhail Chichah et de Nordine Saidi (si extrême qu’il justifie les attentats-suicide et a réussi à se faire exclure du MRAX pour racisme et pro-islamisme !), parmi les principaux meneurs de ce sabotage ». Sur le si extrême Nordine Saïdi, madame Fourest en rajoute une couche en disant qu’il s’agit de quelqu’un qui se réjouit des attentats suicide : « Youssef al Qaradhawi… est l’auteur d’une fatwa autorisant le Hamas à mener des attentats-suicide (monsieur Nordine Saïdi va être content). » La résistance palestinienne a depuis longtemps renoncé à cette forme de lutte du désespoir et Nordine Saidi ne s’est jamais exprimé comme quelqu’un qui trouve son bonheur dans ce genre d’opérations. Mais cela n’a aucune importance : il s’agit d’amener des munitions pour prouver que la Burka Pride était faite par des criminels et des terroristes.
Celui qui observe ce qui est en train de se passer à partir d’un point de vue « libre-exaministe », conclura qu’on est loin d’une discussion sur la Burqa Pride.
Si on analyse les choses objectivement, la Burqa Pride n’était pas un cri pour moins de liberté d’expression ou pour interdire. C’était un cri pour plus de démocratie, un cri contre la stigmatisation et la discrimination des minorités et pour tous ceux qui sont exclus par les lois et les interdits comme les femmes qui portent le voile ou la burqa. La volonté d’interdire et de limiter la liberté d’expression se trouve dans le camp adverse, et c’est précisément pour cela qu’ils ont été chahutés.
De la part de ce camp-là, on est au cœur d’une campagne pour instaurer une interdiction de parole et un « berufsverbot » pour ceux qu’ils nomment les « islamo-gauchistes ». « L’instigateur n’a pas sa place à l’université », écrit Nadia Geerts, co-auteure de la lettre aux autorités de l’ULB. Elle, qui aimerait bien être la Fourest belge, a dit la même chose sur moi quand il s’agissait de m’exclure en tant qu’enseignant dans les prisons. Etant exclu en août 2009, pour « des raisons de sécurité (secrètes) », personne, ni mon employeur, ni mes avocats, ni moi-même n’ont eu le droit de connaître les raisons de cette exclusion. L’indignation, aussi dans les médias, était générale. C’est Nadia Geerts qui s’est adressée le 9 septembre 2009 au journal Le Soir pour justifier mon exclusion au nom de mes opinions politiques. Sa lettre intitulée « Luc Vervaet, ce citoyen engagé » se trouve toujours sur son blog. En juin 2011, le Conseil d’Etat a annulé la mesure d’exclusion, en la jugeant illégale.
Un autre Fourestien, le journaliste de gauche Claude Demelenne, qui s’est fait une nouvelle vie en tant que spécialiste de l’infiltration islamiste dans notre société, était invité à l’émission de Controverse (RTN-TVi) consacrée à la Burqa Pride. Demelenne appelait déjà en 2009 à, je cite, « la construction d’un cordon sanitaire » autour du parti Egalité. Selon Demelenne, Egalité serait un parti iranien en Belgique. Accusation absurde et fantaisiste pour laquelle il n’avançait aucune preuve. A la fin de sa tribune dans La Libre Belgique du 24 avril 2009, il écrit : « L’activisme, en Belgique, d’un “parti iranien” pose la question du laxisme des démocrates. Faut-il rester les bras croisés quand des islamistes et leurs alliés tentent d’endoctriner la population d’origine immigrée ? Faut-il tolérer qu’Abou Jahjah, opposé à l’intégration des Arabo-musulmans, organise tranquillement la pub de mouvements terroristes dans notre pays ? Ne faudrait-il pas appliquer, à leur égard, le cordon sanitaire qui isole l’extrême droite ? » C’est le même scénario qu’on voit à l’œuvre aujourd’hui autour de la Burka Pride : des questions sous forme de réponse, qui furent un appel pur et simple à l’exclusion du débat publique du parti Egalité et d’Abou Jahjah tout en critiquant « le laxisme des démocrates ». Demelenne va aller plus loin en septembre 2009 quand il s’allie avec le sénateur MR Destexhe. Ils publient ensemble un livre sous le titre « Lettre aux progressistes qui flirtent avec l’islam réac » avec toujours le même appel à l’exclusion. Le livre est introduit par Guy Haarscher, qui signe : philosophe et professeur à l’ULB. Le sénateur Destexhe ne se limite pas à des mots, mais il va passer à l’acte. Dans un communiqué du 10 mars 2010, sous le titre « Evelyne Huytebroeck offre une tribune sur son site officiel à un personnage proche de l’islam radical », il exige – et obtient ! — que la Ministre bruxelloise Huytebroeck (Ecolo), responsable de l’aide à la jeunesse, l’aide aux détenus et de la pauvreté, enlève mon article « Transformons les prisons en écoles » de son site. La ministre avait pris mon article du site de la Ligue des Droits de l’Homme.
« Un attentat terroriste sans armes »
Personne ne nie à Madame Fourest le droit d’écrire, de crier ou d’hurler qu’elle n’est pas d’accord avec l’action Burka Pride, qu’elle ne se laissera pas faire et qu’elle va (encore) donner des coups de pied à toute personne qui la contredit. Où elle et ses amis dépassent les limites, c’est quand ils se présentent comme victimes d’une action criminelle, voire victimes d’un attentat terroriste. Ainsi les Fourestiens écrivent dans leur lettre que les autorités académiques doivent faire comprendre : « qu’on ne peut agir en dehors des règles fondatrices de notre société, qui réprouve tout acte de nature terroriste, même sans armes… ».
Dans le climat actuel, le mot terrorisme est le mot magique et terrible par lequel on peut justifier littéralement toutes les mesures d’exclusion, voire d’incarcération. Cette accusation est très grave et très lourde de sens. Madame Fourest et les Fourestiens ne font pas allusion au Norvégien Breivik. En associant cette action au terrorisme, ils visent à la coller au 11 septembre, à Ben Laden et Al Qaida, à un attentat-suicide contre des innocents sur un marché ou dans un bus. Il s’agit de forcer la main aux autorités et de mettre la machine de répression en marche contre « les terroristes islamistes, qui se sont infiltrés dans nos universités ». Qu’ils utilisent le mot terrorisme montre aussi clairement qu’ils ne se situent pas dans un camp neutre, celui du « libre examen », mais bien dans le camp de la guerre antiterroriste américaine et européenne. Cette guerre qui dure depuis dix ans est une période qu’on peut déjà classer parmi les périodes les plus noires au niveau des droits de l’homme et de la liberté d’expression dans le monde depuis la deuxième guerre mondiale. C’est au nom de cette guerre contre le terrorisme qu’on a connu et qu’on connait toujours les camps de Guantanamo, de Bagram ou d’Abu Ghraib, et qu’on a justifié les enlèvements, les extraditions illégales, les extra-judicial killings, les tortures. C’est au nom de cette guerre que les populations d’origine immigrée sont traitées comme un cheval de Troie et comme la cinquième colonne de l’ennemi dans nos pays. C’est au nom de cette guerre qu’on connaît toutes les mesures et lois contre les communautés arabo-musulmanes en Europe et le retour du berufsverbot pour les soi-disant sympathisants des terroristes.
Souhail Chicha, l’ami de Roberto d’Orazio et du PTB…
Dans l’opération de criminalisation de Souhail Chicha, il n’est pas seulement présenté comme l’ami de Nordine Saidi, porte-parole d’Egalité. Pour aggraver son cas, la presse ajoute qu’ « autrefois il était aussi ami de Roberto D’Orazio et du PTB »[[http://www.levif.be/info/burqa-bla-bla-ou-sont-les-valeurs-de-l-ulb/article-4000041087412.htm]] Ce lien entre Souhail, D’Orazio et le PTB est intéressant parce qu’il s’agit de l’expérience la plus intéressante au niveau de la formation d’un front unique des minorités en Belgique des dernières vingt années. Et de sa diabolisation et de sa démolition par la suite. Dans la période 1995 à 2005, un front se construisait entre différentes forces. Il y avait la poignée de parents, abandonnés et maltraités par la police et la justice, d’enfants disparus et assassinés, avec Tinny Mast et Carine Russo à leur tête. Il y avait les ouvriers de Clabecq en lutte contre la fermeture de leur usine sous la direction de Roberto D’Orazio et de Silvio Marra. Des jeunes issus de l’immigration d’Anvers et de Malines, sous la direction de la Ligue arabe européenne de Dyab Abou Jahjah . Les marxistes-léninistes du PTB sous la direction de Nadine Rosa-Rosso. Des trotskistes comme Chris Den Hond. Les licenciés de la Sabena avec leur déléguée syndicale Maria Vindevoghel. Il y avait les indépendants, opposants à la guerre en Irak, acteurs et artistes. Les chemins de toutes ses personnes se sont croisés et un front uni redoutable était en marche. Les parents des enfants disparus se trouvaient à la place d’honneur sur le podium de la Marche pour l’emploi des 70.000 à Clabecq. Des listes électorales unitaires comme Debout, de D’Orazio, ou de Resist de l’AEL et du PTB ont vu le jour. D’Orazio, Dyab et le PTB se sont joints dans une alliance commune « Stop USA » contre la guerre en Irak.
La diabolisation et la criminalisation des différentes parties de ce front ne s’est pas fait attendre. Comme les musulmans sont présentés comme être tous liés à Ben Laden, D’Orazio et sa délégation étaient présentés comme faisant partie de la maffia italienne. La délégation de l’usine sidérurgique de Clabecq constituait une alternative démocratique unique dans notre pays, qui s’occupait aussi bien du bien-être matériel des ouvriers, que de la lutte antiraciste et anti-guerre. Pour ses positions, la délégation de Clabecq a été exclue du syndicat. Les délégués ont ensuite été exclus de leur emploi et treize parmi eux, dont D’Orazio et Marra, ont été poursuivis devant la justice pendant quatre ans, de 1998 à 2002. Les treize étaient inculpés comme « instigateurs » pour des faits de grève : 43 chefs d’inculpation allant de vol à main armée jusqu’à rébellion en groupe avec préméditation et tentative de mise à feu d’un commissariat… Ainsi, dans une combinaison de criminalisation d’une grève, d’une opération d’isolement de sa délégation, d’absorption de toute l’énergie et de l’argent de celle-ci dans une campagne interminable devant le tribunal (où ils ont finalement gagné et ont été blanchis de toute accusation), le résultat a été la liquidation d’une expérience unique dans ce pays.
Quant au PTB, il va échapper à la vague de répression qui s’abat en retournant sa veste. Le PTB exclut sa secrétaire-générale et une dizaine de cadres, déclare ne plus rien à voir avec tout ce qui est taxé de radical ou d’extrême, ni avec le maoïsme ou le stalinisme. Le PTB choisit le chemin de se faire accepter à la table des grands. Depuis, fini la diabolisation. Depuis, les louanges dans les médias pour le tournant historique de ce parti ne manquent plus. Ce ne sera pas le cas pour le charismatique Dyab Abou Jahjah, dirigeant de la Ligue arabe européenne. Sous sa direction, les jeunes des quartiers populaires à Anvers et Mechelen commençaient à s’organiser de manière indépendante pour revendiquer leurs droits et développer une solidarité avec les luttes de libération dans les pays du Sud, avant tout la Palestine. C’était une expérience nouvelle, qui mettait en avant une jeune génération qui se réveillait politiquement. Cette génération issue de l’immigration revendiquait la double appartenance : celle de faire partie des peuples arabes qui luttent, et celle des jeunes nés et discriminés sur le continent européen.
Tout comme D’Orazio, Dyab n’échappera pas à la diabolisation politique, ni à des poursuites judiciaires pour être un « instigateur ». Le 21 décembre 2007, Dyab Abou Jahjah et Ahmed Azzuz seront condamnés à un an de prison pour leur rôle dans la manifestation des jeunes contre un meurtre raciste en 2002. A cette manifestation, ils auraient “excité les jeunes” et ils n’auraient pas “utilisé leur influence pour calmer les jeunes” ! Mais tout comme pour D’Orazio et Marra, la Cour d’appel du 20 octobre 2008 va blanchir Dyab Abou Jahjah et Ahmed Azzuz de toute accusation. La Cour va envoyer le dossier de 4000 pages contre les deux accusés à la poubelle.
Mais entretemps le mal est fait : suite à leur appartenance à l’AEL, présentée comme organisation criminelle, des dizaines de jeunes connaîtront des problèmes pour trouver un emploi, dans leur famille ; pour certains, leur compte a été bloqué. Tout comme pour la délégation de Clabecq, le travail de l’organisation va être paralysé, entre autres par un procès qui a duré six ans.
Je ne peux qu’encourager les jeunes d’aujourd’hui de lire ce qui est paru sur ces deux expériences et d’en puiser la détermination pour ne pas permettre que ces scénarios se répètent pour Souhail Chicha et Egalité.
Source de l’article : égalité