L’assassinat de Julien Lahaut : Les dessous d’une enquête judiciaire

Un meurtre qu’il faut situer dans le contexte de guerre froide, face à la « menace communiste ».

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Soixante-cinq ans après l’assassinat de Julien Lahaut, pré­sident du par­ti com­mu­niste de Bel­gique (PCB), une impo­sante étude his­to­rique jette la lumière sur les auteurs de ce crime poli­tique et docu­mente leur col­lu­sion avec cer­tains sec­teurs du monde finan­cier et du pou­voir judi­ciaire dans la Bel­gique de l’après-guerre. Comme le rap­pellent les auteurs de cet impo­sant tra­vail his­to­rique, en décembre 2008 une réso­lu­tion du sénat confie au Ceges la réa­li­sa­tion d’une étude scien­ti­fique sur l’assassinat de Lahaut. En mai 2011, un cré­dit de 150.000 euros mis à la dis­po­si­tion de l’enquête par le ministre de la Poli­tique scien­ti­fique Nol­let et une somme de 38.500 euros récol­tée par la dépu­tée PS Véro­nique de Key­ser per­mettent le démar­rage de cette recherche, et en 2013 le ministre Magnette accorde 160.000 euros sup­plé­men­taires afin de fina­li­ser l’étude du Ceges.

Réa­li­sée il y a trente ans, l’enquête his­to­rique de Rudy Van Doors­laer et Etienne Verhoeyen[[Rudy Van Doors­laer et Etienne Verhoeyen, L’assassinat de Julien Lahaut. Une his­toire de l’anticommunisme en Bel­gique, Anvers, Les Édi­tions EPO, 1987.]] met­tait en lumière le rôle déci­sif de l’anticommunisme dans le meurtre du diri­geant com­mu­niste iden­ti­fiant les groupes res­pon­sables de ce crime poli­tique et esquis­sant le réseau de com­pli­ci­tés dont ils béné­fi­ciaient dans cer­tains milieux du pou­voir poli­tique et finan­cier. L’étude du Ceges confirme le plus sou­vent cette enquête pion­nière et per­met de mieux la docu­men­ter. Julien Lahaut est abat­tu de quatre balles de Colt 45, le 18 aout au soir, à son domi­cile, 65 rue de la Vec­quée à Seraing. Le popu­laire mili­tant com­mu­niste occu­pait depuis aout 1945 la pré­si­dence du PCB, une fonc­tion pro­to­co­laire. La thèse domi­nante voyait jadis ce meurtre comme une réponse phy­sique de mili­tants léo­pol­distes à la vio­lence ver­bale de Lahaut, criant « Vive la Répu­blique ! » lors de la céré­mo­nie de pres­ta­tion de ser­ment du prince royal Bau­douin, le 11 aout 1950. L’enquête sur l’assassinat se ter­mi­na en 1972 par un non-lieu.

Comme le pré­cisent les cher­cheurs du Ceges, le dos­sier d’instruction de 11.000 pages conser­vé au palais de Jus­tice de Liège n’existe plus… il dis­pa­rait en effet à la suite d’une « regret­table inter­ver­sion entre les docu­ments à détruire et les docu­ments à ver­ser aux Archives de l’État ». Heu­reu­se­ment pour les his­to­riens du Ceges, la par­tie civile avait obte­nu l’accès au dos­sier avant la pro­non­cia­tion du non-lieu et en fit une copie, dépo­sée plus tard aux archives com­mu­nistes (Car­CoB). Les cher­cheurs du Ceges ont pu clas­ser ce très volu­mi­neux dos­sier, y trou­vant ain­si toute la docu­men­ta­tion per­met­tant de retra­cer les grandes étapes d’une longue et vaine enquête judi­ciaire. Le juge d’instruction René Louppe, de garde la nuit du meurtre, était comme le notent les his­to­riens du Ceges le juge d’instruction lié­geois le moins expé­ri­men­té pour une telle enquête aux nom­breuses ramifications.

L’étude du Ceges retrace les dif­fé­rentes pistes explo­rées suc­ces­si­ve­ment par le juge Louppe et ses enquê­teurs. Tout d’abord celle du « capi­taine » André Ver­brugge, selon les com­mu­nistes impli­qués dans l’assassinat, résis­tant, fon­da­teur de la Jeu­nesse monar­chiste belge et condam­né à Gand en décembre 1950 pour escro­que­rie, déten­tion illé­gale d’arme et usur­pa­tion de titre mili­taire. Cet aven­tu­rier mytho­mane était en rap­ports avec Hen­ri Adam, chef de cabi­net du ministre de l’Intérieur Albert De Vlees­chau­wer, et d’autres figures impor­tantes du camp léopoldiste.

Une seconde piste remonte à plu­sieurs atten­tats anti­com­mu­nistes com­mis à Bruxelles en 1951, dont l’affaire Fre­de­ri­ka Stern, employée de la Librai­rie du Monde entier agres­sée en pleine rue, à Schaer­beek, pour lui voler des docu­ments concer­nant le par­ti com­mu­niste, publiés ensuite dans l’hebdomadaire anti­com­mu­niste Europe-Amé­rique. Les agres­seurs de Stern se déplacent à bord d’une voi­ture Van­guard grise dont seuls quelques modèles cir­culent alors en Bel­gique. Men­tion­né dès sep­tembre 1950 dans une note de la Sureté de l’État, Fran­çois Goos­sens, de Hal, ancien de la Résis­tance et agent d’assurances, se vante d’avoir par­ti­ci­pé à l’assassinat de Lahaut. Goos­sens pos­sède une Van­guard grise. Il ne sera jamais enten­du par le juge Louppe.

Une nou­velle piste se pré­sente en 1958. Emile Del­court, ancien résis­tant et pri­son­nier poli­tique, fon­da­teur du Front natio­nal belge de l’indépendance (FNBI), dis­si­dence anti­com­mu­niste du Front de l’indépendance, a créé fin 1950 le jour­nal L’Unité belge avec le sou­tien finan­cier de l’abbé Paul Cal­meyn, pré­sident de l’asbl Fonds Car­di­nal Mer­cier. Ini­tia­teur de spec­ta­cu­laires actions anti­com­mu­nistes, dont la publi­ca­tion d’un faux Dra­peau rouge le 1er avril 1952, Del­court détourne à son pro­fit les mil­lions du Fonds Car­di­nal Mer­cier. Condam­né à la pri­son pour escro­que­rie et détour­ne­ment de fonds fin 1957, Del­court affirme alors savoir qui a tué Lahaut. Lors de l’enquête qui suit sa décla­ra­tion fra­cas­sante, il cite le jour­na­liste André Moyen par­mi les per­sonnes impli­quées dans le meurtre. Dans sa dépo­si­tion devant le juge Louppe, Moyen, ancien résis­tant et res­pon­sable d’un ser­vice de ren­sei­gne­ment pri­vé, détourne aisé­ment les soup­çons, se montre très coopé­ra­tif et se dit recom­man­dé par de hauts res­pon­sables des ser­vices de ren­sei­gne­ment offi­ciels. La piste Del­court ne mène nulle part.

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Der­nier moment de l’enquête judi­ciaire, en mars 1961, des per­qui­si­tions sont effec­tuées aux domi­ciles de membres de mou­ve­ments roya­listes à Anvers et dans d’autres villes fla­mandes. Des diri­geants de l’organisation « Eltrois » (Léo­pold III) sont pla­cés sous man­dat d’arrêt par le juge Georges Moreau qui a repris le dos­sier d’enquête en juin 1960. Un ancien membre d’Eltrois, arrê­té dans le cadre de l’enquête sur un meurtre com­mis à Mort­sel, a fait des révé­la­tions sur l’assassinat de Lahaut. Au cours des recherches sur l’organisation Eltrois, le com­mis­saire Alfred Van der Lin­den, chef de la sec­tion cri­mi­nelle de la police judi­ciaire d’Anvers, tombe sur un dos­sier concer­nant le Bloc anti­com­mu­niste belge (BACB), objet d’une enquête du par­quet anver­sois en 1947, à la suite de la dif­fu­sion d’un tract décla­rant « la guerre au com­mu­nisme, pro­lon­ga­tion bar­bare du nazisme ». Ce dos­sier d’enquête poli­cière sur le BACB men­tionne aus­si un pro­jet avor­té d’assassinat de Lahaut. En consul­tant ce dos­sier, le com­mis­saire Van der Lin­den a son atten­tion atti­rée par la men­tion d’André Moyen, pré­sen­té en tant que diri­geant d’un ser­vice de ren­sei­gne­ments anti­com­mu­niste pri­vé au pro­fit de grosses entre­prises com­mer­ciales et indus­trielles aux­quelles il adresse des rap­ports men­suels secrets. Mais, cette der­nière piste dans l’enquête sur l’assassinat de Julien Lahaut abou­tit une fois de plus à l’impasse.

Comme le sou­lignent les his­to­riens du Ceges, l’enquête des juges d’instruction de Liège sur l’assassinat de Julien Lahaut s’inscrit dans un sys­tème judi­ciaire carac­té­ri­sé par le cloi­son­ne­ment, le res­pect de la hié­rar­chie et la len­teur. Les infor­ma­tions ras­sem­blées aujourd’hui par les cher­cheurs du Ceges se trou­vaient com­par­ti­men­tées entre les polices judi­ciaires de Liège et de Bruxelles, Anvers et la Sureté de l’État. Les recherches faites durant la décen­nie qui suit l’assassinat se foca­lisent sur les auteurs de meurtre et « l’existence d’éventuels com­man­di­taires ne semble pas rete­nir l’attention des enquê­teurs ». Le dos­sier judi­ciaire ana­ly­sé par les spé­cia­listes du Ceges est une plon­gée dans un monde de soi-disant agents de ren­sei­gne­ment et d’escrocs acti­vistes anti­com­mu­nistes. L’étude du Ceges tire de l’ombre la figure cen­trale d’André Moyen (1914 – 2008) et son réseau de ren­sei­gne­ment anti­com­mu­niste dont elle nous esquisse les acti­vi­tés et les nom­breuses com­pli­ci­tés. Trou­vée aux archives du Palais royal, dans les papiers du Pre­mier ministre Joseph Pho­lien, une liste des ser­vices de ren­sei­gne­ment datée de jan­vier 1951 men­tionne Moyen, dit « Capi­taine Fred­dy » comme « prin­ci­pal agent » d’un ser­vice de ren­sei­gne­ments de la Banque de Bruxelles, « créé à l’initiative du baron de Lau­noit et diri­gé par Mar­cel De Roo­ver ». Patron d’Ougrée-Marihaye à Seraing, Paul de Lau­noit est l’homme fort du hol­ding Bru­fi­na. Mar­cel De Roo­ver a joué un rôle impor­tant dans la Résis­tance, en tant que cofon­da­teur de la Légion belge, ancêtre de l’Armée secrète. Dans l’entre-deux-guerres, De Roo­ver était actif au sein de la Socié­té d’études poli­tiques éco­no­miques et sociales (Sepes), Think Tank anti­com­mu­niste, et proche de la Légion natio­nale, mou­ve­ment fas­ciste belge, fon­dé en 1922, dont on fait par­tie plu­sieurs des membres du BACB anversois.

Un ensemble de rap­ports secrets du ser­vice de ren­sei­gne­ment d’André Moyen, datés de 1949 à 1960, a été conser­vé dans les archives d’André De Vlees­chau­wer, ministre de l’Intérieur en 1949 – 1950. Le rap­port men­suel d’activités du 31 aout 1950 pré­sente Julien Lahaut comme un traitre, agent de l’URSS, et carac­té­rise ses exé­cu­teurs comme un groupe de patriotes for­mant « une sorte de synar­chie qui a ses gens jusqu’aux enceintes les plus fer­mées et, pour le cas Lahaut, jusque dans les enquê­teurs » (p. 136 – 137). Mon­trant que Moyen connait les auteurs du crime et leurs moti­va­tions, ce pré­cieux docu­ment est absent du dos­sier judi­ciaire, alors que les rap­ports de Moyen figurent dans les archives de la sec­tion poli­tique de la police judi­ciaire d’Anvers ain­si que dans les papiers du ministre Bras­seur, ministre de l’Intérieur après De Vlees­chau­wer. Le dos­sier sur le BACB conser­vé à la Sureté de l’État prouve que cette orga­ni­sa­tion a été créée à l’initiative d’André Moyen et éta­blit donc aus­si que dès 1949 la Sureté de l’État connait le lien entre Moyen et le BACB, asso­cié au pre­mier pro­jet d’assassinat de Lahaut en 1948 ! Les archives de la sec­tion poli­tique de la police judi­ciaire de Bruxelles contiennent un mil­lier de rap­ports de Moyen, mon­trant la coopé­ra­tion entre Moyen et la PJ !

Un autre cor­res­pon­dant de Moyen et des­ti­na­taire de ses rap­ports, est le colo­nel René Mam­puys de la Sécu­ri­té mili­taire, au ser­vice duquel Moyen a tra­vaillé dès 1935. Résis­tant de la pre­mière heure, Moyen consti­tue un réseau de ren­sei­gne­ment dans les Ardennes à l’automne 1940. Il fait ensuite par­tie du réseau de ren­sei­gne­ment mili­taire Athos. Chef du « Ser­vice 8 », groupe de choc opé­rant sous le cou­vert d’un orga­nisme d’Ordre nou­veau, la CNAA (Confé­dé­ra­tion natio­nale de l’agriculture et de l’alimentation), Moyen, alias « capi­taine Fred­dy » tire par­ti de cette cou­ver­ture offi­cielle pour pro­cé­der à l’exécution de traitres, infor­ma­teurs et col­la­bo­ra­teurs des Alle­mands. En 1944, Moyen est actif dans une uni­té de ren­sei­gne­ment au ser­vice de l’armée amé­ri­caine. Une fois la guerre ter­mi­née, il se lance dans la lutte anti­com­mu­niste et le jour­na­lisme, écrit dans les pério­diques Europe-Amé­rique, Sep­tembre, Vrai, L’Unité belge. En aout 1947, dans Vrai et Sep­tembre, il publie une série d’articles sur des sois-disant para­chu­tages d’armes effec­tués par des avions sovié­tiques en Bel­gique ! À la demande d’Herman Robi­liart de l’Union minière, Moyen étend son réseau de ren­sei­gne­ment à la colo­nie pour y tra­quer l’infiltration com­mu­niste ! Son réseau est en rap­port avec les ser­vices secrets fran­çais, suisse, ita­lien, amé­ri­cain, hol­lan­dais, alle­mand, espa­gnol… Dès 1948, dans Sep­tembre – Organe du redres­se­ment natio­nal, pério­dique publié de jan­vier 1945 à sep­tembre 1950 avec le sou­tien finan­cier de Mar­cel De Roo­ver, Moyen écri­vant sous le pseu­do­nyme de Cin­cin­na­tus, incite ses lec­teurs à « se pré­pa­rer au com­bat » contre les com­mu­nistes. La guerre froide, puis en 1950, le déclen­che­ment de la guerre de Corée, consti­tuent en effet le ter­reau pro­pice à l’essor des acti­vi­tés secrètes de Moyen et de son réseau anti­com­mu­niste. « Le réseau fonc­tion­nait à l’image d’Athos, comme une orga­ni­sa­tion stay-behind exer­çant une acti­vi­té de ren­sei­gne­ment et recou­rant à des groupes de choc pour l’obtention de docu­ments par la force et pour l’exécution de traitres » (p.183).

En 2002, le séna­teur VLD Vincent Van Qui­cken­borne révé­lait la vraie iden­ti­té de l’auteur de l’assassinat de Julien Lahaut[[Déjà iden­ti­fié, mais dési­gné sous le pseu­do­nyme « Adolphe », dans le livre de Van Doors­laer et Verhoeyen.]] : Fran­çois Goos­sens ! D’après le rap­port de la Sureté de l’État de novembre 1949, Goos­sens col­la­bore aux acti­vi­tés du BACB et fait par­tie du réseau Moyen. En 2007, sur la chaine Can­vas, Eugène Devil­lé se déclare être l’assassin de Lahaut. Fils du bourg­mestre d’Hal, Eugène for­mait donc avec son frère Alex, Goos­sens et un qua­trième homme, le com­man­do de tueurs à Seraing.

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Comme le sou­lignent les his­to­riens du Ceges, le rap­port d’activités du 31 aout 1950 envoyé par Moyen à ses cor­res­pon­dants expose le mobile du crime comme un acte de guerre, l’exécution d’un traitre. Au moins trois per­son­na­li­tés de l’establishment belge[[De Vlees­chau­wer, le com­mis­saire de la sec­tion poli­tique de la police judi­ciaire d’Anvers et H. Robi­liart, comme le montre la décou­verte du rap­port du 31 aout 1950 dans les archives de ces cor­res­pon­dants de Moyen.]] ont reçu ce rap­port qui éta­blit clai­re­ment l’implication de Moyen dans l’assassinat, mais ils ne com­mu­niquent cepen­dant pas cette infor­ma­tion à la jus­tice. Comme le pré­cisent les his­to­riens, le rap­port du 31 aout s’inscrit à la suite des autres rap­ports de Moyen, « por­tant la stra­té­gie de la ten­sion à son sum­mum ». Il est évident que « le réseau anti­com­mu­niste d’André Moyen est res­pon­sable de l’attentat du 18 aout 1950 » (p. 281). Un meurtre qu’il faut situer dans le contexte de guerre froide, face à la « menace com­mu­niste ». Depuis 1945, le réseau Moyen pra­tique une stra­té­gie de la ten­sion et veut inci­ter le gou­ver­ne­ment à prendre des mesures répres­sives contre les com­mu­nistes qui, mal­gré la fai­blesse poli­tique du PCB, sont per­çus comme une cin­quième colonne. « À la lec­ture des rap­ports de Moyen, l’impression qui pré­vaut est que les com­mu­nistes sont sur le point et ont, en tout cas, la capa­ci­té de per­pé­trer un coup d’État en Bel­gique » (p. 283). Face aux auto­ri­tés, qu’ils jugent défaillantes, face au défer­le­ment com­mu­niste en Corée et à la menace d’une troi­sième guerre mon­diale, Moyen et ses com­plices se pré­sentent comme les sau­ve­teurs de nos ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques, n’hésitant pas à agir avant même le début de l’invasion et de l’occupation sovié­tique ! Le mode d’action du réseau Moyen est celui des ser­vices de ren­sei­gne­ment et d’action en 40 – 45. Les rap­ports pri­vi­lé­giés de Moyen avec la police judi­ciaire expliquent les ano­ma­lies de l’enquête judiciaire.

En octobre 1950 à la pre­mière séance de la chambre des Repré­sen­tants, le Pre­mier ministre Pho­lien affirme la volon­té gou­ver­ne­men­tale de lut­ter contre la sub­ver­sion inté­rieure. La menace d’un nou­veau conflit mon­dial et d’une « cin­quième colonne » com­mu­niste jus­ti­fie à ses yeux une poli­tique visant à inter­dire les grèves dans les ser­vices publics et expul­ser les com­mu­nistes et sym­pa­thi­sants de la fonc­tion publique. Donc « quand on observe le tra­vail de Pho­lien, on ne peut pas consi­dé­rer André Moyen comme un chas­seur de com­mu­nistes exal­té et iso­lé » (p. 267). Le finan­ce­ment du réseau Moyen ne cesse pas après l’assassinat et per­sonne ne dénonce l’auteur du rap­port du 31 aout auprès de la jus­tice. La volon­té mani­feste de résoudre l’affaire du coté des juges d’instruction se heurte à la frag­men­ta­tion de l’information et à la mau­vaise volon­té de la police judi­ciaires. Car « l’enquête judi­ciaire était vouée à l’échec du fait des liens étroits entre André Moyen et cer­tains offi­ciers de police judi­ciaire, liens que n’ignoraient pas les magis­trats du par­quet, sur­tout à Bruxelles. C’est l’une des révé­la­tions essen­tielles de nos recherches » (p. 288), concluent les auteurs de cette excel­lente mono­gra­phie dont il faut mal­heu­reu­se­ment regret­ter l’absence d’index, qui aide­rait le lec­teur à mieux pou­voir situer tous les pro­ta­go­nistes de cette remar­quable étude d’archives iden­ti­fiant les assas­sins de Julien Lahaut, leurs réseaux de com­pli­ci­tés et les moti­va­tions de ce crime politique.

Emma­nuel Gérard (éd.), Fran­çoise Mul­ler et Widu­kind De Rid­der, Qui a tué Lahaut ?

Les des­sous de la guerre froide en Bel­gique, La Renais­sance du Livre, 2015.

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Par Roland Bau­mann, le 17 juillet 2015

Roland Bau­mann est his­to­rien d’art et eth­no­logue, pro­fes­seur à l’Institut de radio­élec­tri­ci­té et de ciné­ma­to­gra­phie (Inra­ci), assis­tant à l’Université libre de Bruxelles (ULB).

Source de l’ar­ticle : La revue Nouvelle


Notes